mercredi 23 décembre 2009

Joyeuses Fêtes !!!!

A toutes celles et à tous ceux qui passent par ici, je souhaite de très heureuses fêtes de fin d'année.
Rendez-vous en 2010.



lundi 21 décembre 2009

Le 2e Prix Landerneau # 5


"Les mains nues" Simonetta Greggio. Roman. Editions Stock, 2009.

Emma est vétérinaire. Elle ne soigne pas des caniches et des yorkshires mais des animaux de ferme. Elle s’est installée dans le Jura où elle exerce son activité auprès des éleveurs locaux, un métier rude, ingrat, accentué par les rudes hivers dans ce pays de montagnes. Âgée de quarante-sept ans, elle vit seule dans une vieille maison isolée, son repaire quand ses activités lui laissent un peu de temps libre. Là, elle passe la majeure partie de son temps à lire, parfois jusqu’à l’épuisement.
Son existence solitaire va pourtant se trouver bouleversée par l’arrivée inopinée d’un adolescent fugueur de quatorze ans, Giovanni, qui se trouve être le fils de son ancien petit ami, Raphaël.

La présence de Giovanni va ranimer chez Emma des souvenirs qu’elle aurait souhaité oublier, des souvenirs remontant à l’époque de ses vingt-cinq ans , dans les années 1980. Emma et Raphaël formaient alors un couple de jeunes amoureux qui, s’ils ne croyaient pas un seul instant que leur relation durerait toute une vie, vivaient pleinement et sincèrement cette liaison. Puis est arrivée Micol, la rivale, qui insidieusement s’est incrustée dans la vie de leur couple jusqu’à atteindre son objectif : ravir Raphaël et prendre la place d’Emma dans son cœur :

" Micol était comme un jeune boxeur qui n’a jamais été battu. Elle était tout ce que je ne suis pas, la Daisy de Gatsby et l’héritière des Finzi Contini courant après sa balle de tennis dans un jardin depuis longtemps disparu. Je ne sais pas si, comme moi, Raphaël avait été sensible à la grâce de ceux à qui tout est dû. Je ne sais pas s’il n’avait vu en Micol, avec l’aveugle sens de possession des mâles, qu’une svelte cascade de boucles blondes, une délicate couleuvre aux yeux d’escarbille ou s’il avait été foudroyé par l’exacte sensation d’être en face de quelqu’un qui allait changer son existence. Je n’avais pas forcément cru que Raphaël et moi c’était pour toujours, je ne m’étais même pas posé la question, d’ailleurs, mais je l’aimais. Avant lui, j’avais eu des amants, et après lui j’en ai eu aussi, mais c’était mon mec, mon amoureux, celui à qui j’avais fait des promesses et qui m’en avait fait aussi, et si Micol n’avait pas déboulé dans notre histoire, ma propre histoire ne se serait pas déroulée de la même manière."
Presque vingt ans plus tard, leur fils, arrivé chez moi un soir à l’improviste, cassait des œufs dans une poêle et me demandait ce qu’on allait faire pendant que le premier orage de la saison roulait dans un ciel noir, si lourd qu’on attendait impatiemment qu’il finisse par crever. »

Emma va bien évidemment être évincée par son adversaire qui ne tardera pas à annoncer qu’elle est enceinte de Raphaël et donnera ensuite naissance à Giovanni, puis plus tard à deux jumelles.
Une fois ses études terminées, Emma va quitter Paris et tirer un trait sur son passé en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage de son métier de vétérinaire. Avec Raphaël et Micol, elle n’entretiendra plus qu’une relation lointaine, se bornant à l’envoi d’une carte de vœux pour le nouvel an.
Avec l’arrivée de Giovanni, cette vieille histoire qu’Emma avait cru définitivement enterrée va remonter à la surface et rallumer de vieilles rancunes qui vont se trouver attisées par la relation qui va se nouer entre Emma et Giovanni, une relation répréhensible aux yeux de la loi et connue sous le nom de « détournement de mineurs ».

C’est avec beaucoup de pudeur et de retenue que Simonetta Greggio évoque dans ce roman ce sujet encore aujourd’hui tabou qu’est le délit de détournement de mineurs, un délit peu évoqué dans nos médias contemporains plutôt attirés par les actes de pédophilie jugé plus porteurs d’émotions et plus susceptible d’attirer une large audience du fait de la sordidité de ces affaires.

On ne trouvera donc dans ce roman aucune tentative de voyeurisme, aucune apologie ni aucun anathème sur la liaison entre cette femme de presque cinquante et ce très jeune homme en proie aux doutes et aux révoltes de l’adolescence. On lira au contraire un récit sensible qui ne tombe en aucune manière dans le sensationnalisme, la mièvrerie ou la vulgarité. Cette relation taboue n’est d’ailleurs pas ce qui fait le corps et l’intérêt principal de ce roman qui nous offre le portrait d’une femme arrivée à l’âge où l’on fait le bilan d’une vie, où l’on revient et l’on examine les errements et les désillusions du passé, où l’on décortique, une fois les passions mises de côté, les évènements survenus il y a bien longtemps et qui paraissaient alors si douloureux qu’ils semblaient impossibles à oublier. En cela, le personnage d’Emma nous livre le portrait d’une femme qui s’est délivrée des passions futiles et qui, malgré l’apparente austérité de son existence, a su faire la part de ce qui est essentiel, sans retomber dans les embûches du passé.
Un beau roman qui aborde un sujet encore tabou en le traitant avec beaucoup d’intelligence et de pudeur sans tomber dans la pudibonderie.










mercredi 16 décembre 2009

"Les cons, ça ose tout..."


"Mort aux cons" Carl Aderhold. Roman. Hachette Littératures, 2007.

Qui n’a pas rêvé un jour de se débarrasser de certaines personnes de son entourage, généralement qualifiées de « cons » ou de « connes » ? L’espèce, il faut bien le dire, en est fort répandue et je ne connais à ce jour personne qui n’ ait été confronté à cette engeance et n’ait souhaité utiliser des moyens peu avouables pour s’en défaire. Heureusement, ces pulsions criminelles, qui nous poussent à imaginer toutes les morts possibles pour ces fâcheux, en restent, dans la majorité des cas, au stade du fantasme.


Ils sont partout : au travail, dans notre voisinage, sur la route, en ville ou à la campagne, dans les gares, les aéroports, les grandes surfaces, et même au sein de votre propre famille…et si, rentrés chez vous, vous croyant à l’abri de leurs nuisances, vous avez la malheureuse idée de lire le journal ou d’allumer votre radio ou, pire encore, votre poste de télévision, attendez vous à les voir déferler au sein de votre foyer tel un tsunami ravageur.

Ils sont pire que les blattes, vous en écartez un, il en surgit cent autres. Alors comment faire pour les éviter ? À moins de s’exiler au fin fond du désert ou de s’exiler vers une lointaine planète inhabitée, nul n’échappe au phénoménal pouvoir de nuisance des cons. Que faire alors ? Les exterminer ? Voilà une solution séduisante mais malheureusement vouée à l’échec. Le con est une espèce qui se reproduit et se multiplie à une vitesse phénoménale. On en trouve des spécimens là où l’on s’y attendrait le moins et celui ou celle qui voudrait les éradiquer jusqu’au dernier mènerait un combat perdu d’avance, une croisade sans fin qui ne pourrait se solder que par l’extinction du genre humain tout entier. Nous sommes tous en effet le con (ou la conne) de quelqu‘un et vouloir en finir avec la connerie, c’est s’exposer soi-même à devenir la victime de son propre dessein.

C’est pourtant une croisade de cet ordre que va mener le personnage principal du roman de Carl Aderhold, un personnage jusqu’ici sans histoires qui, par la force des choses, va s’engager dans ce combat contre la connerie ordinaire, celle que l’on rencontre tous les jours en bas de sa porte. Et il va avoir fort à faire, confronté à toute une typologie de cons patentés, de ceux que nous avons tous rencontrés : les chauffards, les bricoleurs du dimanche, les beaufs, les malpolis, les petits chefaillons, les jeunes du dessus qui font brailler leur musique à toute heure, les agents des impôts, de la SECU ou de l’ANPE, et tous les autres, les anonymes, les cons par vocation, ceux dont la connerie est une marque de fabrique, un apostolat, et qui sans elle ne seraient rien. Il ira même jusqu’à occire un con notoire, un politique « au discours sans langue de bois », ministre de l’Environnement qui pense (nous sommes avant 2007) à la présidence de la République. On pensera bien évidemment à une certaine personne (qui dans la réalité n’a pas occupé ce poste) au vu de ce discours prononcé dans un village de l’Est de la France lors de l’épidémie de grippe aviaire : « Vous en avez marre de toute cette volaille ? lança-t-il en direction de la foule. Eh bien on va vous en débarrasser ! J’ai déjà pris la décision de faire nettoyer entièrement le village au Kärcher pour éviter tout risque potentiel. […] La République ne tolérera aucun cas de grippe aviaire dans votre département. Il n’y aura pas d’épidémie. Je vous le garantis. »

Quand on apprend ce qu’il advient du dit ministre quelques pages plus tard, on se prend à regretter que « Mort aux cons » ne soit qu’une oeuvre de fiction…

Les cons étant, nous l’avons dit, une espèce surabondante, l’accumulation de morts suspectes autour de notre héros ne va pas manquer d’attirer l’attention, et le commissaire Marie, un flic un peu philosophe qui n’est pas loin de partager les mêmes idées que le suspect, (il aime à citer la phrase de Michel Audiard tirée des « Tontons flingueurs » : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. ») va s’intéresser de près aux faits et gestes de ce justicier d’un genre nouveau. Va alors s’installer un jeu du chat et de la souris entre le flic et le suspect, une relation oscillant entre méfiance et amitié qui trouvera un aboutissement pour le moins inattendu qui fera de notre éradicateur de connerie ce qu’il n’avait pas un instant imaginé devenir…

« Mort aux cons » est, on l’a deviné, un véritable jeu de massacre dans lequel toutes les formes de connerie répertoriées à ce jour sont passées en revue. On s’amuse, pour avoir été confronté soi-même à nombre de ses représentants, à cette vaste taxinomie de la connerie humaine qui va du voisin de palier au ministre précédemment cité et jusqu’au néo-philosophe mondain et chevelu qui porte un avis sur tout et n'importe quoi.

