jeudi 20 décembre 2007

Kenavo - Beslama !


Kenavo la Bretagne, Salam Al Maghreb !


Demain, le Bibliomane et Chatperlipopette quittent la Principauté de Sarkosie Intérieure pour un voyage de deux semaines au Royaume du Maroc.


Nous vous souhaitons de passer d'agréables fêtes de fin d'année et vous donnons rendez-vous aux alentours du 6 ou 7 janvier 2008.


Kenavo - Beslama !

mardi 18 décembre 2007

Un été 57


"Méchamment dimanche" Pierre Pelot. Roman. Editions Héloïse d'Ormesson, 2005



Printemps 2004 : Qui est cet homme corpulent, d'une soixantaine d'années, qui a pris une chambre au café-hotel-restaurant de St. Maurice-sur-Moselle ? C'est la question que se posent le patron et sa femme ainsi que les clients. Est-ce un touriste ? Un journaliste ? Un flic ?

Les gens s'interrogent car depuis quelques semaines, ils en ont vu défiler, des policiers et des scribouillards! Un vrai défilé ! Et tout ça à cause de l'affaire du « prophète », un simple d'esprit qui, quelques semaines auparavant, s'est retranché dans une maison abandonnée vouée à la démolition et qui – au moment où arrivaient les ouvriers chargés de raser la vieille bâtisse – en a tué cinq et en a blessé quatre autres.
Quel est le lien entre ce fait-divers sanglant et les évenements qui se sont déroulés près d'un demi-siècle plus tôt, au cours de l'été 1957 ?


En ce début juillet commence pour les enfants de St. Maurice-sur-Moselle une longue période – les vacances d'été – consacrée à l'élaboration de cabanes dans les bois, à la fabrication d'arcs et de flèches, à de longues heures de pêche et de palabres au bord de la rivière. Mais au soir du 13 juillet, alors que tout le village se réunit sous les flonflons du bal qui ouvre la célébration de la fête nationale, Zan et son ami Tipol – deux gamins turbulents et inséparables – sont victimes d'une mauvaise farce orchestrée par leur ennemi intime : « Ce grand con de Nano Grandgirard ».
Dès le lendemain, la guerre est déclarée entre les deux bandes d'enfants. Zan prend la tête du groupe composé de Tipol, de Belette et de sa soeur Zita, de Tonto, ainsi que de Grand Dédé, Zinzin et Jean-Do. Sans oublier le chien Jean-Claude. Tous se préparent pour les hostilités et se lancent fébrilement dans la fabrication d'arcs et de flèches dont les pointes – faites de clous écrasés par le passage du train sur la voie ferrée – devront venger la fierté et l'honneur bafoué de Zan et Tipol.
Un plan d'attaque est mis au point et une embuscade est organisée. Mais l'escarmouche – qui devait au départ n'être qu'un simple règlement de comptes entre gamins – va prendre des proportions inattendues pour les belligérants qui vont voir – au lendemain de leur passe d'armes – arriver chez eux les gendarmes.

Pour la plupart des membres de la bande, l'épisode se soldera par une distribution de taloches parentales et une interdiction de sortir pendant plusieurs jours. Mais pour Zan et Tipol, la guerre n'est pas finie. L'été va donc continuer, sous une chaleur lourde et implacable jusqu'à ce qu'enfin l'orage se déchaîne dans les coeurs et que la violence jusqu'ici contenue parvienne à son paroxysme.


Qu'on ne s'y trompe pas, malgré les apparences, « Méchamment dimanche » n'est pas un remake de « La guerre des boutons ». Dans ce roman, Pierre Pelot nous parle du monde de l'enfance en évitant tous les écueils de mièvrerie et de sensiblerie qui vont souvent de pair avec ce genre de sujet romanesque. Bien sûr, certaines évocations ne manquent pas de susciter une certaine nostalgie envers cet « âge d'or » que certains d'entre nous ont connu : l'âge des cabanes, des guerres de bandes, des arcs, des lance-pierres et des genoux badigeonnés de mercurochrome.

Mais si ce roman de Pierre Pelot devait être comparé à une autre oeuvre littéraire, ce serait – pour moi – avec la nouvelle de Stephen King intitulée « The body » dont Rob Reiner a tiré en 1986 l'extraordinaire film « Stand by me ». On y retrouve les mêmes thèmes de la fin de l'enfance et de l'entrée dans cette douloureuse période de transition vers l'âge adulte qu'est l'adolescence, de la confrontation brutale avec la violence et la mort, de la nostalgie du monde perdu de l'innocence et de l'insouciance ainsi que de la découverte d'un monde insoupçonné où les bons ne l'emportent pas nécessairement sur les méchants, où l'injustice, les trahisons et les désillusions prennent le pas sur l'amitié, la confiance et l'imaginaire.
On trouve aussi dans ce roman tout un monde à jamais disparu, celui de la fin des années cinquante dans une petite ville de province, avec ses petits commerçants et ses figures locales, ses journées rythmées par les émissions radiophoniques : Raymond Souplex et Jeanne Sourza qui incarnent Carmen et La Hurlette dans le feuilleton « Sur le banc », Geneviève Tabouy et ses « Attendez vous à savoir... », Rina Ketty qui chante « Sombreros et mantilles », etc...
Mais c'est aussi l'époque de la guerre d'Algérie, du lancement du Spoutnik par l'Union soviétique, la victoire de Jacques Anquetil au 44ème Tour de France... Pierre Pelot nous restitue avec talent et fidélité cette époque en n'oubliant pas de souligner – dans cette Lorraine qui est la sienne – la forte empreinte laissée par la classe ouvrière, particulièrement dans les manufactures textiles. Bon nombre de camarades de Zan sont enfants d'ouvriers italiens et soulignent par leur présence l'apport des communautés étrangères dans le paysage socio-culturel de cette région.


Une fois de plus, Pierre Pelot, à travers le prisme de ses oeuvres romanesques, comme dans le stupéfiant « C'est ainsi que les hommes vivent », nous invite à revisiter le passé de la Lorraine, à en découvrir ses gens et sa culture, son parler et ses paysages.

Avec « Méchamment dimanche » il signe un roman tendre et cruel, un récit épique sur l'enfance, une tragi-comédie pleine de rires et de soudains éclats de violence où les fantômes du passé reviennent inlassablement pour tourmenter et égarer les vivants.

18 décembre : célébration de la "Journée Internationale des Migrants"


C'est aujourd'hui qu'est célébrée (presque) partout dans le monde la "Journée Internationale des Migrants".

Il est utile de le rappeler car la presse d'aujourd'hui préfère (une fois de plus) nous servir un nouvel épisode du sitcom présidentiel, prouvant en cela (une fois de plus) le néant journalistique qui règne sur notre beau pays.


