samedi 26 avril 2008


"La véritable université, à cette époque-ci, c'est une collection de livres."


(Thomas Carlyle - "Héros et culte des héros")
Peinture de Lynn Shaler

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 7







"L'interprétation des meurtres" Jed Rubenfeld. Roman. Editions du Panama, 2007.



Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau.







C'est un trio hors du commun qui débarque à New-York en cette soirée du 29 août 1909. Invité par le président Hall de l'Université Clark (Massachussets) à donner une série de conférences, Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, arrive aux Etats-Unis, accompagné pas deux de ses célèbres diciples : le suisse Carl-Gustav Jung et le hongrois Sándor Ferenczi.
Ils sont accueillis par deux représentants de l'Université Clark : le docteur Abraham Brill, ainsi que par le premier psychanalyste américain, le jeune docteur Stratham Younger.
Alors que les trois européens découvrent avec émerveillement et stupéfaction les audacieuses constructions de Manhattan que sont les premiers « gratte-ciel », dans un luxueux appartement d'un immeuble flambant neuf, une jeune femme est torturée et assassinée par un mystérieux agresseur.
L'enquête est immédiatement confiée au légiste de la ville de New-York : Charles Hugel, qui va désigner pour mener les investigations un jeune inspecteur débutant : Littlemore.


Le lendemain 30 août, c'est dans une résidence cossue de Gramercy Park qu'une jeune fille est sauvagement agressée par un inconnu suivant la même procédure que pour le meurtre de la veille. La victime échappe de peu à une mort certaine mais, profondément choquée, a perdu la mémoire des faits ainsi que l'usage de la parole. Entre une jeune femme atteinte de mutisme et de crypto-amnésie, et un premier cadavre qui disparaît mystérieusement de la morgue municipale où il était entreposé, l'enquête piétine.
Au cours d'une soirée mondaine, le docteur Stratham Younger est présenté au maire de New-York, Georges Mc Clellan, qui lui confie la tâche difficile d'analyser la jeune femme afin de déceler quelques éléments susceptibles de faire progresser les investigations. Conseillé par Freud et ses deux comparses, Younger va tenter de percer à jour le mystère qui entoure ces deux agressions en tentant de faire remonter à la surface les souvenirs refoulés de la jeune femme. En progressant dans son analyse, il va découvrir progressivement la personnalité complexe de celle-ci, mais va aussi tomber sous le charme de sa patiente. Quant à l'identité de l'agresseur, il faudra mettre en oeuvre les talents conjugués de la psychanalyse et les méthodes d'investigation de la police pour découvrir enfin qui est à l'origine de ces actes barbares et surtout quelles en sont les motivations.


Entre enquête policière et étude psychanalytique, « L'interprétation des meurtres » est un thriller intelligent et remarquablement documenté qui nous entraîne dans le New-York du début du XXème siècle en compagnie de trois des plus éminentes figures de la psychanalyse. Maîtrisant son sujet à la perfection, Jeb Rubenfeld mêle dans cette histoire personnages réels et fictifs au service d'une intrigue pleine de rebondissements et de fausses pistes. Des quartiers huppés de Manhattan au chantier de construction du pont de Brooklyn, l'auteur fait revivre sous nos yeux la ville de New-York alors en pleine mutation, à l'époque où les gratte-ciel sortent de terre sous l'influence de familles fortunées telles que les Astor et les Vanderbilt.


Il dresse aussi le portrait de ces trois figures qui ont révolutionné la psychiatrie : Freud, Jung et Ferenczi, distillant au gré des pages et des dialogues que ceux-ci entretiennent, les éléments qui feront que leurs théories se rapprocheront ou, au contraire, s'opposeront. Si le personnage de Ferenczi reste assez discret dans ce roman, ce n'est pas le cas pour Jung, dont la personnalité fantasque et les opinions tranchées préfigurent déjà les dissenssions qui opposeront ses théories à celles de Sigmund Freud.
On y fera aussi la connaissance du docteur Stratham Younger, personnage principal (et fictif), narrateur du récit, premier psychanalyste américain, diplômé de Harvard, hanté par le drame shakespearien de Hamlet, drame qui lui permettra de découvrir, et de nous faire découvrir par la même occasion, une nouvelle et intéressante interprétation du complexe oedipien.


Complexe, mais sans verser dans la confusion, richement documenté sans que le récit en soit alourdi, « L'interprétation des meurtres » est un polar qui se lit d'une traite, un roman divertissant et intelligent qui tiendra le lecteur en haleine jusqu'aux dernières pages.


L'avis de Solenn, de Christian, d'Hélène, de Patricia, de Boo, de Michel, de Chatperlipopette.








En 1909 à la Clark University, de gauche à droite en bas Sigmund Freud, Stanley Hall, C.G.Jung; derrière: Abraham A. Brill, Ernest Jones, Sandor Ferenczi.

dimanche 20 avril 2008

Le Goût des Autres




"Le mec de la tombe d'à côté" Katarina Mazetti. Roman. Gaïa Editions, 2006


Traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus.





Elle s'appelle Désirée. Elle est bibliothécaire. Régulièrement, elle se rend au cimetière pour se recueillir sur la tombe de son mari. Là, elle observe le type de la tombe d'à côté. Un drôle de type, d'ailleurs, un peu rustre, habillé de manière voyante, avec seulement trois doigts à la main gauche, et qui laisse dans son sillage traîner une drôle d'odeur.
Lui, c'est Benny. En passe de devenir un « vieux garçon », il vient régulièrement sur la tombe de ses parents depuis qu'il vit seul dans la ferme familiale suite au décès de sa mère. Il ne sait que penser de celle qui vient sur la tombe d'à côté, cette femme terne aux cheveux si blonds qu'ils en paraissent presque blancs, cette femme mince et toujours vêtue de beige, affublée d'un bonnet hideux.
Assurément, ces deux personnages-là n'ont rien en commun, si ce n'est la proximité des sépultures auprès desquelles ils viennent se recueillir. Et pourtant...


