samedi 30 avril 2011

Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 3

"Une douce flamme" Philip Kerr. Roman. Editions du Masque, 2010.
  Traduit de l'anglais par Philippe Bonnet.

Les trois romans qui composent « La trilogie berlinoise », polars écrits par le talentueux Philip Kerr, nous invitaient à suivre les enquêtes de Bernhard Gunther, détective privé, dans l'Allemagne des années 30 et 40.
On y découvrait un Bernhard Gunther, personnage cynique et obstiné, tentant de résoudre nombre d'affaires criminelles alors qu'autour de lui le nazisme étend sa sinistre mainmise sur l'Allemagne puis sur l'Europe, avant de s'effondrer suite à l'offensive des forces alliées.

 Le quatrième opus « La mort, entre autres » voyait Bernhard «  Bernie » Gunther contraint de fuir clandestinement l'Allemagne vers l'Argentine, suivant la filière des criminels de guerre nazis ayant échappé aux arrestations et au procès de Nuremberg.

C'est donc en Argentine que débute le cinquième volet des aventures de Bernie Gunther, dans cette dictature sud-américaine qui servira longtemps de sanctuaire aux nazis de tout poil, accueillis avec la bénédiction d'un Juan Perón qui n'a jamais caché sa sympathie envers les régimes fascistes de la vieille Europe.

C'est donc sous l'identité d'un criminel de guerre nazi que Bernhard Gunther débarque à Buenos Aires en 1950 après avoir traversé l'Atlantique en compagnie d'un certain Adolf Eichmann.

Très rapidement, Gunther, reçu par Juan Perón lui-même, va jouer son va-tout en révélant sa véritable identité, celle d'un détective privé, ancien policier de la Kripo (Kriminalpolizei) dans les années 30. Son aveu va attirer l'attention du colonel Montalbán, un responsable de la police, qui va lui proposer de travailler avec lui afin de résoudre une affaire de meurtre. Une jeune fille a en effet été retrouvée quelques jours plus tôt, assassinée et éviscérée. Curieusement, ce meurtre rappelle à Gunther une affaire similaire sur laquelle il avait enquêté sans succès dans le Berlin des années 30.
L'auteur de ces meurtres qui lui avait échappé quelques vingt ans plus tôt a-t-il survécu à la guerre et réussi à trouver refuge, tout comme lui, en Argentine ? Est-ce l'œuvre d'un tueur en série ? D'un ancien tortionnaire nazi en mal d'atrocités ? À partir de ce moment, le roman va se scinder en deux époques, alternant entre celle où il mène l'enquête à Buenos Aires et celle qui se déroula à Berlin dans les années 30.

On suivra ainsi Gunther dans les cabarets louches de Berlin, aux toutes dernières heures de la république de Weimar, pour le voir ensuite enquêter dans l'Argentine des années 50, recensant patiemment tous les anciens nazis susceptibles d'avoir commis de pareilles atrocités. Son chemin croisera même celui du sinistre docteur Mengele, « l'ange de la mort » d'Auschwitz.

Parallèlement à cette affaire, Gunther va être contacté par une jeune femme d'origine juive dont l'oncle et la tante ont mystérieusement disparu.
Mener ces deux enquêtes de front ne va pas être de tout repos et une fois de plus Gunther va apprendre à ses dépens qu'il vaut mieux parfois ne pas mettre son nez n'importe où, surtout quand ce n'importe où voisine dangereusement avec le pouvoir en place, que ce soit dans l'Allemagne nazie ou dans l'Argentine du Péronisme.