J'ai donc choisi, pour commémorer cette journée consacrée aux migrants, de vous faire part d'une lettre rédigée par une jeune lycéenne de Châlons-sur-Saône, lettre envoyée à la rubrique du courrier des lecteurs du journal Jeune Afrique :


«C'est avec un grand plaisir que j'écris à J.A. car il est devenu une source d'exposés en classe et c'est pour cela que je vous serais bien obligée de publier ma lettre.


Si je parle ainsi, c'est en connaissance de cause, en étrangère malgré ma naissance et toute ma vie passée en France.


Dans J.A. n° 1144, un article a particulièrement attiré mon attention, celui des travailleurs «clandestins». Le problème s'accentue sous toutes ses formes. Avec ces régularisations des «sans-papiers», avec ceux qui font la grève de la faim pour être enfin assimilés à leurs compatriotes étrangers en règle.


Le résultat est hausse de tension, racisme et même xénophobie envers ces étrangers dont la plupart ne le méritent pas, quelle que soit leur situation. Ces réactions sont fortement ressenties à tous les niveaux et particulièrement dans les endroits publics (écoles, bureaux).


Est-ce la faute de ces étrangers, qui sont venus pendant la prospérité et qui,dorénavant, sont remis en cause quotidiennement ? Alors, je tiens à dire aux Français qui disent aux étrangers : « Si tu n'es pas content, retourne dans ton pays où on crève de faim » qu'ils sont ridicules.


Ils ne s'imaginent pas la crise qui pourrait atteindre «leur» pays avec ledépart de «ces bougnoules». Quant au slogan des employeurs, c'est :«Tais-toi ou pars ! »


Excusez-moi pour l'écriture, mais je vous ai écrit en étude. »


La jeune lycéenne de Châlons-sur-Saône qui s'exprimait en ces termes en 1982 dans les colonnes de Jeune Afrique est aujourd'hui Garde des Sceaux du gouvernement Sarkozy, elle s'appelle Rachida Dati.

dimanche 16 décembre 2007

Le-Saviez-Vous ? "Les fins de mois sont difficiles"




Vous l'avez tous remarqué, le pouvoir d'achat est devenu en cette fin d'année 2007 la préoccupation N°1 des français.



Pour en finir avec le serrage de ceinture et les fins de mois difficiles, un homme dont nous conserverons l'anonymat – appelons-le Nicolas – a décidé récemment d'améliorer son train de vie en augmentant son salaire de près de 200%.
Malheureusement pour lui, ce pauvre homme ne pourra pas bénéficier de cet accroissement substantiel de ses revenus avant janvier 2008.



Ne pouvant décemment pas s'en sortir financièrement avec 7500 € par mois, (vous y arriveriez, vous ?) notre homme, qui avait exercé le modeste job de ministre de l'intérieur jusqu'en mars dernier mais qui avait dû démissionner pour raisons personnelles, s'est vu verser, à titre d'indemnités, l'intégralité de son salaire jusqu'au mois de septembre (c'est la loi, un ministre touche son salaire pendant 6 mois après son mandat, le temps de retrouver un emploi de laveur de carreaux ou de serveur dans un fast-food).



Mais il se trouva bien dépourvu quand vint octobre et que la bise fut venue. Pourrait-il arriver à joindre les deux bouts pendant les trois mois qui restaient à passer avant l'échéance de 2008 ? Qu'à cela ne tienne ! Notre Nicolas a décidé qu'il continuerait à percevoir jusqu'à la fin de l'année son salaire mensuel de ministre, qui représente la modique somme de 11500 € ! Ce qui ajouté aux 7500 € (une misère, j'vous dis Mâme Chabot!) donne un salaire mensuel de 19000 €, juste de quoi vivre, payer les factures, la cantine des gosses, etc...
Nicolas pourra-t-il s'en sortir avec un salaire aussi bas ? Quelles tristes fêtes de fin d'année va-t-il devoir vivre, seul et démuni !



Alors je profite de ce modeste espace de parole pour lancer un appel au généreux peuple de France . J'ai donc décidé de lancer l'opération « Un Noël pour Nicolas »
Si tu veux aider Nicolas dans l'épreuve qu'il s'apprête à traverser, je t'invite à faire un don en espèces ou par chèque et de l'envoyer à l'adresse suivante :



« Un Noël pour Nicolas » - Palais de l'Elysée – 55 rue du Faubourg Saint-Honoré – 75008 PARIS



Nous comptons sur ton aide.



Plus de renseignements ici.

Là-Bas


"Là où vont nos pères" Shaun Tan. Bande-dessinée. Dargaud, 2007


Un matin, quelque part, dans une ville qui semble située en Europe, un homme prépare sa valise et passe ses derniers instants en compagnie de sa famille. En plus de ses maigres effets personnels il emporte avec lui une photographie de sa femme et de sa fille. Il ne part pas en voyage d'agrément. Il fuit une sombre menace qui rôde de par les rues de la ville en déployant de gigantesques anneaux serpentiformes.
Ayant une dernière fois serré dans ses bras les deux êtres qui lui sont les plus chers au monde, l'homme va quitter la ville pour prendre un bateau qui va le mener bien loin au delà de l'océan. Sur ce paquebot, il va voyager en compagnie de personnages venus de tous les horizons, des gens qui, comme lui, ont quitté leur pays pour se rendre vers un ailleurs où la vie sera moins rude et l'avenir plus prometteur.

Après avoir traversé l'océan, le paquebot arrive en vue d'une grande et majestueuse cité hérissée de vertigineux buildings, un New-York onirique agrémenté de gigantesques statues surréalistes. Dès leur arrivée, les voyageurs sont pris en charge par les services de l'immigration qui leur font subir une batterie de tests médicaux et d'interrogatoires dans un lieu évoquant Ellis Island, avant de leur délivrer un sauf-conduit qui leur permettra enfin de poser le pied dans cette ville aux allures de pays de cocagne.
Ayant passé toutes les épreuves d'admissibilité, l'homme va enfin pouvoir découvrir cette ville fascinante. Mais il va lui falloir comprendre les us et coutumes de ce nouvel univers. Ne comprenant ni la langue ni l'écriture de son pays d'accueil, il va devoir demander de l'aide afin d'accomplir les gestes les plus banals de la vie quotidienne : se nourrir, se loger, trouver un emploi.
Heureusement pour lui, il trouvera en chacun de ses interlocuteurs une personne qui, comme lui, est venue d'ailleurs pour s'installer dans ce pays.
Il va ainsi faire de multiples rencontres, et en dépit du barrage de la culture d'origine et de la langue, va peu à peu se faire des amis. Tous évoqueront les raisons qui les ont poussés à venir s'installer sur cette terre d'accueil. Pour certains, ce sera, comme pour l'homme, en raison de menaces qui ne sont pas sans rappeler les systèmes totalitaires qui ont émergé au cours du XXème siècle. Pour d'autres, comme cette jeune fille, ce sera le travail forcé et l'exploitation des enfants. Pour ce vieillard unijambiste, ce sera une guerre qui le laissera mutilé et seul face à la disparition de tous les siens.
Car tous ces hommes et ces femmes n'ont pas quitté (il est utile de le rappeler inlassablement) leur famille et leur pays pour le plaisir d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte. Tous ont du fuir des circonstances dramatiques, parfois au péril de leur vie, afin de trouver loin de chez eux un espace de liberté.
Grâce à ces rencontres de hasard, l'homme va trouver un emploi, s'insérer dans ce nouveau monde qui lui paraissait au départ bien insolite, se forger une nouvelle vie et enfin réaliser son rêve quand il verra débarquer sa femme et sa fille.

