dimanche 30 mars 2008

Les Cendres



"La Route" Cormac Mc Carthy. Roman. Editions de l'Olivier, 2008.


Traduit de l'anglais (Etats-unis) par François Hirsch.





Depuis combien de temps marchent-ils sur cette route ? Devant eux ils poussent un vieux caddie rempli d'objets nécessaires à leur survie : nourriture, couvertures... Autour d'eux tout n'est plus que cendres. Le monde que nous connaissons n'est plus. Il a disparu dans ce qui apparemment ressemble à un conflit nucléaire. Tout est calciné, il n'y a plus ni végétation ni animaux. Les jours sont courts, sous un ciel gris et bas que ne perce pas la lumière du soleil. Le froid s'est installé en un hiver perpétuel. Alors l'homme et son fils marchent vers le Sud, vers la mer. Là, peut-être trouveront-ils un peu plus de chaleur, un peu plus de lumière, quelque chose aussi qui puisse ressembler à une ébauche de civilisation ?


C'est leur voyage que nous décrit Cormac Mc Carthy dans ce très beau roman dépouillé à l'extrême. Pas de grands effets spectaculaires dans ce récit que l'on pourrait rapidement et distraitement ranger dans la catégorie Science-Fiction en oubliant que le texte de Mc Carthy est bien plus que cela et qu'il transcende les codes du genre.

À travers l'odyssée d'un homme et de son fils au sein d'un monde ravagé, c'est la condition humaine mise à nu qui nous est proposée ici. Tous les artifices de la civilisation ont disparu. Ne restent pour les survivants que quelques préoccupations devenues primordiales pour survivre dans cet enfer glacé : se protéger du froid et de l'obscurité, manger et éviter d'être mangé. Voici donc ces hommes d'un futur plus ou moins proche contraints à renouer avec les instincts et les peurs de leurs lointains ancêtres de la Préhistoire. Les voici réduits à faire un choix, celui d'incarner le gibier et de garder en eux une étincelle d'humanité, ou de devenir des prédateurs et de renoncer à tout ce qui fait d'eux des êtres humains. Beaucoup ont opté pour cette seconde solution et l'homme et son fils devront se montrer extrêmement prudents pour échapper à l'anthropophagie des autres survivants.
C'est donc une humanité réduite à ses plus élémentaires besoins, à ses plus rudimentaires préoccupations qui nous est préentée ici par Cormac Mc Carthy, une humanité moribonde qui devra faire le choix entre l'auto-dévoration qui mènera inéluctablement à l'extinction finale, et la préservation de celles et ceux qui pourront assurer l'avenir de l'espèce.

L'homme et son fils se sont rangés du côté de la préservation de l'humanité contrairement à ceux qui ont fait le choix d'une satisfaction immédiate de leur appétit au détriment de l'avenir de tous. En cela, le roman de Mc Carthy est une métaphore de notre moderne société de consommation qui dévore peu à peu le monde en oubliant que c'est finalement son propre corps qu'elle ingère, et qu'à l'instar du bûcheron qui scie la branche sur laquelle il est assis, la chute sera fatale.

C'est aussi la métaphore du choix que chacun d'entre nous est appelé à faire un jour ou l'autre dans sa vie, celui de devenir un prédateur, (ceci de manière symbolique ou non) ou celui de préférer subir les injustices et la cruauté des autres plutôt que d'en devenir l'instigateur.


C'est donc de la condition humaine que nous parle Cormac Mc Carthy dans « La Route », un roman d'une sobriété et d'une concision extraordinaires, un testament, un cantique pour une humanité moribonde.

Cette odyssée d'un homme et de son enfant au milieu des cendres de la civilisation, dans un monde retourné à la barbarie, au sein d'une nature calcinée, apporte pourtant, dans cet univers de noirceur, un bref éclat de lumière et une vague lueur d'espoir. Le récit, lent et dépouillé, austère parfois, ainsi que les dialogues échangés entre le père et le fils, simples mais essentiels, apportent une dimension d'universalité à cette histoire et lui confèrent le statut d'un classique de la littérature.


Avec « La Route », Cormac Mc Carthy nous démontre une fois de plus qu'en littérature la qualité n'est pas nécessairement dans l'excès, la profusion et le clinquant, mais bien plutôt dans la simplicité, le non-dit et la sobriété. Un grand roman.


Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 5





"Ton silence est un baiser" Denis Labayle. Roman. Julliard, 2007.







Cette nuit, nous sommes passés à l'heure d'été. Une heure de perdue, évaporée, atomisée, pour une journée de vingt-trois heures. Ce n'est pas rien, une heure, ça compte dans le timing d'une journée. D'ailleurs ce décalage de soixante minutes – comme deux fois par an depuis l'instauration en 1974 de cette mesure censée réduire nos dépenses d'énergie – fait le bonheur des chronobiologistes de tout poil invités à discourir dans les médias sur les méfaits de cette mesure sur notre horloge biologique, notre sommeil, notre appétit, etc... Tous les six mois, les mêmes discours encombrent les colonnes de nos quotidiens et saturent nos écrans télévisuels pour nous ressasser les mêmes lieux communs.
Ce genre de sujet est appelé un « marronnier » dans le langage journalistique : on peut le placer tous les ans sans poser aucun probléme et y revenir régulièrement pour combler une actualité peu fournie ou, au contraire, éviter d'aborder certains sujets plus délicats. Ainsi voyons-nous défiler tous les ans, dans les pages des magazines dits d'information, des sujets d'une importance primordiale tels que le salaire des cadres, la franc-maçonnerie, vos impôts, et autres billevesées...
Mais je m'égare et reviens au sujet qui m'amène : l'heure d'été. Voici donc une heure de perdue, une heure de ma vie envolée, disparue dans les limbes. Avouez qu'il y a de quoi se révolter, sans compter que mon horloge biologique va en être gravement perturbée pendant plusieurs jours ! Si, si ! C'est vrai, puisqu'on l'a dit à la télé. Mais après tout, qu'est-ce que c'est qu'une heure ? Pas grand chose au regard de l'éternité. Ni même au regard d'une journée. Rendez-vous compte, ce serait autrement plus grave et difficile à gérer, que de perdre une journée. C'est pourtant ce qui m'est arrivé récemment, et ce n'est ni de la science-fiction ni un abus de substances psychotropes. J'ai effectivement perdu une journée, une journée de lecture où j'aurais pu lire et déguster un bon bouquin. Hé bien non! Il n'en fut rien ! J'ai perdu une précieuse journée de ma courte vie à lire « Ton silence est un baiser » de Denis Labayle.
Voici donc un roman de 268 pages qui s'est avéré si ennuyeux et soporifique que la lecture des Pages Jaunes France Télécom passerait à côté pour un chef-d-oeuvre de la littérature contemporaine. J'en arrive encore à me demander comment j'ai pu tenir jusqu'à la dernière page de ce récit convenu et insipide.
Pourtant, le contexte du roman aurait pu donner lieu à un roman accrocheur : une épidémie venue d'Asie s'étend peu à peu à travers le monde, dévastant tout sur son passage, faisant des milliers de morts, mettant à bas l'économie mondiale et révélant l'extrême fragilité de nos sociétés contemporaines.

Mais voilà que l'auteur a décidé de plaquer par dessus tout cela une bluette à côté de laquelle les redondances, les lieux communs, et la pauvreté psychologique des personnages feraient passer Danielle Steel pour Jane Austen : Franck est chercheur, Maud également. Franck aime Maud. Maud aime Franck. Mais tout les sépare car tous deux sont mariés et ne veulent pas remettre en cause ce qu'ils ont patiemment construit. Alors les deux amants se voient de moins en moins. Maud part vivre à Boston tandis que Franck reste à Paris. Mais cette épidémie qui fait des ravages sera-t-elle l'occasion pour eux de se retrouver et de vivre enfin leur passion ? Bref, voici le pitch de cet ennuyeux récit dont je ne résiste pas à la tentation de vous livrer un court extrait afin de vous en faire savourer le Steel... euh... le style :



« Plus je pense à Franck, plus ma pensée se trouble. Pendant cette année, cent fois j'ai tenté de l'oublier, et cent fois je me suis posé la même question : que fait-il à cet instant ? J'ai passé mon temps à mesurer le vide causé par son absence, à calculer sans fin la distance qui nous séparait. Le souvenir de nos amours est reveneu, incessant, lancinant comme une douloureuse obsession.
Je le revois et tout est bouleversé : mon temps, ma pensée, mon désir. Cette nuit, j'ai rêvé qu'il posait ses mains sur moi, et que je vibrais au rythme de son corps. J'aimerais tant goûter de nouveau au passé. Je troquerais volontiers mes plus chers souvenirs contre un peu de réalité. Retrouver la trace de nos plaisirs, redevenir pour lui l'objet du désir, l'enivrer et puis marcher à ses côtés, sur une grève déserte, un soir au coucher du soleil. Je n'ai rien oublié des jardins secrets dont il a gardé la clé. Pourquoi faut-il avoir besoin de tant d'incertitudes pour se rendre compte de l'évidence ? Avec lui, je me suis toujours sentie si bien... »



Et cela continue et s'étire sur toute la longueur du roman en alternant son récit à elle et son récit à lui. Quelle idée originale! Chaque chapitre est intitulé soit « Elle », soit « Lui », au cas où nous n'aurions pas compris la subtilité du procédé romanesque.
Je passe sur la conclusion du roman, convenue, téléphonée, conforme à l'ensemble du récit. Ma seule satisfaction fut de me dire que j'en avais enfin terminé avec ces deux personnages si caricaturaux et si peu attachants, avec leurs escapades sur la plage de Cabourg en hiver, sans oublier les allusions aux galets d'Etretat et autres clichés dignes de la collection Harlequin.
Affligeant.