Même si l’exécution de ces cons apparaît parfois un peu facile et expéditive, au contraire du roman d’Antoine Laurain « Fume et tue » qui recensait lui aussi une belle galerie de cons-temporains et qui mettait en scène des meurtres d’une habileté machiavélique, on s’amuse quand même beaucoup à suivre les aventures du personnage de Carl Aderhold, un parcours meurtrier jalonné d’ambassadeurs de la connerie qui apparaissent plus vrais que nature.

Bref, si vous êtes vous aussi confrontés dans votre vie quotidienne à un ou plusieurs cons qui vous pourrissent l’existence, lisez-donc « Mort aux cons », mettez-vous dans la peau du narrateur et prenez-vous à rêver d’un monde enfin débarrassé de tous les cons. Évitez toutefois le passage à l’acte, une vie entière ne suffirait pas pour mener à bien ce projet.






jeudi 10 décembre 2009

L' Île des Fantômes


"L' Aigle et le Dragon" Gillian Bradshaw. Roman. Actes Sud / Errance, 2006.
  Traduit de l'anglais par Iaroslav Lebedynsky.

En l’an 175 de notre ère, le divin empereur Marc-Aurèle remporte une victoire décisive sur les tribus Sarmates basées entre le Danube et l’Oural.


Le peuple Sarmate est composé de tribus nomades dont les plus importantes sont les Iazyges, les Roxolans, les Siraques et les Aorses. Ces nomades de la steppe ont basé leur économie sur l’élevage de chèvres, de moutons, de bovins, mais aussi et surtout de chevaux, animaux fort prisés pour leur utilité lors des combats, les armées Sarmates étant principalement composées de cavaliers, archers montés et de lanciers lourds. Cette combinaison de tireurs légers et mobiles et de cavaliers cuirassés capables de charges impressionnantes a fait des Sarmates de redoutables adversaires pour les armées romaines chargées de défendre les limites orientales de l’empire contre les razzias et incursions de ces tribus belliqueuses.

Cependant, les armées impériales réussissent, en 175, à infliger une sévère défaite aux Sarmates Iazyges dans la plaine de Hongrie. Le roi Sarmate Zanticos se vit alors contraint de cesser les hostilités. Pour sceller la fin des hostilités, les Sarmates se voient contraints de fournir à l’empire romain huit mille de leurs cavaliers qui seront employés dans les armées au titre d’auxiliaires. Ces troupes ne seront pas déployées sur le théâtre de leurs actions passées mais envoyées dans des provinces lointaines de l’empire, cet éloignement limitant les possibles rébellions de ces troupes contraintes de vivre dans un pays étranger où les populations locales ne pourront pas leur apporter de soutien. De plus, ces armées d’auxiliaires seront dirigées (sous la responsabilité d’officiers romains, cela va de soi.) par des membres de la noblesse Sarmate, princes et chefs de clans, qui se verront ainsi privés du renfort éventuel de leurs peuples respectifs en cas de soulèvement éventuel.

Lorsque débute le roman de Gillian Bradshaw, la première vague d’auxiliaires Sarmates arrive à Bononia (Boulogne) après une chevauchée d’une cinquantaine de jours depuis Aquincum (Budapest). Mais Bononia n’est pas la destination de ce voyage. Le port gallo-romain n’est que la dernière étape qui va mener ces nomades vers l’île de Bretagne où les troupes vont être employées à protéger les populations des incursions des tribus pictes de l’actuelle Écosse en renforçant le dispositif défensif mis en place par les armées romaines le long du Mur d’Hadrien.

Les troupes Sarmates respectivement commandées par trois princes : Archak, Gatalas, et Ariantès, qui est la narrateur et personnage principal du roman, vont ainsi rejoindre cette île de Bretagne qu’ils ne tarderont pas à qualifier d‘« île des fantômes ». Pour ces hommes, en effet, habitués à vivre dans des chariots de bois et de feutre, les habitations de pierre qu’ils découvrent en Bretagne ne peuvent que leur évoquer des tombeaux. Pour eux, il n’est pas concevable qu’un être vivant puisse vivre à l’abri de murs de pierre. Mais cette appellation de « fantômes » est aussi valable pour eux, Sarmates, qui ont du tout quitter, famille, honneurs, domaines, pour devenir les instruments d’une puissance étrangère et ainsi mettre définitivement fin à leur existence passée.

Le prince Ariantès éprouve particulièrement ce sentiment d’être mort, sa femme et son enfant ayant été massacrés par les troupes romaines durant la guerre. Exilé au bout du monde connu, dernier survivant de sa famille, Ariantès n’a plus que son honneur à défendre en respectant le pacte conclu entre son peuple et l’empire romain, pacte qui lui enjoint de défendre et d’assister les ennemis d’hier. Cet engagement d’Ariantès ne sera pas du goût de ses pairs, les princes Archak et Gatalas qui dissimulent à peine leur rancœur contre ceux qui les ont vaincus.

Ariantès aura fort à faire dans cette île de Bretagne pour calmer les esprits échauffés des princes Sarmates, prompts à s’enflammer et à se révolter contre l’autorité de Rome, d’autant plus que dans l’ombre, quelque un semble attiser leurs velléités d’insoumission. En effet, l’île de Bretagne, pacifiée depuis plusieurs décennies dans sa partie méridionale, n’a pas oublié la résistance à l’envahisseur romain incarnée par la reine Boadicée des Icènes plus d’un siècle auparavant, et il semble que des forces mystérieuses s’attachent à réitérer le soulèvement des nations bretonnes afin d’éradiquer de l’île toute trace de l’occupation romaine.

« L’aigle et le Dragon », par son propos et son intrigue est à classer dans la catégorie des polars historiques, genre littéraire que j’affectionne particulièrement même si parfois les résultats s’avèrent moyens. Parfois en effet, le côté polar prend le pas sur l’aspect historique, nous offrant une intrigue alléchante au détriment d’un contexte temporel qui n’a souvent pour utilité que de servir de toile de fond. Dans d’autres cas, c’est l’inverse qui se produit, la reconstitution historique est talentueuse mais l’intrigue, quant à elle, laisse un peu à désirer. C’est le cas pour « L’Aigle et le Dragon », un roman qui s’attache à respecter le plus fidèlement possible la réalité historique mais qui manque un peu de piquant et de surprises en ce qui concerne le canevas de l’action proprement dite.

Ceci dit, ce roman a le grand mérite de nous plonger dans l’univers méconnu de ce peuple Sarmate et de nous décrire, au moyen des différents personnages rencontrés au fil du récit, les différents stades d’assimilation à la romanité tels qu’on pu les vivre les habitants des pays colonisés par l’empire romain.

Il est à noter que le traducteur de ce roman, Iaroslav Lebedynsky, est un spécialiste du peuple Sarmate, ayant lui-même publié un ouvrage sur ce peuple (« Les Sarmates » Éditions Errance, 2002). Qui, en effet, mieux que lui, aurait pu - à travers sa traduction et l’intéressante postface qu’il nous livre à la fin du récit - nous offrir ce roman au contexte passionnant et original ? Grâce à Gillian Bradshaw et Iaroslav Lebedynsky, les Sarmates, ces fiers nomades qui scalpaient leurs victimes et buvaient dans les crânes de leurs ennemis vaincus, ces cavaliers cuirassés qui furent un temps la terreur des armées romaines, revivent et chevauchent dans les plaines de notre imaginaire.







Stèle funéraire de Chester (Grande-Bretagne) représentant un cavalier Sarmate


dimanche 6 décembre 2009

Sangre y Oro


"Conquistadors" Eric Vuillard. Roman. Editions Léo Scheer, 2009.




En janvier 1531, un aventurier sans le sou originaire de Trujillo, Francisco Pizarro, quitte Panama en compagnie de cent quatre-vingt hommes et trente-sept chevaux. Son but : conquérir au profit de la couronne d’Espagne un immense empire, celui du Pérou.

Avec lui, ses frères Hernando, Gonzalo, Juan et son demi-frère Francisco Martin de Alcántara. D’autres gentilshommes de fortune se sont associés à cette aventure, dont Sebastián de Belalcazar
et Hernando de Soto, qui participa à la conquête du Nicaragua.