Et pourtant, un évenement fortuit va faire que leurs regards vont se croiser, qu'un sourire va s'ébaucher et que leur vie va s'en trouver bouleversée. Entre ces deux-là – que tout sépare – une passion va naître et s'épanouir. Mais, cependant, tout n'est pas gagné, car s'ils réussissent à trouver le plein accord sexuellement,il n'en est pas de même en ce qui concerne l'immense fossé culturel qui les sépare. Désirée est « accro » à la littérature, à la poésie et au théâtre.

Benny, quant à lui, n'éprouve que très peu d'intérêt pour ces disciplines et s'intéresse plutôt aux derniers perfectionnements des machines agricoles. Désirée vit dans un appartement au design recherché et épuré tandis que Benny n'accorde que peu d'intérêt à la décoration (et cela vaut mieux!) intérieure de la ferme dans laquelle il vit. Désirée aime la nourriture fine et exotique alors que Benny préfère de loin une nourriture plus roborative et traditionnelle, surtout quand celle-ci est préparée par une femme. Désirée rêve de se rendre un jour au festival d'Avignon alors que Benny ne vit que par et pour son élevage de vaches laitières, activité qui ne lui laisse aucun congé...
Entre ces deux-là, la cohabitation risque de s'avérer quelque peu houleuse et de donner matière à quelques échanges pour le moins cocasses.
Sauront-ils, tour à tour, mettre suffisamment de côté leurs divergences afin de parvenir à l'accord parfait des âmes et des corps ? C'est ce que Katarina Mazetti nous propose de découvrir dans ce roman dont le propos est de nous entretenir de manière humoristique d'une des dernières barrières infranchissables de notre société contemporaine : à savoir le fossé culturel qui existe entre les êtres.
Alors que certains tabous liés à la distinction entre telle ou telle classe sociale ont tendance à s'éroder (même s'ils restent toujours sous-jacents), on ne peut pas en dire de même en ce qui concerne les divergences culturelles entre individus. Je ne parlerai pas ici – comme il est écrit sur la quatrième de couverture – de « ce fossé qui sépare les catégories sociales » car à mon avis cette disparité culturelle ne s'explique pas (ce serait bien trop simpliste et en même temps d'un déterminisme scandaleux) par l'appartenance à telle ou telle classe sociale plus ou moins favorisée. J'ai vu par exemple des chefs d'entreprise ou des médecins ( à priori d'un rang social favorisé) se révéler être des personnages d'une inculture crasse, tandis que d'autres personnes, aux revenus beaucoup plus modestes, se sont avérés être, sous des aspects banals, d'une érudition et d'une curiosité exemplaires. Le personnage romanesque le plus célèbre à cet égard, mais aussi le plus récent, et qui incarne le mieux cette richesse culturelle qui n'est pas l'apanage des classes les plus aisées, reste l'inoubliable Mme Renée, la concierge de « L'élégance du hérisson » de Muriel Barbery.
Contrairement donc à ce qui est écrit sur cette quatrième de couverture, Katarina Mazetti ne tombe pas dans ce poncif qui ferait de son héroïne une jeune femme riche et cultivée face à un rustre issu d'une classe sociale plus modeste parce que n'exerçant pas une activité professionnelle considérée comme gratifiante intellectuellement. Il n'est pas question un seul instant de différences d'ordre social ou financier et les deux personnages principaux qui nous sont présentés ici sont issus de la classe moyenne. Le débat se trouve autre part et l'argent n'est pas ici le facteur déterminant qui fera de cette relation une réussite ou un échec.


Comique, frais et léger, sans toutefois tomber dans la niaiserie, « Le mec de la tombe d'à côté » est un roman divertissant et sans prétention, une comédie tendre et ironique qui prend pour thème l'inégalité culturelle des uns et des autres, un fossé qui ne peut être comblé ni par une batterie de faux-semblants, ni par un arsenal de concessions, et encore moins – rappelons-le – par les artfices de l'argent et du pouvoir.


Les avis de Flo, de Valdebaz, de Anne, de Cathulu, de Papillon, de Tamara, de Chatperlipopette, et de tant d'autres encore que je suis obligé de m'arrêter là...

jeudi 17 avril 2008

«Nègre je suis, nègre je resterai» - Aimé Césaire (1913-2008)


Solde
«J'ai l'impression d'être ridicule
Dans leurs souliers
Dans leurs smoking
Dans leur plastron
Dans leur faux-col
Dans leur monocle
Dans leur melon

J'ai l'impression d'être ridicule
Avec mes orteils qui ne sont pas faits
Pour transpirer du matin jusqu'au soir qui déshabille
Avec l'emmaillotage qui m'affaiblit les membres
Et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe

J'ai l'impression d'être ridicule
avec mon cou en cheminée d'usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu'un

J'ai l'impression d'être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries

J'ai l'impression d'être ridicule
avec tout ce qu'ils racontent
jusqu'à ce qu'ils vous servent l'après-midi
un peu d'eau chaude
et des gâteaux enrhumés

J'ai l'impression d'être ridicule
avec les théories qu'ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson

J'ai l'impression d'être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion »
Aimé Césaire
(26 juin 1913 - 17 avril 2008)

(Recueil «Pigments Névralgies» 1972, éd. Présence Africaine)

