Pour rester dans l'univers de Bilal, le clip tiré de son dernier long-métrage : "Immortel"
jeudi 31 mai 2007
mercredi 30 mai 2007
Sarajevo Trio




Le Cycle du "Monstre" Enki Bilal. Bande-Dessinée. Casterman - Les Humanoïdes Associés, 1998, 2003, 2006, 2007.
Ils sont tous trois orphelins, deux garçons et une fille, Nike, Amir et Leyla, nés en Aout 1993 lors du siège de Sarajevo.
Ils ont partagé la même chambre d'hopital tandis qu'autour d'eux la tuerie faisait rage.
Trente trois ans plus tard ( en 2026 ) ils vont tenter de se retrouver.
C'est ainsi que commence la tétralogie du « Monstre » , le nouveau cycle de bandes-dessinées réalisé par Enki Bilal et qui ( à moins d'une surprise ) s'achève avec l'album « Quatre ? »
Tétralogie? Rien n'est moins sûr au vu des derniers développements du récit.
Tétralogie? Rien n'est moins sûr au vu des derniers développements du récit.
Bilal nous réserverait-il une pentalogie ? C'est fort possible. Mais pour le moment lui seul pourrait apporter une réponse à cette interrogation.
Le cycle du « Monstre » nous emmène aux quatre coins du monde, dans un récit à trois voix, celles de Nike, Amir et Leyla. De New-York à Moscou, de Sarajevo au désert du Nefoud, d'Irkoutsk à Paris, nous suivons les tribulations des trois personnages dont les destins restent irrémédiablement et plus que jamais liés.
Nous les suivons dans un monde futuriste qui semble être la projection inquiétante de notre présent : un monde où la haute technologie sert les desseins d'affairistes et d' intégristes religieux de tout poil.
Bilal nous décrit, à travers ses dessins et son scenario, un monde déliquescent, gangrené, sale et usé, un monde sans espoir ni insouciance, une vision du futur résolument pessimiste et effrayante.
Cet univers sombre et crépusculaire, qui , mieux que Bilal pourrait le décrire ? Ses planches nous offrent des images cruelles et oniriques, belles à faire peur, des images qui semblent s'affranchir des codes traditionnels de la bande-dessinée pour glisser subrepticement vers un univers pictural d'inspiration quasi « Baconienne. »
Car comment ne pas penser à l'univers pictural de Francis Bacon face au visage de Sutpo Rhawloe, « ...de la pure bouillie cosmique, gazeuse, et de surcroît spiralée... » ?
Car comment ne pas penser à l'univers pictural de Francis Bacon face au visage de Sutpo Rhawloe, « ...de la pure bouillie cosmique, gazeuse, et de surcroît spiralée... » ?
Sutpo Rhawloe, alias Holeraw, alias Optus Warhole, est le Deus Ex Machina de cette histoire, un personnage protéiforme qui ne révélera son but et ses origines qu'à la toute fin du récit. Warhole, comme en son temps Andy Warhol, ( l'homonymie n'est pas involontaire ) utilise l'art pour explorer trois thèmes fondamentaux : l'image et le pouvoir qu'elle exerce sur les masses, la société de consommation, et la mort. Sous les traits de Holeraw, il réalisera de nombreux « happenings » sanglants qui décriront métaphoriquement ses desseins réels et son évolution comportementale qui ne seront révélés que dans le dernier acte de la série.
On le voit, le cycle du « Monstre » est un récit complexe, une histoire à tiroirs, une réflexion sur la mémoire, l'art, le pouvoir, sur l'intégrisme religieux et économique et donc de l'obscurantisme qui en découle.
Complexe, voire confus, ce récit ne laisse pas de dérouter le lecteur qui arrive à se perdre dans les multiples rebondissements et retournements de situations du scenario.
Atypique aussi pour des lecteurs habitués à des formes de narration plus classiques, le cycle du « Monstre » est avant tout un monologue intérieur ( Nike, le personnage principal n'est-il pas l'anagramme de Enki ? ) où Bilal tente de renouer avec ses racines et le passé récent de son pays d'origine, la Yougoslavie « pays à peine disloqué que déjà sorti des mémoires. »
On ne peut, par contre, que rester muets devant la richesse graphique de ces quatre albums qui révèlent un Bilal en perpétuelle évolution dans son expression artistique.
Les formes sagement encrées, détourées et hachurées de ses débuts ont cédé la place à un univers quasi-pictural qui s'exprime à grands renforts d'acrylique, de crayon graphite et de pastels gras. Chaque dessin est un tableau fourmillant de détails,aux couleurs souvent éteintes mais rehaussées par des pointes de couleurs vives qui éclairent chaque scène.
Les personnages, quant à eux, semblent toujours aussi figés et stéréotypés que dans les précédentes parutions de l'auteur mais n'est-ce-pas là ce qui fait la « patte » de Bilal, ce style si particulier qui l'a rendu célèbre et a fait de son oeuvre un univers graphique à nul autre pareil ? Certains peuvent s'en agacer mais peut-on reprocher à un artiste d'avoir son propre style et par là même de l'exploiter ?
Bilal est, et reste Bilal, il n'est pas JacquesTardi, il n'est pas Hergé, il n'est pas Moebius où William Vance. Chaque artiste développe et entretient son propre style graphique. Libre au lecteur, ensuite, d'apprécier ou non celui-ci.
D'autres ont critiqué, à propos de la tétralogie du « Monstre » les inégalités et l'aspect sybillin du récit. Il est vrai que Bilal est plus dessinateur que scénariste et l'on peut parfois regretter l'époque de sa fructueuse collaboration avec Pierre Christin ( que l'on pense à « Partie de Chasse » ou aux « Phalanges de l'Ordre Noir » ) mais qui pourrait blâmer cet auteur d'avoir des choses à dire et de vouloir retranscrire sur la page ses démons intérieurs ? N'a-t-il pas, après tout, connu la consécration à la suite de la parution de la trilogie « Nikopol » , travail lui aussi très personnel et qu'il a adapté plus récemment avec le long-métrage « Immortel » ?
Bilal est, et reste Bilal, il n'est pas JacquesTardi, il n'est pas Hergé, il n'est pas Moebius où William Vance. Chaque artiste développe et entretient son propre style graphique. Libre au lecteur, ensuite, d'apprécier ou non celui-ci.
D'autres ont critiqué, à propos de la tétralogie du « Monstre » les inégalités et l'aspect sybillin du récit. Il est vrai que Bilal est plus dessinateur que scénariste et l'on peut parfois regretter l'époque de sa fructueuse collaboration avec Pierre Christin ( que l'on pense à « Partie de Chasse » ou aux « Phalanges de l'Ordre Noir » ) mais qui pourrait blâmer cet auteur d'avoir des choses à dire et de vouloir retranscrire sur la page ses démons intérieurs ? N'a-t-il pas, après tout, connu la consécration à la suite de la parution de la trilogie « Nikopol » , travail lui aussi très personnel et qu'il a adapté plus récemment avec le long-métrage « Immortel » ?
Il vaut mieux éviter d'entrer dans un débat stérile et reconnaître tout simplement que Enki Bilal est à l'origine d'un univers qui n'appartient qu'à lui, un style graphique qui l'a rendu célèbre internationalement et a fait de lui l'une des plus grandes figures du monde de la bande-dessinée.
lundi 28 mai 2007
Le Festin des Dieux

"L'Etrusque" Mika Waltari. Roman. Olivier Orban, 1980.
Traduit du finnois par Jean-pierre Carasso.
[V,101] . " Un accident garantit cette ville ( Sardes ) du pillage. La plupart des maisons étaient de cannes et de roseaux, et toutes celles qui étaient en briques étaient couvertes de roseaux. Un soldat ayant mis le feu à une de ces maisons, l'incendie se communiqua aussitôt de proche en proche, et la ville fut réduite en cendres. [...]
[V,102] . Le temple de Cybèle, déesse du pays, fut consumé avec la ville ; et cet incendie servit dans la suite de prétexte aux Perses pour mettre le feu aux temples de la Grèce." [...]
Hérodote, Histoires, Livre V
C'est l'histoire de ce soldat incendiaire que Mika Waltari nous invite à suivre dans ce très beau roman qu'est « L'Etrusque »
Il s'appelle Turms et vit à Ephèse en Ionie (Asie Mineure) au moment ( Vè siècle av.J.C.) où les cités grecques sous la conduite d'Aristagoras, se révoltent contre le pouvoir Perse.