La sélection du Prix des Lecteurs du Télégramme nous avait habitués à beaucoup mieux. Dommage. En tout cas, je sais pour qui je ne voterai pas.







L'avis, pas plus enthousiaste, de Chatperlipopette.

samedi 29 mars 2008

Spin Doctors


"L' Idéologie" Stéphane Osmont. Roman. Grasset, 2008









Il s'appelle Evariste Kowalski. Son job : « Spin Doctor ».
Il appartient à cette caste méconnue des « Lobbyists », ces agents d'influence qui manipulent l'opinion publique.
De la politique à la haute-couture, en passant par l'actualité, l'édition et tous les domaines touchant le grand public, ces hommes de l'ombre n'ont qu'un seul but : influencer la majorité d'entre nous.
De leur talent dépend l'ascension ou la chute de tel ou tel homme politique, le succès d'un roman, d'un genre musical, voire le déclenchement d'une guerre. Ces hommes sont tout puissants, ils manipulent l'opinion à travers les médias comme un enfant le ferait d'une boule de pâte à modeler.
Toujours en retrait, ils sont l'éminence grise des politiques, des patrons des grands groupes côtés en bourse, des créateurs de mode, des écrivains renommés...
Leurs honoraires atteignent des proportions gigantesques et la moindre idée s'échappant de leur bouche se monnaye contre des sommes colossales.
Habiles, discrets, talentueux, ils ont réussi à faire accepter à la société américaine la nécessité d'un conflit en Irak et bientôt celle d'un autre en Iran.
Dans une moindre mesure, ils ont concouru à l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007, grâce notamment à Thierry Saussez et Henri Guaino, manipulateurs de haut vol qui ont su faire prendre aux français des vessies pour des lanternes et leur faire avaler des couleuvres aussi longues que la Grande Muraille de Chine.

Evariste Kowalski fait donc partie de cette étrange tribu qui excelle à nous influencer même dans notre quotidien le plus banal. Payé à prix d'or, il fait et défait les réputations de n'importe quel personnage public. Aucun désir ou aucune haine ne motive ses actions si ce n'est l'appât du gain. Pourtant, quelque chose semble s'être enrayé dans le mécanisme bien huilé qui jusqu'alors faisait la fortune d'Evariste.
Est-ce de la lassitude ? De la colère ? Du dégoût ? Toujours est-il que cet homme rompu aux artifices de la manipulation de masse décide de partir en croisade contre ceux-là même qui font partie de sa clientèle. Écoeuré par cette génération des baby-boomers à laquelle appartient son père – cette génération dont les membres, après avoir prôné dans les années 60 les idéaux de liberté et de justice sociale se sont retrouvés quelques années plus tard être les artisans d'un modèle de société basé sur le profit et l'exploitation des plus faibles – Evariste décide de mettre le feu aux poudres.
Virtuose du Net, il va s'acharner à démolir tous ceux qui jusqu'alors faisaient partie de sa richissime clientèle. Par l'intermédiaire de blogs tenus par des personnages pour le moins bizarres, il va propager de fausses rumeurs, semer le doute chez les internautes, et offrir en pâture à la vindicte populaire quelques personnages très haut placés dans l'échelle sociale.

Bûcher des vanités et jeu de massacre , « L'idéologie » de Stéphane Osmont est un véritable mascaret dans lequel s'agitent politiques, requins de la haute finance et internautes anonymes. Troisième volet d'une trilogie dont les titres reprennent ceux des ouvrages de Karl Marx (Le Capital – Le Manifeste – L'idéologie), ce dernier roman consacré aux médias est une véritable bombe. Stéphane Osmont nous entraîne à la suite de son personnage dans un monde de luxe et de stupre où la dépravation et l'ambition vont de pair.
Acerbe, mordant, corrosif, « L'idéologie » est une satire à peine exagérée des milieux du pouvoir et des sphères d'influence, de ceux qui régissent en sous-main notre vie quotidienne. Jubilatoire, ironique, inquiétant aussi, le récit de Stéphane Osmont nous incite à découvrir la face cachée de notre société. Avec ce roman, il nous dresse le portrait d'une élite corrompue, uniquement préoccupée de ces songes creux que sont l'appétit du sexe, du lucre et du pouvoir. Le personnage central lui-même – malgré sa volonté de court-circuiter le système – n 'échappe pas à cette cinglante critique des milieux du pouvoir.

Malgré son aspect de farce moderne, son côté rabelaisien, son énergie, son rythme éffrené, ses personnages truculents et pathétiques, « L'idéologie » est un roman qui ne risque pas de me réconcilier avec la société contemporaine, ses pièges, ses manipulations et ses chausse-trappes. Mais c'est là que réside tout l'intérêt de ce roman, dans la dénonciation de ces pratiques artificielles qui ne visent qu'à décerveler et à embobiner le citoyen de base en lui servant sur un plateau tout ce qui pourra être à même de l'influencer dans ses choix politiques et ses goûts en matière de consommation.

Bref, que dire de plus, si ce n'est que j'ai adoré ce roman, que sa lecture en fut jubilatoire et que j'en redemande... Cela tombe bien, je n'ai pas lu les deux premiers opus de la série : « Le Capital » (sur le milieu des affaires) et « Le Manifeste »(sur les milieux de la politique). D'autant plus que ces romans étant indépendants les uns des autres, il n'est pas nécessaire de les lire dans un ordre précis.
Vais-je résister à la tentation ? Rien n'est moins sûr. Mais peut-être suis-je manipulé ?...




mardi 25 mars 2008

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 4










"Les Discrets" Arnaud Le Gouëfflec. Roman. Gingko éditeur, 2007.







Ils sont partout. Pourtant, nul ne les remarque. Et pour cause. Eux, ce sont les Discrets. Nul ne les remarque quand ils marchent dans la rue, empruntent les transports en commun ou entrent dans un magasin. Leur apparence, leur attitude, sont tellement ternes et banales que le regard glisse sur eux ou les traverse comme s'ils étaient faits de matière transparente. Ils sont passés maîtres dans l'art du camouflage en milieu urbain. À tel point qu'ils se sont organisés en une société secrète. Pas de grands projets révolutionnaires pour cette confrérie des invisibles, si ce n'est celui de vivre à l'écart des regards dans le plus strict anonymat.


Pourtant, une menace pèse sur les Discrets : un mystérieux personnage s'acharne à les débusquer un par un dans le but de les éliminer. Pour toute signature, le tueur laisse sur ses victimes un message écrit en lettres de sang : « Vu! ».


Afin de faire cesser l'hécatombe, un membre des Discrets – Monsieur Pinson – fait appel au détective privé Johnny Spinoza. Mais comment prendre en filature et neutraliser un assassin qui semble au fait de toutes les techniques de dissimulation adoptées par les Discrets ? Si celui-ci est en effet capable de contrecarrer toutes les méthodes mises en oeuvre par les Discrets, comment un simple détective privé pourrait-il surprendre le meurtrier et mettre fin à ses agissements ? Et si l'assassin était lui-même un membre des Discrets ? La tâche s'avère plutôt ardue pour Johnny Spinoza. Une seule solution s'impose alors : adopter les techniques de camouflage des Discrets, apprendre à se fondre dans les foules, à devenir transparent, à n'être plus qu'une vague silhouette que personne ne remarque.


Sous la houlette de Pinson, Spinoza va faire le dur apprentissage des méthodes d'effacement des Discrets. Cette initiation, digne d'un enseignement bouddhiste, va faire de lui le disciple de Pinson qui, d'exercice en exercice, va tenter d'apprendre à son disciple toutes les techniques nécessaires – aussi bien physiques que mentales – permettant de devenir invisible aux yeux du monde.


« - Nos bibliothèques ne sont pas des cabinets de distraction, je vous l'accorde, dit Pinson en se levant de sa chaise et en faisant quelques pas vers les rayonnages, mais tout ici à son utilité : la mythologie, je vous l'ai déjà fait remarquer à travres le mythe de ce bon roi Midas, recèle des trésors qui sont, à nous discrets, l'équivalent des livres canons de l'église. L'histoire naturelle, comme les traités de botanique, sont des ouvrages d'exercices : ils forcent l'attention à se porter sur des rouages d'une délicatesse extraordinaire, sur d'infimes mécanismes, confinant à l'invisibilité. Je veux parler des lois régissant le déplacement des insectes, ou celles qui président à la photosynthèse des plantes. Pour les machines marines, c'est un sujet parmi d'autres. Nous étudions la mécanique, et si possible celle des machines dont nous nous sommes toujours désintéressés, celles qui n'évoquent rien pour nous, celles dont nous ne soupçonnons même pas qu'elles puissent receler des trésors de complexité, ou que leurs mouvements puissent être régis par des lois. Nous lisons, et nous tentons de faire des recoupements entre ces lois et nos propres méthodes, voyez-vous.
- Et Napoléon ?
- C'est une figure qui nous effraie et nous fascine, comme tous les égotistes qui ont ensanglanté les siècles passés. Quoi de plus irrémédiablement opposé à notre philosophie que cet homme, qui a pétaradé dans toute l'Europe, mis le feu aux poudres, à grand renfort de publicité guerrière ? Un homme qui a tout fait pour se rendre plus célèbre que le Christ lui-même ? Cette quête de la publicité nous apparaît comme une histoire édifiante, comme une leçon, mais inversée.
- Je vois.
- La philosophie du discret va à l'encontre des systèmes établis. Nous ne croyons pas à l'Histoire, ni à ses grands hommes : ils sont pour nous des artistes de foire, et le cortège sanglant des turpitudes humaines ne représente à nos yeux qu'un grotesque spectacle de baraque à monstres.
- C'est un point de vue.
- Exactement, monsieur Spinoza, un point de vue : celui du discret, et qui s'affine d'autant plus qu'il progresse dans la Voie. Un point de vue fort semblable, en définitive, à celui que nous avons de ce salon, par ces fenêtres étroites : le monde cesse de nous enchaîner à ses dogmes dès lors qu'on fait un pas souverain en arrière, et qu'on se dérobe à l'écrasante obligation de marcher avec lui.
Il redevenait lyrique :
- Les hommes sont les forçats consentants d'une galère invisible à leurs propres yeux. Le discret, lui, s'étant rendu compte que ses chaînes n'étaient pas soudées, a décidé de s'en délester.
Une désertion pour la bonne cause, en somme.
Ce qui choque, dans la désertion, ce n'est pas l'acte en lui-même, ce sont les motivations qui y ont présidé. Soit l'on déserte parce que l'on a peur, soit on le fait parce qu'on en a le devoir.
Et il ajouta, tout en levant son verre :
- Les devoirs qu'on a vis-a-vis de soi-même sont les plus essentiels et les plus nécessaires. Il importe de se libérer, car personne d'autre, décidément, ne le fera pour vous.
Je lui rendis son toast, et déclarai :
- Dites-moi, Pinson, ce n'est pas parce que je vous ai demandé de m'initier à vos subtilités qu'il faut vous croire obligé de me convaincre.
Il reposa son verre :
- Pardonnez-moi si je vous ai donné cette impression, je pêche par enthousiasme. Ce n'est pas si facile, voyez-vous, de se retrouver dans la peau d'un guide? Soyez assuré que je n'ai pas la moindre vocation au prosélytisme. Les discrets, je vous l'ai déjà dit, ne recrutent pas. »


