Mektoub







"La main de Dieu" Yasmine Char. Roman. Gallimard, 2008.



C'est avec « La main de Dieu » que s'achève cette série de billets consacrés à la sélection des dix romans choisis pour le Prix Landerneau.

C'est aussi avec ce commentaire que je dois déterminer celui qui, parmi ces dix ouvrages, est à mon avis, le lauréat.



On le sait, cela a déjà été annoncé ici, le Prix Landerneau a été décerné par le jury à Yasmine Char pour « La main de Dieu » le 16 juin dernier, talonné de près par « Le théorème d'Almodóvar » d 'Antoni Casas Ros. Cependant, j'ai été sollicité parmi d'autres bloggueurs et bloggueuses pour déterminer quel serait mon choix si j'avais moi aussi fait partie de ce jury. Ainsi, chacun des bloggueurs sélectionnés à eu pour tâche de choisir qui, à son avis, était susceptible de remporter ce Prix.

J'ai donc lu ces dix romans et après maintes tergiversations, débats, controverses et délibérations entre moi et moi, j'ai fait mon choix.
Le résultat ne surprendra pas, car à l'instar du jury officiel, mes suffrages se sont portés sur le roman de Yasmine Char.

C'est donc « La main de Dieu » qui remporte sans surprises ma version toute personnelle du Prix Landerneau.
Ce choix n'a pas été évident car j'aurais bien voulu me démarquer du résultat officiel mais force m'a été de constater que ce roman réunissait en lui-même de nombreuses qualités qui m'ont fait pencher en sa faveur.
J'ai longtemps hésité entre celui-ci et « Et mon coeur transparent » de Véronique Ovaldé, roman que j'ai également beaucoup apprécié mais qui s'est déjà vu gratifier du Prix France-Culture – Télérama 2008.
Antoine Laurain avec son « Fume et tue » a également retenu mon attention et j'ai passé un excellent, jubilatoire et désopilant moment à la lecture de son roman.
« Nous vieillirons ensemble » de Camille de Peretti m'a aussi laissé une belle impression avec sa construction oulipienne et sa galerie de personnages si attachants.
Quant au « Théorème d'Almodóvar », sans remettre en cause ses nombreuses qualités, je l'ai quand même trouvé un peu pointu et élitiste, donc peu à même de susciter un engouement au delà de certains cercles « intello-branchés ».

Mais il m'a bien fallu me résoudre à faire mon choix et c'est finalement – même si cela peut sembler manquer d'originalité – que j'ai choisi moi aussi « La main de Dieu ». Mektoub !

De mektoub (le destin), il en est justement question dans le roman de Yasmine Char car en effet la main de Dieu semble guider le sort de cette jeune fille que nous suivons au fil de ce récit.
Nous sommes dans les années 80 à Beyrouth, en pleine guerre du Liban.
Une jeune fille d'une quinzaine d'années, dont nous ne connaissons pas le nom, tente de se construire au sein du chaos politique et meurtrier qu'est devenu son pays.
Chaque jour elle franchit la ligne de démarcation au péril de sa vie pour se rendre au lycée français car un franc-tireur est embusqué quelque part dans les ruines d'un immeuble, un sniper qui vise et donne la mort à quiconque vient à apparaître dans la mire de son viseur.
Alors la jeune fille court dans les décombres, cible mouvante tentant d'échapper au doigt du destin qui pèse sur la gachette d'un fusil à lunettes, un doigt qui, comme la main de Dieu peut vous épargner aujourd'hui mais vous ôter la vie quand bon lui semblera.
Malgré cette menace qui pèse sur elle comme sur tous les passants, elle persiste à franchir ces obstacles pour se rendre au lycée ou pour donner des cours aux enfants d'un camp de réfugiés palestiniens. Pourquoi prendre tant de risques ? Peut-être pour échapper à la pesanteur d'une famillequi réprouve ses choix.
Car au sein de la cellule familiale, elle ne peut compter que sur la complicité de son père et la bienveillance de sa grand-mère face à l'hostilité de son oncle et de ses tantes pour qui le poids des traditions et de la religion musulmane ne cessent de faire obstacle à son désir d'émancipation. Sa mère, française, est partie aux premiers jours de la guerre, faisant de son père un homme brisé qui ne sort quasiment plus de sa chambre dans laquelle il ressasse les causes de cet abandon.
C'est pour échapper à tout cela, le chagrin de son père, les remontrances et les vexations de son oncle et de ses tantes, scandalisés par l'attitude "blasphématoire" de cette jeune fille qui leur paraît trop délurée, qu'elle risque sa vie tous les jours. Mais les hostilités entre milices chrétiennes, pro-israëliennes et musulmanes ne cessent de s'accroître et bientôt le lycée français, dernier bastion de liberté dans sa vie, va bientôt fermer ses portes.

Où trouvera-t-elle une échappatoire à ce carcan qui l'enserre, à ce pays et à cette famille qui tombent en miettes ? Peut-être auprès de cet homme beaucoup plus âgé qu'elle, ce français qui se dit correspondant de guerre et avec qui elle va vivre une relation sensuelle et passionnée.
Mais là aussi la main de Dieu va intervenir, d'une manière inattendue, et va trancher dans le vif des âmes et des corps.

Qu'on l'appelle le destin, le hasard ou la volonté de Dieu, l'ironie du sort est un thème qui n'a cessé de faire s'interroger les hommes depuis des siècles, que ce soit dans les tragédies antiques ou dans les grands mythes fondateurs de nombreuses civilisations.

Cette convergence du destin vers un but inéluctable, au point qu'elle semble avoir été fixée dès le départ par une main invisible et toute puissante, nous est ici déclinée une fois de plus mais avec le poids et l'immédiateté d'un contexte encore aujourd'hui douloureux puisqu'il évoque le sort du Liban, un pays où les communautés ne cessent de s'affronter, influencées politiquement par les belligérants de nations limitrophes qui tentent en cela de déstabiliser ce pays où le cosmopolitisme et la tolérance religieuse auraient pu s'ériger en exemple pour l'ensemble du Moyen-Orient.

La guerre, la mort, mais aussi la condition des femmes, leur rapport à l'éducation, l'emprise des traditions séculaires et celle du clan familial sur elles sont aussi évoquées dans ce récit qui ouvre la porte à maintes interrogations malheureusement toujours d'une actualité brûlante.
C'est en cela que le roman de Yasmine Char touche à l'universalité et nous apporte, par les thèmes qui y sont abordés, une réflexion sur des questionnements qui habitent l'espèce humaine depuis la nuit des temps.

Un grand merci à Elodie Giraud.



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