Turms est un homme sans passé, il a tout oublié de celui-ci et ignore quelles sont ses origines. Son geste incendiaire ayant allumé la guerre entre la Grèce et l'Empire Perse, il devra fuir l'Ionie après la défaite grecque de Ladé. Il sera foudroyé lors d'un orage alors qu'il se rend à Delphes pour consulter l'oracle.
Les paroles obscures de la pythie lèveront un coin du voile sur le mystère qui entoure ses origines.
C'est ainsi que Turms voyagera, de l'Asie Mineure à Rome, en passant par la Sicile afin de faire la lumière sur son passé. Il rencontrera au cours de ses périples de nombreux personnages étonnants: Le spartiate Dorieos, le pirate Dyonisios, le médecin Mikon, le romain Tertius Valerius et bien d'autres encore. Il croisera aussi le chemin de femmes cruelles et irrésistibles : l'ambitieuse Tanakil, l'opportuniste Kydippe ainsi que la fascinante et redoutable Arsinoë, prêtresse de l'Aphrodite d'Eryx.
D'un bout à l'autre de la Méditerranée antique, « L'Etrusque » nous emmène à la découverte de cultures et de civilisations disparues. On y rencontrera des Grecs, des Perses, des Carthaginois, des Sicanes, des Romains et bien sûr... des Etrusques.
Véritable immersion dans le monde antique, le roman de Mika Waltari nous entraîne à la découverte d'un monde fascinant. Intelligent et érudit sans être pédant, distrayant sans être léger et superficiel, ce récit initiatique, passionnant de bout en bout, nous fait suivre le destin d'un homme ballotté entre les faits de la « Grande Histoire » et les aléas plus prosaïques d'un personnage fictif dont par conséquent nulle relation historique ne vient entériner l'existence. Libéré du carcan qu'imposerait la biographie d'un personnage célèbre, Mika waltari, fait du personnage de Turms un témoin de son temps. On assiste ainsi à ses côtés au fracas des batailles, aux périls de la navigation, à la découverte de villes fascinantes, aux rites et aux coutumes étranges de diverses civilisations, faites de raffinement et de barbarie.
On entre ainsi de plain-pied dans ce qui pourrait être une reconstitution des moeurs et attitudes de l'époque. Les hommes décrits par Waltari sont profondément en rapport avec le surnaturel. Les Dieux sont ici en rapport permanent avec les humains qu'ils font évoluer à leur gré. La pensée religieuse est ici omniprésente et aucun acte n'est dénué de signification. Tout est sens, tout est sacré, tout est explicable du point de vue religieux et mythologique.
C'est donc à une immersion totale dans le monde et la pensée antique que nous convie Mika Waltari, une plongée au coeur de ce qui fut le creuset d'où émergèrent les grandes civilisations dont nos sociétés contemporaines se veulent les héritières.
C'est donc à une immersion totale dans le monde et la pensée antique que nous convie Mika Waltari, une plongée au coeur de ce qui fut le creuset d'où émergèrent les grandes civilisations dont nos sociétés contemporaines se veulent les héritières.
Baroque, foisonnant, intelligent, divertissant, picaresque, chatoyant sont quelques uns des adjectifs que l'on pourrait accoler à ce roman qui démontre, une fois de plus, que Mika Waltari était, et reste encore, le maître incontesté du roman historique dans son sens le plus noble, c'est à dire une forme narrative donnant avant toutes choses la prépondérance au respect de l'Histoire, de la littérature, et par là même, du lecteur.
Du même auteur : "Le Secret du Royaume"
Fatalitas !

"Le Secret du Dr.Bougrat" Christian Dedet. Récit. Phébus, 1991
Avec ce récit, Christian Dedet revient sur l'une des affaires criminelles les plus curieuses qu'ait connue la France de l'entre-deux-guerres.
A Marseille, en 1925, le docteur Pierre Bougrat est arrêté et accusé de meurtre envers la personne de Jacques Rumèbe, comptable et encaisseur de fonds. Les deux hommes, anciens combattants de la Grande Guerre, se connaissent. Le médecin est un ami de la victime, à qui il administre régulièrement un traitement contre la Syphilis.
Mais un jour de Mai 1925, Rumèbe disparaît et avec lui une sacoche contenant une importante somme d'argent représentant les salaires d'une société marseillaise.
Le docteur Bougrat n'est pas, dans les premiers temps, suspecté par la police mais est incarcéré pour avoir émis des chèques sans provisions. C'est par hasard, lors de la perquisition menée au domicile du médecin que la police découvre le corps de Rumèbe. Cette macabre découverte fait de Bougrat le suspect N°1 de cette affaire et, malgré les dénégations de celui-ci et ses explications embrouillées, il est très rapidement accusé du meurtre de Rumèbe.
La justice et l'opinion publique vont alors se déchaîner contre celui qui apparaît alors comme un monstre sanguinaire. On met en avant ses problèmes d'argent : n'a t-il pas été tout d'abord arrêté pour des chèques sans provisions? On évoque son mariage raté, sa séparation d'avec son épouse puis sa relation amoureuse avec une prostituée, sa fréquentation assidue des cabarets et des bordels, ses habitudes de flambeur et ses relations avec le milieu marseillais.
Pour la bonne société de l'époque, il n'y a pas de doute, Bougrat, le débauché, est coupable.
L'homme, pourtant, a été décoré pour actes d' héroïsme au cours de la Grande Guerre. Son comportement exemplaire sur le front, que ce soit en France ou en Serbie, lui a valu de se faire décerner la Croix de Guerre ainsi que la Légion d'Honneur.
Pourtant, malgré cela, et malgré une brillante contre-enquête scientifique prouvant l'invraisemblance d'un meurtre commis par le médecin, Bougrat, après délibération des jurés, est déclaré coupable et condamné à mort.
Cependant, un homme décoré de la Légion d 'Honneur ne pouvant monter sur l'échafaud, la peine du Dr. Bougrat est commuée en 25 années de travaux forcés.
Bougrat arrive donc au bagne de Cayenne en 1926. Il y exerce en qualité d'infirmier et médecin des forçats. Six mois plus tard il s'évadera en compagnie d'autres bagnards. Après avoir vécu quelques temps en pleine jungle dans une communauté d'indiens et de métis, il gagne le Vénézuela où il finira par s'installer et à créer un cabinet médical.
Devenu médecin des pauvres, le Dr. Bougrat acquerra auprès des populations locales la réputation d'un saint homme. Il se mariera avec une jeune femme de la bonne société et aura des enfants. Toléré par les gouvernements vénézueliens successifs, il ne pourra cependant jamais se voir accorder le statut officiel de médecin. Cela ne l'empêchera pas toutefois d'exercer son art tout au long de sa vie jusqu'en 1962, date à laquelle il décédera.
Pendant toute cette période et jusqu'à sa mort, le Dr. Bougrat ne cessera de ferrailler avec le gouvernement Français afin d'obtenir une révision de son procès. La France proposera même de le grâcier mais Bougrat refusera cette décision car pour lui elle ne s'applique qu'à des coupables à qui l'on accorderait le pardon. Fermement décidé à prouver son innocence, Bougrat ne transigera pas et ne pourra, de ce fait, jamais retourner sur le territoire français.
L'homme, pourtant, a été décoré pour actes d' héroïsme au cours de la Grande Guerre. Son comportement exemplaire sur le front, que ce soit en France ou en Serbie, lui a valu de se faire décerner la Croix de Guerre ainsi que la Légion d'Honneur.
Pourtant, malgré cela, et malgré une brillante contre-enquête scientifique prouvant l'invraisemblance d'un meurtre commis par le médecin, Bougrat, après délibération des jurés, est déclaré coupable et condamné à mort.
Cependant, un homme décoré de la Légion d 'Honneur ne pouvant monter sur l'échafaud, la peine du Dr. Bougrat est commuée en 25 années de travaux forcés.
Bougrat arrive donc au bagne de Cayenne en 1926. Il y exerce en qualité d'infirmier et médecin des forçats. Six mois plus tard il s'évadera en compagnie d'autres bagnards. Après avoir vécu quelques temps en pleine jungle dans une communauté d'indiens et de métis, il gagne le Vénézuela où il finira par s'installer et à créer un cabinet médical.