"Portrait de Zamor" Peinture de Marie-Victoire Lemoine (1754-1820)

lundi 14 avril 2008

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 6







"La baie d'Alger" Louis Gardel. Roman. Editions du Seuil, 2007







« C'est fini. Je l'ai pensé avec ces mots que j'ai articulés à haute voix, comme le constat d'une chose certaine, jusqu'alors impensable et soudain évidente. C'était un soir, au début de l'année 1955, j'avais quinze ans. [...] Debout sur le balcon de ma grand-mère, je regardais la baie d'Alger. « C'est fini...L'Algérie, c'est fini. »



C'est effectivement la fin d'une époque qui se profile et que pressent le narrateur, du haut de ses quinze ans. Dix années se sont déjà écoulées depuis le massacre de Sétif le 8 mai 1945 et depuis, la tension monte entre les communautés algériennes et pieds-noirs. Depuis un an le FLN s'est engagé dans des actions de guerilla et peu à peu l'écart se creuse entre européens et algériens. Malgré ces évenements qui ne cessent de prendre de l'ampleur, le jeune homme, comme tous les adolescents de son âge, a bien d'autres préoccupations. C'est tout d'abord le lycée mais aussi les copains, les bains à la piscine, les filles aussi, mystérieuses et déconcertantes créatures qui ne cessent de le troubler.
Le jeune homme est à la garde de sa grand-mère Zoé, ses parents étant partis vivre à Paris depuis la fin de la seconde guerre mondiale.



Dans ce monde appelé à disparaître, le narrateur – bien que pressentant la fin de l'aventure algérienne – continue pourtant à s'enivrer de l'atmosphère douce et insouciante qui baigne ses jeunes années. Il n'est pas le seul dans ce cas, suivant l'exemple de sa grand-mère et de Suzanne, la cousine de celle-ci, journaliste aux « idées de gauche », sans oublier bien sûr l'inénarrable Bibi Yturri-Moreno, une ancienne coquette légèrement excentrique. Ce trio de vieilles dames n'engendre certes pas la mélancolie et le jeune homme passe de longues heures à les écouter discourir et se chamailler. Avec elles il aime à se rendre au bord de mer, dans le cabanon de Zoé, situé sur la plage Surcouf, ou dans la résidence de Bibi à St. Eugène. Ces lieux baignés de soleil, où seuls le bruit de la mer et du vent dans les palmiers viennent troubler la quiétude des lieux, sont pour le jeune homme l'occasion d'escapades et de longues heures alanguies au soleil, mais aussi de rencontrer ces jeunes filles qui ne cessent de faire chavirer son coeur et avec qui il fera plus ample connaissance lors de soirées arrosées où se réunit la jeunesse des environs.



Mais l'entourage du jeune homme n'est pas constitué que d' européens, et les différentes communautés qui composent la population de cette Algérie à jamais disparue se mélangent et vivent encore ensemble pour le meilleur et pour le pire. On fera ainsi connaissance avec la jeune Zoubida, avec Bouarab le pêcheur, avec Yeux-Bleus le commissionnaire, avec Solal, l'ami juif pied-noir, camarade de classe du narrateur et compagnon de baignade.
C'est aussi, avec l'arrivée de Marco, professeur de latin-français au Lycée Bugeaud, la découverte de tout un monde insoupçonné jusqu'alors, celui de la littérature. Sous la férule de ce professeur hors-norme, amateur de makrouts, les lycéens vont découvrir Proust, Rimbaud, Kafka, mais aussi Lucrèce et Karl Marx. C'est l'époque de Sartre et de Castor, époque d'intense bouillonnement intellectuel qui vaudra au jeune homme de croiser au hasard de ses sorties Louise de Vilmorin ainsi qu'Albert Camus.



Mais les nuages s'amoncellent sur cet îlot d'insouciance où règne la douceur de vivre entre européens, juifs, arabes et berbères. Les attentats se font plus nombreux. Sous les sourires des uns et des autres se dissimule de plus en plus difficilement l' inquiétude face à un avenir de plus en plus incertain. L'Histoire, comme un rouleau compresseur, se chargera de faire basculer dans le passé et la nostalgie toute cette joie de vivre, tous ces matins ensoleillés où résonnaient ensemble les cloches des églises et les appels du muezzin, tous ces rires clairs et ces regards insouciants.



Avec ce récit, ce roman fortement teinté d'autobiographie, Louis Gardel évoque sa jeunesse passée dans ce paradis perdu, cette société quasi-utopique née du projet peu glorieux du colonialisme à la française, projet qui portait en son sein les germes de la révolte justifiée des natifs de cette Algérie.
Louis Gardel revient sur ses années de jeunesse et sur cette société cosmopolite qui sût réussir pendant quelques temps à vivre en une douce harmonie. Sans prendre parti pour les uns ou les autres , il nous livre un récit profondément touchant sur une jeunesse évanouie au sein d'un monde où les hommes, comme le soleil, savaient se montrer généreux. Ni apologie du colonialisme, ni réquisitoire en faveur de l'indépendance, le roman de Louis Gardel se veut avant tout le portrait nostalgique d'une époque à jamais révolue, d'un monde où l'insouciance de la jeunesse transcende les oppositions des uns et des autres, pour n'en préserver qu'une seule chose : la joie de vivre.









Les avis de René Claude, de Laurent, de Cathe, de Stéphanie, et de Chatperlipopette.

dimanche 13 avril 2008

First


Voilà, j'ai été tagué par Pauline. Je vais donc répondre à mon tour aux cinq questions proposées ici.


Mais d'abord, voici les règles :


-Vous recevez le tag et vous y répondez sur le champ.

- Taguez 6 personnes à votre tour.