Ces hommes, perdus dans ces paysages immenses, rongés par la faim, la vermine et les maladies, vont, malgré leur petit nombre, se rendre maîtres d’un des plus grands empires de l’histoire, celui des Incas. Quel sera le principal moteur de leur succès ? Leur audace ? Certes, ces hommes n’ont rien à perdre. Ils sont pour la plupart issus de familles pauvres et ne peuvent compter que sur leurs bras pour conquérir la gloire et la fortune.
Leur sentiment de supériorité sur les peuplades indiennes ? Ces aventuriers sont convaincus de la prééminence de leurs armes et de leur foi catholique sur les armées et les croyances païennes des amérindiens.
L’exemple de Cortés ? Celui-ci a réussi , dix ans plus tôt, à soumettre le Mexique avec guère plus de troupes que Pizarre n’en détient en ce début d’année 1531 et a mis à genoux le belliqueux empire des Aztèques.
L’audace donc, l’exemple mexicain et la foi en la supériorité des armes et de la foi vont pousser ces hommes à tenter cette aventure. Mais il ne faudrait pas négliger le principal : la convoitise, qui est ici exprimée par la possession de l’élément le plus précieux : l’or.

Pizarre et ses compagnons espèrent en effet mettre la main sur des quantités fabuleuse de cet or que ce mystérieux empire Inca recèlerait en abondance. Ce précieux métal, dont une bonne partie serait envoyée en Europe pour couvrir les dépenses de l’empereur Charles-Quint, se trouverait, aux dires de certains, si répandu dans cet empire du Pérou qu’il en resterait après partage, suffisamment pour que chacun de ces conquérants puisse amasser d’immenses fortunes. Alors ces hommes simples, frustes, pour la plupart illettrés, vont se prendre à rêver d’immenses richesses, de palais couverts d’or et d’opulents royaumes dont-ils seraient les souverains.

Attirés eux aussi par cette soif de richesses, Diego de Almagro et Pedro de Alvarado, ancien compagnon de Cortés, vont rejoindre Pizarre et participer à ce festin d’or et de sang.
La conversion des amérindiens à la vraie foi sera dévolue aux prêtres qui accompagnent l‘expédition. Les hommes d’armes, eux, n’auront qu’un seul but : l’or, encore et toujours.

Ce sera le début d’une épopée sanglante et tourmentée qui verra ces hommes en guenilles se rendre maîtres d’un empire avant de s’entre-déchirer comme des chiens autour d’un os.

Massacres, trahisons et intrigues seront au rendez-vous lors de cette conquête qui illustre avec talent cet épisode historique qui s’annonce comme le prélude de notre monde moderne où la soif de possessions n’a jamais été aussi exacerbée. Ces conquistadors, à l’instar de nos financiers contemporains prennent tous les risques pour assouvir cette soif inextinguible de posséder encore et toujours plus, cette soif insatiable qui conduit irrémédiablement à l’élimination du plus faible et enfin à l’auto-destruction.

Eric Vuillard nous offre, avec « Conquistadors », un des romans les plus atypiques de cette rentrée littéraire 2009, une fresque grandiose et sordide, pleine de bruit et de fureur, qui ne peut que nous forcer à nous interroger sur la condition humaine, sur ses doutes, ses errements et ses fautes inlassablement renouvelées. Un roman audacieux et lyrique, en forme de tragédie, servi par une écriture puissante, poétique et sensuelle, qui nous met face à nos propres démons et nous incite à réfléchir sur les motivations de nos sociétés contemporaines.







"Homme en armure" Peinture de Jean-Baptiste Camille Corot.


jeudi 26 novembre 2009

Les fantômes de Venise


"La Taverne du doge Loredan" Alberto Ongaro. Roman. Anacharsis Editions, 2007.
  Traduit de l'italien par Jacqueline Malherbe-Galy et Jean-Luc Nardone.

Schultz, ancien officier de marine devenu éditeur, occupe un antique palais vénitien hérité d’ancêtres autrichiens venus s’installer dans la Sérénissime en 1816 à l’époque de la domination des Habsbourg et de la création par l’empire autrichien du royaume de Lombardie-Vénétie.


Il partage la jouissance de cette lugubre demeure avec Paso Doble, un étrange personnage, sorte de double de lui-même, un alter ego malicieux et imprévisible qui s’amuse à dissimuler quantité d’objets indispensables, obligeant ainsi Schultz à remuer ciel et terre pour retrouver son portefeuille, ses clefs ou encore les épreuves d’un ouvrage en cours de fabrication.

Un troisième personnage -beaucoup moins remuant celui-là - habite dans la chambre d’amis. C’est une effigie de cire, assise dans un fauteuil, d’une superbe femme vêtue d’un long manteau en poil de chameau.

Qui est-elle ? C’est-ce que Paso double aimerait bien savoir, mais le mystère entourant cette énigmatique statue de cire ne fait que déclencher sa colère et sa jalousie.

C’est donc en cherchant les épreuves de son Histoire des lupanars vénitiens, dérobées par Paso Doble, que Schultz va trouver en haut d’une armoire un vieux livre sans titre et dont la page qui devrait indiquer le nom de l’auteur a été arrachée.

Intrigué par cet ouvrage inconnu, Schultz va en entreprendre la lecture. Il s’agit du récit, conté à la première personne, d’un jeune gentilhomme libertin anglais vivant au tout début du XIXe siècle.
Jacob Flint - c’est le nom du personnage central de ce récit - âgé d‘une vingtaine d‘années, est le fils illégitime d’un notable des environs de Londres et d’une noble dame italienne qui l’a conçu avec un bohémien de passage. Le jeune homme, insouciant et de belle prestance, multiplie les conquêtes amoureuses. Il s’éprend un jour de la femme d’un douanier des environs, mais celui-ci, disposant d’un efficace réseau d’informateurs, ne tarde pas à découvrir l’identité de l’amant de sa femme. L’histoire s’achèvera par un duel au cours duquel le douanier périra d’un coup d’épée.

Les duels étant interdits et sévèrement réprimés par la justice, Jacob Flint n’a plus qu’une seule option : fuir.

Avec la complicité d’un ancien palefrenier de son père, il va être conduit secrètement à Londres et hébergé chez le capitaine Viruela, un marin s’adonnant à la contrebande entre l’Angleterre et la France. Malgré les velléités de Jacob Flint de s’adonner lui aussi au trafic illicite d’alcool entre les ports français, anglais et hollandais, le capitaine Viruela va lui proposer une toute autre activité. Ayant appris que le jeune gentilhomme, du fait de son éducation, est doué - en plus de l’art de l’escrime- pour la musique, la peinture et la poésie, il va le diriger vers la Taverne du doge Loredan où l’on recherche une personne apte à jouer du clavecin. Là, il va faire connaissance avec Nina, la patronne de la taverne, une italienne d’une beauté si époustouflante que le jeune homme va immédiatement éprouver pour elle une passion inextinguible.

La belle va bien sûr céder aux avances de Jacob mais ne va pas cacher à celui-ci que leur relation sera à coup sûr punie de mort. Nina est en effet la maîtresse attitrée de Fielding, le chef de la pègre londonienne, un redoutable et cruel personnage dont la particularité est d’exhaler autour de lui une insupportable odeur de putréfaction. Celui-ci ayant rapidement découvert les amours interdites de Nina et Jacob, une poursuite va s’ensuivre à travers la France et l’Italie, où les deux hommes, désormais prêts à s’entretuer, vont tenter de retrouver les traces de la belle qui s’est enfuie vers le décor de son enfance : la cité des doges.

Au fil de sa lecture, Schultz va déceler dans cette histoire des détails troublants qui ne sont pas sans rapport avec sa propre existence, malgré les deux siècles qui séparent le contexte du récit de Jacob Flint de celui de ce début de troisième millénaire.

Avec « La Taverne du Doge Loredan » , Alberto Ongaro nous livre un roman placé sous le signe de l’Ange du Bizarre, un roman à tiroirs qui évoque l’ œuvre de Borgès, mais aussi les grands classiques de la littérature d’aventure tels que « L’ île au trésor » de Stevenson, « L’auberge de la Jamaïque » de Daphné du Maurier ou encore la filmographie de Luis Bunuel. Nous plongeant dans une Venise crépusculaire, Alberto Ongaro signe un roman surréaliste qui happe le lecteur et l’entraîne dans un univers romanesque qui flirte avec les codes du roman gothique du XIXe siècle. Un livre atypique, baroque, sensuel et fantastique qui, malgré son aspect de prime abord déroutant, se laisse apprivoiser et propulse peu à peu le lecteur dans un récit haletant et jubilatoire.





L' île Saint-Lazare la nuit. Venise. 1894 Peinture de Guevork Bachindjaghian.




dimanche 22 novembre 2009

Les 108 brigands des Monts-Liang







"Au bord de l'eau" Shi Nai-an. Roman. Editions Gallimard, 1977.
  Traduit du chinois par Jacques Dars.

Aussi populaire en Chine que le sont en Occident « Don Quichotte » ou « Les trois mousquetaires », « Au bord de l’eau » est peut-être le classique de la littérature chinoise le plus célèbre dans tout l’Empire du Milieu.