Devenu médecin des pauvres, le Dr. Bougrat acquerra auprès des populations locales la réputation d'un saint homme. Il se mariera avec une jeune femme de la bonne société et aura des enfants. Toléré par les gouvernements vénézueliens successifs, il ne pourra cependant jamais se voir accorder le statut officiel de médecin. Cela ne l'empêchera pas toutefois d'exercer son art tout au long de sa vie jusqu'en 1962, date à laquelle il décédera.
Pendant toute cette période et jusqu'à sa mort, le Dr. Bougrat ne cessera de ferrailler avec le gouvernement Français afin d'obtenir une révision de son procès. La France proposera même de le grâcier mais Bougrat refusera cette décision car pour lui elle ne s'applique qu'à des coupables à qui l'on accorderait le pardon. Fermement décidé à prouver son innocence, Bougrat ne transigera pas et ne pourra, de ce fait, jamais retourner sur le territoire français.
Avec ce récit, Christian Dedet nous relate le destin hors du commun d'un homme qui, au vu des développements postérieurs de l'affaire, a sûrement été condamné à tort.
Bouc émissaire d'une société bien-pensante, le Dr. Bougrat était le coupable idéal, le médecin -meurtrier, l'assassin emblématique d'une époque qui se repaissait de faits-divers sanglants et dont la presse relatait avec force détails sordides le parcours criminel. La presse, la justice et l'opinion publique de l'époque ont voulu faire de Bougrat un nouveau Landru, un personnage que l'appât du gain aurait conduit au meurtre, un monstre moderne d'autant plus effrayant qu'il exerce l'honorable profession de médecin et arbore le visage neutre de Mr. Tout-le-Monde.
Mais avant tout, Bougrat était-il coupable où innocent? Qui le sait ? Le médecin a emporté avec lui dans sa tombe la réponse à cette énigme judiciaire. Il semblerait pourtant que la balance penche en faveur de la non-responsabilité du docteur dans cette affaire. Pris dans un faisceau de présomptions, chargé par des circonstances aggravantes ( il a dissimulé chez lui le corps de Rumèbe ), emberlificoté dans des explications contradictoires, suspecté d'homicide et de vol car accablé de dettes de jeu, accusé de mener une vie dissolue, Bougrat n'a pu, face à la justice, clamer son innocence. Il fallait un coupable, la société l'a eu.
Mais sans cette condamnation aux travaux forcés, sans cette déportation en Guyane, Bougrat aurait-il vécu le destin extraordinaire qui a suivi ? Aurait-il continué son existence médiocre dans les faubourgs de Marseille, entre une femme qui l'a rejeté et une maîtresse vénale ? Nul ne le sait. Le destin prend de multiples chemins qui ballottent les hommes au gré du hasard et des circonstances. Les hommes ne sont pas maîtres de l'avenir, ils ne sont que le jouet de forces aveugles aux visées obscures.
Ils ne peuvent, face au destin, et comme l'exprimèrent les forçats de Cayenne sur leurs tatouages, que s'écrier : « Fatalitas! »
samedi 26 mai 2007
Harmonium & Vieilles Dentelles

"Les soeurs Robin" Yves Viollier. Roman. Robert Laffont, 2002
La photo de couverture m'avait tout de suite attiré. Ces deux vieilles dames avec leur tasse de thé à la main m'avaient séduit et, lisant la quatrième de couverture, j'ai sans hésitation emprunté ce roman à la bibliothèque.
Que dire de ce roman? Au moment où j'ai décidé de lire ce livre, j'avais envie de faire la lecture d'un roman simple, sans prétention, mettant en scène des personnages attachants; j'avais envie d'un roman qui me détende et qui puisse m'offrir un peu de fraîcheur et de poésie. J'avais envie de lire une histoire qui se situerait quelque part entre « L'élégance du Hérisson » de Muriel Barbery et « La douce empoisonneuse » d'Arto Paasilinna. Une histoire gentiment délirante avec une pincée de tendresse et une bonne poignée d'humour.
Tout cela je l'ai trouvé dans « Les Soeurs Robin » d'Yves Viollier.
Ce roman m'a fait passer un excellent moment de lecture en compagnie de Marie Robin ( 81 ans ) et Aminthe ( 79 ans ), deux soeurs au caractère bien trempé qui vont devoir élaborer une ingénieuse stratégie afin de contrer promoteurs et pouvoirs publics qui veulent les exproprier afin de construire un immeuble en lieu et place de leur maison.
Je m'attendais, au vu de la quatrième de couverture, à une histoire quelque peu délirante et pleine de fantaisie dont le dénouement original et inattendu aurait frôlé le surréalisme.
Ce ne fut pas le cas et après tout ce ne fut pas pour me déplaire.
Ce roman, dont l'éditeur laisse présager de nombreux coups de théâtre ainsi qu'une intrigue en forme de road-movie est en fait un récit plein de retenue qui ne s'écarte pas des limites de la vraisemblance. Yves Viollier n'a pas voulu faire de ses deux héroînes des personnages caricaturaux.
Malgré la très belle couverture, Marie et Aminthe ne ressemblent en rien aux personnages photographiés ici. Les deux vieilles dames de la couverture, très « smart », très « Neuilly-sur-Seine » ne ressemblent en rien aux soeurs Robin. Celles-ci sont issues d'un milieu plus modeste et ne sont pas du genre mémères à Yorkshire, abonnées au Rotary et au club de bridge local.
Malgré leur physique et leur caractère : l'aînée est menue et introvertie, pratiquant le jardinage et le bricolage, tandis que sa cadette, joueuse de piano et d'harmonium, est plutôt enrobée et dotée d'un tempérament assez irascible, elles ne sont pas non plus des clones du célèbre duo théâtral des "Vamps", Gisèle et Lucienne, incarnées par Dominique de Lacoste et Nicole Avezard.
Non, les soeurs Robin ne sont pas des caricatures, elles sont deux vieilles dames très attachantes, même si l'une des deux semble assez « bourrue » au premier abord.
Autour d'elles gravitent de nombreux personnages secondaires, croqués eux aussi avec beaucoup de malice et de tendresse.
On sourit, on s'émeut, on essuie une larme à suivre les soeurs Robin dans leurs péripéties, que ce soit lors de leur odyssée en 4L qui fera remonter de douloureux souvenirs, ou lors de leurs démêlés avec ceux qui souhaiteraient les parquer dans une maison de retraite afin de mener sans entraves leur projet immobilier.
Ces deux vieilles dames, confrontées au rouleau compresseur de la société de consommation, réussiront en fait à semer autour d'elles des graines de bonheur et à apporter la joie et la félicité à leur entourage.
Yves Viollier, membre de l'Ecole de Brive, signe ici un roman tout en nuances et en tendresse, un joli portrait de deux vieilles dames insoumises et attachantes, deux vieilles dames que l'on aimerait bien compter dans sa famille.
Extrait :
Aminthe ralentit. Elles approchent de la route nationale. Les voitures filent à toute allure sur la longue ligne droite. Un camion frôle en rugissant le nez de la 4L et l’ébranle. Le trafic est presque ininterrompu. Les nouveaux phares blancs à l’éclat bleu des voitures aveuglent Aminthe.
– Je ne me vois pas m’engager sur cette route avec cette circulation à cette heure ! Un autre camion accentue l’émotion en donnant un retentissant coup de klaxon qui déchire la nuit.
– Tu veux qu’on revienne sur nos pas ? propose Marie.
– On peut filer en face, s’entête Aminthe, on devrait y arriver pareil.Elle profite d’un trou dans le trafic et lève soudain le pied de la pédale d’embrayage. La 4L bondit sur la grand-route, manque de caler, s’engouffre sur la voie d’en face qui n’est plus qu’un chemin entre deux haies d’arbres. Une raie d’herbe a poussé au milieu. L’angoisse étreint d’autant plus Marie qu’elle sent sa sœur inquiète.
– Tu ne crois pas qu’on aurait mieux agi en faisant demi-tour ?
– Tu es capable de retrouver la route par où nous sommes passées ? Quelle heure est-il ?Marie tente de voir l’heure, tâtonne vers le plafonnier. Sa sœur y joint nerveusement sa main. La lampe ne s’allume pas.