C'est parti !
Voici donc mes premiers :

Job : Petit boulot d'été dans une grande banque parisienne : Huissier...pas Huissier de Justice évidemment. En fait c'était (c'est peut-être toujours ) l'appellation que l'on donnait aux garçons d'étage. Au menu des journées : distribution du courrier dans les différents bureaux mais aussi, en cette époque où l'internet n'existait pas, distribution des télex et envois des courriers intérieurs par pneumatiques. J'adorais particulièrement enrouler les messages dans ces capsules de plastique que j'enfonçais dans un tube à air comprimé qui expédiait les documents vers les autres étages.


Voiture : une 205 d'occasion. D'ailleurs je roule toujours avec étant donné que je n'ai mon permis que depuis trois ans.


Page Web : Rien avant ce blog.


Voyage : Les états-unis. New-York et la côte est, pour rendre visite avec mes parents à mon frère aîné. Un bien beau voyage qui nous a fait crapahuter du Québec à la Nouvelle-Orléans. De bien beaux souvenirs.


Baiser : c'était pendant l'horreur d'une profonde nuit...non c'était pendant l'ivresse d'une soirée bien arrosée. Celle qui occupait alors mes pensées est venue vers moi et m'a embrassé à pleine bouche. Je crois avoir eu à ce moment ma première expérience de lévitation. Mais je suis vite retombé par terre quand je me suis aperçu que tout cela n'était destiné qu'à rendre jaloux un concurrent. Vie de m...


Voilàààà....Je ne sais qui taguer à mon tour car ce questionnaire a déjà fait le tour de la blogosphère et j'ai, en plus, tardé à y répondre. Qui veut être tagué(e) ?


vendredi 11 avril 2008

"On nous cache tout, on nous dit rien !"




"L'affaire Jeanne d'Arc" Roger Senzig & Marcel Gay. Essai.
Editions Florent Massot, 2007.





Que n'a-t-on pas écrit à propos de Jeanne d'Arc ? On a vu paraître, au fil des siècles, les plus beaux textes mais aussi les pires âneries. Cet ouvrage appartient – à mon humble avis – à cette dernière catégorie.
L'auteur, Marcel Gay, est journaliste dans un quotidien de la presse régionale, spécialisé dans la relation des affaires judiciaires, et n'est pas du tout historien de formation.
Par contre, son talent de reporter transparaît derrière chaque ligne de ce livre destiné à susciter l'intérêt du lecteur en lui fournissant des « révélations » sensationnelles sur un personnage historique à propos duquel on nous aurait menti de manière éhontée depuis des siècles.
S'il est un fait avéré, c'est que la théorie du complot visant à dissimuler la vérité des faits au plus grand nombre, est un argument de vente imparable.

Que ce soit à propos de la mort du Christ, des premiers pas de l'homme sur la Lune, ou, plus récemment, des attentats du 11 septembre 2001, chaque nouvel article de presse, chaque ouvrage contestant la version officielle des faits est appelé à connaître un grand succès médiatique et par là même à propulser son auteur en tête des ventes. On a même vu récemment une oeuvre de fiction : Da Vinci Code, draîner des hordes de benêts en quête d'indices vers l'église Saint-Sulpice à Paris, par exemple, où ces hordes de naïfs s'imaginaient trouver des éléments propres à conforter l'hypothèse développée dans le roman. Ce que ces âmes crédules avaient laissé de côté, et qui est pourtant un argument majeur, c'est que le récit de Dan Brown est justement....un roman.

Le livre de Marcel Gay et Roger Senzig est beaucoup plus trompeur que le roman de Dan Brown en ce sens qu'il se présente sous la forme d'un essai. On y trouvera des documents photographiques ainsi qu' en annexe des facs-similés de documents de l'époque : chroniques, actes notariés, registres de comptes, etc... Tout ceci donne à l'ensemble – sans compter l'abondante bibliographie citée par les auteurs au fil des pages – une aura de respectabilité et de sérieux qui donne à croire que l'on se trouve en présence d'un ouvrage de référence dans lequel les auteurs se sont investis de manière scientifique. « Bigre! S'exclame le lecteur, abasourdi par cette avalanche de documents et de références historiques, voilà du sérieux, du tangible. Assurément, je suis en présence d'un ouvrage digne de foi au vu du travail de recherche de ses auteurs. »
Pourtant, il n'en est rien. Bien sûr, je ne mettrai pas en doute ici le travail de Marcel Gay et surtout de Roger Senzig : ils ont tous deux le mérite de croire en leur hypothèse et d'avoir effectué maintes recherches dans le but d'étayer celle-ci. Par contre, ce sont les arguments proposés ainsi que l'interprétation des faits et des écrits qui me laisse songeur, voire carrément sceptique.
Mais voyons d'abord quelles sont les idées avancées par nos modernes Holmes et Watson.

L'ouvrage s'articule autour de deux postulats. Le premier propose la thèse « bâtardisante », vieux serpent de mer qui resurgit régulièrement : Jeanne serait la fille illégitime du duc Louis d'Orléans et de la reine Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, le roi fou, bien connue pour ses infidélités. Les auteurs mettent en avant pour étayer cette thèse le postulat d'un enfant déclaré mort-né – un garçon – dont on aurait perdu toute trace de sépulture. Ensuite, les auteurs s'interrogent : comment une simple bergère aurait-elle appris à monter à cheval, à porter un harnois, et aussi à manier les armes ? Seule une personne de noble extraction pourrait accomplir ces hauts faits. Mais je ne vois pas en quoi une femme de la noblesse de l'époque posséderait plus d'atouts qu'une fille du peuple pour guerroyer et monter sur un cheval de guerre. Mais l'idée – tellement séduisante de faire de la jeune lorraine une héroïne au sang bleu – n'a pu que séduire nos deux détectives. L'Histoire est tellement plus belle quand ses grandes figures possèdent une généalogie honorable. Les gens du peuple ne sont aptes, après tout, qu'à jouer les figurants ou, dans le meilleur des cas, à exercer le rôle de la piétaille. Mais que notre héroïne nationale se se prévale d'une ascendance qui la met au dessus du commun des mortels, voilà qui a plus de panache !