Mais l'apprentissage de Spinoza ne se limite pas à des discussions philosophiques avec son mentor. C'est à une véritable ascèce que doit se livrer le détective privé afin de maîtriser les techniques qui feront de lui un véritable Discret :


« Pour Pinson, je l'avais compris, l'invisibilité n'était pas un pouvoir magique, mais une attitude mentale : toutes les ondes d'attention, tous les regards, les pressentiments, les consciences, glissent sur le cuir du discret comme sur un imperméable.
- Il faut manger plus léger, votre digestion n'en sera que facilitée. Les gens qui mangent lourd ne sont pas transparents, ils dégagent de la présence.
Nous errâmes sur les marchés comme des fantômes, remplissant notre besace de légumes, de fruits (« Rien de trop acide. Même transparent, l'estomac peut rougeoyer comme une lanterne chinoise. ») et de poissons.
- Le matin, un oeuf pour la force. Le poisson est une médecine : il monte directement au cerveau. Croquez de l'iode, mâchez du mollusque ! Cuisinez à la vapeur, la vapeur est légère. Concoctez-vous des salades de pulpe de fruit : elles sont le ferment de l'évaporation de votre âme. Pas d'alcool, encore moins de tabac, un simple verre de vin le soir.
Je m'alimentai avec la rigueur d'un moine et, petit à petit, me trouvai plus léger, plus fluide. Mon estomac me devint presque familier : en lieu et place de la fosse obscure dans laquelle je jetais, en Ponce Pilate, les aliments sans me soucier de leur digestion, il se transformait en bulle amie, plus claire et mieux connue. Mes organes, que Pinson m'apprit à localiser avec précision, furent comme les poulies de ma transformation.
- Le discret se connaît lui-même. Son corps est son véhicule. Lorsqu'il s'en abstrait, il le laisse sans inquiétude. C'est pour lui une carte du Tendre où chaque bosquet, chaque élément du puzzle est défini comme les parterres d'un jardin japonais. Tout s'imbrique là-dedans. Il ne peut rester aucune zone d'ombre, aucun abîme insoupçonné : les organes sont comme les astres, cartographiés, sans quoi le corps prend des profondeurs de cosmos et découvre en lui-même un vertige.
Je me sentais grandi : mon esprit était plus grand que ce corps tout fluet, qu'il contrôlait et maniait avec la précision d'un marionnettiste.
- Soyez un objet pour vous-même, ajoutait Pinson, un objet facile à manier, facile à oublier dans un coin. Riez de manipuler votre propre pantin, et tentez des choses dans ce sens.
J'appris à me laisser filer, à me rattraper par la pensée. Je m'amusai à m'égarer dans la foule, pour mieux me retrouver.
- Soyez concentré sur un point dans votre crâne, et reposez-vous en lui : cette tension est l'une des plus importantes étapes de la discrétion volontaire.
Et je déambulai dans les rues bondées, de plus en plus solitaire, de plus en plus absent. Je comprenais enfin ce que Pinson appelait la transparence. C'était une absence maîtrisée, un trou dans l'espace-temps, dans lequel se lover. »


Malgré tout, Spinoza aura fort à faire pour débusquer l'assassin des Discrets et son enquête sera jalonnée de surprises et de rencontres insolites.


Baroque et surréaliste, poétique et décalé, le roman d'Arnaud Le Gouëfflec nous entraîne dans une parodie de polar teintée d'humour et de philosophie. Reprenant les codes habituels du roman-policier mettant en scène un détective privé, il détourne habilement le genre pour signer un roman profondément original et un tantinet déjanté, qui ravira et mettra du baume au coeur à toutes celles et tous ceux qui ont parfois l'impression de se trouver toujours au second plan et de passer inaperçus aux yeux de leurs contemporains.
Avec ce roman, Arnaud Le Gouëfflec nous démontre la véracité du célèbre proverbe : « Pour vivre heureux, vivons cachés! »









L'avis de Joëlle et de Chatperlipopette.

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 3







"La chaussure sur le toit" Vincent Delecroix. Roman. Gallimard, 2007.







Une chaussure abandonnée sur un toit de Paris. Quoi de plus banal ? Mais quoi de plus insolite aussi ? Cette chaussure oubliée est le point de départ et le fil rouge du roman de Vincent Delecroix.
En une dizaine de récits, l'auteur nous livre différents points de vue sur l'explication de la présence de cette chaussure égarée. A qui appartient-elle ? Comment est-elle arrivée sur le toit de cet immeuble situé près de la Gare du Nord ?


Est-ce un ange triste qui l'a égarée ? Un cambrioleur épris de vengeance ? Un jeune africain sans-papiers ? Un présentateur vedette d'une émission littéraire reconverti à l'érémitisme et à la philosophie ? Un trio de braqueurs aux pseudonymes empruntés à l'Iliade d'Homère ? Un chien irrité par l'attitude de son maître ?
Cette chaussure sera aussi à l'origine des inquiétudes d'une vieille dame solitaire, de la révélation picturale d'un artiste contemporain et des interrogations d'une petite fille rêveuse.


Ce roman kaléidoscope fait intervenir, au fur et à mesure des différents récits qui le composent,
des personnages secondaires qui se trouvent tout à coup au premier plan et deviennent de ce fait les narrateurs principaux de l'un ou l'autre des textes dont est constitué l'ensemble. Avec eux l'on s'interroge ou l'on découvre les causes mystérieuses de la présence de cette chaussure oubliée. L'imagination s'emballe et les différentes explications de cette présence s'ajoutent les unes après les autres , se superposent, se contredisent et offrent au lecteur un large éventail d'interprétations, parfois dramatiques mais aussi comiques ou insolites. Un seul point commun à tous ces récits : la solitude qui enveloppe chacun des personnages évoqués dans ce roman.

Qu'elle soit volontaire ou subie, cette solitude omniprésente – symbolisée par cette chaussure abandonnée à qui manque sa parèdre – se révèle comme l'un des maux les plus répandus dans notre société contemporaine, une sensation d'isolement des personnes qui n'est même pas comblée par la proximité des uns et des autres au sein de cet immeuble parisien où chacun semble s'être enfermé dans sa bulle.


Roman polyphonique dans lequel l'unité de lieu tient une très grande place, « La chaussure sur le toit » m'a bien évidemment fait penser à l'extraordinaire « La vie, mode d'emploi » sans toutefois égaler la virtuosité et la complexité du récit de Georges Pérec.

En lisant cet ouvrage, j'ai aussi pensé à « L'élégance du hérisson » de Muriel Barbery mais les différents récits présentés dans le roman de Vincent Delecroix m'ont donné une impression d'inégalité et je n'ai pu les apprécier tous de la même manière. Certains m'ont littéralement « emballés » tandis que d'autres m'ont quelque peu ennuyés. « Le syndrome conte de fées » qui revisite le conte de Cendrillon m'a passionné alors que « L'élément esthétique » m'a arraché quelques baîllements. J'ai beaucoup aimé le début de « Explication de ma disparition » qui est une satire féroce du milieu télévisuel en général et des émissions littéaires en particulier, mais avoue avoir été un peu déçu par la deuxième partie de ce récit, truffée de références philosophiques dont mon pauvre intellect n'a pas su déceler les subtilités.


Toutefois, l'impression générale que je retire de ce roman de Vincent Delecroix est celle d'un roman inventif, astucieux, déroutant et comique. J'ai adoré certaines caricatures des milieux intellectuels parisiens, la construction du et des récits autour de cette chaussure qui s'invite dans chacun d'entre eux, ainsi que la poésie et la petite musique douce-amère qui émane de l'ensemble.


Même s'il me laisse un peu partagé, ce roman m'a procuré un moment de lecture agréable. La construction et l'idée de départ de ce roman m'ont beaucoup plu et, ayant refermé le livre, je me suis – comme beaucoup – posé la question : « Finalement, d'où vient-elle, cette chaussure ? » et j'ai rapidement compris qu'il n'appartenait qu'au lecteur de décider de l'explication de la présence de cet objet.










L'avis de "Lis tes ratures", de So, de Joëlle, de Michel, de Lou, et de Chatperlipopette.

vendredi 21 mars 2008

See you later !

Le Bibliomane s'absente pour quelques jours, le temps d'une petite escapade en Auvergne où il va participer à la rencontre des membres du forum littéraire "Parfum de livres...Parfums d'ailleurs".