– Il ne marche pas ! Elles lisent à un croisement le nom d’un bourg qu’elles ne connaissent pas : Curzon. Elles ignoraient l’existence de cette commune. Les phares éclairent le portail d’une église romane. La pierre blanche des maisons a des miroitements ocre sous la pluie. Elles ont quitté les schistes et les granits du bocage et roulent sur le calcaire. Aminthe appuie résolument sur l’accélérateur et la 4L s’enfonce dans l’inconnu des ténèbres.
Saint-Benoist-sur-Mer ! Marie est frappée de stupeur, ses doigts s’agitent. Aminthe grommelle. Elles ont rejoint la mer alors qu’elles étaient parties pour le bocage de Saint-Flaive ! Marie, soudain, guette le surgissement de l’océan dans leurs phares, elle imagine l’enlisement de la 4L dans le sable. L’épouvante lui brouille la tête. Le souffle lui manque. Elle cherche dans son sac la poire de ventoline. Aminthe donne un brusque coup de volant dans une rue à gauche du village désert. La lumière blême des rares lampadaires éclaire la chute de la pluie que le vent tord comme un torchon.
– Mais pourquoi ne t’arrêtes-tu pas ?Les mains de pianiste d’Aminthe restent sur le volant. Les phares sabrent les dernières modestes maisons rentrées en terre pour résister au vent. La chaussée se réduit à une double bande de cailloux bosselée, creusée de flaques. Les branches des haies qui se rejoignent en voûte noire lâchent sur le pare-brise des giclées d’eau.
Marie pousse, tout d’un coup, un cri glacé d’horreur. Là, sur la droite, elle vient de voir dans le halo des phares une bête blanche qui les regardait. Aminthe freine et s’arrête. Le mouvement des essuie-glaces se ralentit. Elles scrutent l’agitation des branches dans le noir. C’est vrai que quelque chose bouge, ou quelqu’un. Et elles voient s’allonger la tête blanche d’une charolaise aux gros yeux éblouis qui tend le mufle sous la pluie. Ses pattes sont enfouies dans le miroir d’un large fossé plein d’eau.
– Je t’avais dit qu’on arrivait dans les marais ! clame Marie paralysée d’effroi.L’eau affleure en effet dans les canaux de chaque côté de la route. Des touffes de joncs les frangent, entre des frênes et des saules à l’écorce jaune dont le vent ploie les rameaux souples.
– Tu voyais le marais au milieu du bocage ! réplique Aminthe avec mauvaise foi.
– Je voyais qu’on était perdues. C’est ta faute ! insiste Marie qui éclate en sanglots.
– Pas plus ma faute que la tienne. Tu n’as pas été capable de m’indiquer la route ! Pourquoi n’as-tu pas pris le calendrier des PTT pour avoir une carte ?
– C’est toi qui as voulu passer par La Ferrière !
– C’est peut-être moi qui ait décidé les travaux autour de La Roche ?
– Qu’est-ce qu’on fait ? pleure Marie.
– Tu veux qu’on fasse marche arrière ? Et que la 4L tombe dans le canal ?
La vache tend toujours sa large tête aux cornes en lyre dans la lumière. Elle paraît bonne fille, sort la langue, meugle peut-être. Aminthe démarre lentement, les mains en haut du volant, la tête collée au pare-brise. Car avec la nuit et la pluie, la chaussée et les fossés se confondent. Des lentilles recouvrent l’eau, qu’on prendrait pour de l’herbe.
Le chemin tourne. Des embranchements de canaux plus larges partent des bas-côtés. La voiture cahote sur le chemin du marais pendant des kilomètres interminables. Les deux sœurs ne respirent plus. Marie serre sa poire de ventoline entre ses doigts. Enfin la voie semble s’élargir. Les frênes, les saules, s’écartent. Les phares éclairent une vaste étendue d’herbe, une haie taillée avec soin. Elles roulent toujours aussi lentement. Et dans l’ouverture d’un passage, elles croient rêver en découvrant une tour carrée à échauguettes et mâchicoulis, dressée toute seule au milieu de la prairie.
– Je la connais… murmure Aminthe.Le nom lui revient en même temps que les phares éclairent le panneau :
– Moricq !
jeudi 24 mai 2007
La Voie du Thé
samedi 19 mai 2007
Naples, Napoli, Napulè.

"Montedidio" Erri De Luca . Roman. Gallimard, 2002.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Nous sommes à Naples, quelques années après la guerre. Les bateaux américains mouillent encore dans la baie et c'est la mode du « Oulaop. » Mais dans le quartier de Montedidio la vie se déroule comme auparavant, au rythme du travail quotidien, des chansons, des cavalcades d'enfants dévalant les vicoli, de la misère qui guette tout un chacun comme un chien tapi et prêt à mordre.
Le narrateur et personnage central du roman vient d'avoir treize ans et décrit sa vie en griffonnant sur un rouleau de papier que lui a donné l'imprimeur de Montedidio.
Il vient de quitter les bancs de l'école pour devenir apprenti chez Mast'Errico, le menuisier du quartier. L'âge de la scolarité obligatoire révolu, son père l'a placé chez l'artisan ; il peut ainsi, par son salaire, contribuer aux frais de la famille.
Son père est docker et apprend à lire et écrire l'italien aux cours du soir ( il ne parle que le dialecte napolitain ), sa mère est malade et sa santé se dégrade peu à peu.
C'est à ses moments perdus que le jeune garçon consigne sur son rouleau de papier les faits du quartier et en décrit les habitants, personnages pittoresques qu'il décrit avec tendresse et poésie.
On fait ainsi connaissance, entre autres, de Raffaniello, le cordonnier bossu, juif originaire d'Europe Centrale, rescapé miraculeusement de la Shoah, et qui, en route pour Jerusalem, s'est arrêté dans ce quartier de Montedidio dont l'animation et les habitants lui rappellent la ville perdue de son enfance.
On rencontrera aussi Maria, la petite voisine du dernier étage, qui initiera le narrateur aux choses de l'amour et l'amènera peu à peu à l'âge d'homme.
On rencontrera aussi Maria, la petite voisine du dernier étage, qui initiera le narrateur aux choses de l'amour et l'amènera peu à peu à l'âge d'homme.
On croisera ainsi, au fil du récit, de nombreuses figures, personnages truculents et généreux, pathétiques parfois, qui sont l'âme et la vie de ce quartier populaire.
Erri De Luca, qui est né à Naples en 1950, nous décrit, à travers les yeux du jeune narrateur de « Montedidio » la vie telle qu'elle fut dans ces quartiers de Naples il y a cinquante ans. A travers l'initiation d'un jeune homme et son passage à l'âge adulte,il nous fait entrer de plain-pied dans les « Bassi » et ruelles de cette ville à nulle autre pareille, cette cité plusieurs fois millénaire où tous les peuples et toutes les cultures d'Europe se sont installés et superposés.
« Montedidio » n'est pas pour autant un voyage touristique avec mandolines, cammoristes et vues imprenables sur le Vésuve et la baie de Naples. Ce roman est avant tout une balade nostalgique, un récit plein de poésie qui nous décrit avec une rare sensibilité les premiers émois d'un jeune homme, son entrée dans le monde du travail et l'âge d'homme, sa découverte, au delà des apparences, de la double nature, humaine et « angélique » de certains êtres dits « ordinaires. »
Ecrit avec poésie, sensibilité et tendresse, conte moderne et roman social « Montedidio » est un ouvrage d'une rare beauté, un court récit taillé comme un joyau duquel on aurait poli tout relief superflu afin d'en libérer la sobre perfection, nue et sans apprêts.
mardi 15 mai 2007
Petite Baisse de Régime
lundi 14 mai 2007
Breizh Ma Bro
Une petite perle d'humour et de poésie :
"La Migration Bigouden"
La Migration Bigoudenn
Uploaded by benoitdubourg
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Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 10

"Je viens de tuer ma femme." Emmanuel Pons. Roman. Editions Arléa, 2006.
Emmanuel Pons vient de tuer sa femme.
Dans ce petit village de Normandie où le couple s'est installé, la vie s'écoule au rythme lent des saisons. On y croise des retraîtés, des instits cathos-bobos et tout le petit monde qui compose le paysage rural de ces petits « patelins » perdus dans la campagne, ces villages-dortoirs désertés par les services publics et que viennent seulement égayer le ronron des tondeuses à gazon.