Le second postulat aborde la thèse « surviviste » : Jeanne, capturée par les bourguignons puis livrée aux anglais, ne serait pas morte sur le bûcher. Détrompez-vous, braves gens ! On vous a menti ! Par un habile subterfuge, ce serait une autre personne (sûrement une roturière!) qui aurait été brûlée vive. Jeanne, miraculeusement, échappe au supplice et réapparaît quelques temps plus tard, en qualité d'épouse d'un seigneur, Robert II des Armoises. Elle décèdera en 1449 à l'âge de trente-sept ans et sera inhumée à Pulligny-sur-Madon (54). Ce joli conte ne nous dit pas si après s'être mariés ils eurent beaucoup d'enfants...

Je ne m'étendrais pas sur la découverte d'un certain docteur Sergueï Gorbenko qui affirme, lui, avoir découvert le crâne de Jeanne d'Arc dans une tombe de la basilique royale de Cléry-Saint-André (45).

« Mais alors, me direz-vous, on nous a roulés dans la farine! Et ce depuis le début ! » Qui est donc à l'origine d'une telle mystification ? Ressortez votre exemplaire du Da Vinci Code (si vous ne l'avez pas encore jeté) : c'est le Vatican, encore lui, qui nous cache la vérité !
Au fin fond de la bibliothèque vaticane reposerait un document compromettant, mais – c'est vraiment balot – les auteurs n'ont pas eu l'autorisation de le consulter.

Bref, nous nageons en plein romanesque avec ce livre et il eût mieux valu que ses auteurs en eussent fait une fiction plutôt qu'une parodie d'essai historique.
J'ose à peine imaginer ce qu'un Alexandre Dumas aurait pu écrire en mettant en scène toutes ces affabulations.

Bien sûr, il est toujours utile et même nécessaire de remettre en cause l'Histoire officielle, ceci afin de poser un regard critique sur des évenements passés et d'apporter ainsi un regard objectif, détaché de toute tendance politique, religieuse ou idéologique, tout en se gardant de sombrer dans un révisionnisme systématique, voire dans le négationnisme comme certains ont tenté de le faire à propos du génocide juif pérpétré durant la seconde guerre mondiale.
Il en est de même en ce qui concerne une figure historique telle que Jeanne d'Arc, personnage dont on sait que l'Histoire officielle a fortement enjolivé les circonstances de sa vie dans le but d'en faire une icône nationale. Figure emblématique de la résistance à l'envahisseur, on aura accomodé cette pauvre Jeanne à toutes les sauces, même les plus nauséabondes, comme en témoigne le rassemblement du Front National le 1er mai de chaque année sous sa statue équestre.

L'Histoire et ses lacunes n'ont pas fini de questionner les hommes et ceux-ci n'ont pas fini de gloser à l'infini sur tel évenement ou tel personnage, avançant maintes suppositions et interprétations afin de tenter d'apporter une explication à toute énigme susceptible de modifier un tant soit peu la version officielle des faits.
Cet ouvrage vaut ce qu'il vaut – pour ma part il ne m'a pas convaincu – mais il a au moins le mérite de remettre en cause une interprétation un peu trop édulcorée et un peu trop convenue de ce personnage de l'Histoire de France.




mardi 8 avril 2008

Le-Saviez-Vous ? : Le réchauffement climatique, ça rapporte !

Le réchauffement climatique fait des heureux. Grâce à la fonte des glaces en Arctique, les compagnies pétrolières vont pouvoir faire de gros sous. La diminution de la banquise favorise en effet les forages pétroliers.
Durant le dernier trimestre, l'administration Bush a vendu pour 2,6 milliards de dollars les droits de forage à plusieurs grandes firmes pétrolières. Joli cadeau de MM. Bush et Cheney à leurs amis.
Le Canada n'est pas en reste puisque son premier ministre, Mr. Stephen Harper (dont l'élection a été fortement soutenue par le lobby pétrolier de l'Alberta) a déjà mis aux enchères des droits d'exploitation dans la partie canadienne de la mer de Beaufort.
Ces messieurs se frottent les mains car l'Arctique recélerait plus de 25% des réserves d'or noir non encore exploitées de la planète.
L'Arctique est pourtant, depuis 1950, et sur décision du président Eisenhower, considéré comme un sanctuaire naturel. La faune locale, notamment l'ours polaire, espèce menacée d'extinction, ne survivrait pas à une telle mesure.
Les ours disparaissent, les cons et les salauds prolifèrent.

(Source : Ludovic Hirtzmann - Le Télégramme)

dimanche 6 avril 2008

Secrets de famille




"De manière à connaître le jour et l'heure"
Nicolas Cauchy. Roman. Robert Laffont, 2007.





En ce dimanche 21 juin, tous se sont réunis dans cette très belle maison parisienne pour l'anniversaire du chef de famille, Jean, qui va aujourd' hui fêter ses cinquante-quatre ans. Ils sont tous là : les fils, les brus, les petits-enfants, pour célébrer dans la joie cet événement. Tout semble se dérouler pour le mieux jusqu'au moment où un certain Gabriel sonne à la porte d'entrée. Il se dit porteur d'un message à remettre en mains propres au maître des lieux. Quel est le contenu de cette grande enveloppe qu'il détient ?
Après avoir délivré à Jean ce mystérieux message, il est subitement et vertement reconduit à la porte par celui-ci. Que s'est-il passé entre ces deux hommes ? Les membres de la famille n'en sauront pas plus.