À mardi prochain pour de nouvelles chroniques livresques. Passez un bon week-end. Good bye ! ...


dimanche 16 mars 2008

Le Feu




"Abreuvons nos sillons" Skander Kali. Roman. Editions du Rouergue, 2008.





Tout commence par une émeute dans la prison Notre-Dame. C'est l'été 2003 et la canicule fait monter la température à 42 degrés dans les cellules. Les taulards se mutinent et très rapidement la situation dégénère. Des matons sont tués et le directeur est pris en otage. Les détenus les plus enragés veulent le mettre à mort. Abdul, Karim et Cissé s'interposent. Au nom des Droits de l'Homme ils organisent un procès.
Peine perdue, leur tentative d'appliquer la justice se heurte à la colère et à la sauvagerie des autres détenus. Le directeur est poignardé puis décapité, Karim et Abdul sont pendus, Cissé est lynché et laissé pour mort dans la cour de la maison d'arrêt incendiée.

Cissé sait qu'il va mourir là, dans le sang et les flammes. Alors ses souvenirs remontent à la surface en un lent flashback expliquant les multiples raisons qui l'ont amené à mourir dans cette cour de prison.

C'est d'abord son adolescence et ses années de collège à Vitry, dans cette banlieue si proche et si lointainede la capitale. Comme tant d'autres, Cissé se heurte à l'autorité des profs et des pions. Alors pendant les cours Cissé s'évade en imagination vers la ligne de RER et l'avenue de Stalingrad où le bus 183 mène les voyageurs vers Paris, ce continent inconnu qui n'est pourtant distant que de trois kilomètres.
Paris c'est aussi le lieu où vit Mlle Baudricourt, la monitrice de colonie de vacances dont Cissé est tombé amoureux lors des vacances d'été. Mais les choses ne sont pas si simples et la réalité a bien peu de points communs avec l'imagination d'un jeune homme de 17 ans. Cissé va être obligé d'admettre que les sentiments qu'il éprouve qu'il éprouve envers Mlle Baudricourt ne seront jamais payés de retour et que l'amour de celle-ci lui restera définitivement interdit. Cette cruelle déception sera renforcée par l'interprétation d'une phrase du Cid de Corneille où il est question de « sang pur ».

« La misère, c'est dans le sang. Celui de nos parents. C'est génétique. C'est racial. Il n'y a qu'à regarder nos visages pour comprendre qu'on est condamnés à foirer. Pour nous, pas de femme souriante, pas d'écran à plasma ou de déjeuner du dimanche en famille. Non, pas de trucs comme ça. Non, pour nous, que des embrouilles minables à deux euros. Une fois que vous avez compris ça, vous avez compris le monde qui nous entoure. Les choses ne sont plus incompréhensibles, elles sont logiques.
Il y a eux et il y a nous.
La seule difficulté, c'est de savoir de quel côté vous êtes, vous. Une fois que vous savez ça, vous comprenez vite que vous êtes séparé des autres par des barbelés. Des barbelés invisibles mais des barbelés définitifs. Et quand vous méditez là-dessus vous comprenez vite que les crevards sont du bon côté des barbelés, ne serait-ce que parce qu' il vaut mieux subir une injustice qu'en commettre une. Mais bon, si vous êtes noir ou arabe, c'est facile, vous êtes du côté des crevards, du côté du sang impur.
Et dans ce cas, vaut mieux mourir. »

Mourir, c'est ce que va tenter de faire Cissé en s'immolant par le feu. Il échouera dans sa tentative de mettre fin à ses jours mais restera défiguré à vie, contraint de dissimuler son visage derrière des lunettes noires et une capuche. Cissé se retrouvera dans une clinique psychiatrique, contraint de se plier au jeu des médecins qui tenteront maladroitement de lui faire expliquer son geste désespéré.

« Fallait bien que je leur dise quelque chose. Sinon, ils me renverraient à Vitry.
C'était du chantage.
Je voulais pas y retourner, à Vitry. Plus jamais.
Alors, j'ai bien réfléchi.
Je me suis frotté le front plusieurs fois pour qu'ils comprennet bien que je faisais un effort sur moi.
J'ai sorti le petit cahier bleu Clairefontaine qu'ils m'avaient refilé.
Je leur ai dit que j'étais vachement impressionné. Ils m'ont cru, les cons. Ils ont souri. Ils avaient l'air sincères.
J'ai ouvert mon cahier.
Y avait rien écrit dedans.
Alors, j'ai improvisé.
J'ai dit ce qu'ils attendaient d'un mec comme moi. La misère.
Je pouvais pas leur parler de la beauté du monde, ils s'en foutaient. De toute façon, pour eux, j'étais incapable de la voir. Je ne pouvais pas parler de l'Univers, de la Mer, de l'Aube, des belles journées d'hiver, du Kendo ou des après-midi à lire Kenshin, le Vagabond.
Pourquoi ?
Parce que ces gens-là sont encore des racistes jusqu'à l'os. Dans leur tête, ils ont juste remplacé le mot raciste par le mot humanitaire. Les gens, ils aiment bien les animaux. Ils les recueillent et les nourrissent et les enterrent. Mais bon, ça reste des animaux. Avec les Noirs et les Arabes, c'est pareil. Les Blancs, ils en prennent soin, ils les nourrissent, les soignent et les élèvent. Mais bon, ça reste des races inférieures, des gènes merdiques.
L'humanitaire, oui. L'égalité, non.
Mais à la clinique, c'est ce qu'ils voulaient faire, de l'humanitaire.
Alors je leur ai sorti le baratin habituel. Les dealers, les hold-up, les braquages et la méchante police. Le genre de clichés qu'ils aiment bien. Les clichés qui les rassurent et qui font que rien n'évoluera jamais, ni pour eux ni pour nous. La banlieue est pleine de gens paisibles qui font des boulots de nègres pour une misère. Mais l'admettre, ça voudrait dire que le monde change malgré tout. Et ça, ça arrange pas les affaires des Blancs à lunettes qui parlent à la téloche et pensent qu'on est des sous-hommes. »

Malgré le fait qu'il se soit prêté au jeu des psychiatres, Cissé retournera à Vitry. Embauché comme vigile par un patron de supermarché aux prétentions philanthropiques, Cissé n'oubliera pas pour autant Mlle Baudricourt.

« Mais bon, j'avais compris.
J'ai pensé à Mlle Baudricourt.
J'avais compris que les choses avaient mal tourné avec elle, qu'elle voulait pas de moi. Et que tout ça, ça n'avait été qu'un quiproquo à deux balles. [...]
Y a des choses qui peuvent pas arriver à un nègre.
Une de ces choses, c'est d'être aimé. »
Le jeune homme se résoudra à rendre visite une dernière fois à celle dont il s'est malheureusement épris, ignorant que le destin des « crevards » sera aussi au rendez-vous.

Premier roman de Skander Kali, « Abreuvons nos sillons » n'est pas un enième roman sur la banlieue avec tous les clichés qui l'accompagnent généralement.
Bien au contraire, ce roman bat en brèche les idées toutes faites et réductrices attachées au sujet des jeunes des cités. Il est d'ailleurs bien peu question dans ce livre du climat d'insécurité qu'aiment à nous ressasser des médias soucieux d'entretenir et d'instrumentaliser les peurs et les fantasmes du plus grand nombre.
Le roman de Skander Kali nous immerge dans l'univers mental d'un de ces jeunes, un univers chaotique, lucide et désenchanté.
Revisitant le mythe d'Aphrodite et d'Héphaïstos, Skander Kali nous offre, avec le personnage de Cissé, le portrait d'un enfant du siècle doté de toute la dimension tragique d'un être soumis aux lois incontournables du destin.
Emaillé de symboles mythologiques et historiques en rapport avec le feu mais aussi avec le sang, ces deux éléments propres à toute l'humanité, le récit de Skander Kali, bien au delà du monde des banlieues et des inégalités sociales, offre un regard sur le monde ou l'anecdote cède le pas à l'universalité de la condition humaine.


Bouleversant, tragique, drôle aussi, « Abreuvons nos sillons » est un roman noir traversé d'éclairs de violence et d'amour. Un météore.





Le blog de Skander Kali est ici et pour plus d'informations sur le roman, c'est .

samedi 15 mars 2008

H1N1





"Putains de pauvres !" Maurice Gouiran. Roman. Editions Jigal, 2007









Les pauvres. Ils sont partout. Ils sont de plus en plus nombreux. Leur présence fait tache dans le décor des grandes villes où ils encombrent les trottoirs, font la manche, importunent les passants et s'endorment dans de vieux cartons.
La cité phocéenne n'échappe pas à la règle et les SDF ne se comptent plus, tant la misère et l'indifférence sociale ont fait de ravages. Ces naufragés de la vie sont si nombreux qu'ils n'inspirent plus ni le respect ni la compassion mais plutôt un sentiment de gêne quand ce n'est pas tout simplement une réaction de rejet.

Clovis Narigou – ex-journaliste reconverti dans l'élevage de chèvres et personnage principal des romans de Maurice Gouiran – va se retrouver brutalement confronté à la dure réalité sociale et à la détresse des plus pauvres quand une ancienne connaissance reprend contact avec lui. Ce fantôme du passé, c'est Laura, un ancien amour de jeunesse, une jolie fille qui n'a pas eu de chance et qui a sombré de manière irréversible dans l'abîme de la misère.
Pourquoi – après toutes ces années d'errances, d'alcoolisme et de nuits passées dans la rue – refait-elle surface et demande-t-elle l'aide de Clovis ?
Parce que dans les bas-quartiers de Marseille, les pauvres tombent comme des mouches. Une mystérieuse épidémie semble se répandre, une sorte de « peste des pauvres » qui ne sélectionne ses victimes que dans les couches les plus misérables de la société. Quand les SDF ne meurent pas tout simplement de cette mystérieuse maladie, on les retrouve assassinés de manière effroyable, torturés, brûlés ou écorchés vifs.
Quelle est la cause de ces morts brutales ? Qui se cache derrière ces meurtres ?