Pour nous conter cette histoire, Shaun Tan a choisi le biais de la bande-dessinée. Il nous livre, avec « Là où vont nos pères », un album sans paroles aux dessins somptueux, tout en gris et en sépia, éxécutés à la mine de plomb.
Onirique et poétique, cet album de Shaun Tan est un hymne à la solidarité entre les hommes et entre les peuples. En mettant en scène une société qui ne cesse de s'enrichir des apports extérieurs des uns et des autres, une société tolérante et accueillante, ouverte à la différence, il prend le contrepied des sinistres discours politiques actuels basés sur le repli identitaire et sur la haine de l'autre.
« Là où vont nos pères » est plus qu'une bande-dessinée, c'est aussi une oeuvre d'art, un concentré d'émotions, et une réflexion muette sur notre histoire et notre devenir qui se résume avant tout en un formidable message d'espoir, de tolérance et d'ouverture. Sublime.


L'avis de Zaelle, d' In Cold Blog, de Jean-François, de Chiffonnette, de Menear, de Sylvie, et de Gachucha.
A Voir : Le site de Shaun Tan, ici.



jeudi 13 décembre 2007

Sagashimono


"Tokyo" Mo Hayder. Roman. Presses de la Cité, 2005.



Grey, une mystérieuse jeune femme, débarque à Tokyo. Que vient-elle faire dans la capitale nippone ? Du tourisme ? Probablement pas. C'est à l'institut des sciences sociales de l'université de Todai qu'elle se rend sans tarder. Là, se prétendant étudiante, elle obtient un entretien auprès d'un vieux professeur chinois, Shi Chongming. Que cherche-t-elle ? Le vieil homme est en fait l'un des derniers témoins d'un évenement historique sur lequel Grey a beaucoup étudié, une tragédie ayant eu lieu au cours de la guerre sino-japonaise : le sac de Nankin en 1937.

Grey est persuadée que Shi Chongming détient dans ses archives personnelles un film tourné à l'époque des massacres de Nankin. La pellicule dévoilerait et prouverait l'existence d' exactions particulièrement barbares pratiquées par certains membres de l'armée japonaise, exactions dont Grey est convaincue de la véracité historique.
Confrontée depuis toujours au scepticisme de ses contemporains, Grey n'a vécu jusqu'ici que pour prouver le bien-fondé de ce qu'elle avance. Obsédée par cette anecdote, ayant frôlé la folie face aux doutes émis devant ses assertions, une seule chose lui manque pour prouver ses dires, un document irréfutable. Ce document, ce serait le fameux film détenu par le vieux professeur. Mais Shi Chongming refuse obstinément de répondre à ses interrogations et Grey se retrouve dehors, renvoyée par le vieil homme, perdue dans l'immensité de la mégalopole japonaise.
Sans le sou dès sa descente de l'avion, elle se voit contrainte de dormir à la belle étoile dans le jardin d'un temple. C'est là qu'elle va faire la rencontre d'un jeune occidental, Jason, qui va la prendre sous son aile, lui trouver un toit et lui procurer un travail.
C'est dans le quartier de Takadanobaba, dans une vieille et lugubre maison, immense et à demi-abandonnée, que Grey va s'installer en compagnie de Jason et de deux jeunes femmes russes qui exercent l'activité d'hôtesses dans un club privé. Jason lui aussi travaille pour ce club, le « Some Like It Hot » et persuade Grey de travailler elle aussi comme hôtesse dans cet endroit où se réunissent hommes d'affaires et yakuzas. Sans ressources, et fermement décidée à parvenir à ses fins en ce qui concerne le professeur Shi Chongming, Grey accepte de travailler au « Some Like It Hot ».
Introduite dans ce milieu très fermé, Grey va être présentée à la tenancière du club, Mama Strawberry, une japonaise d'âge mûr qui se pique de ressembler à Marylin Monroe, mais elle fera aussi et surtout la connaissance de Junzo Fuyuki, un redoutable chef de clan yakuza infirme et cloué sur un fauteuil roulant assisté de Ogawa, une nurse au physique monstrueux que tout le monde semble craindre au plus haut point.
Peu à peu, Grey va se faire accepter par le cercle gravitant autour de Fuyuki mais ce qu'elle va finir par découvrir au sein de la pègre japonaise ne sera pas sans rapports avec le but de sa quête. Malheureusement pour elle, il est des secrets bien gardés qu'il vaut mieux éviter d'exhumer.

« Tokyo » est un thriller. En cela, on y trouve maints éléments qui ont fait le succès de ce genre littéraire. Une fois entré dans ce roman, on ne peut s'en détacher jusqu'à la dernière page et c'est avec délices, mais aussi avec beaucoup d'angoisse, voire de nausées, que l'on poursuit la lecture de ce récit haletant et terrifiant.
Le petit plus que nous apporte Mo Hayder par comparaison avec les autres grands titres du genre, c'est d'abord le lieu du récit, qui se déroule dans la capitale japonaise, univers étrange et fascinant à nos yeux d'européens où les hautes technologies et le paysage urbain constitué de verre et d'acier, voisinent avec les architectures et les traditions séculaires héritées du japon médiéval.
Mais c'est aussi et surtout par sa dimension historique que le récit se démarque des thrillers habituels avec les chapitres mettant en scène les épisodes du sac de Nankin relatés par Shi Chongming. Pour cela, Mo Hayder s'est remarquablement bien documentée sur cet épisode tragique de la guerre sino-japonaise, ce qui apporte à son roman une épaisseur que bien peu de thrillers actuels peuvent se vanter de détenir.
Original, dépaysant, captivant et effrayant, « Tokyo » est un livre qui se dévore, un trip hallucinant dans un Japon contemporain qui n'en a pas encore fini avec les démons de son passé.