Une semaine plus tard, tous sont à nouveau réunis, mais cette fois, ce n'est pas pour un anniversaire.
C'est encore Jean qui est à l'origine de ce rassemblement car s'ils se sont tous déplacés cette fois encore, c'est dans le but de célébrer ses funérailles.
Que s'est-il passé pendant cette semaine qui sépare ces deux dates, pour que Jean, hier encore en pleine force de l'âge, soit aujourd'hui décédé ? Y-a-t-il un rapport de cause à effet entre ce décès survenu brutalement et la mystérieuse enveloppe reçue une semaine auparavant ?

En abordant ce roman de Nicolas Cauchy, j'avoue avoir été quelque peu méfiant, voire dubitatif. Il est vrai que je sortais tout juste de la lecture ô combien éprouvante et ennuyeuse de « Ton silence est un baiser », nanar littéraire chroniqué plus haut.
Aussi, dès les premières pages de « De manière à connaître le jour et l'heure », je n'ai pu m'empêcher de soupirer de dépit en faisant la connaissance de cette famille de bourgeois parisiens, trop clean, trop parfaite, digne d'un mauvais téléfilm français. Tout cela commençait bien mal, je venais d'en souper des parisiens aisés, de leurs escapades à Cabourg, de leurs belles maisons meublées avec goût, ainsi que de leurs états d'âme quelque peu ridicules pour tout lecteur ayant chaque jour à affronter la difficile réalité du quotidien.

Fort heureusement, je me trompais du tout au tout. Au fil de la lecture, je découvris un par un les différents membres de cette famille qui m'avaient paru au premier abord un peu trop stéréotypés. Prenant la parole tour à tour, les différents figurants de cette histoire vont peu à peu se dévoiler au long du récit.
Car sous leur apparence lisse et formatée, tous ont ici quelque chose à cacher, un petit secret, une liaison clandestine, une haine soigneusement dissimulée... Peu à peu les masques tombent et l'harmonie factice du départ cède très rapidement la place à un tableau beaucoup plus contrasté de cette famille en apparence si unie et si prospère.
On découvrira progressivement que sous le voile des apparences se cachent certaines petites choses qu'il est préférable de garder sous le boisseau afin de sauvegarder l'entente familiale. C'est évidemment dans les dernières pages du roman que le lecteur trouvera une explication à la mort inattendue du chef de famille ainsi qu'au contenu de la mystérieuse enveloppe apportée par Gabriel.
Je me suis donc pris au jeu de cette lecture, découvrant au fil des pages la face cachée de tous ces personnages qui peu à peu me sont devenus presque sympathiques dans leurs faiblesses, leurs doutes et leurs hésitations face à la vie, à l'amour, à la réussite sociale, au regard des autres, etc... J'avoue quand même avoir eu quelques difficultés à m'identifier avec ces personnages dont les préoccupations me sont pour la plupart étrangères.
J'ai par contre apprécié la construction du récit, avec ses différents points de vue propres à chacun des protagonistes ainsi que la narration contrastée de chacun d'entre eux selon le moment où ils s'expriment : le 21 juin, jour de l'anniversaire ou le 27, jour des funérailles. Entre ces deux dates, le contexte aura bien évidemment changé, mais aussi les sentiments, les résolutions et les idées préconçues de chacun.

En conclusion, je ne saurai dire si j'ai vraiment aimé ce roman. Je l'ai trouvé habile, agréable à lire et construit de main de maître, mais les personnages m'ont pour la plupart laissés indifférents. L'empathie n'a pas fonctionné cette fois-ci. Mais je ne m'avouerai pas vaincu et je crois que si un jour me tombe sous la main un autre roman de Nicolas Cauchy, je ne le laisserai pas de côté. Je pense que « La véritable histoire de mon père », premier roman de cet auteur, serait en cela plus à même de me satisfaire.


Les avis de Tamara, de Caro[line], de Gambadou, de Anne, et de Florinette

"J'aime les gens qui fréquentent les livres et qui ne peuvent vivre sans eux.
Je crois que cela leur donne une humanité que les autres n'ont pas."



(Philippe Claudel - Petite fabrique des rêves et des réalités.)

"Arx tarpeia Capitoli proxima."




"Chronique du règne de Nicolas 1er" Patrick Rambaud. Récit. Grasset & Fasquelle, 2008.





Patrick Rambaud est un auteur que j'apprécie tout particulièrement pour avoir écrit – entre autres – une passionnante tétralogie consacrée à l'empereur napoléon 1er : « La Bataille » - « Il neigeait » - « L'absent » - « Le chat botté ». Mais je l'apprécie d'autant plus depuis qu'il a commis cette « Chronique du règne de Nicolas 1er ».
Ne s'étant pas remis de cette sinistre journée du 6 mai 2007 qui a porté au pouvoir le plus ridicule des chefs d'état de l'Histoire de France, il a décidé de décrire, à la manière des Mémoires du Duc de Saint-Simon, l'ascension et les premiers mois du règne de cet homme dont les fonctions et les responsabilités – à l'instar de ses costumes – s'avèrent trop grandes pour lui.

Ainsi, du mois de mai à celui de novembre, Patrick Rambaud compose un portrait sans concessions de ce roitelet de pacotille, de ce principicule d'opérette qui a fait de la France un arrondissement de la Principauté de Monaco.
Tout y passe : des origines de notre vénéré leader jusqu'à son tonitruant divorce annoncé à grands coups de trompettes afin de noyer – par l'entremise de médias obséquieux – la montée d'un mécontement populaire, en passant par la composition d'un gouvernement formé d'habiles courtisans et de traîtres à la Gauche, ainsi que par quelques piques sur l'inculture crasse de notre monarque... heu... président, sans oublier l'actualité qui a marqué ces six premiers mois de règne : les vacances à Wolfeboro, la visite de Kadhafi, l'affaire Clearstream, le pouvoir d'achat des français en berne, etc...