Avec ce cinquième opus, Philip Kerr nous livre une fois de plus un récit palpitant, passionnant de bout en bout. On y retrouve avec plaisir un Bernhard Gunther au mieux de sa forme, un privé dont le cynisme et la gouaille apportent une certaine fraîcheur dans cette période particulièrement sinistre de l'Histoire. 
La prose de Philip Kerr, qui nous relate ces récits par la bouche même de Gunther nous offre ainsi de savoureux moments qui tranchent avec l'atmosphère souvent oppressante du contexte historique. Les dialogues, ainsi que la description de certains personnages sont souvent d'une truculente drôlerie. En voici pour preuve un court extrait dans lequel Gunther fait son entrée dans un commissariat de Munich en 1932 :

« Le sergent de permanence était aussi gros qu'un boulet de démolition et tout aussi serviable. Il avait le crâne chauve et une moustache gominée semblable à un petit aigle allemand. Chaque fois qu'il faisait un geste, sa ceinture en cuir grinçait contre son ventre tel un navire tirant sur ses amarres. De temps à autre, il portait sa main à sa bouche et rotait. On pouvait sentir son petit déjeuner depuis la porte d'entrée. »

On rit beaucoup donc, on tremble aussi tant Gunther met d'application et de talent à se retrouver dans d'inextricables guêpiers. Mais surtout on apprend énormément de choses sur certains pans occultés de l'Histoire comme l'implication du Vatican dans l'évasion des criminels de guerre nazis, l' utilisation des connaissances de ceux-ci après-guerre par des grandes puissances comme les États-Unis, ou encore les pratiques scandaleuses de certaines firmes pharmaceutiques (déjà !) avant, pendant et après la seconde guerre mondiale.

Avec « Une douce flamme », Philip Kerr nous offre une fois de plus un polar de haute volée, remarquablement documenté, et dont le personnage principal doté d'un indéniable charisme séduira nombre de lecteurs. Un véritable coup de cœur en ce qui me concerne.        


Le faux passeport d'Adolf Eichmann, établi par la Croix-Rouge, au nom de Riccardo Klement.



jeudi 7 avril 2011

Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 2

"Les femmes du braconnier" Claude Pujade-Renaud. Roman. Actes Sud, 2010.

Avant d'aborder ce très beau roman de Claude Pujade-Renaud, je n'avais jamais entendu parler de Sylvia Plath et de Ted Hughes, ce couple de poètes anglo-américain des années 50-60.
C'est donc à l'aveuglette que je me suis lancé dans la lecture de ce récit qui se situe entre roman et biographie et ai ainsi pu partager les joies, les déboires et les drames qui ont émaillé l'histoire de ce couple très populaire dans les milieux littéraires britanniques et américains des années 60.

Sylvia Plath, américaine d'origine allemande, poètesse à ses heures, poursuit des études littéraires à Cambridge. C'est là qu'elle va rencontrer Ted Hughes, un jeune homme britannique. L'homme est séduisant mais traîne derrière lui une réputation de séducteur invétéré. Les rumeurs le qualifient d'ailleurs à ce sujet de chasseur, de prédateur, de braconnier. Ces adjectifs s'avèrent particulièrement bien employés envers ce jeune poète dont l'inspiration puise essentiellement dans les forces de la nature et dans la sauvagerie animale. Cette attirance envers la nature n'est pas une posture chez ce jeune homme natif du Yorkshire qui aime courir les bois, pêcher et observer les animaux sauvages.
C'est la poésie qui va rapprocher ces deux êtres qu'à priori beaucoup de choses séparent. Elle est américaine, vaguement dépressive (elle a déjà tenté de mettre fin à ses jours quelques années plus tôt), ressent une culpabilité maladive due à ses racines allemandes qu'elle associe sans raisons avec la barbarie nazie de la dernière guerre.
Lui, au contraire, prend la vie comme un fruit qu'il dévore chaque jour avec gourmandise et sensualité. La poésie, les femmes, la nature, le monde animal, sont son terrain de chasse, des domaines dont il tire une énergie phénoménale qu'il retranscrit dans ses poèmes.