Les avis de Valunivers, de Uzi, de Caroline, de Yue Yin, de Tatiana, de The Kikies, d'Alain, de Gaëlle, de Thierry, de Lo, de Solenn, de Gachucha et de Chatperlipopette.


Pour en savoir plus sur le sac de Nankin en 1937 : un documentaire de Serge Viallet produit par Arte France et Point du Jour (50 mns)




lundi 10 décembre 2007

Insoumise



"La passion selon Juette" Clara Dupont-Monod. Roman. Grasset & Fasquelle, 2007.




Georges Duby, dans son ouvrage "Dames du XIIème siècle" (Gallimard, 1995), évoquait, entre les figures célèbres d'Héloïse et d'Aliénor d'Aquitaine, une personnalité féminine méconnue : Juette.



« En 1172, une fille nommée Ivette, ou plutôt Juette, vivait à Huy. Dans cette petite ville de l’actuelle Belgique, alors en pleine expansion économique, l’argent coulait à flots. Juette avait treize ans. Son père, receveur des impôts que l’Evêque de Liège levait dans le pays, était riche. Il prit conseil de sa parenté et choisit pour elle un époux.Juette n’a pas compté dans l’Histoire. Elle est loin d’avoir occupé dans l’esprit des hommes, ses contemporains, la place que tenaient Aliénor ou Héloïse. J’évoque cependant son image parce que le récit de sa vie s’est conservé. Un religieux de Floreffe l’écrivit vers 1230.Il était bien informé : l’abbé de son monastère venait de recevoir la dernière confession de la mourante, et lui-même avait été son confident. Il l’avait écoutée parler. Il s’est efforcé de rapporter fidèlement ce qu’il avait entendu. Par lui, par cette biographie consciencieuse, fourmillant de détails précis, un écho nous parvient des paroles d’une femme. Transformées, certes, par le passage de la langue vulgaire au latin d’école, par les préjugés du transcripteur, par les exigences du discours hagiographique.[…] Toute locale qu’ait été cette aventure féminine, elle en dit long sur ce que les hommes de ce temps pensaient des femmes.

[…] Juette ne s’était pas enfuie de la maison paternelle pour échapper au mariage. Elle n’était pas non plus parvenue à convaincre son époux de ne pas la déflorer et de poursuivre à ses côtés dans la chasteté commune. Docile, cette enfant s’était laissé donner, elle s’était laissé prendre et, comme tant de pucelles livrées jeunettes aux brutalités de l’accouplement, elle ne s’en était jamais remise. »

C'est ce personnage qui a inspiré à Clara Dupont-Monod le sujet de son dernier roman "La passion selon Juette".
Juette a treize ans quand son père prend la décision de la marier. Rien que de très banal pour l'époque. En ce XIIème siècle, c'est la norme. Pourtant, Juette est encore une enfant, une enfant qui aime se raconter des histoires et en entendre de la part de son ami et confident, le moine Hugues de Floreffe. A ses côtés elle écoute les histoires de chevalerie, les romans arthuriens, l'histoire du Chevalier à la Rose, celle de Tristan et Iseult...
Juette rêve de chevaliers. Elle idéalise ces hommes au cours de ses rêveries qu'elle appelle "ses histoires". Ces chevaliers , elle les imagine comme des anges justiciers, des parangons de pureté et de loyauté, des êtres éclairés par la foi et l'héroïsme.

Mais cet univers, elle va devoir l'abandonner brutalement car son père a décidé de la marier et elle devra chaque soir subir les assauts d'un homme qui se couche sur elle, qui remue et qui la pénètre avant de rouler sur le côté et de s'endormir.
Alors Juette comprend. Elle voit ce que sont réellement les hommes, avec leurs rires, leur soif de domination, avec leurs grosses voix et leurs grandes mains velues. Elle, à qui l'on a appris la simplicité et l'humilité pour s'adresser à Dieu, ne comprend pas cet orgueil et cette avidité des hommes, qu'ils soient prêtres ou laîcs. Tous n'ont qu'une obsession : posséder. Posséder le pouvoir, posséder la richesse, posséder les femmes. Voilà de quoi sont faits les hommes.

Alors Juette va se révolter. Elle ne va pas crier, taper, ni se débattre. Non, elle va subir en silence les attouchements de son mari, se laisser faire un enfant pour qui elle n'éprouvera qu'indifférence, et vivre sa vie d'épouse comme on porte un masque, sans en éprouver ni joie ni plaisir. Mais au fond d'elle-même, Juette brûle de l'envie de se rebeller contre l'ordre établi par les hommes, ce système qui souille tout ce qu'il touche.
Juette va souhaiter que tous les hommes disparaissent de la surface de la terre, son mari en premier.

Dieu a-t-il entendu sa prière ? Cinq ans après son mariage, son mari meurt subitement. Juette va-t-elle pouvoir recouvrer sa liberté et ses rêves d'enfant ? Non. Car si Juette n'a plus de mari, elle a toujours un père qui ne souhaite qu'une chose : la remarier.
Juette va refuser et demander à intégrer l'ordre des veuves, une communauté de béguines où elle va se dévouer au service des lépreux. Par son exemple et par son voeu de respecter un idéal de pauvreté évangélique, Juette et sa communauté, au même titre que les Cathares et les Vaudois dont les idées se répandent dans toute l'Europe, va s'attirer les foudres du clergé et va devoir lutter jusqu'à risquer sa vie pour préserver son indépendance, ainsi que sa conception sociale et religieuse de l'ordre du monde.

Avec le personnage de Juette, Clara Dupont-Monod nous offre un texte d'une écriture sublime, traversé d'éclairs de poésie et de sensualité. A travers le destin d'une femme que l'histoire a longtemps oubliée, elle nous dresse le portrait d'une personnalité hors du commun, d'une jeune femme qui ne renoncera jamais à son individualité pour se fondre dans le moule que la société a construit pour elle et ses semblables.

Par son refus de l'ordre établi, par sa révolte contre l'oppression masculine, Juette est une figure qui transcende les frontières et les époques. L'histoire de Juette n'est pas qu'une anecdote de l' histoire médiévale, elle est de tous les instants, de tous les combats, qu'ils soient présents, passés et à venir, pour l'émancipation des femmes. Magnifique.
L' avis de Florinette, de Lily, de Clarabel, de Gambadou, de Malice, de Goelen, de Nina, d'Ephémerveille, de Chatperlipopette.

Le-Saviez-Vous ? "Aujourd'hui..."

Aujourd'hui 10 décembre est célébrée (presque) partout dans le monde la "Journée Internationale des Droits de l'Homme."