C'est pourtant au sein de ce vert et somnolent paradis qu'un drame vient de se jouer. Parce qu'ils n'arrivaient plus à se supporter, l'irréparable a été commis et Manu ( Emmanuel ) Pons a tué son épouse.
Avant de se rendre à la gendarmerie et de se livrer aux autorités, il décide de passer chez le marchand de journaux afin d'y acheter des timbres pour envoyer les faire-parts de décès. Mais le hasard et les circonstances feront que ce projet devra être ajourné et notre assassin va devoir faire face à de multiples imprévus, quitte pour cela à accomplir sur son parcours quelques homicides inopinés.
C'est pourtant au sein de ce vert et somnolent paradis qu'un drame vient de se jouer. Parce qu'ils n'arrivaient plus à se supporter, l'irréparable a été commis et Manu ( Emmanuel ) Pons a tué son épouse.
Avant de se rendre à la gendarmerie et de se livrer aux autorités, il décide de passer chez le marchand de journaux afin d'y acheter des timbres pour envoyer les faire-parts de décès. Mais le hasard et les circonstances feront que ce projet devra être ajourné et notre assassin va devoir faire face à de multiples imprévus, quitte pour cela à accomplir sur son parcours quelques homicides inopinés.
De la haine conjugale jusqu'à l'amour retrouvé, le roman d'Emmanuel Pons nous invite à suivre pas à pas les actions et les tergiversations d'un homme qui se retrouve un beau jour dans la peau d'un assassin. Maniant l'humour noir tout au long du récit, l'auteur, qui se met ici en scène dans une situation où le drame le dispute au comique et à l'absurde. Cette comédie, malgré certains aspects outranciers et son humour parfois « potache », se lit avec un certain amusement et offrira au lecteur un bon moment de détente.
Roman comique et sans prétention, « Je viens de tuer ma femme » est un récit récréatif pour amateurs d'humour noir où le personnage principal, loin des habituels clichés de « Serial Killers » nous entraîne dans une spirale qu'il a , certes, suscitée par son acte initial mais dont le déroulement qui s'ensuit lui échappe totalement et le poussera peu à peu à prendre conscience du lien indéfectible qui l'unissait à son épouse.
dimanche 13 mai 2007
jeudi 10 mai 2007
Haïku contre la morosité

"D'un sourire
le Bouddha montre
un moucheron qui pète."
Issa ( 1763-1827 )
Peinture : Odilon Redon ( 1840-1916 ) "Bouddha"
Merci à Turquoise pour ce délicieux Haïku.
mercredi 9 mai 2007
Lasciate Ogne Speranza...

"La Main de Dante" Nick Tosches . Roman. Albin Michel, 2003.
Traduit de l'américain par François Lasquin.
Le titre, la couverture du livre évoquant un ancien manuscrit, le symbole étrange en dessous, tout fait penser, à priori, à un enième Da Vinci Chose. L'argument principal et point de départ du roman, à savoir la découverte par un prêtre sicilien employé à la Bibliothèque Vaticane d'un manuscrit écrit de la main même de Dante, pourrait faire craindre le pire en nous resservant une fois de plus la soupe du complot à l'échelle planétaire où viendraient s'inviter les Templiers, le Saint-Graal et l'Opus Dei.
Que l'on se rassure, il n'en est rien ! Et l'on s'en aperçoit dès les premières pages de ce roman qui commence comme un film de Tarantino et qui se poursuit à la manière d'un Malcolm Lowry mâtiné de Larry Brown, de James Ellroy, d'Hubert Selby Jr. et de Charles Bukowski.
Ce côté polar alterne avec des chapitres évoquant la vie de Dante dans la Florence du XIIIè et du XIVè siècles.
On y suit, avec une poésie et une érudition qui ne sont pas sans rappeler Timothy Findley et Umberto Eco, les méditations, spéculations et dialogues allégoriques et spirituels auxquels s'est livré le poète avant de rédiger la Vita Nuova et la Divina Commedia.
De son enfance et sa première rencontre avec Béatrice jusqu'à sa mort en 1321, nous suivons le poète dans ses difficiles tentatives de concilier son art avec le prosaïsme du quotidien d'où découlera son engagement pour les Guelfes qui lui vaudra d'être condamné à l'exil lorsque le parti se divisera en deux factions antagonistes. On y suit, presque pas à pas, l'élaboration laborieuse de l'oeuvre poétique de Dante, ses influences faites d' emprunts à la Kabbale, aux Pères de l'Eglise, aux auteurs latins ainsi qu'aux troubadours occitans créateurs de l'Amour Courtois. On le suit également dans ses hésitations et dans ses doutes face à son oeuvre :
« [...] il se rendit compte avec accablement qu'il avait passé le plus clair de sa vie à porter des jugements tout en se figurant par la pensée que c'était une manière de servir Dieu et le don que Dieu lui avait accordé, condamnant toute pensée en des cercles infinis tracés dans la poussière d'une érudition sans âme, posant au pèlerin humble et pur tout en expédiant les uns en Enfer et les autres en Paradis au gré de sa plume et de sa fantaisie. Il avait consigné dans son Inferno tous les écrivains d'une stature supérieure à la sienne, sous le prétexte – élaboré à l'aide de la pensée – qu'ils ne donnaient pas aux forces du Tout le même nom que lui ; et dans le même temps, d'un autre trait de plume, il avait élévé au rang d'une divinité une jeune dame de Florence dont toute la sainteté se ramenait au fait qu'il ne l'avait jamais serrée dans ses bras et qu'elle était morte grasse et moustachue après en avoir épuisé un autre. Elle ne ressemblait certes pas à la Vénus Anadyomède dont il avait voué tous les laudateurs à la damnation éternelle. Elle n'était guère plus, il était bien obligé de le reconnaître, qu'un artifice banal et éculé que lui avaient inspiré ses lectures, de même qu'il avait pillé sans vergogne les poètes anciens qu'il avait précipités en Enfer, faisant pour ainsi dire d'une pierre deux coups, les dépouillant au moment où il les poussait vers l'abîme. Sa Béatrice n'était rien d'autre qu'un de ces habiles subterfuges poétiques que ses contemporains prisaient tant.
Et que dire de sa prétendue érudition, des couronnes qu'il tressait à des philosophes et à des poètes dont il n'avait jamais lu une ligne ? Et des fausses justifications qu'il s'était données en damnant ses ennemis personnels sous prétexte qu'ils étaient les ennemis de Dieu et de l'humanité tout entière ?
Puisque les manoeuvres politiques insidieuses de Boniface VIII avaient abouti à l'exil du poète, la malfaisance de Boniface occupait plus de place dans son oeuvre que celle de Satan lui-même. N'était-ce pas là faire de la théologie à peu de frais ?
Il n'était qu'un imposteur. »
« C'était le bon vieux temps, celui où quand on regardait vers le bas de Manhattan on ne voyait rien d'autre que l'immensité du ciel et de grands buildings majestueux qui dataient d'une époque révolue ; où la dégradation urbaine ( usines et entrepôts désaffectés ou encore grouillant d'activités, terrains vagues, quais menaçant ruine, venelles obscures, ces lieux où un enfant découvre tant de trésors ) se paraît d'un charme mystérieux qui lui donnait l'allure d'une de ces forêts enchantées qu'on voit dans les livres d'images. Depuis, ce panorama a été détruit par les gigantesques tours jumelles, monuments de laideur, d'insignifiance et de médiocrité qui désormais le dominent, des monuments de laideur, d'insignifiance et de médiocrité un peu moins hauts se dressent au dessus des décharges contrôlées, les usines et entrepôts désaffectés sont devenus des résidences de luxe vouées à la « convivialité », les terrains vagues ont été comblés pour faire place à d'autres immeubles du même acabit, on a condamné les venelles obscures, les quais dangereusement affaissés ont été remplacés par des « espaces récréatifs » et de lugubres « promenades », et même les enfants ne sont plus des enfants mais des espèces d'informes poupées en papier mâché fabriquées avec les pages du supplément « Vie Pratique » du New-York Times, produits de la moderne « parentalité » qui sévit dans ces lieux « conviviaux », tenus en laisse tandis qu'ils prennent part à des « activités festives » dans les « espaces récréatifs », dénutris par un régime insipide composé de « politiquement correct », d'ordinateurs, de télévision et de « diète équilibrée » entrecoupée ça et là de "gâteries " et autres "grignotages gourmands ", créatures privées d'endroits où rôder, d'imagination et de liberté, issues d'une matrice aérobiquement modelée et échographiée jusqu'à plus soif, affublées d'un prénom à la mode, condamnées à l'existence stérile et sans vie qui est désormais le lot de tout un chacun dans cet univers stérile et sans vie. »
« A l'aéroport, le seul autre passager assis dans l'espace fumeurs de la salle d'attente des premières était porteur d'un petit attaché-case en vinyle noir sur lequel étaient inscrits en rouge les mots EUROPEAN SOCIETY OF CARDIOLOGY.