Sur les origines de notre bouillant potentat on peut lire par exemple :

« Rien, cependant, rien ne disposait à de pareils honneurs Notre Trépidant Souverain. Il avait en effet connu l'enfance malaisée des fils d'immigrés, à la périphérie de notre capitale, dans une banlieue aux murs salis par les vapeurs automobiles et mal pourvue en logements sociaux. A Neuilly. Ainsi commença dans la plus parfaite modestie la légende de ce Chef Rutilant qui sentit monter en lui, très tôt et jusqu'à la migraine, le sang bouillonnant de ses ancêtres. Son père venait de Budapest et, pendant l'hiver glacial de 1948, on le vit dormir à même une grille du métro parisien, toutefois près de l'Arc de Triomphe. Epoque bénie ! Clémente République ! Désireux de regrouper une famille autour de lui mais sans vrai travail et sans un sou, ce père serait aujourd'hui reconduit en autocar à la frontière hongroise. Le cours de l'Histoire en eût été changé. »

Sur son parcours scolaire et son cheminement intellectuel :

« Il détestait l'école, le foie de veau et les légumes. A Saint-Louis-de-Monceau il ne brilla guère par l'étude, séchant des cours très ouvertement et par ennui, chahutant pour qu'on le remarquât, mais qui le remarquait ? Personne. Aussi le jeune solitaire s'enfermait-il dans sa mansarde de la rue Fortuny pour parfaire sa culture selon ses goûts et, tout en se gavant de pâtisseries, il posait sur son tourne-disques Teppaz en simili-cuir vert les oeuvres complètes des principaux poètes, gloire de leur époque, MM. Hervé Villard, Serge Lama et Johnny Halliday dont il connaissait les poèmes par coeur. [...]
Notre Adolescente Majesté s'était dépatouillée fort mal des dissertation lycéennes dont les thèmes lui demeuraient obscurs et la laissaient en surchauffe mentale. Un soir, à l'étude, devant un devoir ardu (en voici l'intitulé : « Corneille a peint les hommes tels qu'ils devraient être, Racine tels qu'ils sont, commentez et expliquez »), Notre Omniscient Souverain se trouva bien sec; à
Cinna et au Cid il préférait de loin Thierry la Fronde ou Dallas qui le remuaient jusqu'à la moelle. Ajoutons encore qu'en ce temps-là il n'avait point encore le loisir d'obtenir une note prestigieuse par décret, et on saisira son aversion pour les humanités, l'histoire, la géographie, les mathématiques et la philosophie où il stagnait en dessous de la moyenne. »

Mais le ridicule n'est pas le privilège du Prince, et pour ce qui est de son entourage, Patrick Rambaud nous livre une galerie de portraits truculents où sont égratignés les membres du gouvernement, les officieux comme le Cardinal de Guéant, le chevalier de Guaino, et les officiels, comme la Baronne d'Ati, le Duc de Sablé (François Fillon) sans oublier bien sûr la marquise de La Garde :

« Elle présentait bien à l'écran, hâlée comme au retour de Biarritz, le cheveu gris de fer taillé court, le foulard de prix mais négligemment posé autour du cou, un sourire plein de dents fort hollywoodien. Enfin, elle illustrait jusqu'à l'extravagance l'individualisme forcené de la pensée régnante. « Vous voulez gagner des sous ? disait-elle. Faites comme moi, travaillez plus et plus encore, arrêtez de penser, agissez ! » Elle débusquait un flemmard derrière le moindre chômeur et n'en avait aucune indulgence ; elle ne saisissait pas que le petit nombre de chanceux qui parviendrait à travailler plus priverait des milliers d'autres de travailler tout court. Cela s'était vérifié dans bien des royaumes voisins, où l'on travaillait moins mais presque tous, et qui n'en étaient que plus riches, comme la Norvège, la Suisse, le Danemark, la Hollande, la Suède. Même si vous lui démontriez par les chiffres cette impertinente vérité, notre marquise n'en démordait pas et se cantonnait à la sienne. Elle allait répétant que le travail était une joie, condamnait à la tribune Le Droit à la Paresse de M. Paul Lafargue, un libelle de 1880 dont elle n'avait lu que le titre, qui l'épouvanta, sans savoir que son auteur s'extasiait en fait sur le machinisme naissant : grâce aux nouveaux engins, pensait-il, les enfants de huit ans n'auraient plus à travailler treize heures par jour ; sans doute, mais M. Lafargue n'avait pas prévu Les Temps Modernes de M. Chaplin, les usines de M. Ford, ni ces ingénieurs en automobile d'aujourd'hui que les cadences mangeaient et qui se pendaient dans leurs vestiaires, à Mulhouse.
Un jour, la marquise revint bouleversée de la gare du Nord. Quoi ? Avait-elle été remuée par les régiments banlieusards qui se tassaient dans des trains vieillots dangereux et sales ? Non. Ce n'était pas sa fibre. Elle sanglotait sur le sort des millionnaires obligés de s'expatrier à Londres ou à Bruxelles, et qu'elle avait vus monter, si moroses, si patriotes, dans l'Eurostar ou le Thalys pour échapper à l'impôt. La marquise de La Garde avait résolu de vivre à côté du réel, à l'inverse de notre très considéré Prix Nobel, M. Camus, qui l'en aurait instruit avec un seul adage : « la vérité de l'esclave vaut mieux que le mensonge du seigneur. » Pour qu'elle comprît M. Camus, il eût fallu que la marquise ne possédât point un gésier à la place du coeur et qu'elle eût un oeil moins myope. Peu importait. Deux jours après son installation au palais de Bercy, Sa Majesté la salua en ces termes : « c'est la meilleure à cette place, elle va battre tous les records ! » On ne sut pas tout de suite de quels records il s'agissait. »