Il n'est pas inutile de le rappeler car pendant ce temps, à Paris, ce lundi ...


dimanche 9 décembre 2007

Chagrin d'écolière


"J'apprends" Brigitte Giraud. Roman. Editions Stock, 2005



Elle s'appelle Nadia et elle vit quelque part dans la région lyonnaise. Elle a six ans et tous les jours elle va à l'école. C'est le milieu des années 60 et Nadia apprend à lire, à écrire, à compter. Elle aime l'école.


« J'aime l'école, un endroit où tout le monde se déploie, où tout est neuf, où tout commence. Où tout est vierge sur des feuilles blanches. J'aime ce monde de peinture à l'eau, de crayons de couleur, de papier crépon. Un monde de feutrine, de coton, de ficelle. Un monde de transformation. J'aime les matières qu'on découpe, la paire de ciseaux qui crisse sur la feuille immaculée, le pot de colle qui sent l'amande, le crayon bien taillé. J'aime le temps occupé, les consignes qui rassurent, les gestes nouveaux. J'aime être accompagnée, encouragée. Protégée. J'aime quand on range le matériel, quand on met chaque chose à sa place. J'aime la chronologie, le découpage du temps. J'aime construire avec mes mains, avec des mots, j'aime élaborer, inventer, échafauder. J'aime être loin de la maison. »


Pour Nadia, l'école, au cours de ses premières années, est un refuge et un laboratoire dédié à la découverte du monde qui l'entoure, un monde où s'éveillent ses sens et où elle se sent protégée, à l'écart d'un foyer familial où elle se sent étrangère.

« L'école est un monde d'automne et d'hiver, de feuilles mortes qu'on ramasse sur le chemin, qu'on observe, qu'on colle dans des cahiers. Feuilles de platane, de marronnier, de peuplier. C'est un monde de soleils pâles, de lumière artificielle, de ciels bas, de flaques dans la cour. De pluie contre les vitres, de rafales de vent qui font bouger les stores. Un lieu avec des gants cousus aux manches des anoraks. Un univers de jaune et d'ocre, de gris et de blanc. Des bogues, des coques, des châtaignes, des noix. De la boue sous les semelles, de la neige et la promesse de vacances qui arrivent sans bonheur. »


Nadia vit dans un immeuble avec sa soeur, son demi-frère, son père et Celle qui n'est pas sa mère.
Car Nadia et sa soeur sont nées en Algérie pendant la guerre d'indépendance. Leur père était soldat dans l'armée française et elles ne savent pas pourquoi elles n'ont plus leur vraie mère, ni si celle-ci est toujours vivante, quelque part en France ou de l'autre côté de la Méditerranée. Que s'est-il passé ? C'est ce que Nadia voudrait savoir.
Alors elle apprend, sans relâche, pour comprendre le monde et les choses. Mais parfois ce qu'elle apprend au tableau noir ou dans les livres scolaires ne cesse de la troubler et de susciter ses interrogations.


« Les châteaux forts ont quatre tours, des créneaux et un pont-levis. Les prisonniers sont enfermés dans des oubliettes. Autour du château, il y a des douves. Les chevaliers ont des armures et s'affrontent lors de tournois. Les troubadours vont chanter et danser de château en château. Les hommes du Moyen Âge jettent de l'huile brûlante sur les assaillants depuis le haut des créneaux. Ils partent en croisade et se battent contre les Arabes. Les Arabes sont nos ennemis. »


Et nous suivons ainsi Nadia au cours des années. Après l'école élémentaire, c'est le collège et l'adolescence, les années 70. Ce sont les années Giscard traversées par les chansons de Sheila et Ringo, , le groupe Il était une fois, Patrick Juvet, Michel Polnareff, la mort de Mike Brant.... C'est l'époque des premiers flirts, des compétitions de gymnastique, du premier soutien-gorge, des cours de flûte à bec, des copines, du hit-parade et du magazine Podium, de Claude François et des Claudettes...

Mais pour Nadia, le mystère sur ses origines reste toujours entier. Devant le miroir elle se trouve le type méditerranéen. Rachid, un camarade de classe « qui a l'oeil » lui demande si elle ne serait pas « un peu algérienne » mais que ce soit au sein de sa famille ou au collège, la loi du silence règne.


« J'apprends l'Empire byzantin, le monde musulman, l'Empire carolingien. J'apprends la chrétienté, les seigneurs et leurs vassaux. J'apprends les rois de France, Christophe Colomb et Vasco de Gama.
J'apprends Mahomet, le Coran, l'organisation de la mosquée. J'apprends les mots prophète, médine, hégire, sourate. Rien sur l'Algérie. »


Entre le mutisme de son père et l'indifférence de Celle qui n'est pas sa mère, Nadia et sa soeur ne savent comment faire la lumière sur leurs origines. Echouée dans un monde qui n'est pas le sien, Nadia va au catéchisme, part en colonie de vacances, s'entiche de certains garçons de sa classe, fredonne les chansons de Gérard Lenorman et lit Salut les copains. Mais au fond d'elle-même un vide est là, qui s'élargit avec le temps, qui se nourrit d'interrogations et d'informations parcellaires.

Dans « J'apprends », Brigitte Giraud nous restitue tout un monde, celui de l'école d'abord avec ses leçons, ses poésies, ses couleurs et ses odeurs, mais elle nous décrit aussi tout un pan de la société française au lendemain de la guerre d'Algérie, une société figée qui hésite entre le repli sur soi et la libération des moeurs, une société où le regard de l'autre se fait juge et condamne parfois dans un éclair d'intolérance et de suspicion.
Fait de courts paragraphes, le roman de Brigitte Giraud nous offre une succession de scènes de la vie quotidienne de ces années 60 et 70, scènes dont la brièveté formelle décuple l'efficacité et plongera le lecteur dans un univers de souvenirs et de sensations exhumées de ces mondes lointains et enfouis qui sont ceux de notre enfance et de notre adolescence.


Quête des origines, quête de la connaissance et de l'identité, le roman de Brigitte Giraud est un ouvrage pétri de nostalgie, de souvenirs tendres et douloureux. Un texte qui, sous son aspect faussement naïf et désinvolte nous renvoie à une période troublée de notre histoire dont les cicatrices, jamais pansées, ne cessent de suppurer malgré la chape de silence dont les autorités françaises ont tenté de la recouvrir.


« J'apprends » a reçu le Prix Armorice 2006.

La Chanson du Dimanche

Ils sont deux et ils s'appellent Alec et Clément. Ils ressemblent aux Bee Gees d'il y a trente ans et tous les dimanche ils mettent en ligne une nouvelle chanson en rapport avec un thème de l'actualité. On peut ainsi écouter "Nicolas et Rachida", "Miss France", "Petit cheminot" , "Pauvres pêcheurs", etc...

Si vous voulez vous aussi profiter de la Chanson du dimanche, c'est ICI.

Et pour vous donner un petit aperçu : "Super Pouvoir d'Achat". Enjoy !