S’inspirant de faits réels survenus lors du premier tiers du XIIe siècle, dans les dernières années de la dynastie des Song du Nord, le récit relate les aventures d’une armée de hors-la-loi insurgés contre le pouvoir sous le règne de l’Empereur Hui-Zong.

Cette insurrection - une parmi tant d’autres dans l’histoire de la Chine - qui tint longtemps en échec les armées impériales, a donné lieu à nombre de récits et d’anecdotes relatant les hauts-faits de ces valeureux brigands. Très vite, la tradition orale, par le biais des conteurs, s’est en effet emparée des aventures des 108 brigands des marais des Monts-Liang, donnant à ceux-ci une stature quasi-mythique, figures de héros populaires en révolte contre une administration corrompue. Des hommes de lettres, inspirés par cette vaste épopée, vont par la suite transcrire sur le papier certains épisodes particulièrement marquants de ce récit, s’attachant à mettre en valeur les aventures de tel ou tel des 108 personnages qui composent l’armée des hors-la-loi.

C’est cependant au tout début du XIVe siècle que prend forme le roman sous la plume de Shi Nai-an, aidé par Luo Guan-zhong, auteur lui aussi d’un autre très célèbre roman épique : « Les Trois Royaumes ».

Puis, c’est au XVIIe siècle qu’un autre érudit, Jin Sheng-tan, revit, corrige et annote l’œuvre de Shi Nai-an. C’est cette version qui nous est donnée ici, traduite du chinois par Jacques Dars. On peut cependant déplorer que les éditions Gallimard ne nous proposent pas dans la collection Folio la version complète de l’œuvre, version complète que le lecteur ne pourra apprécier que s’il est à même de s’offrir ce roman dans l’édition de La Pléiade. Il est en effet fort regrettable qu’un ouvrage tel que celui-ci soit amputé de ses derniers chapitres, comme ces sharewares, logiciels que l’on peut télécharger gratuitement mais dont il faudra payer pour acquérir la version complète.

Ceci dit, les quelques 1800 pages proposées ici en deux tomes suffiront à emporter le lecteur dans cet époustouflant roman-fleuve peuplé de personnages hauts en couleurs et de batailles épiques. On y assistera - et c’est ce qui fait le corps principal du récit - à la constitution de l’armée des 108 brigands des marais des Monts-Liang. Ce n’est d’ailleurs pas un récit, mais une multitude de récits qui composent cet ouvrage. Chacun d’eux introduit un ou plusieurs personnages et nous fait partager le cheminement qui les conduira l’un après l’autre à rallier le repaire des hors-la-loi.

Qu’ils soient fonctionnaires de l’empire, marginaux, bonzes itinérants ou généraux, grands stratèges ou maîtres d’armes, tous vont se trouver en conflit avec l’administration impériale, et plus particulièrement avec l’arrogance, l’injustice et la cupidité des mandarins et des ministres.

Épris de justice, ceux qui sont devenus -le plus souvent par la force des choses - des brigands, vont s’allier sous le commandement de Song-Jiang.

Tous ne sont pas, cependant, des exemples d’honnêteté et d’héroïsme : certains tiennent des auberges où le client égaré peut finir, après avoir été drogué et détroussé de ses biens, comme plat principal des futurs hôtes. D’autres, comme Li-Kui, le Tourbillon Noir, peuvent s’abandonner à une frénésie de violence comparable à celle des berserkirs des sagas scandinaves et peuvent aller - pour enrôler un candidat réticent - jusqu’à assassiner un enfant pour que cet homme intègre et innocent, accusé de ce meurtre, soit obligé de fuir et d’intégrer malgré-lui la bande des marais.

Cependant, ce qui prévaut chez les hors-la-loi des marais des Monts-Liang, c’est une fraternité sans faille, et lorsque l’un d’entre eux se trouve en danger, les autres n’hésitent pas un seul instant avant de lui porter secours.

On fera donc connaissance, au fil de la lecture, avec de nombreux et fascinants personnages dont les sobriquets, souvent menaçants, parfois complètement surréalistes, prêtent souvent à sourire : ainsi les frères Ruan, surnommés pour chacun : « Trépas-instantanée », « Mort-prématurée » et « Yama-vivant » (Yama est le dieu des Enfers dans le panthéon bouddhique) ou encore Cao Zhang : « Le démon -du-couperet ». D’autres sont affublés de surnoms d’une étrange poésie, comme Shi Qian : « La-puce-sur-le-tambour », Tong Wei « le Crocodile-hors-de-son-trou » ou Chao Gai : « Le Roi-céleste-porteur-de-pagodes ».

Quant aux femmes -redoutables guerrières - qui se sont agrégées à la bande, elles ne sont pas en reste : citons Gu, « La Tigresse », Sun-la-cadette « l’Ogresse » et Hu la-troisième, « La-vipère-d’une-toise ».

Le récit, quant à lui, se lit d’une traite, sans temps mort, et chaque fin de chapitre nous invite à entamer celui qui suit afin de savoir ce qu’il va advenir des protagonistes du moment. Les péripéties et les coups de théâtre se succèdent à grande vitesse et ne laissent au lecteur que bien peu de temps pour reprendre haleine. Tout ceci est habillé d’une talentueuse traduction qui use à bon escient de mots et d’expressions tirées du vocabulaire médiéval, dont on retrouvera la signification précise dans le glossaire situé à la fin de l’ouvrage. On y apprendra ainsi ce qu’est un bouffiel, un cacque-trippes, un claque-patins, un patte-pelu, une ragote, un garbouil, une corsecque, un maheutre, un harpailleur…. 



Il n’est pas étonnant qu’  « Au bord de l’eau » ait été adapté en Chine d’innombrables fois, que ce soit au théâtre, à l’opéra, au cinéma, à la télévision, en bandes-dessinées, en dessins-animés, tant la matière y est riche, tant les complots, les intrigues, les duels et les batailles y sont nombreux et variés. Chacun des multiples personnages qui composent ce récit pourrait à lui seul être le sujet d’un roman à part entière, chaque chapitre fourmille d’actions, de rebondissements et de coups de théâtre, de telle sorte que l’on peut parler ici d’un roman « picaresque » avant la lettre.

Épique, grandiose, héroïque, tel est le roman de Shi Nai-an, un roman de chevalerie sorti tout droit de l’univers médiéval chinois, une œuvre aussi distrayante qu’intelligente qui, malgré ses 1800 pages, se laisse dévorer avec un plaisir ineffable.








jeudi 12 novembre 2009

Ubu Roi



"Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er" Patrick Rambaud. Roman. Grasset, 2008

Adresse à Notre Très Émoustillant Souverain,

Trésor National Vivant




C' EST PARCE QUE NOUS SOMMES NOMBREUX à souffrir votre règne, Sire, que j'ai entrepris de le raconter depuis son aurore, afin qu'en demeurent les péripéties et, oserais-je le dire, une manière de trace.


Dans un premier volume de cette chronique, j'ai évoqué Votre Grandiose Installation sur le trône encore chaud du roi Chirac et les six mois bouillonnants qui suivirent. J'y brossai comme à la paille de fer, les figures les plus clinquantes qui formaient votre Cour et relatai la bousculade calculée des événements qui plongèrent le pays dans la stupeur, puis dans le stupide. Je redoute, Sire, de vous parler aussi ouvertement, mais ce Livre II va chanter une nouvelle chanson, puisqu'il s'ouvre sur les fissures qu'on aperçut bien vite craqueler la façade de votre bel édifice, et sur le réveil du populaire engourdi par vos tours et vos atours. La plume m'en tremble entre les doigts, mais Votre Compulsive Grandeur doit comprendre que, selon les lois de la nature et celles de la politique, la pluie succède au beau temps. Voici venue pour Votre Omnipotence la saison des orages.

                                                                                                                                 P.R.

Ainsi commence le tant attendu deuxième volet des Chroniques du règne de Nicolas 1er dont le premier volume avait failli me faire étouffer de rire sur une situation qui, pourtant, ne prête pas à la rigolade : l'accession au pouvoir du plus sinistre bouffon que notre république ait jamais connue.

Patrick Rambaud y relatait avec talent et ironie les six premiers mois du règne de ce petit autocrate qui, dès le départ, sût s'adjoindre les services d'une équipe gouvernementale à son image, ramassis d'obséquieux aigrefins et de traîtres cauteleux. On y vit, peints au vitriol, outre la figure de notre divin potentat, les portraits de celles et ceux qui eurent l'insigne honneur de paraître à la Cour : les traîtres Kouchner et Besson, la baronne d'Ati « qui gardait les Sceaux et les robes prêtées par M. Dior », la marquise de La Garde, ou encore le chevalier de Guaino et le cardinal de Guéant, éminences grises du pouvoir qui, tour à tour, tentent d'enseigner à notre monarque les subtilités de la politique internationale en se référant aux albums de Tintin et Milou.