Je passerai rapidement sur les traîtres : le marquis de Benamou, Eric Besson, Bernard Kouchner promu Comte d'Orsay, l'abbé Bockel, le chambellan Attali... portraits pathétiques de félons de haute volée venus grossir les rangs du gouvernement princier à sele fin de faire miroiter leur ego boursouflé.
On verra aussi dans cet ouvrage la chasse aux sans-papiers, aux jeunes de banlieue et aux chômeurs, la polémique sur la part de l'inné et de l'acquis, les tests ADN, la manipulation de l'opinion à propos des infirmières bulgares détenues en Libye, la lettre de Guy Môquet, ou encore les coupes sombres dans les budgets de l'éducation et de la culture :

« Notre Grand Leader posait un regard uniforme sur tout, et l'idée qu'il en tirait n'était régie que par la pure efficacité. L'école ? Elle devait fournir des contribuables pour éponger la dette nationale ; elle devait former, voire formater, des apprentis, des ouvriers, des employés, des boutiquiers, des ingénieurs. Il l'avait annoncé avant même son règne et très haut : « on a bien le droit de faire lettres anciennes, mais l'Etat ne va pas pouvoir payer longtemps pour des gens qui veulent cultiver leur esprit. » Cela inversait le sens habituel des études depuis l'Antiquité : qui apprenait la sagesse chez Sénèque ou Platon se rangeait du côté des improductifs et des assistés, et ne servait en rien quand nous avions besoin de travailleurs durs à la tâche, peu regardants au salaire, dociles, polis, qui n'avaient point à réfléchir sur les étoiles puisque Sa Majesté pensait à leur place, ce qui permettait à la fois de gagner du temps et de l'argent. Qui n'était point rentable devait périr ; cela valait aussi pour les Universités dont Notre Maître entendait couper les branches mortes, ces matières sans issues concrètes et immédiates, et qu'elles evinssent privées, à la main des entreprises qui y puiseraient leur futur personnel. Ainsi y aurait-il une compétition entre les établissements, des diplômes plus ou moins valides et plus ou moins chers parce que si l'étudiant paie des études longues de sa poche, il s'efforce mieux de réussir ; cantonnés aux études courtes, les démunis n'engorgeraient plus les amphithéâtres.
Après avoir aidé par un gros cadeau impérial et fiscal les mieux favorisés, Notre Paternel Leader cherchait le moyen de remplir ses caisses, vidées de nombreux milliards. Il voyait la Culture comme un gâchis, puisque le théâtre, la danse, l'opéra et autres fariboles artistiques suscitaient chez lui des envies de course à pied, donc il donna ses instructions pour réduire les aides et les subventions à ces gens-là, qui vivaient aux crochets d'un Etat bonasse. Aussi dans ce domaine, l'Empereur exigeait des résultats, décidant que la demande supplantât l'offre, que la création répondît aux attentes du public. Si on lui rétorquait qu'il y avait eu bien des pièces, bien des livres, bien des films qui, à leur sortie, avaient été fraîchement reçus ou même sifflés, avant de devenir des classiques, que MM. La Fontaine et Molière eux-mêmes avaient été subventionnés par Louis XIV, Sa Majesté répondait se moquer bien des largesses de Louis XIV, que son ami M. Clavier plaisait aux masses sans que l'Etat le payât de surcroît, que ni M. Macias ni Mme Line Renaud n'avaient besoin qu'on puisât pour leurs spectacles dans le Trésor Public. C'était imparable. Il n'y avait désormais plus que des produits à vendre, et même les oeuvres d'art de nos musées pourraient être vendues si cela rapportait. Les subsides de l'Etat allaient être distribuées en fonction de la fréquentation des salles de cinéma et de théâtre, et tout le reste dépendrait étroitement du box-office qui, lui, ne se discutait pas. »

Je pourrais ainsi continuer infiniment à citer des passages de ce livre tant celui-ci m'est apparu savoureux, mais abuser des citations reviendrait quasiment à recopier la totalité de cet ouvrage, et ce n'est pas mon but. J'avoue pourtant, au regard de ce que j'ai écrit ci-dessus, avoir largement cité (peut-être même trop ?) certains passages de ce livre qui m'ont particulièrement marqués, au détriment d'un commentaire plus personnel. Mais comment faire ressentir l'esprit et la forme de ce bouquin ? Comment parler de la prose de Patrick Rambaud qui s'est pour l'occasion grimé en un moderne Saint-Simon ? Comment décrire la verve, l'humour, et l'esprit frondeur qui font la richesse de ce récit dont la seule prétention est de nous faire rire de cette calamité qui s'est abattue sur notre pays un soir de mai de l'an 2007 ? Ce n'est pas paresse de ma part que d'avoir abusé des citations, mais j'ai trouvé dans ce procédé le meilleur moyen de donner un aperçu du ton et du contenu de ce désopilant opuscule.

Que dire, sinon que je souhaite voir paraître un jour une suite à cette « Chronique du règne de Nicolas 1er » en espérant – il est permis de rêver – qu'elle porte en sous-titre quelque chose comme « La chute » ou « La déconfiture », ce qui révélerait que notre pays en aurait bel et bien fini avec les pathétiques gesticulations du sinistre histrion qui nous gouverne.
Notre président qui, nous l'avons vu plus haut, n'aime pas les humanités, devrait garder en mémoire et se répéter chaque jour cet adage de l'Antiquité latine : « La roche tarpéienne est proche du Capitole ».