Super Pouvoir d'Achat (la chanson du dimanche s02e11)
envoyé par lachansondudimanche

samedi 8 décembre 2007

Sainte Marie ?


"À l'abri de rien" Olivier Adam. Roman. Editions de l'Olivier, 2007





« Pas besoin de préciser. Nous sommes si nombreux à vivre là. Des millions. De toute façon ça n'a pas d'importance, tous ces endroits se ressemblent, ils en finissent par se confondre. D'un bout à l'autre du pays, éparpillés ils se rejoignent, tissent une toile, un réseau, une strate, un monde parallèle et ignoré. Millions de maisons identiques aux murs crépis de pâle, de beige, de rose, millions de volets peints s'écaillant, de portes de garage mal ajustées, de jardinets cachés derrière, balançoires barbecues pensées géraniums, millions de téléviseurs allumés dans des salons Conforama. Millions d'hommes et de femmes, invisibles et noyés, d'existences imperceptibles et fondues. La vie banale des lotissements modernes. A en faire oublier ce qui les entoure, ce qu'ils encerclent. Indifférents, confinés, retranchés, autonomes. Rien : des voitures rangées, des façades collées les unes aux autres et les gosses qui jouent dans la lumière malade. Le labyrinthe des rues aux noms d'arbres absents. Les lampadaires et leurs boules blanches dans la nuit, le bitume et les plate-bandes. La ville inutile, lointaine, et le silence en plein jour. »


C'est ici, près de Calais, que vit Marie avec Stéphane son mari, et ses deux enfants, Lise et Lucas.
Depuis qu'elle a été licenciée, elle reste toute la journée dans ce pavillon encastré au milieu d'un de ces innombrables lotissements sans âme qui poussent comme des verrues et qui s'étalent comme des chancres dans le paysage. Marie se sent inutile. Entre les tâches domestiques et les allers-retours pour déposer et rechercher ses enfants à l'école, elle a l'impression de devenir transparente, d'être un fantôme, une silhouette sans relief qui accomplit chaque jour les mêmes gestes et prononce les mêmes paroles.
Marie voit peu à peu ses rêves de jeunesse s'étioler, ses fous rires et ses espoirs d'adolescente disparaître inexorablement entre les courses à Auchan, la planche à repasser et le ronronnement stupide de la télévision.Quelque chose s'est brisé et Marie en a assez, elle n'en peut plus de cette existence artificielle, de ces gesticulations quotidiennes inutiles et incohérentes qui rendent l'existence pire que la mort elle-même.


C'est par hasard que son chemin va croiser celui d'êtres qui, plus encore qu'elle, vivent comme des fantômes.
Eux, ce sont les « Kosovars » comme on les appelle par ici, ces réfugiés de partout et d'ailleurs venus s'échouer sur ces côtes du Pas-de-Calais dans l'hypothétique espoir d'atteindre un jour l'Angleterre.

Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, seuls ou en groupes, ils ont bravé de multiples dangers, ils ont dépensé tout ce qu'ils avaient pour finalement se retrouver bloqués ici, face à la mer grise, condamnés à errer dans le froid et la nuit, devenus des sans-abris parce qu'une crapule devenue ministre de l'intérieur a un jour décidé de fermer le centre de Sangatte.

Depuis, ils vivent comme des ombres, avec la peur pour seule compagne, peur des policiers, de leurs insultes, de leurs chiens et de leurs matraques, peur d'être expulsés et renvoyés vers leurs pays d'origine qu'ils n'ont pas fui par simple envie de faire du tourisme.

Alors ils rôdent, de jour comme de nuit, comme des spectres, sous la pluie, dans le froid, à l'abri de rien.
Face à la détresse de ces hommes Marie va s'investir à fond et intégrer un réseau d'aide aux réfugiés afin de leur apporter un peu de nourriture, de chaleur et de compréhension. Elle va donner tout ce qu'elle a : temps, argent, nourriture, vêtements, afin de venir en aide à ces parias que l'on traite de pire manière que les animaux. Dans cette activité, Marie qui se sentait si peu exister auparavant, va finalement trouver dans les regards de reconnaissance de ces hommes la preuve de sa non-irréalité.
Chargée d'une mission envers les autres, envers ceux qui, bien plus qu'elle, ont perdu toute reconnaissance de la société, Marie va enfin pouvoir retrouver une épaisseur, une image d'elle-même qu'elle croyait à jamais disparue.

Mais, à trop s'investir pour les autres, Marie en vient à négliger de plus en plus sa propre famille et très vite l'incompréhension, le doute et la douleur vont s'installer dans le cercle familial. Quant à l'entourage, les voisins, les camarades de classe des enfants, ce seront l'hostilité, les insultes et le mépris qui vont s'exprimer et se déchainer à l'encontre de Marie.

Mais rien ni personne ne fera céder la jeune femme qui ira jusqu'au bout de sa mission, quitte à endurer les crachats, à risquer sa vie et à frôler la folie.


« À l'abri de rien », le dernier roman d'Olivier Adam, dresse le portrait d'une femme qui s'engage dans un combat désespéré contre l'indifférence et l'arbitraire de notre société contemporaine. Dans cette lutte inégale contre les préjugés, le racisme et l'intolérance, cette jeune femme si ordinaire, va engager toutes ses forces et dépenser toute son énergie pour une cause qui lui aurait valu autrefois un statut proche de la sainteté mais qui, dans notre société actuelle pétrie d'égoîsme, lui vaudront d'être considérée comme une demie-folle, une marginale et une irresponsable.

Car à l'instar de ces personnages du passé qui abandonnaient toutes leurs possessions pour venir en aide à leurs prochains, Marie va se lancer à corps perdu dans un combat contre les forces de l'exclusion et de l'intolérance. Ce combat, dans un monde où règne le cynisme et le mépris de l'autre ne peut bien évidemment qu'être perdu d'avance devant les murailles d 'incompréhension et d'égoïsme dressées par l'accumulation de mesures politiques rigoristes destinées à encourager les sentiments les plus bas et les plus méprisables d'une société toute entière vouée à la stigmatisation et au rejet des plus faibles.

C'est un aspect de ce combat que nous décrit Olivier Adam dans ce roman plein d'ombres et de lumières, ce récit âpre et douloureux où s'expriment toutes les contradictions et toutes les carences d'une société basée sur la prédominance de la notion de l'Avoir sur celle de l'Être. Un très grand roman.

vendredi 7 décembre 2007


"N'importe quel individu qui, chaque jour de sa vie, ne consacrerait ne serait-ce que vingt minutes à lire de la poésie, c'est-à-dire à la pratiquer, s'en trouverait profondément changé, et libéré. D'où l'intérêt de notre société à détourner qui que ce soit de cette activité."
(Stéphane Audeguy "Petit éloge de la douceur")
Peinture de Henri Martin (1860-1943) "Le Poète"

jeudi 6 décembre 2007

Divine Comédie


"De bons présages" Neil Gaiman & Terry Pratchett. Roman. Editions Au Diable Vauvert, 2001



Voilà. C'est décidé. Conformément au plan prévu de longue date, Dieu et Satan sont prêts à déclencher l'Apocalypse sur la Terre.