Clovis va tenter de le découvrir et va devoir pour cela abandonner quelques temps sa bergerie pour aller enquêter dans les quartiers pauvres de Marseille. Il va devoir faire vite car très rapidement les morts se comptent par centaines et la ville est en émoi. Les élus locaux temporisent mais sont bien obligés de se rendre à l'évidence face au fléau qui menace. Afin de complaire aux plus bas instinct de leur électorat, des mesures drastiques sont adoptées. La presse se déchaîne. L'extrême-droite n'est pas en reste, prônant ouvertement l'expulsion, voire l'élimination pure et simple des SDF. Les pauvres passent du statut de victimes à celui de boucs émissaires.

L'ex-journaliste, qui n'a pas perdu le contact avec ses informateurs au sein de la presse locale et de la police, va avoir fort à faire pour tenter de découvrir la sombre réalité dissimulée derrière ces morts mystérieuses. Avec l'aide de deux gamins des rues, Youssouf et Ali, ainsi que d'une infirmière aux talents multiples et variés, Clovis va mener l'enquête, entre Marseille et Lisbonne, à la recherche d'une piste expliquant cette étrange épidémie. Il ira de surprises en surprises, et la découverte de la dépouille d'un poilu de la Grande Guerre ne sera pas l'une des moindres.


Avec « Putains de pauvres! », Maurice Gouiran signe son douzième roman policier. Efficace, dérangeant, réaliste, le roman de Gouiran est un polar social qui dénonce la réalité de la vie marseillaise. On est bien loin ici des mièvreries de « Plus belle la vie! » et de l'atmosphère pittoresque des romans de Marcel Pagnol, même si les parties de cartes ont toujours lieu dans les bars de la ville.

Emaillé d'expressions propres au parler marseillais, le récit de Maurice Gouiran nous restitue toute la verve et la gouaille des quartiers populaires. Mais au delà de cette particularité locale, l'auteur dénonce ici un malaise social inhérent à la société française : la montée de la paupérisation, la stigmatisation de ceux qui en sont les premiers atteints, ainsi que l'exploitation politique et financière de ce malaise.
Entre magouilles politiciennes, spéculations immobilières, haine raciale, populisme tapageur et manipulations médiatiques, le roman de Maurice Gouiran fustige une société impitoyable où les profits de quelques-uns justifient l'élimination – réelle ou symbolique – du plus grand nombre.

Je ne connaissais pas les polars de Maurice Gouiran et j'ai pu découvrir cet auteur grâce à l'opération Masse Critique initiée par Babelio. Incisif, engagé, profondément ancré dans la réalité sociale de notre époque, le polar façon Gouiran m'a littéralement scotché. Une chose est sûre, je lirais d'autres romans de cet auteur.







jeudi 13 mars 2008

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme : C'est reparti !

C'est avec grand plaisir que je participe cette année pour la deuxième fois au Prix des Lecteurs du Télégramme. Dix romans et récits sont en compétition. Je n'en lirais que neuf car "Intrigue à l'anglaise" d'Adrien Goetz a déjà été chroniqué sur ce blog, ici. Il faudra ensuite voter par courrier et au mois de Juin le prix sera attribué au roman qui aura obtenu le plus grand nombre de voix. Par tirage au sort, trente membres du jury se verront décerner un Chèque-Lire d'une valeur de 15€ chaque mois pendant un an. Tentant non ? Voici la sélection de cette année :


Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 2







"Palestine" Hubert Haddad. Roman. Editions Zulma, 2007.







Cham est soldat dans l'armée de Tsahal en Cisjordanie.

À quelques heures de sa permission il est désigné pour effectuer une dernière patrouille le long de la clôture de protection.

Soudain, alors que tout paraît tranquille, lui et l'officier qui l'accompagne sont pris en embuscade par un commando palestinien.


L'adjudant Tzvi est tué et Cham, blessé à l'épaule, est enlevé.
Quand il reprend conscience, il est devenu un prisonnier des fedayins. Le traumatisme de l'assaut ainsi que sa blessure l'ont rendu amnésique. Qui est-il ? Il ne porte sur lui aucun papier d'identité.


Fiévreux, à demi-inconscient, il est soigné au domicile d'une veuve aveugle, Asmahane, et de sa fille Falastìn. Le père, responsable politique opposé à la lutte armée, a été abattu dans sa voiture lors d'un accrochage avec l'armée israëlienne. Nessim, le frère de Falastìn, a disparu sans que l'on sache s'il s'est engagé dans les rangs de tel ou tel groupuscule, ni s'il est mort ou encore en vie.
Afin de protéger Cham, soldat sans mémoire, la jeune fille et sa mère vont lui faire endosser l'identité de ce dernier. Il va donc devenir Nessim, un jeune palestinien confronté à l'absurdité et à l'horreur d'un conflit qui ne cesse de s'éterniser.


Cham / Nessim va donc se retrouver de l'autre côté du miroir.

Devenu palestinien, il va vivre la dure réalité de cette population prise en otage entre les fanatiques des deux camps. Il va subir les humiliations aux check-points où les files d'attente durent des heures, il va devoir suivre les itinéraires labyrinthiques que doivent emprunter les hommes et les femmes de ce pays afin de se rendre à leur travail, visiter leurs familles ou simplement trouver de quoi se nourrir. Dans cette Cisjordanie occupée, morcelée, où s'établissent les colons sionistes, nul n'est à l'abri d'un jet de pierre, de la balle d'un sniper ou d'une intervention musclée des troupes de Tsahal. Nessim va apprendre la peur puis la colère et enfin la révolte.


Avec « Palestine », Hubert Haddad nous offre un récit surprenant et tragique sur les conditions de vie des habitants des territoires occupés. Cette tragédie moderne aux accents universels ne prend parti pour aucun des deux camps (si toutefois l'on peut réduire à deux camps les innombrables factions qui se divisent et se déchirent), elle vise surtout à nous démontrer l'inanité de ce conflit où depuis tant d'années la violence ne cesse de répondre à la violence. Elle nous décrit les souffrances et les espérances de toute une population dont le quotidien est devenu un cauchemar et dont les aspirations à une vie redevenue normale relèvent du domaine de l'utopie.


Ce livre est aussi l'occasion de nous faire découvrir deux très beaux portraits de femmes : celui de Falastìn, la jeune et fragile étudiante en droit devenue anorexique après avoir vu son père abattu sous ses yeux, celui d'Asmahane, sa mère, aveugle et rongée par le chagrin d'avoir perdu un fils et un mari, celui de Layla, la tante de Falastìn, professeur d'histoire à l'école polytechnique, femme d'un universitaire détenu pour avoir participé au démembrement de plusieurs barrages édifiés par l'occupant.

C'est aussi le portrait touchant de Manastir, le vieux photographe libre penseur, dont l'arrière-boutique sert de refuge aux uns et aux autres...
Ainsi, prennent vie sous nos yeux ces visages anonymes entrevus dans les reportages télévisés, ceux des acteurs, des victimes et des témoins d'un drame sans cesse renouvelé. Des toponymes frappent notre mémoire : Hébron, Tulkarem, Ramallah, Qalqilyah... Ces lieux et ces visages si lointains deviennent tout d'un coup si proches que le lecteur ne peut s'empêcher de s'identifier avec les personnages décrits et de partager leurs craintes et leurs aspirations.


Baroque, poétique et sensuelle, l'écriture de Hubert Haddad nous transporte vers ce Moyen-Orient troublé et divisé. Au fil des pages la lecture alterne entre la quiétude du paysage, de ces crépuscules rougeoyants et de ces aubes paisibles où résonne l'appel à la prière, et les scènes heurtées, violentes et meurtrières du conflit armé.


Avec ce roman, Hubert Haddad nous immerge au sein d'un drame contemporain qui ne cesse de s'étaler sous nos yeux mais dont la relative distance ne trouve que peu d'échos dans nos sociétés européennes. « Palestine » nous force à ouvrir les yeux sur ce conflit, sans prendre parti pour l'un ou l'autre des belligérants, mais nous démontre, à travers les portraits de ces hommes et de ces femmes meurtris, le désir de paix qui anime une grande majorité de la population, désir malheureusement entravé par les extrêmismes de tous bords.






Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 1







"Tribulations d'un précaire" Iain Levison. Récit.



Editions Liana Lévi, 2007.



Traduit de l'américain par Fanchita Gonzalez Batlle.







« Au cours des dix dernières années, j'ai eu quarante-deux emplois dans six Etats différents. J'en ai laissé tomber trente, on m'a viré de neuf, quant aux trois autres, ç'a été un peu confus. C'est parfois difficile de dire exactement ce qui s'est passé, vous savez seulement qu'il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain.
Sans m'en rendre compte, je suis devenu un travailleur itinérant, une version moderne du Tom Joad des
Raisins de la colère. À deux différences près. Si vous demandiez à Tom Joad de quoi il vivait, il vous répondait : « Je suis ouvrier agricole. » Moi, je n'en sais rien. L'autre différence, c'est que Tom Joad n'avait pas fichu quarante mile dollars en l'air pour obtenir une licence de lettres. »


C'est par cet amer constat que Iain Levison – dans les toutes premières pages – débute son récit consacré à ses expériences de demandeur d'emploi dans l'Amérique contemporaine. Voici donc les tribulations d'un licencié en lettres réduit à exercer les métiers les plus minables, les plus précaires, les plus mal payés, et tout ceci dans un seul but : survivre.