Cette deuxième chronique s'ouvre sur la visite un tantinet tapageuse du calife bédouin Mouammar le Cruel qui vient planter sa tente dans les jardins du palais. Suit l'entrée en scène de la comtesse Bruni, introduite auprès de notre auguste monarque par l'entremetteur Séguéla « ...Un transfuge qui choyait jadis le roi Mitterrand ; ce publiciste verbeux, décati, bronzé pour l'éternité à la lampe, organisait des soupers et de menus plaisirs aux puissants qui entretenaient son aisance. »

« Comme la soirée finissait, la comtesse dit à Sa Majesté d'une voix caressante :

-T'as une bagnole ?

-Une douzaine, j'en ai une douzaine au bord du trottoir.

-Tu me ramènes ?

Notre Prince Eblouissant, cette nuit-là, ramena la comtesse à la porte de son hôtel particulier discret, sans laquais ni flambeaux mais en cortège, et ils avaient assurément beaucoup parlé puisque le lendemain matin, appelant l'entremetteur pour le remercier, Sa Majesté eut d'entrée cette phrase d'un romantisme fougueux qui affirmait le coup de foudre :

-Dis donc ! Elle est pétée de thunes ! »

On y assistera aussi à la visite au Vatican en compagnie du pitoyable « humoriste » M. Le Grossier du Bigard, l'affaire du SMS « Si tu reviens, j'annule tout », celle du « Casse-toi, pauv'con! », le tout-à-l'égout du Cap-Nègre, la présidence tournante de l'Europe ainsi que les embarrassantes affaires de Géorgie et des honteux Jeux Olympiques de Pékin où notre Leader vénéré joua les matamores devant les médias au sujet du Tibet et des Droits de l'Homme avant de courber obséquieusement l'échine devant la puissance de l'Empire du Milieu.
On verra aussi se profiler la silhouette du Prince Jean, brièvement évoquée lors du précédent volume à propos d'une histoire de vol de scooter brillamment résolue à l'aide des empreintes génétiques relevées sur le deux-roues. On assistera ici à son abandon d'une « prometteuse » carrière théâtrale au profit d'une autre, beaucoup plus rémunératrice, celle de la politique. Prouvant ainsi, par ses premiers pas dans cette matière, que les gênes de la traîtrise sont transmissibles de père en fils, le jeune et sémillant Prince Jean portera un coup mortel à M. de Martinon qui briguait la municipalité de Neuilly et finira exilé en Californie « dans une maison bleue, adossée à la colline. »


Gageons que l'on entendra encore parler du Prince Jean dans le prochain opus de ces « Chroniques du règne de Nicolas 1er » puisque, c'est promis, Patrick Rambaud nous annonce, à la fin de ce deuxième ouvrage, qu'il sera suivi d'un troisième où il ne manquera pas – j'en suis certain – d'évoquer l'étourdissante affaire de la possible nomination du blondinet à la présidence de l'EPAD, affaire qui fit, et fait encore se gondoler le monde entier.
Il nous parlera sûrement aussi de hilarante tentative de notre monarque qui, aux yeux du monde et photo à l'appui, a voulu nous convaincre il y a quelques jours encore qu'il avait à lui tout seul et armé d'une modeste pioche fait tomber le Mur de Berlin.

Patrick Rambaud, qui est membre de l'académie Goncourt, ne manquera pas non plus d'évoquer la polémique suscitée par la talentueuse Marie N'Diaye, lauréate 2009 du prix susnommé et qui, après s'être expatriée à Berlin suite à l'élection du Leader Minimo, a déclaré récemment qu'elle trouvait « monstrueuse » la France de sarkozy, et qu'elle « trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité ».
On s'attendait, suite à ces propos, que l'Élysée lâche son pittbull en la personne de Frédéric Lefèbvre, mais ce fut finalement Eric Raoult, un teckel bedonnant, maire du Raincy et député de la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis, qui, avec les vastes connaissances littéraires qu'on lui connaît, a pris à partie la lauréate du Goncourt, déclarant que « le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays », valeurs que, pourtant, notre président et son gouvernement, s'appliquent quotidiennement à fouler aux pieds depuis ce triste jour de mai 2007 où la France est tombée dans l'abjection et le ridicule.

Assurément, au vu de tout cela, M. Rambaud ne manquera pas d'éléments pour son troisième et prochain opus que j'attends avec impatience.










 

mercredi 11 novembre 2009

Le 2e Prix Landerneau # 4




"A l'angle du renard" Fabienne Juhel. Roman. Editions du Rouergue, 2009.

Il s'appelle Arsène Le Rigoleur, mais avec lui il ne faut pas se fier aux apparences. « Le Rigoleur, oui, mais pas rigoleur pour deux sous. » Et ceux qui s'essaieraient à le taxer de rigolo pourraient avoir à le regretter...


Agriculteur dans les Côtes d'Armor, Arsène Le Rigoleur entretient tout seul la ferme familiale depuis le décès de son père et le départ de sa mère vers un logement-foyer. Âgé d'une quarantaine d'années, il n'entretient de relation qu'avec Yvan, un autre agriculteur du coin, avec qui il déguste le cidre et joue parfois au scrabble lors des après-midi d'hiver.

Il a pour seul voisin le père Morvan, un vieux taiseux, veuf, dont les enfants sont partis depuis longtemps vivre et réussir leur carrière en ville.

Un matin, le père Morvan est retrouvé à sa table, mort de sa belle mort. La ferme du vieil homme est vendue et quelques temps plus tard vient s'installer une nouvelle famille, les Maffart, des bobos urbains en mal de chlorophylle. Le couple a deux enfants: Juliette, cinq ans, et Louis, huit ans.

Très vite, la petite Juliette va s'infiltrer chez Arsène et gagner son affection. La petite fille ne lâche pas d'une semelle le vieux garçon taciturne, avec qui elle découvre les tâches quotidiennes de la vie à la ferme.

Voir leur fille de cinq ans en compagnie d'un fermier célibataire n'est pas du goût des parents Maffart qui observent cette relation avec méfiance. Cette relation n'est pas non plus du goût de Louis, qui les épie sans cesse et qui, malgré les efforts d'Arsène, ne se laisse pas apprivoiser.

Pourtant, il voudrait bien, Arsène, devenir ami avec Louis. L'agriculteur est en effet fasciné par ce gamin qui l'observe avec hostilité. Pourquoi cette attirance ? Est-ce parce que ce gamin est roux ?

Arsène est en effet très attiré par tout ce qui porte cette couleur rousse. Est-ce en rapport avec la chevelure qu'arborait sa mère dans ses jeunes années, ou alors avec le pelage des renards, animal sauvage et familier des lieux, dont la présence a étrangement marqué le destin de la famille Le Rigoleur ?

Le renard semble en effet lié à cette famille et apparaît à chaque épisode crucial de l'existence des membres de celle-ci. À l'instar d' un animal totémique, il préside à la destinée de tous dans cette famille et apparaît mystérieusement lors de certains évènements, souvent dramatiques. Nous sommes en Bretagne, pays des intersignes, et il ne fait pas bon négliger les messages qu'ils nous transmettent.

Avec « À l'angle du renard », Fabienne Juhel nous dresse le portrait d'un de ces paysans bretons, taiseux et ombrageux. On découvre peu à peu, au fil d'un récit oscillant entre humour et angoisse les facettes méconnues de ce personnage qui dissimule de nombreux secrets. L'écriture, par moments quasi-célinienne, nous fait entrer de plain-pied dans l'univers intime du personnage principal, dont on ne sait s'il faut lui accorder sa sympathie ou au contraire la récuser. Écrit à la première personne, ce monologue dresse à petites touches la personnalité d'un homme apparemment sans histoires, nous le faisant par moments soupçonner du pire et suscitant chez le lecteur un sentiment de malaise et de défiance envers celui-ci.

C'est donc à un talentueux exercice que s'est livrée Fabienne Juhel en nous offrant ce personnage rugueux et fortement contrasté qui ne se laissera pas oublier de sitôt. C'est aussi toute une galerie de personnages qui gravitent autour d'Arsène Le Rigoleur, portraits de la population rurale contemporaine : agriculteurs désabusés qui jettent l'éponge et revendent leurs exploitations devenues impossibles à rentabiliser, voyant naître de leurs terres ces affreux lotissements où poussent comme des champignons clonés des pavillons sans âme, voyant les anciennes fermes reprises à bon compte par de riches citadins, bobos en 4x4, enflés de leur supériorité culturelle par rapport à une population établie ici depuis des siècles et qui, avec ses tracteurs bruyants et polluants, ses hangars de tôle et ses élevages peu agréables aux sensibles narines de certains, font maintenant mauvais effet dans ces paysages bucoliques. Qu'elle serait belle, la campagne, sans agriculteurs !



« À l'angle du renard » a remporté le Prix Ouest-France – Étonnants Voyageurs 2009.





samedi 7 novembre 2009

Crane




"Comment les fourmis m'ont sauvé la vie" Lucia Nevaï. Roman. Editions Philippe Rey, 2009



Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain.


Des champs de maïs à perte de vue. Une bicoque en bois posée entre la gravière et la voie ferrée. C'est ici que vivent les Cavanaugh.

Il y a d'abord le chef de famille : Big Duck Cavanaugh, alcoolique, faux prêcheur et véritable escroc. Puis sa femme, Flaherty, surnommée Flat ("La Plate", ce qui correspond à son physique dénué de reliefs), à demi-folle, constamment assise devant son piano à réciter et chanter des psaumes de la Bible.