C'était un monsieur d'allure distinguée, aux cheveux poivre et sel, et tandis qu'il fumait tranquillement je lui expliquai en souriant que le tableau qu'il formait avec son attaché-case et la cigarette sur laquelle il tirait avec délice me plaisait beaucoup. Prenant soudain conscience du paradoxe que cela représentait, il se mit à sourire à son tour.
-N'en parlez à personne, dit-il en affectant un ton de conspirateur.
Il venait de débarquer de Stockholm, où il avait prononcé une allocution lors d'un congrès international de cardiologie. Les spécialistes qui participaient à ce congrès avaient tous reçus des attachés-cases semblables.
Au moment où notre brève conversation approchait de sa fin, je lui demandai si ses obligations de congressiste lui avaient laissé un peu de temps libre à Stockholm.
-Vous avez déjà été à Stockholm ?
-Non.
-Du temps libre à Stockholm, c'est comme du temps libre au Purgatoire. Il n'y a rien à faire à Stockholm.
L'espace d'un moment, nous tirâmes sur nos cigarettes en silence. Il me demanda si ça m'ennuierait qu'il allume la télé pour regarder les infos. Ca m'ennuyait, mais je prétendis qu'il n'en était rien.
Et c'est là que nous vîmes un zinc d'United Airlines s'écraser de plein fouet sur l'une des horribles tours jumelles de Manhattan.
On s'entre-regarda, incrédules. Puis, sans qu'on ait besoin de rien nous expliquer, on comprit que la colère d'Allah venait de s'abattre.
-United airlines, le bonheur en plein ciel, récitai-je.
Tandis que de noires fumerolles obscurcissaient le ciel, le deuxième avion frappa à son tour. Là-dessus, le médecin se mit à parler, hochant gravement la tête en guise de salut à l'ère nouvelle qui était en train de naître sous nos yeux.
-La seule chose qui puisse nous consoler, dit-il, c'est que dans leur sollicitude infinie les sages qui nous gouvernent ont protégé jusqu'au bout ces âmes innocentes des dangers du tabagisme passif.
Il alluma une autre cigarette, puis de nouveau secoua lentement la tête, négativement cette fois.
-Bienvenue à l'Apocalypse, dit-il, mais nous vous rappelons qu'il est interdit de fumer. »
« Vingt-cinq ans auparavant, une bonne cinquantaine de maisons d'éditions se partageaient le marché que contrôlaient désormais six grandes sociétés multinationales. En ces temps où il existait encore des maisons autonomes dont le commerce du livre était le vrai métier, les directeurs littéraires disposaient eux-mêmes d'une assez grande marge d'autonomie. Leurs patrons, les éditeurs qui étaient à la tête des maisons d'éditions en question, n'étaient pas des bureaucrates invisibles, mais des êtres de chair et de sang. Désormais, le mot « éditeur » ne désignait plus qu'une fonction de cadre, et aucun « éditeur » n'était plus libre d'agir à son gré. Le pouvoir appartenait dorénavant aux commerciaux, qui décidaient du sort des livres à partir de supputations débiles sur le ciblage du lectorat, le marketing et les prévisions de ventes. C'était un bussiness qui n'avait plus grand-chose à voir avec l'écriture. Les livres étaient des produits, parmi lesquels on estimait par-dessus tout ceux que l'on considérait, à tort le plus souvent, comme correspondant au plus petit commun dénominateur en ce qui concernait le goût des larges masses. Le prix nobel de physique Lev Landau disait que les astrophysiciens « se trompent tout le temps, mais ne doutent jamais ». Phrase qui s'appliquerait on ne peut mieux à ces nouveaux arbitres éditoriaux formés dans des écoles de commerce, ces espèces de vils lèche-bottes à moitié illettrés tous vêtus de la même chemise à fines rayures bleues avec col et manchettes blancs, ces blaireaux qui ont aussi mauvais goût en matière de fringues qu'en matière de littérature.
Comme me le disait un jour mon défunt camarade Sal Scarpata, qui passa l'arme à gauche avant d'avoir atteint la quarantaine : « Tu te souviens de ces peigne-culs auxquels on soufflait toujours les filles quand on était mômes ? Eh ben, ils sont en train de prendre leur revanche. »
Ces blaireaux qui se trompent tout le temps mais ne doutent jamais s'accrochaient contre vents et marées à l'arrogante chimère selon laquelle ils auraient été capables de prédire et de manipuler la consommation des masses ; et, alors même que leurs propres bilans comptables prouvaient qu'ils se mettaient le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, la bureaucratie invisible ne semblait pas remettre cette chimère en doute.
Ceux qui avaient le titre d'éditeur ou de directeur littéraire ou les deux, qui jadis étaient très au dessus des blaireaux, étaient désormais à leur botte. Un livre qu'ils souhaitaient inscrire à leur catalogue devait dorénavant être présenté sous la forme la plus putassière possible afin de se conformer au modèle défini par la chimère des blaireaux. Il fallait qu'il ait l'air d'un produit correspondant à une formule qui avait déjà fait ses preuves sur le marché actuel. On pouvait lui accoller l'étiquette de « provocant » ou d' « audacieux », de même qu'on qualifie de « nouveau » ou de « révolutionnaire » un détergent ou un antiseptique buccal, mais comme le détergent ou l'antiseptique buccal, quelle que soit l'épithète qu'on leur accolle, il fallait que le consommateur s'y retrouve, aidé par la dose requise d'arômes et de colorants artificiels. Un livre pouvait être « scandaleux », « sans concession », « dérangeant », « déjanté » ou « gore », vocables que la médiocrité ambiante tolère parfaitement, mais tout « scandaleux », « sans concession », dérangeant », « déjanté » ou « gore » qu'il soit, ne devait froisser la susceptibilité de personne, ni s'écarter des sentiers battus, ni dépasser en aucune façon les bornes de la titillation admise. [...]
Pour survivre, les directeurs littéraires n'avaient d'autre choix que de se soumettre aux blaireaux. Même s'ils avaient débuté dans le métier avec l'amour de la littérature au coeur, même s'ils continuaient de la révérer en paroles, leur seul moyen d'avancer dans la carrière était dorénavant de se mettre au service des blaireaux. Il ne pouvait plus être question de caractère, d'imagination, de courage, d'originalité, de prodigalité. Certains directeurs littéraires affichaient encore un goût pour les classiques, mais à vrai dire aucun d'eux n'aurait pu ou voulu les éditer aujourd'hui. Et si ces classiques étaient encore disponibles en librairie, à défaut d'être lus, c'était uniquement parce qu'ils figuraient sur la liste des lectures obligatoires et donc des achats obligatoires de presque toutes les victimes de la course aux peaux d'âne. Ces livres-là n'avaient rien à faire dans l'émission d'Oprah Winfrey ; ils n'étaient pas non plus assez nuls pour satisfaire aux nouveaux critères que l'édition s'était forgés en dérapant sur la pente fatale qu'elle n 'avait plus aucune chance de remonter.
Les ventes de livres étaient en chute libre, la lecture aussi. Quatre grandes chaînes de librairies contrôlaient dorénavant à elles seules près de cinquante pour cent du marché. Ce n'était plus qu'une sinistre farce. Pas d'éditeurs, pas de libraires, rien. »
Thriller, roman noir, roman historique, réflexion sur le processus de création, réquisitoire contre la subordination des auteurs aux pouvoirs financiers et politiques, oeuvre mystique et ésotérique, « La Main de Dante » est tout cela, un roman protéiforme, poétique et trash où se mêlent érudition et violence, un roman allégorique et iconoclaste, plein de bruit et de fureur mais aussi de sérénité et de contemplation, un roman atypique, drôle et intelligent que l'on regrette d'avoir à refermer une fois tournée la dernière page.