Malgré toutes ces différences donc, une sorte de coup de foudre va intervenir entre ces deux êtres, fascinés l'un par l'autre dès leur première rencontre lors d'une soirée estudiantine fortement arrosée.
Quelques mois plus tard, Sylvia Plath et Ted Hughes se marient à Londres. Commencent alors six années d'une vie conjugale où tout semble leur réussir jusqu'au moment où l'attirance et la fascination des premiers jours vient à s'effilocher. Est-ce l'usure due à la trivialité du quotidien lorsqu'il faut porter des enfants, les nourrir, les langer, effectuer les tâches ménagères de chaque jour ? Tout cela est-il compatible avec une carrière de romancière et de poète ? Est-ce la trop grand disparité entre Sylvia, dont la sensibilité est à fleur de peau, et les appétits féroces, animaux, quasi-instinctif de son poète de mari ?

C'est la rencontre avec un autre couple – poètes eux aussi – Assia et David Wevill, qui va mettre le feu aux poudres. Ted, qui vit maintenant depuis plusieurs années avec une américaine blonde, va être rapidement émoustillé par cette Assia, brune et juive d'origine russe, au tempérament volcanique.
Cette rencontre marquera le point de départ d'une lente descente aux Enfers qui va non seulement toucher les principaux protagonistes mais aussi tout leur entourage et va métamorphoser ce quasi-conte-de-fées en une succession de drames.

Ce pourrait être une histoire très banale – celle d'un couple qui s'aime, qui se distend et qui se déchire – comme il y en a tant d'autres. Mais ici Claude Pujade-Renaud met en scène deux géants de la littérature et de la poésie anglo-saxonne et nous fait partager de l'intérieur cette relation en la traitant par le biais de multiples voix : celle de Sylvia Plath, bien sûr, mais aussi de sa mère, de parents, d'amis et de tierces personnes qui croisent à un moment où à un autre la destinée du couple Plath-Hughes. Ces courts chapitres, en particulier ceux où s'exprime Sylvia, plongent le lecteur dans le monde intérieur de cette jeune femme sensible, érudite et passionnée en proie aux vieux démons qui la hantent. La dimension psychanalytique du personnage est d'ailleurs particulièrement bien rendue en ce qui concerne ses peurs, ses obsessions et ses cauchemars refoulés.

En faisant revivre sous nos yeux l'histoire de ce couple fascinant, Claude Pujade-Renaud nous offre un très beau roman polyphonique où s'illustre la difficulté d'accorder les exigences de la création artistique aux trivialités du quotidien, un talentueux récit sur l'influence morbide que peut parfois exercer l'histoire familiale sur le destin de ceux qui en héritent, condamnés à revivre ou à expier des drames et des fautes survenus dans le passé.






Sylvia Plath et Ted Hughes

dimanche 3 avril 2011

Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 1

"Le dernier roi d'Angkor" Jean-Luc Coatalem. Roman. Grasset, 2010.