Il y a aussi Letitia, d'origine sioux, plus couramment appelée Tit (ce qui, en argot américain, signifie "nichons", surnom qui convient lui aussi à son physique généreux de croqueuse d'hommes). Tit est officiellement représentante pour les produits Vita-Life et s'adone, à ses heures perdues, à la prostitution. Elle est la concubine de Big Duck qui ne voit aucun inconvénient à faire cohabiter sous le même toit sa femme et sa maîtresse.

Puis viennent les enfants. Douglas Cavanaugh Junior, l'aîné, dit Little Duck, et qui, malgré son surnom n'est pas le fils de Big Duck mais l'enfant qu'a eu Tit avec un célèbre évangéliste itinérant.

Ensuite vient Jima, qui est la fille de Big Duck et Flaherty, une enfant qui avoue dès son plus jeune âge un précoce penchant pour l'alcool.

Puis, en tout dernier, Crane, la narratrice de cette histoire (dont le nom en Sioux désigne la grue, oiseau migrateur). Crane est née défigurée, suite aux tentatives de sa mère de s'en débarrasser avant sa naissance. Elle n'est pas non plus la fille de Big Duck mais le fruit des étreintes de Tit avec un pharmacien de la région.

Nous sommes dans les années 1950, quelque part en Iowa. Les enfants Cavanaugh sont livrés à eux-mêmes. Ils ne connaissent pas le chemin de l'école et sont perpétuellement sous-alimentés. Tit, qui assure - grâce à ses activités - la survie de la maisonnée, les gave, pour tout repas, de pilules vitaminées Vita-Life afin de les maintenir dans une relative bonne santé.

Pour seule distraction, les enfants n'ont que le spectacle du train de marchandises de 21 h 49 reliant Chicago à Kansas-City. Assis au bord de la voie ferrée, ils regardent quotidiennement défiler l'interminable convoi chargé de charbon, de céréales, de bois et de papier. Le reste du temps, ils le passent à contempler l'océan de maïs qui les entoure, suivant au fil des saisons les différentes phases de la culture céréalière, les labours, les semailles, l'épandage d'engrais, de désherbants, de pesticides toxiques, et en dernier lieu la moisson.

Puis, un jour, un autre divertissement s'offre à eux : un homme vient de racheter la gravière. Plus précisément, il l'a gagnée au poker. Le perdant, un vieil ivrogne, lui a cédé la propriété de la carrière. Mais s'il est ici, ce nouveau propriétaire, ce n'est pas pour extraire du gravier. Ayant appris que le sous-sol recélait des sources, il décide de créer un lac en lieu et place de l'ancienne exploitation et d'y implanter des poissons afin d'attirer les pêcheurs amateurs de la région. Et c'est un succès ! Très vite, les pêcheurs arrivent sur les rives du lac et celui-ci se couvre peu à peu de barques et de canots à moteur. Fanelli, le propriétaire, ne compte pas en rester là. Il monte un quai et installe une boutique d'articles de pêche qui peu à peu deviendra un bar puis un grill. Fanelli va aussi construire un lotissement de trente-cinq maisons autour du lac désormais baptisé Lake Mary, en souvenir du prénom de sa mère.

Les berges du lac vont peu à peu se peupler de nouveaux arrivants, pour la plupart membres de la classe moyenne. Sous leurs fenêtres, le lac, mais aussi le taudis des Cavanaugh, posé comme une verrue sur ce paysage qui se veut enchanteur.

Les années passent, et un jour, Tit puis Big Duck disparaissent, en quête d'autres horizons, abandonnant les enfants aux mains de cette pauvre folle de Flat qui, ne se remettant pas du départ inopiné de son mari, se terre maintenant sous son lit et récite à longueur de temps l'Apocalypse de Saint-Jean.

Enfin arrive l'inéluctable. Les services sociaux du Comté, alertés par les habitants de Lake Mary, viennent chercher Crane et Jima. Little Duck, qui a déjà un emploi, échappe au placement, mais ses dux demi-soeurs sont séparées. Jima est placée dans un Foyer pour jeunes filles "en détresse" tandis que Crane est envoyée dans un couvent de religieuses d'où elle ressortira quelques années plus tard, suite à son adoption par Ollie et Ray Hopkins, un jeune couple qui a récemment emménagé... à Lake Mary.

Les habitants vont-ils reconnaître, après toutes ces années, la gamine pouilleuse au visage déformé, "le monstre du bout du lac" ? Mais la fille des Cavanaugh a beaucoup changé depuis tout ce temps. Elle a appris à lire, à écrire, et s'avère être une brillante élève, surtout dans le domaine des sciences, et en particulier dans l'étude de la vie sociale des fourmis.

Elle retrouvera pourtant au bord de ce lac les souvenirs d'autrefois en se promenant aux abords de la bicoque de ses jeunes années, aujourd'hui démolie. Elle retrouvera aussi Jump, l'adolescent pervers et brutal pour qui elle éprouve une curieuse attirance.

Une nouvelle vie a commencé pour Crane, entourée de l'affection débordante (et souvent maladroite) d'Ollie, qui tient à ce que sa "Princesse" s'intègre au sein de la communauté des habitants de Lake Mary . Mais la jeune fille taciturne ne se laisse pas abuser par les tentatives répétées et malhabiles de sa mère adoptive qui veut à toute force lui trouver des ami(e)s et lui dégotter le Prince Charmant afin de la faire accéder au pinacle de ce qu'elle pense être la réussite sociale : une épouse modèle, mère au foyer, évoluant en tenue élégante au milieu d'appareils électro-ménagers ultra-modernes, image fantasmée de la femme des années 1950-1960.

Mais Crane - si elle se prête avec indulgence et bonne volonté aux lubies d'Ollie - a d'autres préoccupations : étudier ses fourmis, bien sûr, mais aussi et surtout retrouver la trace de Little Duck et Jima.



Le roman de Lucia Nevaï, malgré les apparences, n'est pas de ces histoires sordides et misérabilistes qui font pleurer dans les chaumières. Bien au contraire, cet ouvrage nous offre un portrait tendre et amusé de cette société du Middlewest des années 1950-1960, soucieuse du Qu'en-dira-t-on ? et appliquée à paraître aux yeux du voisinage comme l'incarnation de la famille idéale, et aux yeux du monde comme le symbole de la réussite du système social nord-américain, alors considéré comme le parangon du monde occidental. Pourtant - l'auteur ne manque pas de nous le rappeller dès les premières pages - la misère est là, dissimulée cerrière cette façade clinquante de lotissements flambants neufs. La misère est là, chez ceux qui n'ont pas voulu - ou tout simplement pas pu - accepter ce modèle conformiste : marginaux de tout poil, handicapés, malades mentaux, alcooliques... tous ceux qui ne renvoient pas à la société une image dont elle puisse se glorifier.

Crane, dont on connaît les premières années difficiles, va pourtant faire voler en éclats cette image lisse d'une Amérique ronronnante. remarquablement intelligente, elle va, par exemple, surpasser de loin les enfants de bonne famille de son entourage qui s'avèrent sans exception être d'éminents crétins. Car Crane, au contraire de nombre de ses contemporains, a bien compris une chose essentielle : mieux vaut être que paraître.

Quant à sa décision, prise subitement alors qu'elle se dirige vers l'autel, en vue de son mariage, je vous laisse la découvrir. Il vous faudra pour cela apprendre par vous-même comment les fourmis lui ont sauvé la vie.





mercredi 28 octobre 2009

Un manuscrit à oublier


"Codex le manuscrit oublié" Lev Grossman. Roman. Calmann-Lévy, 2007

Traduit de l'américain par Lisa Rosenbaum.



Quand, dans les années 1980, Umberto Eco publia ses deux romans : « Le Nom de la Rose » et plus tard « Le Pendule de Foucault », il ne se doutait certainement pas – et nous, lecteurs encore moins – du formidable engouement qu'allaient susciter ses écrits.
Ce succès légitime allait pourtant avoir une conséquence catastrophique dans le fait que nombre d'écrivaillons et d'éditeurs, tous fermement décidés à faire tinter leur tiroir-caisse, décidèrent de lui emboîter le pas en proposant aux lecteurs des romans à énigmes, mêlant intrigue policière et faits historiques plus ou moins sérieux, le tout saupoudré d'un zeste d'érudition destiné à faire croire aux lecteurs que le livre qu'ils ont entre les mains est plus qu'un simple roman destiné à les distraire, mais un ouvrage censé leur apprendre énormément de choses, voire leur révéler des secrets jalousement gardés depuis des siècles par certaines autorités soucieuses de maintenir un pouvoir occulte sur le monde contemporain.
C'est ainsi que l'on a vu (et que l'on verra encore) défiler au cours des années et des parutions nombre de Templiers, d'Illuminati et d'Atlantes, de chevaliers du Graal... d'innombrables manuscrits détenteurs d'une vérité susceptible de bouleverser l'Histoire, voire de remettre en cause les fondements de la chrétienté : manuscrits de la Mer Morte, Évangiles apocryphes etc...