Levison nous raconte donc ses expériences d'employé de supermarché et de restaurant, de livreur de fuel, de déménageur, d'ouvrier dans une pêcherie d'Alaska, d'installateur de câbles d'ordinateurs, etc... en une succession étourdissante et souvent hilarante de toutes ces mésaventures que ne peuvent connaître et apprécier que ceux qui se sont un jour trouvés dans cette situation terriblement inconfortable qui vous pousse à accepter n'importe quel travail pour remplir votre assiette, à subir toutes les avanies et toutes les humiliations afin de rentrer chez soi (si l'on a un chez soi) en possession d'une maigre obole qui permettra de garder la tête hors de l'eau pendant quelques jours.


Cette vie bancale, c'est celle de millions d'hommes et de femmes de par le monde. Car, ne nous y trompons pas, cette situation, même si elle relève ici de la société américaine, est déjà cruellement implantée et vise à s'étendre de plus en plus dans notre pays.


La loi du marché actuel cherche de plus en plus à user et abuser d'une main d'oeuvre corvéable à merci, sous qualifiée, et rapidement interchangeable. Le cauchemar social décrit et vécu par Iain Levison n'est pas une spécificité d 'Outre-Atlantique mais une réalité ressentie par l'ensemble des travailleurs de tous les pays. On peut à ce titre parler d'une mondialisation de la précarité. Les responsables ? Il ne faut pas chercher loin pour les trouver.


« Quelqu'un a raflé tout l'argent, c'est sûr. Il y en avait tellement qu'il doit bien se trouver quelque part. La propagation de la prospérité du haut vers le bas s'est sans doute inversée. Les américains ont perdu leur richesse goutte à goutte pendant qu'une succession de décisions inconsidérées permettait aux millionnaires de se tailler une part de plus en plus grosse. Les riches philanthropes, les Carnegie d'autrefois qui déploraient les difficultés des pauvres, ont été remplacés par une nouvelle race de millionnaire, le millionnaire-né qui ignore que la pauvreté existe. C'est chaque millionnaire pour soi.
Une usine délocalisée au Mexique aujourd'hui, une augmentation des salaires du Congrès demain, un fonctionnaire de l'Administration qui ferme les yeux sur la hausse des tarifs des compagnies de téléphone après-demain, et bientôt tout le monde doit se contenter de survivre. Les promoteurs immobiliers voient une occasion de gonfler les prix et personne ne le leur interdit. Où se cache le type censé dire « Non, ce ne serait pas juste » ? A-t-il seulement existé ? Les auteurs de la Constitution ont-ils négligé d'inclure un paragraphe sur ce qui arriverait quand la richesse commencerait à passer du peuple aux mains de quelques-uns ?
Si vous demandez aux riches pourquoi vous ne pouvez pas gagner votre vie, ils vous diront que c'est votre faute. Ceux qui réussissent à grimper dans les canots de sauvetage pensent toujours que ceux qui sont encore dans l'eau le méritent. Vous n'avez pas été assez rapide, pas assez malin, pas assez vif. Vous n'avez pas anticipé le naufrage économique. Vous auriez dû investir dans les ordinateurs. Vous auriez dû commencer à étudier l'informatique à huit ans. Vous auriez dû la choisir comme matière facultative au lieu du base-ball, et vous seriez à ma place maintenant. »


Le décor planté ici est donc américain, mais quelle différence avec ce que vivent nos compatriotes ? Ne sommes-nous pas après tout, pour la plus grande majorité d'entre nous, tous dans le même cas ?

Même si la situation décrite ici est particulièrement dure, le système américain faisant peu de cas de la protection sociale et des allocations chômage, ce cauchemar vise à devenir le modèle de nos sociétés européennes dont les dirigeants – qui sont les féaux des grands groupes financiers – s'exercent à mettre en pratique ces méthodes sous les prétextes fallacieux d'une « croissance » dont personne – à part quelques-uns – ne verra jamais les effets supposés bénéficier à l'ensemble de la population.

Vaste miroir aux alouettes que cette croissance qui permet à une minorité de nantis d'asservir l'ensemble de la société en agitant sous ses yeux le spectre de la pauvreté. Mais à force de piétiner les hommes et les femmes, de les user, de les humilier, de leur imposer des cadences inhumaines pour des salaires de misère, ceux-ci viendront – je l'espère – un jour, à prendre leur revanche sur leurs oppresseurs.

Ceux-là ont dans un premier temps conditionné les mentalités à estimer que sans travail l'homme n'est rien, juste un déchet. Mais voilà que maintenant, l'être humain, même s'il travaille, n'est pas mieux considéré. Même s'il est doté d'un emploi, il n'est rien, juste un outil que l'on pourra aisément remplacer en cas de dysfonctionnement.
Bien sûr, certains pourront dire que notre situation reste enviable pour la majorité des habitants du tiers-monde. C'est vrai. Mais sommes nous condamnés à nous appauvrir pour la simple et unique raison qu'il existe de par le monde des êtres humains plus démunis que nous-même ? Cherche t-on à établir un record de la misère sociale ? Quand un petit nombre s'enrichit éhontément de la sueur et de la peur de la majorité, est-ce justifiable, est-ce moral ?


« Il y a de nombreuses façons de voir la chose. Ça ne va pas si mal. Je vis dans le pays le plus riche du monde ; même être fauché ici vaut mieux que d'appartenir à la classe moyenne du Pérou ou de l'Angola. Je pourrais être un paysan sénégalais. C'est ça, c'est cette phrase qu'on devrait vous dire en vous remettant une licence de lettres le jour de la cérémonie où un petit chèque pour avoir mis toute votre énergie dans un boulot sans intérêt qui ne donne aucune satisfaction dans une grande entreprise sans visage. « Voilà pour vous. Félicitations. Vous savez, vous pourriez être un paysan sénégalais. »
Ce n'est pas une question d'argent. Le véritable problème c'est que nous sommes tous considérés comme quantité négligeable. Un humain en vaut un autre. La loyauté et l'effort ne sont pas récompensés. Tout tourne autour des résultats financiers, un terme aussi détestable pour tout travailleur que « licenciement » ou « retraite forcée ». D'accord, nous avons fait des progrès depuis l'édification du barrage Hoover ou depuis que les ouvriers mouraient en construisant les voies ferrées, mais l'attitude des entreprises vis-à-vis de ceux qui accomplissent le travail est restée la même. Et le balancier revient dans l'autre sens. Ceux qui font les promesses sont si loin de tout qu'ils ne voient même plus que leurs promesses ne signifient rien. Des actions de votre entreprise au bout de cinq ans ? Super, merci. Mais nous savons tous les deux que, statistiquement, dans cinq ans je serai parti depuis longtemps. »


Le récit de Iain Levison est en cela une féroce critique du système actuel, un système oppressif, sans pitié, qui pousse chaque jour des millions d'êtres humains sur la pente de la misère au nom du sacro-saint profit des entreprises.


Politiques et financiers ont mis en place une redoutable machine basée sur la terreur, terreur du lendemain, terreur de la pauvreté et de la clochardisation qui poussent les travailleurs à accepter n'importe quelle tâche, même la plus rebutante, pour surnager dans cet océan cruel qu'est devenue la société contemporaine.


L'exploitation est aujourd'hui érigée en système et il est navrant de reconnaître que les acquis sociaux conquis de haute lutte tout au long du XXème siècle sont en train de s'effriter peu à peu dans une indifférence générale (mais soigneusement entretenue par les médias complices et inféodés aux grands groupes financiers) afin de renouer avec l'assujetissement des masses. Main d'oeuvre à bas prix, interchangeable, sous-qualifiée et sous-payée : le filon est inusable.


Les grands pourvoyeurs de ces nouveaux forçats, en France : l'ANPE et les agences d'intérim, sont devenus les nouveaux négriers d'un nouveau commerce triangulaire : chômage - travail précaire - allocations (pour les plus chanceux), un cycle qui peut se reproduire à l'infini et qui permet aux entreprises de museler les employés, de les priver des avantages dûs à l'ancienneté et par conséquent d'arrondir leurs bénéfices qui, comme chacun le sait, ne profitent qu'aux dirigeants de celles-ci.

Tout a été mis en oeuvre dans ce sens : dénigrement et marginalisation des syndicats, stigmatisation des chômeurs que l'on considère (et qui en viennent à se considérer eux-mêmes) comme responsables de leur situation, montée en puissance de l'individualisme qui brise à la racine toutes tentatives de mouvements collectifs à caractère revendicatif...


Je terminerai ce commentaire en disant que j'ai beaucoup aimé ce livre et cela pour plusieurs raisons. J'ai aimé le style incisif et l'humour désabusé que Iain Levinson a apporté à son récit, la verve aussi avec laquelle il décrit ses multiples expériences, la critique acerbe qu'il porte sur ce système d'exploitation de la majorité au profit de quelques-uns.


Mais ce qui m'a beaucoup touché dans ce portrait, c'est que j'y ai reconnu la situation de nombreuses personnes avec qui je travaille chaque jour. Oui, car je fais moi-même partie de cette cohorte de travailleurs précaires que vous croisez chaque jour ou dont (je ne vous le souhaite pas) vous partagez le destin. Nous sommes de plus en plus nombreux chaque jour, que ce soit dans le secteur privé ou dans le public. Nous préparons vos repas, nous vidons vos poubelles, nous livrons votre mobilier, nous remplissons les linéaires de vos hypermarchés...


Nous sommes légion mais personne ne semble nous voir sauf, bien sûr, ceux qui profitent de notre sueur et de nos angoisses.

Alors pensez à nous quelquefois.

Et puis, si un jour vous venez à passer près d'un certain hopital situé en Bretagne, promenez-vous un petit moment à l'extérieur de l'édifice. Si vous rencontrez un énergumène lesté de sacs poubelles en train de vider les cendriers et de ramasser à terre de vieux papiers gras, arrêtez-vous et présentez-vous ; je serai ravi de faire votre connaissance.








mercredi 12 mars 2008

Le pot de départ

Guy,
Je sais que tu ne liras jamais ces mots parce que – tu me l'as dit – les ordinateurs, internet, tout ça, c'est pas ton truc. Toi tu préferes bricoler, t'occuper de ton jardin, entretenir ta voiture...