"Une maîtrise olympienne de la langue : c'est comme lire du Tennyson sous la plume de Bukowski." Library Journal
"Un de ces rares écrivains qui peut à la fois séduire, choquer, exalter ou offusquer." New York Times
"Tosches combine avec art le minimalisme d'un Jim Thompson et les débordements d'un Bukowski. Son écriture est puissante et souvent très belle." Wall Street Journal
"Il y a peu de romanciers qui auraient l'idée d'un tel livre, encore moins le culot de l'écrire... Tosches est prêt à prendre la place qui lui revient au premier- rang de la littérature américaine contemporaine." San Francisco Chronicle
"Un des écrivains les plus envoûtants et agaçants qui soient... Un chroniqueur lyrique de la culture mafieuse doublé d'un formidable érudit." Book Magazine
"Un écrivain extraordinaire." Hubert Selby, Jr.
"Tosches est le Norman Mailer de l'après-Elvis...Un Nom de la Rose mâtiné de Sopranos qui serait joué par Dennis Hopper." Village Voice
"Outrageusement ambitieux." Publishers Weekly
lundi 7 mai 2007
dimanche 6 mai 2007
samedi 5 mai 2007
vendredi 4 mai 2007
Le Fléau de Dieu

ATTILA. Eric Deschodt. Biographie. Gallimard 2006.
"Les Huns dépassent en férocité et en barbarie tout ce qu'on peut imaginer. Ils labourent de cicatrices les joues de leurs enfants pour empêcher la barbe de pousser. Leur corps trapu avec des membres supérieurs énormes et une tête démesurément grosse leur donne un aspect monstrueux. Ils vivent d'ailleurs comme des animaux. Ils ne font cuire ni n'assaisonnent leurs aliments, vivent de racines sauvages et de viande mortifiée sous leur selle. Ils ignorent l'usage de la charrue, les habitations sédentaires, maisons ou cabanes. Eternellement nomades, ils sont rompus dès l'enfance au froid, à la faim, à la soif. Leurs troupeaux les suivent dans leurs migrations, traînant des chariots où leur famille est renfermée. C'est là que leurs femmes filent et cousent leurs vêtements, enfantent et élèvent leurs enfants jusqu'à la puberté. Demandez à ces hommes d'où ils viennent, où ils sont nés, ils l'ignorent. Leur habillement consiste en une tunique de lin et une casaque de peaux de rats cousues ensemble. La tunique, de couleur sombre, leur pourrit sur le corps. Ils ne la changent que parce qu'elle les quitte. Un casque ou un bonnet rejeté en arrière et des peaux de bouc roulées autour de leurs jambes velues complètent cet équipage. Leur chaussure taillée sans forme ni mesure, ne leur permet pas de marcher; aussi sont-ils tout à fait impropres à combattre comme fantassins, tandis qu'une fois en selle, on les dirait cloués sur leurs petits chevaux, laids mais infatigables et rapides comme l'éclair. C'est à cheval qu'ils passent leur vie, tantôt à califourchon, tantôt assis de côté à la manière des femmes. Ils y tiennent leurs assemblées, ils y achètent et vendent, y boivent et mangent, ils y dorment même, inclinés sur le cou de leurs montures. Dans les batailles ils fondent sur l'ennemi en poussant des cris affreux. Trouvent-ils de la résistance, ils se dispersent, mais pour revenir avec la même rapidité, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontre sur leur passage. Toutefois ils ne savent ni escalader une place forte ni assaillir un camp retranché, mais rien n'égale l'adresse avec laquelle ils lancent, à des distances prodigieuses, leurs flèches armées d'un os pointu, aussi dur et meurtrier que le fer."
C'est par ces mots qu'Ammien Marcellin, historien romain du IVè siècle décrit, dans ses Histoires, le peuple des Huns. Cette vision terrible, effrayante, perdurera jusqu'à nos jours, et qui ne se souvient des images des manuels scolaires de notre enfance dépeignant ces peuplades barbares déferlant sur l'Europe ? Qui ne se souvient du miracle de Sainte-Geneviève stoppant la horde sauvage du Fléau de Dieu aux portes de Paris ? Les Huns sont, à ce titre, restés dans l'imaginaire collectif, au même titre que les Vikings, l'archétype du barbare sanguinaire, païen et bestial, un être qui, par la terreur et l'aversion qu'il inspire, se rapprocherait plus de l'animal que de l'être humain.
Qu'en est-il en réalité ? Que furent les Huns ? Et qui était le tout premier d'entre eux, leur empereur, Attila?
C'est à ces questions que répond Eric Deschodt dans cette biographie qui met à bas nombre d'idées reçues et fait la lumière sur certains aspects de la personnalité de l'un des plus grands conquérants qu'ait connue l'histoire humaine.
Les Huns, tout d'abord, n'apparaissent pas spontanément au Vè siècle de notre ère, comme sortis du néant ou d'un enfer qui les aurait vomis afin de punir pour leurs péchés les empires chrétiens romains d'orient et d'occident, Constantinople et Rome.
Ils apparaissent pour la première fois dans les écrits chinois au cours du IIIè siècle avant J.C. Cavaliers nomades d'origine turco-mongole connus sous le nom de Hiong-Nou ( Xiongnu) ils sont originaires des steppes de l'Asie, entre Sibérie, Tibet, Fleuve Jaune, Altaï et Pacifique. C'est la Chine qui la première attirera leur convoitise et la célèbre Grande Muraille sera édifiée afin de parer à leurs sanglantes incursions. Peine perdue, celle-ci n'empêchera pas les hordes d'envahir les provinces septentrionales de l'empire. Mais des dissenssions éclatent et le peuple Hun se divise en deux parties, les Huns du Nord qui deviendront bientôt sujets de l'empire chinois, et les Huns de l'Ouest, ou Huns noirs, qui s'établissent dans les steppes du Kazakhstan.
Au début du IVè siècle, après trois cents ans de calme relatif, les peuples Huns se remettent en mouvement. Les Huns du Nord s'emparent de toute la Chine septentrionale et les Huns de l'Ouest se dirigent vers l'occident et atteignent le Danube. Dans leur progression, ils repoussent devant eux les Alains, les Ostrogoths et les Wisigoths qui vont forcer les frontières de l'empire romain d'orient.
C'est en l'an 395 que naît Attila, au coeur de l'Europe dans ce qui est la Hongrie actuelle. Son père Mundzuk est l'un des quatre fils du « roi » Turdal. Il meurt en 401 et le jeune Attila est confié à son oncle Roas. Il apprend, comme tout enfant nomade, à chevaucher, à chasser, à combattre, mais aussi à lire, à écrire, et à compter. Il pratique le grec et le latin et est avide de connaissances. Quel contraste avec l'image traditionnelle du barbare inculte et grossier !
Roas cherche à s'attirer les bonnes grâces de l'empire romain et plus particulièrement de l'empereur d'occident Honorius. A cet effet, et pour convaincre l'empereur de sa bonne volonté, il propose à celui-ci de lui envoyer un observateur qui, reçu à la cour des huns, pourra juger de leurs bienveillantes intentions. C'est un jeune homme d'une quinzaine d'années qui sera désigné, un jeune noble, probablement né en Pannonie, Flavius Aetius. Quand il arrive en 405 à la cour des Huns il se lie immédiatement d'amitié avec le jeune Attila.
Roas cherche à s'attirer les bonnes grâces de l'empire romain et plus particulièrement de l'empereur d'occident Honorius. A cet effet, et pour convaincre l'empereur de sa bonne volonté, il propose à celui-ci de lui envoyer un observateur qui, reçu à la cour des huns, pourra juger de leurs bienveillantes intentions. C'est un jeune homme d'une quinzaine d'années qui sera désigné, un jeune noble, probablement né en Pannonie, Flavius Aetius. Quand il arrive en 405 à la cour des Huns il se lie immédiatement d'amitié avec le jeune Attila.