Un autre point commun caractéristique de ce genre littéraire est le sérieux avec lequel les auteurs tentent de nous convaincre du bien-fondé et de l'extrême véracité de leurs élucubrations. On est bien loin, dans la plupart de ces romans, de la distance qu'ont su prendre avec leurs sujets des auteurs comme Adrien Goetz avec son « Intrigue à l'anglaise » qui s'amuse avec humour et sans se prendre au sérieux à remettre en cause la légitimité de la Couronne d'Angleterre.
Quant à Umberto Eco, n'oublions pas qu'avec « Le Pendule de Foucault » il tire à boulets rouges sur ces romans, maniant les ficelles du genre avec une ironie jubilatoire dans le but de dégommer les poncifs propres à ces ouvrages.

Un autre aspect significatif de ces romans est aussi leur pauvreté lexicale, leur écriture rudimentaire faite de phrases courtes, ainsi que leurs personnages sans épaisseur, dotés d'une psychologie qui frise le zéro absolu.
Cerains de ces ouvrages réussissent quand même, malgré tout, à tirer leur épingle du jeu. J'en veux pour preuve le très célèbre « Da Vinci Code » de Dan Brown, qui, loin de faire date dans l'Histoire des Lettres, réussit quand même à tenir le lecteur en haleine grâce à un sens du suspense et à une intrigue qui force le lecteur à tourner la page pour en savoir toujours plus.

Il n'en sera pas de même, à mon avis, pour « Codex, le manuscrit oublié » de Lev Grossmann, roman qui accumule tous les défauts du genre.

Edward Wozny, un jeune banquier new-yorkais se prépare à prendre des vacances avant de partir pour Londres où l'attend un nouveau poste. Au dernier moment, son employeur lui confie une tâche bien peu en rapport avec son activité professionnelle : il s'agit de se rendre chez l'un des plus importants clients de la banque afin de répertorier les ouvrages d'une bibliothèque rapatriée d'Angleterre aux États-Unis par la richissime famille Went à l'aube de la seconde Guerre Mondiale.
Parmi toutes ces caisses remplies de livres précieux, Edward va être chargé de mettre la main sur un mystérieux manuscrit du XIVe siècle : Le Voyage au pays des Cimériens, écrit par un mystérieux chroniqueur nommé Gervase de Langford.
Bien évidemment, l'ouvrage reste introuvable dans la collection et Edward va devoir s'adjoindre l'aide d'une jeune étudiante au caractère de prime abord peu amène mais dont il va bien évidemment tomber amoureux quelques dizaines de pages plus loin.

Parallèlement à cette recherche, Edward va se faire offrir, par un ami informaticien et un peu hacker, un jeu vidéo multijoueurs non commercialisé et qui circule sous le manteau, jeu vidéo à l'usage d'une communauté triée sur le volet de développeurs en informatique.
MOMUS, c'est le nom de ce jeu, va s'avérer posséder de troublantes ressemblances avec ce qu' Edward finit par apprendre sur le contenu du Voyage au pays des Cimériens de Gervase de Langford.
Tout cela pourrait s'avérer assez agréable à lire – les passages concernant le chroniqueur médiéval et la rédaction de son ouvrage n'étant pas dénués d'intérêt – mais on s'apercevra très vite que l'intrigue peine à démarrer, que le rythme en est poussif, les dialogues inconsistants et que l'insertion dans le récit du jeu vidéo est inintéressante au possible, voire quasiment barbante !
Quant à la conclusion du mystère, elle laisse le lecteur sur sa faim suite à des démêlés rocambolesques, embrouillés et difficilement crédibles. Las! On referme le roman en se disant : « tout ça pour ça ! » et la seule satisfaction que l'on ressent après coup est d'en avoir terminé avec cette œuvrette de 440 pages dont on a du mal à comprendre comment elle est devenue un best-seller international. Ceci dit, les best-sellers contemporains ne sont après tout, et dans la majeure partie des cas, que des romans de gare. Le livre de Lev Grossmann relève de cette catégorie, à cette nuance près qu'il est un mauvais roman de gare.
Bref, « Codex » est un roman dont le manuscrit – comme son titre l'indique – aurait gagné lui aussi à être oublié dans une pile de caisses dans la cave d'un obscur éditeur.






jeudi 15 octobre 2009

Que le spectacle commence !


"De l'eau pour les éléphants" Sara Gruen. Roman. Albin-Michel, 2007

Traduit de l'américain par Valérie Malfoy.



Âgé de vingt-trois ans en cette année 1931, le jeune Jacob Jankowski se destine, à l'instar de son père, à la carrière de vétérinaire. Pour cela, il poursuit ses études au sein de la prestigieuse Université Cornell d'Ithaca.
Alors qu'approchent les examens de fin d'année, Jacob apprend avec stupéfaction que ses parents viennent de décéder, victimes d'un accident de la route.
Profondément bouleversé par cette nouvelle, le jeune homme va également se retrouver sans un sou vaillant. Le krach de 1929 a conduit la société américaine dans la Grande Dépression et la maison familiale ainsi que le cabinet vétérinaire de son père reviennent à la banque, suite au retard pris sur le remboursement d'un emprunt contracté pour payer ses études.

Ulcéré, Jacob va devoir abandonner ses études et se retrouver à la rue et partager le destin de ces milliers d'autres personnes qui, victimes de la crise, vont tenter de retrouver une vie normale autre part.
Le voici contraint de sauter dans un train en marche vers une destination inconnue, comme tous ces trimardeurs qui voyagent clandestinement dans les wagons de marchandises, à la recherche d'un emploi ou d'une soupe chaude.

Mais le train dans lequel a sauté Jacob n'est pas un convoi de marchandises, c'est le train du cirque des Frères Benzini.
Recueilli par quatre membres de l'Escadron Volant (équipe destinée à assurer la logistique et l'installation du cirque avant l'arrivée des artistes), Jacob va trouver un emploi au sein de ce cirque itinérant, ses études de vétérinaire s'avérant fort utiles pour soigner les animaux de la ménagerie.

Mais si le jeune homme peut se considérer satisfait d'avoir trouvé si rapidement un emploi, il va vite se rendre compte que l'univers du cirque est loin d'être un havre de paix. Les employés sont en effet sous la coupe du directeur, l'Oncle Al, un individu tyrannique qui possède quasiment un droit de vie et de mort sur chacun d'entre eux. Lorsqu'un membre de l'équipe ne peut plus accomplir son travail, usé par la fatigue, la maladie ou la vieillesse, il peut s'attendre à être jeté sur la voie alors que le train est en marche. Les mauvais traitements infligés aux hommes ainsi qu'aux animaux relèvent ici de l'ordinaire et gare à celui qui ne peut plus assurer ses tâches quotidiennes !

Contraint de partager sa couchette avec le nain Kinko, qui lui voue une haine démesurée pour sa petite taille, Jacob va faire le dur apprentissage de la vie d'employé de cirque, confronté à la perversité d'August, le dresseur d'animaux, un individu sournois et pervers.

Avec « De l'eau pour les éléphants » Sara Gruen nous offre un remarquable tableau de la vie de ces cirques itinérants au sein de l'Amérique des années de la Grande Dépression. Minutieusement documenté, agrémenté de photos d'époque, ce roman nous livre un riche témoignage sur la vie dans ces entreprises dédiées au spectacle.
Ce roman, dont le contexte s'avère passionnant souffre cependant à mon humble avis d'une écriture un peu trop lisse qui fait obstacle à une immersion que j'aurais souhaité beaucoup plus approfondie dans cet univers cruel et chatoyant. Si certains personnages sont tout au long du roman sur le devant de la scène, il est dommage que d'autres, à propos desquels on aurait souhaité en savoir plus, ne soient que brièvement esquissés et disparaissent du récit après une brève incursion.

Malgré ce petit bémol, ce roman reste cependant très agréable à lire et le lecteur en quête de dépaysement y trouvera, je n'en doute pas, de quoi satisfaire sa soif de curiosité à propos de cet univers assez particulier des grands cirques qui sillonnaient les États-Unis dans le contexte de cette période de cataclysme social qui a suivi le jeudi noir du 24 octobre 1929.







mercredi 14 octobre 2009

Le-saviez-vous ? Il y a des sarcoptes à l'Elysée

Il y a quelques temps, un quotidien allemand (Bild Zeitung) nous révélait (puisque la presse française est déséspérément muette sur ce sujet) le train de vie de notre omniprésident en son palais de l'Elysée.

Nous apprenions ainsi, nous pauvres contribuables, que l'argent public (le nôtre, donc) servait à entretenir un train de vie princier au roitelet des français élu en mai 2007.

Le petit individu disposerait donc à lui tout seul et pour son seul service de 8 avions (2 Airbus et 6 Falcon-Jet, dont le dernier en date, baptisé "Carla"aurait coûté 60 millions d'euros. L'un de ces Falcon 7x aurait été équipé d'une machine à café d'une valeur de 25000 euros !!!).

Mais le service du prince ne s'arrête pas là, il dispose en effet de 61 voitures de fonction et aussi d'un millier d'employés attachés à son service, dont 44 chauffeurs et 87 cuisiniers.

Dans les 300 mètres carré de l'appartement de fonction présidentiel, les fleurs se doivent d'être fraîches. Coût annuel : 280000 euros.

Lorsque Nicolas-le-petit voyage à titre privé, un avion gouvernemental vide le suit au cas où il devrait rentrer d'urgence à Paris.