Après quelques années de vie commune dans l'appartement parisien qu'il a hérité de sa mère, le narrateur – journaliste indépendant, proche de la cinquantaine – se sépare de sa compagne. C'est plutôt elle, d'ailleurs, qui s'en va. Malgré de nombreuses tentatives et après avoir tout essayé, son désir d'enfant n'a pas pu se réaliser. Ne pouvant faire le deuil de cet enfant qui ne naîtra jamais, elle met un point final à cette liaison et claque la porte.
Le narrateur se retrouve donc seul et décide – peut-être afin d'exorciser cette cassure – de refaire à neuf l'intérieur de son appartement afin de tirer un trait sur ces années passées.
C'est en faisant le tri dans de vieux souvenirs que son regard se pose sur de vieilles photos conservées par sa mère. Sur l'une de celles-ci apparaît un visage d'enfant qu'il a connu bien longtemps auparavant. Il s'agit d'un orphelin cambodgien appelé Louis-Noël qui partageait ses jeux lors des dimanches passés chez ses grands-parents.
Lui revient alors quantité de souvenirs : la grande maison bourgeoise de Viroflay où il passait les dimanches de son enfance ; son grand-père qui a fait carrière dans le commerce international et qui se passionne pour l'épopée napoléonienne ; et Louis-Noël que l'on extirpait de son orphelinat à l'occasion de ces fêtes et repas de famille.
Légèrement plus âgé que le narrateur et son frère, Louis-Noël, surnommé Bouk, ne cessait de fasciner les deux frères qui s'interrogeaient sur ses origines. Son maintien, sa retenue, son attitude digne en toutes circonstances, n'étaient-ils pas le signe que Bouk était le descendant d'un de ces rois qui bâtirent les temples-cités d'Angkor ? Les deux enfants ne cessaient d'échafauder des théories à son sujet, rêvant de jungles impénétrables, de chasses au tigre, de crépuscules sur le Mékong.
Il faut dire que l'on en sait bien peu sur Bouk. Seulement qu'il est né au Cambodge, dans la région d'Angkor et qu'il est l'un de ces innombrables orphelins originaires de ce pays en guerre.
Et pour quelles raisons cet enfant se retrouve-t-il au sein de cette famille bourgeoise ? Sa présence est-elle en rapport avec l'oncle Ronan ou le cousin Pierre qui ont vécu quelques années là-bas, l'un militaire, l'autre ingénieur – à l'époque où l'Asie du sud-est était colonie française ? Bouk a-t-il des liens cachés avec cette famille française ou sa présence n'est-elle due qu'à une action désintéressée d'un vieil homme fortuné désireux d'accomplir un acte désintéressé en parrainant un jeune orphelin ?
Beaucoup de questions restent en suspens. Beaucoup trop. Et bien des années plus tard, le narrateur s'interroge encore sur le cas de Louis-Noël qui, une fois adolescent, a disparu de leur vie sans laisser de traces, laissant derrière-lui un mystère de plus.
Qu'est devenu Bouk ? Est-il reparti au Cambodge ou mène-t-il une vie discrète quelque part en France ? C'est ce que va tenter de découvrir le narrateur qui va ainsi se lancer dans un jeu de piste qui le mènera jusqu'aux ruines d'Angkor dans la touffeur de la jungle cambodgienne.

« Le dernier roi d'Angkor » est un roman sur le souvenir qui nous embarque dans un voyage exotique qui tient à la fois de la quête de soi et de l'enquête policière. On suit certes avec grand intérêt les démêlés de ce journaliste qui veut faire une fois pour toutes la lumière sur un mystère resté entier. Le problème est que l'on arrive à la fin de ce roman sans avoir un seul éclaircissement sur toutes ces questions qui jalonnent le fil du récit. On sait que le narrateur apprendra au final tout ce qu'il a voulu savoir. Mais pour ce qui est du lecteur, il reste sur sa faim, frustré d'avoir parcouru toutes ces pages – passionnantes au demeurant – pour en arriver à cette conclusion décevante ainsi qu'à un dénouement un peu téléphoné qui joue sur le registre réchauffé de l'inanité de rechercher au loin ce que l'on peut trouver près de soi. Dommage que ce roman de Jean-Luc Coatalem qui laisse présager dès les premières pages une intrigue fascinante, intrigue qui se poursuit avec bonheur tout au long du récit, retombe malheureusement comme un soufflé refroidi et nous laisse désemparés, en proie à nos questionnements sans réponses, devant le grand vide qui suit le point final.







samedi 2 avril 2011

Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme

Cette année encore, je me suis inscrit au Prix des lecteurs du Télégramme.
Voici la sélection pour cette année 2011 :



Le dernier roi d’Angkor par Jean-Luc Coatalem (Grasset). (Lu)

Les femmes du braconnier par Claude Pujade-Renaud (Actes Sud).
Le cul des anges par Benjamin Legrand (Seuil).
Une douce flamme par Philipp Kerr (Masque).
Les poissons ne connaissent pas l’adultère par Carl Aderhold (Lattès).
Entre ciel et terre par John Kalman Stefansson (Gallimard).
Le retour de Jim Lamar par Lionel Salaün (Liana Levi).
Jon l’islandais par Bruno d’Halluin (Gaïa). (Lu)
Les rillettes de Proust par Thierry Maugenest (JBZ et Cie).
Le sang et la mer par Gary Victor (Vents d’ailleurs).