L'empereur d'orient Arcadius décédé, lui succède Théodose II auquel Aetius réussit à convaincre Roas de s'allier. Roas est nommé général romain. En ces temps troublés, il est préférable pour l'empire de se concilier des alliés puissants afin de maîtriser, et de dresser les unes contre les autres, toutes ces peuplades qui franchissent les frontières et dépecent peu à peu l'héritage de la Rome d'Auguste : « Alains, Alamans, Angles, Avars, Burgondes, Francs, Germains, Hérules, Jutes, Lombards, Ostrogoths, Saxons, Suèves, Vandales et Wisigoths... »
Aetius repartit pour Rome où Attila le rejoignit en 408 à la cour d'Honorius. Il y resta quatre années au cours desquelles il put, entre Rome et Ravenne, apprendre les mécanismes de l'empire, son organisation, mais aussi son atmosphère de décadence et de corruption. Puis Attila est rappelé auprès de son oncle qui fait de lui son homme de confiance et son héritier.
Jusqu'à ce qu'il atteigne une quarantaine d'années, Attila ne cesse de faire des allers-retours entre Danube , Caucase et Chine du Nord où il s'évertue à rassembler et fédérer les tribus hunniques éparses ainsi qu'à se trouver de nouveaux alliés : Roxolans, Sarmates et Akatzires.
A son retour, il constate le double-jeu que mènent les empereurs romains d'occident et surtout d'orient qui se sont appliqués pendant son absence à corrompre et à suborner les tribus de la fédération danubienne. Roas somme Constantinople de s'expliquer. Deux ambassadeurs romains sont envoyés en 435 à la cour des huns afin de négocier avec Roas mais quand ils arrivent celui-ci est mort et c'est Attila, qui s'est autoproclamé « empereur, roi des Huns » qui les reçoit. A ses côtés, ses deux fidèles conseillers, Oreste, transfuge romain d'origine pannonienne et le Grec Onégèse. A l'issue des négociations, l'empire d'orient se voit contraint, par le Traîté de Margus, à verser tribut aux Huns.
A son retour, il constate le double-jeu que mènent les empereurs romains d'occident et surtout d'orient qui se sont appliqués pendant son absence à corrompre et à suborner les tribus de la fédération danubienne. Roas somme Constantinople de s'expliquer. Deux ambassadeurs romains sont envoyés en 435 à la cour des huns afin de négocier avec Roas mais quand ils arrivent celui-ci est mort et c'est Attila, qui s'est autoproclamé « empereur, roi des Huns » qui les reçoit. A ses côtés, ses deux fidèles conseillers, Oreste, transfuge romain d'origine pannonienne et le Grec Onégèse. A l'issue des négociations, l'empire d'orient se voit contraint, par le Traîté de Margus, à verser tribut aux Huns.
Les Huns prêtent leur concours à l'empire d'occident à la demande d'Aetius qu'ils aident à combattre les Burgondes, les Wisigoths et les bagaudes gaulois.
Mais Théodose de son côté continue en sous-main à tenter de corrompre les tribus et d'affaiblir la puissance hunnique.Le Traîté de Margus ayant été foulé aux pieds, Attila envahit l'empire romain d'orient et arrive en 447 sous les murs de Constantinople. Alors qu'il tient dans sa main le destin de l'empire d'orient, il décide, inexplicablement de faire marche arrière et de renoncer à prendre la ville.
Cette étrange décision, il la réitérera par deux fois, devant Paris en 450 et devant Rome en 452. Après avoir une nouvelle fois humilié l'empire d'orient, c'est à l'empire romain d'occident qu'Attila va se confronter. Car désormais le torchon brûle entre les deux anciens amis Aetius et Attila. Ce que le Hun a proposé au romain, c'est ni plus ni moins de faire tous deux main basse sur l'empire bipartite et de se le partager. Aetius refuse, son ambition étant de marier son fils avec la fille du nouvel empereur d'occident, Valentinien III.
Prenant acte de ce refus et ayant échoué dans sa tentative d'épouser Honoria, la turbulente soeur de l'empereur Valentinien, Attila lance ses armées innombrables sur l'Europe de l'Ouest saccageant tout sur son passage. Le nord de la Gaule est envahi, pillé, mis à sac.
Au moment de prendre Paris, Attila fait une nouvelle fois demi-tour.L'explication du miracle de Sainte-Geneviève fera longtemps force de loi mais il semble plutôt que l'empereur des Huns ait voulu se préparer à la confrontation avec Aetius qui s'est allié aux Wisigoths. Pour cela les plaines de Champagne sont idéales au déploiement de la cavalerie hunnique. C'est donc près de Châlons, aux Champs Catalauniques que la bataille va se dérouler. Cette bataille sera la plus gigantesque jamais livrée en Occident jusqu'à la Grande Guerre. Elle fera environ 160 000 morts mais il n'y aura ni vainqueur ni vaincu. Attila se retire du combat encore une fois alors que le rapport de forces est de quatre, voire cinq contre un. Son nouvel objectif : Rome.
Il envahit le Nord de l'Italie. Rome est prête à capituler. Valentinien et ses conseillers décident d'envoyer une ambassade auprès d'Attila afin de négocier. Qui envoyer comme émissaire ? Ce sera le Pape lui-même, Léon 1er, qui rencontrera l'empereur des Huns.
Que se disent-ils au juste durant cette entrevue ? Nul ne le sait. Mais Attila, à la surprise générale, se retire.
Miracle ? Repli stratégique ? Manifestation d'aboulie résultant d'un caractère cyclothymique ? Les hypothèses sont nombreuses. Tout ce que l'on peut affirmer c'est qu'Attila repart sans tarder vers l'Asie afin de mater définitivement les Alains du Caucase et de la Volga qui menacent la partie orientale de son empire.
Il revient enfin sur les bords du Danube où il meurt en Mars 453, probablement d'une crise d'apoplexie hémorragique.
Il revient enfin sur les bords du Danube où il meurt en Mars 453, probablement d'une crise d'apoplexie hémorragique.
Son empire ne lui survivra pas. Les Huns, conduits par Denghizikh, un de ses fils, sont battus une dernière fois en 468 par les armées de Constantinople.
L'empire romain d'occident survivra encore vingt-trois ans après la mort d'Attila et en 476, le dernier empereur Romulus Augustulus sera déposé par le barbare Odoacre.
Eric Deschodt nous décrit donc un Attila bien peu semblable aux images convenues véhiculées au fil des générations par l'iconographie, la littérature, l'opéra et plus récemment par le cinéma.
Barbare, certes il l'était, mais au même titre que tous les peuples qui n'appartenaient pas à la sphère de la romanité. Sanguinaire ? Oui, mais les moeurs de l'époque ne l'étaient-elles pas ? Les empereurs romains d'orient et d'occident n'étaient pas non plus des apôtres de la non-violence. Rustre ? Attila savait lire, écrire et parler le Grec et le Latin. Quatre siècles plus tard, l'empereur Charlemagne n' atteindra jamais un niveau d'érudition comparable.
Alors pourquoi avoir dépeint pendant si longtemps Attila comme « le Fléau de Dieu », une brute à peine humaine avide de sang ? Peut-être parce qu'il est resté païen toute sa vie. S'il s'était converti au christianisme comme l'a fait plus tard Clovis en 496 ( les Francs n'étaient pas non plus des anges de douceur ), son image en aurait sûrement été radoucie. Car il ne faut pas oublier que les chroniqueurs de l'époque sont en majorité des religieux,des missionnaires de la foi appliqués à propager le christianisme et à éradiquer toute trace de paganisme. De la même manière que les journalistes d'aujourd'hui, ils adorent noircir le tableau et présenter les choses sous leur aspect le plus dramatique. Ils feront de même lors de l'expansion arabo-islamique ainsi que pour les incursions des vikings.
Dans cette passionnante biographie, Eric Deschodt redonne à Attila une figure d'être humain. Il écarte les vieux poncifs et donne enfin une image objective de cet homme et de son peuple, images trop souvent et trop longtemps occultées par le masque des idéologies, qu'elles soient politiques ou religieuses.
Attila n'était qu'un homme de son temps, un homme doté des qualités et des défauts que sa culture et sa personnalité, l'époque à laquelle il a vécu, ainsi que le contexte politico-religieux de celle-ci, ont modelé jusqu'à en faire une des figures les plus saisissantes de notre histoire.
jeudi 3 mai 2007
mardi 1 mai 2007
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