Quand je suis arrivé dans ce boulot, il y a trois semaines, on m'a dit que j'allais reprendre ton poste parce que tu t'en allais. Alors tu m'as tout montré, les petites astuces qui rendent le travail moins pénible, les coins et les recoins de cet hopital que tu avais fini par connaître par coeur. Tu m'as présenté ceux en qui je pourrais avoir confiance et tu m'as aussi désigné les autres, les faux-culs, les arrivistes, les petits chefaillons qui passent leurs journées à épier ce que nous faisons dans le but de nous coincer.
J'ai cru au début que tu partais en retraite et puis tu m'as dit la vérité. Quand tu es arrivé là, à 55 ans, on t'avait promis que tu ferais cinq années, que tu pourrais ainsi aller tranquillement jusqu'à l'âge de la retraite.
Au lieu de cinq ans, tu en as fait deux et aujourd'hui était ton dernier jour. L'ANPE a décidé comme ça que c'était fini, que tu devais retourner rejoindre la troupe des chômeurs. Il faut bien laisser la place aux autres.

Pourtant, pendant ces deux années tu n'as pas économisé ton énergie, tu rendais service dès que tu le pouvais, sans arrière-pensées. Tu n'as jamais été un lèche-cul. Ceux-là ne rendent service qu'à eux-mêmes. Mais le couperet est tombé et les belles promesses d'il y a deux ans sont parties en fumée.


Pendant ces trois semaines où tu m'as tout appris du travail que j'aurais à faire, nous avons beaucoup ri et discuté. Beaucoup de monde te connaît ici et j'ai pu me rendre compte qu' ils sont nombreux à t'apprécier. Mais cela n'a pas empêché l'échéance d'arriver et aujourd'hui tu as fait ta dernière journée. Les femmes de ménage s'étaient cotisées pour te faire des cadeaux et tu avais apporté une bouteille et un gâteau.
Curieusement, à l'heure où nous avons fêté ton départ, aucun chef n'est venu assister à ce moment qui t'était consacré.

Puis nous avons repris le travail jusqu'à la fin de la journée et là aussi, aucun responsable n'est venu te saluer. Pas le moindre petit mot, pas le moindre geste de sympathie. Mais j'ai vu que cela ne t'étonnait pas. Après tout, nous ne sommes que des Kleenex.


Au moment de partir, nous nous sommes retrouvés tous les deux dans les vestiaires et tu as vidé ton placard. Quand il a fallu nous dire au revoir, j'ai vu que tu étais au bord des larmes. Moi aussi. On s'est serré la main, j'ai vu tes yeux humides. Tu as vu les miens. Puis tu t'es retourné très vite et tu as franchi la porte du vestiaire afin que chacun de nous puisse cacher ses sanglots à l'autre.
Demain, je serais tout seul.


J'espère qu'on se reverra un jour ou l'autre, Guy, et ce jour-là on boira à la santé des petits chefaillons et des incompétents de l'ANPE.



dimanche 9 mars 2008

Marketing



"Carton" Serge Joncour. Roman. Eden Fictions, 2003.





Le narrateur de « La métamorphose » de Kafka se réveillait un matin dans la peau – ou plutôt la carapace – d'un cafard.
Nudeu, le personnage central de « Carton » prend, quant à lui, peu à peu l'aspect d'une effigie cartonnée grandeur nature et en deux dimensions.
Il faut dire que Nudeu est libraire dans un hypermarché. Sa tâche n'est pas des plus passionnantes, son rayon est coincé entre celui de la maroquinerie et celui de la boucherie, et les livres qu'il dispose sur ses linéaires sont plus souvent des succès commerciaux que des chefs-d-oeuvre de la littérature.
Alors Nudeu végète, tranquillement, passant ses journées à observer les clients et à jeter des regards concupiscents sur l'accorte bouchère du rayon voisin. Peu de clients s'arrêtent au coin-librairie, leurs motivations sont bien éloignées de la lecture. Celles de Nudeu également. Il empile et range ses livres comme il le ferait de n'importe quelle marchandise.
Impassible, il reste planté là des journées entières, sans rien faire, si ce n'est d'incarner par sa présence l'archétype du libraire, prêt à dispenser ses conseils à d'éventuels clients. Mais notre homme est si peu sollicité qu'il s'aperçoit un jour qu'il n'est plus fait de chair et d'os mais...de carton ondulé. Le voici transformé en PLV (Publicité sur les Lieux de Vente).

Réduit à une effigie de lui-même en deux dimensions, voilà que notre libraire attire finalement plus de monde que lorsqu'il était un être comme vous et moi. Certains viennent se faire photographier à ses côtés, d'autres s'exercent à des jeux moins innocents, assouvissant quelques fantasmes sexuels avec cette silhouette de carton.

Peu à peu, Nudeu devient une célébrité incontournable pour tous les clients de l'hypermarché. Ce phénomène va bientôt attirer l'attention de Martino, le commercial « ...fameux représentant des Editions générales, filiale de la Générale Général, la maison-mère de toutes, leader sur le marché du livre et sur bien d'autres encore... »

Flairant dans cette célébrité une opportunité commerciale, Martino va présenter Nudeu (ou plutôt son effigie en carton) au grand patron des Editions générales. Puisque le libraire est désormais célèbre, pourquoi ne pas rebondir sur cette situation en lui faisant écrire un livre qui deviendra, à coup sûr, un best-seller.

« Avec mon histoire, à coup sûr ils présumaient le succès, le million d'exemplaires, le million au moins, ne serait-ce que pour la commodité du chiffre rond, son caractère quasi abstrait, pseudo-miraculeux.
- L'important, ce serait qu'on arrive à 10 euros pile, rêva tout haut le Martino.
- Mais non,qu'importe la décimale, pourvu qu'on ait la marge, le mieux serait de côtoyer les 12, 15 euros.
- 12 alors, pour la commodité du chiffre rond.
- Soit, mon cher Martino, je vous le concède, va pour 12 euros le livre ; mais qu'est-ce qu'on va mettre dedans, en terme de mots s'entend. »

Et voici notre libraire catapulté en tête des ventes en qualité d'auteur d'un best-seller qu'il n'a pas écrit. Lui qui était il y a peu encore un obscur et un anonyme, va avoir à faire face au succès et devra faire la promotion de son ouvrage à la télévision, et rencontrer écrivains et hommes politiques.

« Carton » est une fable grinçante et ironique sur la société de consommation, une fable sur le marketing de l'édition et la grande distribution. Serge Joncour nous livre ici un récit humoristique et parfois déroutant sur la commercialisation des biens culturels et sur la perversion de ceux-ci par les stratégies du marketing.
Du simple libraire à l'auteur à succès, il dénonce, presque sans exagération, les différents maillons de la chaîne des ventes en débutant par une métaphore de la disparition d'un vrai libraire peu à peu transformé en simple faire-valoir de sa marchandise, relégué au stade d'une figurine de carton ondulé symbolique.

Avec humour et dérision, Serge Joncour se livre ici à une attaque en règle contre le merchandising qui rabaisse la littérature au niveau d'un bien de consommation ordinaire. Point n'est besoin de libraires ou d'écrivains pour vendre et diffuser la littérature, une bonne étude de marché suffit ! Hilarant, exubérant, insolite aussi, « Carton » est une satire de notre moderne société de consommation où l'argent et les médias avilissent tout ce qu'ils touchent.





Merci à Goelen qui m'a gentiment prêté ce livre-voyageur.


Les avis de Caro[line], et de Chatperlipopette


lundi 3 mars 2008

10ème Printemps des Poètes




ELOGE DE L'AUTRE


Celui qui marche d’un pas lent dans la rue de l’exil


C’est toi


C’est moi


Regarde-le bien, ce n’est qu’un homme


Qu’importe le temps, la ressemblance, le sourire au bout des larmes


l’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux


Aucun arbre arraché


Ne donne l’ombre qu’il faut


Ni le fruit qu’on attend


La solitude n’est pas un métier


Ni un déjeuner sur l’herbe


Une coquetterie de bohémiens


Demander l’asile est une offense


Une blessure avalée avec l’espoir qu’un jour


On s’étonnera d’être heureux ici ou là-bas.




Tahar Ben Jelloun - Tanger, 7 octobre 2007






Je remercie Coline du forum "Parfum de livres, Parfum d'ailleurs" qui m'a adressé ce très beau poème de Fernando Pessoa :




« Nous changeons de jour en jour aux yeux de celui


Que nous ne verrons pas demain.Et d’heure en heure


Notre personne va diverse et successive


Descendant d’immenses escaliers maintenant.




C’est une foule qui descend, où nul ne sait


Rien des autres. Je les vois miens et dehors.


Ah, quelle horrible ressemblance ils ont !


Ils sont un multiple même qui s’ignore.




Je les regarde. Eux tous je suis sans être aucun.


La foule s’épaissit, absente à ma présence,


Et je ne sais par où elle ne cesse de grossir.




Je les sens tous au fond de moi me bousculer.


Sans nombre, foisonnant, je descends lentement


Et je les double tous pour trouver où me perdre. »


Je remercie également Bellesahi qui m'a fait parvenir un poème de Paul Bergèse :


Neige, vent, pluie, soleil,


torrent, rivière et plage.


Combien de souvenirs


dans la vie du galet ?


Mais son visage lisse


est toujours impassible.

dimanche 2 mars 2008

Haïku blanc



"Neige" Maxence Fermine. Roman.
Editions Arléa, 1999.