Mais c'est avec stupeur que j'ai appris aujourd'hui qu'une autre forme de parasite vivait au palais présidentiel. Son nom est d'ailleurs, ironie du sort, bien choisi, il s'agit (non ce n'est pas Jean Sarkozy) du sarcopte, acarien microscopique vecteur de la gale.

Trois sous-officiers de la Garde républicaine en poste à l'Elysée ont en effet contracté cette agréable infection.

Un courrier anonyme, dont l'AFP a reçu une copie, et émanant vraisemblablement de l'un de ces Gardes républicains fait état de la "vétusté des locaux"dans lesquels sont logés ces militaires.

"Les murs de plâtre tombent en lambeaux, les chaises que les gardes ont récupéré aux ordures de l'Elysée n'ont plus d'assises."

"Chaque jour, poursuit l'auteur de ce courrier, nous devons accomplir nos missions avec des moyens dérisoires, du matériel obsolète, hors d'usage, et ceci avec la peur de la sanction et aucune reconnaissance."



Les journalistes d'outre-Rhin, dans l'article précédemment cité, n'avaient pas hésité à qualifier notre président de "successeur du Roi-Soleil" et c'est à juste titre, car le palais de celui-ci, tel Versailles en son temps, cache sous les dorures, les réceptions fastueuses et les dépenses somptuaires une toute autre réalité où règne la crasse et une hygiène douteuse, conséquence d'une gestion catastrophique toute entière dédiée au service du seul monarque, de sa famille et de ses courtisans.



dimanche 11 octobre 2009

"Lève-toi et marche !"





"Aide-toi et le ciel..." Yves Viollier. Roman. Robert Laffont, 2009.




Le tout dernier roman d'Yves Viollier (que j'avais découvert avec « Les sœurs Robin ») nous entraîne cette fois-ci dans les pas de Marie Gendreau, une femme d'une quarantaine d'années qui, devenue veuve, s'est consacrée à l'éducation de son fils unique, Simon, mais aussi et surtout à son engagement associatif au sein des JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique).
Quand débute le récit, Marie est à l'aéroport où elle vient accueillir Simon, de retour d'une mission humanitaire en Haïti. Mais le jeune homme qui débarque ce jour là n'est plus cet enfant souriant et enjoué qu'elle a toujours connu. Simon, lors de sa mission, a découvert un autre monde, un monde de misère et de violence où survit tant bien que mal une population haïtienne qui, en plus de ses problèmes sociaux insondables, s'est vue décimée par l'ouragan Ike.
Simon n'a pourtant pas économisé son énergie pour aider les plus démunis et son engagement a donné un regain d'énergie à la communauté de religieux à laquelle il coopérait. Son dévouement, ainsi que son attachement envers Augustin-Aristide, un enfant abandonné et recueilli par la communauté, vont susciter l'admiration de ses pairs.
Mais un jour, échappant à sa surveillance, Augustin-Aristide est enlevé, probablement par une organisation tirant ses subsides du trafic d'êtres humains.
Rongé par le chagrin et le remords de n'avoir pu protéger ce gamin innocent, Simon va s'enliser dans une profonde dépression, aggravée par la contraction du paludisme. Les moines du centre où il œuvrait vont tenter, non sans difficultés, de la convaincre de rentrer en France.

Et c'est ainsi que Simon rentre chez lui, accueilli par une mère profondément inquiète à son sujet, prête à tout pour le sortir de ce noir écheveau de pensées qui semble le ronger de l'intérieur.
Mais la vie continue et Marie doit continuer à s'occuper des adolescents en difficulté qu'elle a pris en charge dans le cadre de la mission épiscopale qui lui a été confiée. Pendant ses absences, Simon reste seul à la maison, broyant du noir.

Puis un jour, c'est le choc. Simon a voulu mourir et s'est défenestré.
Après une longue période de coma, il va reprendre conscience mais va se réveiller paraplégique.
Déjà accablée par la mort de son mari, voici Marie face au cruel constat d'un fils qui a voulu mettre fin à ses jours et qui se retrouve finalement contraint de se déplacer dans un fauteuil roulant. Comment en sont-ils arrivés là tous les deux ? Leur altruisme, leur engagement envers les plus faibles, attitude qui nourrissait leur foi chrétienne, n'était-il que le chemin qui allait les mener tous deux vers cette impasse ?

Alors chez Marie le doute s'installe : pourquoi dépenser son temps et son énergie à tenter d'aider les autres, au point de négliger le malaise de ceux qui nous sont les plus proches ? Pourquoi tenter de faire le bien autour de soi, si en retour n'adviennent que malheurs et désillusions ? Dieu veut-il la mettre à l'épreuve comme il le fit pour le prophète Job, ou n'est-il qu'une entité pétrie d'indifférence et d'ingratitude ? Au final, Dieu existe-t-il ? Ou n'est-il qu'une création de l'esprit, une marionnette que l'on agite pour se donner bonne conscience et donner un sens à la vie?
Les réponses à ses interrogations, elle les trouvera au sein du groupe d'adolescents dont elle a la charge, ces gamins esquintés par l'existence et qui tentent de se relever, n'ayant comme seule arme que leur foi et leur détermination. La réponse , elle la trouvera aussi peut-être dans ce conte brésilien qu'elle partage avec d'autres fidèles un soir de Noël, lors de la messe de minuit :
« Un homme arrive au paradis et demande à Dieu une faveur : « Montre-moi ma vie ! » Dieu déroule devant lui une plage de sable fin. On y voit des pas : ceux de Dieu et de l'homme. Par endroits, il n'y a plus que deux traces de pas, plus profondes. L'homme se rend compte que ces traces-là correspondent aux moments les plus douloureux de sa vie et il reproche à Dieu : « Tu m'as laissé seul pendant les moments les plus difficiles de ma vie ! » Alors Dieu lui répond : « Ces traces de pas sont les miennes, parce qu'à ce moment-là je te portais... »

Yves Viollier, auteur vendéen, appartient à la Nouvelle École de Brive, mouvement littéraire spécialisé dans les romans dits « de terroir », ce qui ne transparaît pas dans les deux ouvrages que j'ai lus de lui à ce jour.
Bien sûr, l'action se déroule dans la région de prédilection de l'auteur, mais n'importe quel endroit de France ou d'ailleurs pourrait servir de décor au récit. Ce qui est prépondérant ici, c'est l'humain et non pas le paysage.
Dans « Les sœurs Robin » on découvrait deux vieilles dames en butte aux tentatives de leur entourage afin de les exproprier et de construire un immeuble en lieu et place de leur maison.
Avec « Aide-toi et le ciel... », nous suivons le parcours d'une mère et de son fils, profondément engagés dans l'action charismatique, mais qui vont malheureusement se retrouver confrontés à une série d'évènements malheureux qui ira jusqu'à faire vaciller leur foi chrétienne.
Rien de commun donc, avec le genre littéraire « de terroir » mais plutôt un récit ancré dans la réalité contemporaine, destiné à nous faire découvrir une frange de notre société : celle qui s'engage corps et âme pour une cause, qu'elle soit politique, philosophique, ou comme ici religieuse et caritative.

Je ne cacherais pas que j'ai eu un peu peur au début de ce roman. En effet, au vu du contexte, je craignais une apologie d'une certaine forme de militantisme chrétien empreint de prosélytisme, émanant de certains milieux catholiques trop souvent conservateurs et réactionnaires, voire familiers des idées nauséabondes d'extrême-droite. Il n'en est rien heureusement car Yves Viollier nous décrit ici des adhérents de la JOC, association de jeunes chrétiens créée en 1925 et qui a su, contrairement à d'autres mouvements, s'opposer lors de l'Occupation au régime de collaboration de Vichy et à l'attitude complaisante de l'Église en faveur de l'occupant nazi.
Les jeunes militants qu'il nous décrit ici avec beaucoup de tendresse ne se sont pas écartés, du fait de leur foi, de la société contemporaine mais vivent au contraire pleinement au sein de celle-ci, avec cette particularité en plus qui est celle de leur éveil à la spiritualité. Cette spiritualité, loin d'être un miroir déformant qui transforme la réalité leur permet au contraire de poser un regard critique sur le monde contemporain et d'éviter ainsi les impasses du consumérisme et de l'individualisme qui tendent hélas! à devenir la norme.

Je craignais aussi en abordant ce roman, de me trouver face à un de ces ouvrages qui veulent absolument véhiculer un message à portée philosophique et / ou religieuse, de ces livres qui prétendent apporter au lecteur les recettes du bonheur, comme excellent à le faire (bien pauvrement) des auteurs tels que Paulo Coelho. Mais Yves Viollier est, et reste un auteur, pas un quelconque gourou. Son but, en écrivant ce roman, vise surtout, à mon humble avis, à rendre un vibrant hommage à nombre d'anonymes qui œuvrent à leur manière à rendre la société plus humaine et plus généreuse.
Je ne cacherais pas non plus que j'ai moins aimé ce roman que « Les sœurs Robin », l'intrigue m'étant apparue cousue de fil blanc et par trop prévisible.
Me reste cependant l'impression d'un ouvrage agréable à lire mais qui malheureusement ne me laissera pas de souvenirs impérissables.