Pour préparer l'évenement, ils ont désigné l'Ange Aziraphale et le Démon Rampa.

Les deux envoyés du Ciel et de l'Enfer sont particulièrement chargés de veiller à la naissance de l'Antéchrist ainsi qu'à son intégration – par substitution de bébé – au sein de la famille de l'attaché culturel américain en poste au Royaume-Uni.
Mais l'échange de nouveau-nés, qui doit se dérouler au sein même de l'hopital, capote grâce (ou à cause de) l'intervention de Soeur Mary Loquace, nonne sataniste de l'Ordre Babillard de Sainte-Béryl, qui va fourrer l'Antéchrist dans les mains d'une famille de la middle-class anglaise, les Young.


Tout semble aller pour le mieux et personne ne s'aperçoit de la bévue de Soeur Mary Loquace quand, onze ans plus tard, au moment où l'Antéchrist doit se dévoiler à la face du monde et déclencher le processus qui mènera au Jugement Dernier, Aziraphale et Rampa comprennent que quelque chose ne tourne pas rond.


A partir de ce moment, les deux compères, Aziraphale l'ange bibliophile et libraire à mi-temps, et Rampa, le démon amateur de Bentley et des chansons de Freddie Mercury, vont avoir fort à faire. Car pendant ce temps là, celui qui était pressenti comme « l'Adversaire, le Destructeur de Rois, l'Ange de l'Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l'Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres » coule des jours heureux dans le village de Tadfield (Oxfordshire) en compagnie de ses copains Wensleydale, Brian, et Pepper la seule fille du groupe.

Entouré de ses amis, Adam Young ( malgré que Soeur Mary, à la naissance du bébé, ait tenté sans succès de souffler à ses parents « adoptifs » des prénoms tels que Absinthe ou Damien) passe ses journées à faire du vélo et à jouer avec eux à la Guerre des Etoiles ( Adam, coiffé d'un seau à charbon incarne Dark Vador et Pepper inévitablement endosse le rôle de la princesse « dont la coiffure ressemblait à un casque stéréo. »)


Mais Adam, bien que totalement inconscient des pouvoirs extraordinaires qui lui ont été échus, va déclencher à son insu une série d'évènements plus que troublants. Ainsi va t-il donner naissance à l'Inquisition Britannique, puis faire disparaître le réacteur nucléaire de la centrale de Turning Point. Le continent disparu de l'Atlantide avec ses habitants (« De courtois vieillards vêtus de longues toges et coiffés de casques de plongée... ») réapparaît au milieu de l'océan. Des extra-terrestres débarquent inlassablement de leur soucoupe volante digne d'un film de série B des années 50 afin de délivrer de manière intempestive un message de paix cosmique. Des tibétains fouisseurs et stupéfaits sortent de terre aux endroits les plus improbables. Des averses de poissons, de crustacés et de céphalopodes s'abattent sur une autoroute...


Mais les forces du Ciel et de l'Enfer ne sont pas en reste et ont dépêché sur Terre les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, Famine, Guerre, Mort et ... Pollution (Pestilence a pris sa retraite après qu'ait été découverte la pénicilline) qui doivent accélérer le processus de destruction de toute vie sur la planète.


Pendant ce temps, Aziraphale et Rampa, à qui leurs autorités respectives ont promis de sévères sanctions pour avoir traité à la légère la préparation du Jugement Dernier, vont finalement admettre que ce monde, même imparfait, ne mérite pas le sort funeste qui lui est promis.
Et s'ils mettaient leurs pouvoirs en commun pour faire capoter l'Apocalypse et sauver le monde ?

Mais il ne leur reste que trois jours pour enrayer le déroulement de la justice divine.


« De bons présages », roman à quatre mains écrit par Neil Gaiman et Terry Pratchett ( l'auteur des « Annales du Disque-Monde ») est une farce moderne, un récit loufoque qui, par son propos, reprend le thème de ces « Mystères » joués sur les parvis des cathédrales du Moyen-Âge où des acteurs représentaient le Jugement Dernier pour l'édification religieuse du peuple. Mais ici point de sérieux mais seulement l'occasion de se bidonner à chaque page en compagnie de Rampa et d'Aziraphale, d'Adam et ses amis mais aussi d'une sorcière novice, d'un apprenti inquisiteur, d'une nonne sataniste reconvertie dans les stages de gestion d'entreprise, d'une prostituée qui exerce la fonction de médium à mi-temps, du président d'une association de propriétaires, emmerdeur à plein temps, ainsi qu'un chien et un livreur de colis de l' International Express.

Un récit hilarant et mené à cent à l'heure, truffé de références et de clins d'oeil au cinéma de série B, aux émissions de télé, et bien sûr à la musique rock des années 70-80. Roman délirant et inventif, « De bons présages » n'est pas sans rappeler l'ambiance des premiers films des célèbres Monty Python où le nonsense britannique était poussé à son paroxysme.

Fortement recommandé en cas de déprime.

mercredi 5 décembre 2007

L'engrenage


"L'Adversaire" Emmanuel Carrère. Récit. Editions P.O.L, 2000


Avec « L'Adversaire », Emmanuel Carrère revient sur une des affaires criminelles les plus troublantes de la fin du XXème siècle : l'affaire Jean-Claude Romand.

Ayant assisté au procès, s'étant mis en rapport avec les proches de l'accusé et des victimes, avec divers témoins, avec des psychiatres, des avocats, des magistrats, avec Jean-Claude Romand lui-même, avec qui il a correspondu, Emmanuel Carrère relate dans ce livre le parcours hors du commun de cet homme qui aura vécu dans le mensonge pendant près de vingt ans jusqu'à ce que la réalité le rattrape et fasse de lui un meurtrier.