Dans le nord du Japon, à la fin du XIXème siècle, sur l'ïle d'Hokkaïdo, le jeune Yukio Akita vient d'avoir dix-sept ans. C'est le moment pour lui de choisir ce qu'il fera de sa vie. Fils d'un prêtre shintoïste, la tradition familiale veut qu'il choisisse entre la carrière militaire et la vie religieuse.
Mais Yukio refuse ce choix. Il veut devenir poète. Sa vie est en effet gouvernée par deux passions, l'écriture de haïkus et la blancheur de la neige dans laquelle il trouve l'inspiration nécessaire à la composition de ses poèmes.
Fermement ancré dans ses convictions, Yukio décide de partir chaque jour très tôt afin de se rendre sur la montagne. Là, il écrira soixante-dix-sept haïkus célébrant la blancheur de la neige.
Un jour de printemps, un visiteur se présente à la demeure familiale. L'homme est un poète de la Cour de l'Empereur qui a entendu parler des écrits de Yukio. Il souhaite rencontrer le jeune homme et le présenter à l'Empereur. Mais Yukio refuse, il ne se rendra à la capitale que lorsqu'il aura rédigé sept fois soixante-dix-sept haïkus, ce qui implique qu'il ne se rendra à la cour que sept ans plus tard.
Surpris et déçu par les résolutions du jeune homme, le poète repart pour revenir quelques temps plus tard. Il félicite Yukio pour la grande qualité de ses poèmes mais déplore que ceux-ci ne décrivent que la blancheur de la neige. Il lui conseille, afin de perfectionner son art, de colorer ses poèmes et d'élargir ainsi son univers poétique. Pour cela, il lui conseille de prendre la route afin de se rendre vers le Sud du Japon où il apprendra ce qui fait défaut à son art auprès du Maître Soseki, ancien samouraï, poète, peintre et musicien renommé.
Yukio va donc quitter son foyer afin de rencontrer Soseki. Traversant les Alpes japonaises, il est pris dans une terrible tempête de neige et ne doit son salut qu'à un surplomb de rocher sous lequel il s'abrite. Là, il va faire une découverte extraordinaire qui bouleversera sa vie : sous la glace repose le corps nu d'une jeune femme d'une beauté diaphane, à la peau blanche et aux cheveux blonds.
Qui est-elle ? Pourquoi cette femme, visiblement européenne, repose-t-elle dans ce sarcophage de glace, si loin de son pays d'origine ?
Yukio trouvera la réponse à toutes ces questions auprès de Maître Soseki, mais le destin du jeune poète et celui du vieil homme en seront à jamais transformés.

Ce court roman (96 pages) de Maxence Fermine est un conte empreint de poésie et de sensualité, un hommage à la tradition japonaise du Haïku, à la beauté grandiose des éléments et de la nature sauvage, une exaltation de l'éternel féminin et une méditation sur la destinée humaine.
Sobre, voire dépouillé, le récit se décompose en cinquante-quatre courts chapitres rédigés d'une écriture cristalline avec une économie de moyens rappelant la concision des Haïkus et des Koans Zen. On trouvera au gré des pages des Haïkus de grands poètes japonais tels que Bashô, Chôsui et Issa. Véritable plongée dans le Japon traditionnel, poétique, mystique et raffiné, « Neige » est une invitation à la rêverie et à la contemplation.
Superbe.

La peau des femmes
La peau qu'elles cachent
Qu'elle est chaude !
Sutejo (1634-1698)


Hiroshige Utagawa (1797-1858)"Le sanctuaire de Gion sous la neige"

Les avis de Pauline, de Cathulu et de Pitou.

samedi 1 mars 2008


"L'ennui, qui dévore les autres hommes au milieu même des délices, est inconnu à ceux qui savent s'occuper par quelque lecture.
Heureux ceux qui aiment à lire."

(Fénelon ; 1651-1715)

Bye Bye Harry !


"Harry Potter et les Reliques de la Mort" J.K. Rowling. Roman.Gallimard, 2007

Traduit de l'anglais par Jean-François Ménard.


Et voilà, c'est fini. J'ai refermé le 7ème et dernier tome des aventures de Harry Potter. C'est avec un peu de tristesse mais aussi de soulagement que je quitte les aventures du jeune sorcier.
Tristesse parce que depuis presque dix ans j'ai suivi de loin en loin les péripéties de Harry et de ses attachants compagnons.
Soulagement parce que je pense qu'au delà de ces sept tomes la recette serait très rapidement devenue indigeste.
Mais voilà, la boucle est bouclée et J.K. Rowling a eu la sagesse de ne pas continuer infiniment une série dont le succès n'est plus à démontrer mais qui – ce n'est que mon humble avis – commençait à donner des signes d'essoufflement. Il fallait donc en finir et tirer un trait définitif sur les aventures du jeune sorcier de Poudlard engagé dans sa lutte contre les forces du mal incarnées par l'affreux Voldemort et ses sinistres sbires.
Maintenant, J.K. Rowling peut se reposer et le succès mondial de son oeuvre lui offre la possibilité de poser son stylo jusqu'à la fin de ses jours. Les droits de son oeuvre lui assurant Ad Vitam Aeternam une rente plus que confortable, rien ne l'empêche de passer le reste de sa vie à siroter des coktails au bord d'une piscine aussi grande que le lac Léman.
Reprendra-t-elle la plume ? Personnellement je le souhaite car même si je ne suis pas un Pottermaniaque fanatique, je ne peux que la féliciter d'avoir fait découvrir l'amour de la lecture à toute une jeune génération qui n'a pas hésité une seule seconde à se plonger dans ces romans dont le dernier frise les huit cents pages.
Tout ce que je peux souhaiter maintenant, c'est que cette boulimie de lecture ne s'arrête pas là et que ces jeunes continuent à fréquenter les librairies et les bibliothèques, affinent leurs goûts littéraires et découvrent peu à peu les trésors de la littérature. Finalement, la plus grande prouesse qu'a pu accomplir notre sorcier en herbe, c'est d'avoir fait en sorte que des millions de jeunes découvrent qu'un livre n'est pas un objet repoussant et fastidieux mais bien au contraire une porte ouverte sur l'imaginaire.
Certains me rétorqueront que le marketing a pris une très grande part dans le succès de cette saga et je ne le nierai pas. J'ai éprouvé un certain malaise en voyant ces hordes vociférantes attendant fébrilement devant les librairies l'heure fatidique de la parution du dernier opus en date afin d'être parmi les premiers à le posséder. Ces tristes manifestations de consumérisme fanatique ont plutôt tendance à m'écoeurer, à fortiori quand l'objet en est un livre, objet destiné à être découvert et apprécié dans le calme et la solitude.

J'ai pris plaisir au cours de ces dernières années à découvrir peu à peu les aventures d'Harry Potter même si je dois tout de même reconnaître que parfois – surtout vers les derniers tomes – j'ai commencé à ressentir quelques signes d'irritation dûs à certaines redondances du récit. Mais mon impression générale reste quand même positive au vu de l'univers particulier créé par J.K. Rowling ainsi que par les valeurs véhiculées dans l'ensemble récit. Ces valeurs sont particulièrement présentes dans le dernier tome où les allusions au totalitarisme, à la haine et à la destruction de certaines catégories d'êtres humains considérés comme impurs, le noyautage des médias par le pouvoir en place, etc... ne sont pas sans rappeler quelques pages sombres de notre histoire, mais aussi de notre actualité.
En cela, Harry Potter est porteur de valeurs de tolérance et d'ouverture. Il résiste à la tentation de la puissance et du pouvoir alors que ses talents sont à même de lui permettre d'exercer sur les autres une emprise aussi négative que celle de son adversaire. Manichéisme ? Vision simpliste de la lutte du Bien contre le Mal ? Possible. Mais il apparaît au fil des romans que les différents personnages ne sont pas tous aussi sympathiques qu'ils paraissent au premier abord. Tous possèdent plus ou moins leurs zones d'ombre et il a suffi souvent d'un minuscule grain de sable pour que les uns et les autres basculent dans l'un ou l'autre camp. Les acteurs du récit réservent ainsi quelques surprises de taille au lecteur qui entame le dernier tome de la série.

La psychologie des personnages se complexifie également au fil de la saga. Bien sûr ce n'est pas du Dostoïevski mais cela donne un peu plus de profondeur à des caractères qui, dans les premiers tomes, étaient plutôt simplistes. Car une des facettes du talent de J.K. Rowling a été de faire évoluer ses personnages au fil des épisodes. Le Harry Potter âgé d'une dizaine d'années qui entre pour la première fois au collège de Poudlard dans le premier opus de la série ne peut plus être le même sept ans plus tard quand ses aventures se terminent lorsqu'il est devenu un jeune adulte. Il en est de même pour ses proches compagnons qui se trouvent eux aussi confrontés aux questionnements, aux angoisses et aux révoltes propres à tous les adolescents.
Mais n'oublions pas que la saga Harry Potter est avant tout une oeuvre de pur divertissement, un conte qui a du apparaître aussi jubilatoire à son auteure quand elle l'a imaginé et écrit, qu'aux lecteurs lorsqu'ils découvrent cet univers de magie et d'aventures aux multiples rebondissements.
On y retrouvera entre autres l'influence d'auteurs tels que James Matthew Barrie, Tolkien, Lewis Carroll, Oscar Wilde et Mervyn Peake.


Pour conclure, ce fut une belle aventure que ces années passées au collège de Poudlard. Mais le livre est maintenant refermé et il est temps pour moi de saluer tous ces personnages que j'ai suivi, comme des millions d'autres lecteurs, pendant ces sept années d'apprentissage de la magie.
Peut-être qu'un jour lointain nos chemins se croiseront de nouveau. En attendant je vous dis au revoir à tous : Ron, Hermione, Neville, Hagrid, Dumbledore, Fred et Georges, ainsi que tous les autres.
Et au revoir Harry.