Le lundi 11 janvier 1993 vers quatre heures du matin les pompiers interviennent pour maîtriser un incendie qui s'est déclaré dans une habitation d'un quartier paisible de la petite ville de Prévessin-Moëns (Ain). De cette belle maison, occupée par une famille sans histoires, les soldats du feu vont réussir à sauver une seule personne, le père de famille, le docteur Jean-Claude Romand. Pour ce qui est de sa femme Florence et ses deux enfants, Antoine et Caroline, il est trop tard.
L'homme, dans le coma, est évacué sur l'hopital de Genève.
Très rapidement, les gendarmes font d'étranges découvertes sur les corps de Florence Romand et de ses deux enfants. Leur décès à tous les trois n'est pas dû à l'incendie. Florence Romand a eu le crâne fracassé par un objet contondant. Antoine et Caroline ont été tués par balles.
Le jour même, à 80 km de là, à Clairvaux-les-Lacs (Jura), l'oncle de Jean-Claude venu au domicile des parents de celui-ci afin de leur annoncer la terrible nouvelle, trouve leur maison fermée. Inquiet, il force la porte et découvre les corps de son frère, de sa belle-soeur et de leur chien, tués par balles eux aussi.
Les enquêteurs s'interrogent et décident d'en apprendre un peu plus sur la personnalité du docteur Romand. Ils contactent pour cela le siège de l'O.M.S. à Genève où Romand est maître de recherches détaché de l'INSERM de Lyon. Stupeur ! A l'O.M.S. personne ne connaît de docteur Romand, pas plus qu'à l'INSERM ni non plus à la faculté de Dijon où il a toujours assuré donner des cours.

Peu à peu, la réalité apparaît au grand jour. Le docteur Romand, ce père de famille exemplaire, ce mari idéal, chercheur à l'O.M.S où, dit-il, il côtoie les plus grandes sommités médicales – n 'est-il pas l'ami de Bernard Kouchner et de Léon Schwarzenberg ? – le docteur Romand, cet homme au physique rassurant, cet homme discret et modeste sur sa carrière qui le fait évoluer au sein des hautes sphères scientifiques, cet homme qui vivait grand train, qui assistait à des colloques à l'étranger, qui était reçu sous les ors de la République, cet homme n'est rien !
Pendant près de vingt ans Romand a menti, à ses parents, à ses amis, à sa femme et à ses enfants. Alors que tout le monde le croyait au travail, il errait des journées entières, garnt sa voiture sur des aires d'autoroute, des parkings de supermarché. Quand il annonçait à ses proches qu'il se rendait à l'étranger pour un colloque, il s'enfermait plusieurs jours dans une chambre d'hôtel près de l'aéroport où il passait son temps à lire des revues médicales et à regarder la télé.

Pourquoi ? Pourquoi Romand a-t-il basculé ? Pourquoi cet élève doué à l'école, cet enfant discret et effacé, promis à de brillantes études de médecine a-t-il dérapé ? Pour quelle raison – alors qu'il se trouve en première année de médecine – ne s'est-il pas présenté aux examens de fin d'année ? Pour quelles raisons a-t-il fait comme s'il avait réellement passé les épreuves ? Pourquoi a-t-il fait croire à tout le monde, à ses parents, à ses amis, à celle qui deviendra sa femme, qu'il suivait toujours le cursus de ses études de médecine ? Le premier mensonge, celui qui lui fera affirmer qu'il est reçu en seconde année de médecine, ce premier mensonge a-t-il été le début de l'engrenage dans lequel Romand va mettre le doigt puis toute sa personne ?

Mais comment faire croire aux autres, à sa propre famille, que l'on est un chercheur reconnu, une autorité au sein de l'O.M.S si l'on n'a aucun revenu ? Pour Romand c'est bien simple, pendant près de vingt ans, en leur faisant croire qu'il peut leur faire bénéficier de placements avantageux, Romand va dépouiller ses parents, ses beaux-parents et même sa maîtresse. Car Romand a une maîtresse qu'il invite dans les plus chics restaurants parisiens, à qui il offre des bijoux d'une valeur inestimable. Tout ceci avec l'argent que lui ont confiés ses proches. Et l'escroquerie durera des années sans que personne – ou presque – ne s'en aperçoive.

Mais l'argent s'épuise peu à peu et Romand voit venir le moment où il devra faire face à la réalité et avouer à la face du monde qu'il n'est rien, qu'il a trompé non seulement son monde mais aussi qu'il s'est trompé lui-même en s'inventant de toutes pièces une carrière, une personnalité, des relations et même un cancer bénin – un lymphome – qui lui a attiré la compassion de son entourage.
L'étau se resserre et Florence Romand a peut-être – à un moment où à un autre – éprouvé des soupçons envers son mari ? Toujours est-il que Romand se sent pris au piège. Il est trop tard pour tout avouer. Il est allé trop loin. Qui lui pardonnera ? Alors Romand décide d'en finir. Mais pour cet homme au psychisme trouble, en finir avec lui-même implique aussi d'en finir avec les autres, et d'effacer ainsi toutes traces de ses mensonges.

C'est ainsi que le samedi 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme Florence, encore endormie, en lui assénant de violents coups de rouleau à pâtisserie. Il descend ensuite au salon où ses enfants regardent la télévision. Il passe environ une heure avec eux, leur prépare leur petit déjeuner, puis sous prétexte de prendre leur température – il prétend les trouver fiévreux – il les fait monter l'un après l'autre dans leur chambre où il les tue avec une carabine.
Il sort ensuite de chez lui et se rend à Clairvaux-les-Lacs, déjeune avec ses parents, puis les tue tous les deux, l'un après l'autre – ainsi que leur chien – à coups de carabine.
Il partira ensuite pour Paris où il échouera dans sa tentative d'assassiner sa maîtresse. De retour dans la maison familiale, il passera l'après-midi à regarder la télévision alors qu'à l'étage gisent les corps de sa femme et de ses deux enfants. Tard dans la nuit, il prend des barbituriques, répand de l'essence dans toute la maison et met le feu.
La suite, on le sait, verra échouer sa tentative de suicide.

C'est le déroulement effroyable de cette histoire que nous relate Emmanuel Carrère, ainsi que ses suites judiciaires et les questions qui se posent inévitablement face à un tel drame et surtout face à un personnage tel que Jean-Claude Romand, mythomane, affabulateur, escroc et meurtrier. On suit pas à pas l'enquête et l'on découvre peu à peu la personnalité et le parcours de cet homme, les circonstances qui l'ont poussé à aller toujours plus loin dans l'art du mensonge, de la manipulation et de la dissimulation jusqu'à ce que la situation devienne intenable au point qu'il soit trop tard pour revenir en arrière et qu'il faille prendre des mesures extrêmes. C'est le portrait qui pourrait être tragique, mais finalement pathétique, d'un homme dépassé par ses propres illusions et qui se révelera trop lâche pour assumer dignement les conséquences de ses actes.

Drame humain, tragédie moderne, « L'Adversaire », ce récit terrible et poignant lève un coin du voile sur la personnalité trouble et énigmatique d'un homme qui, pour fuir la réalité de son échec, a choisi de massacrer les siens en pensant s'effacer lui-même.


« L'Adversaire » a été porté à l'écran en 2002 par Nicole Garcia avec Daniel Auteuil dans le rôle de Jean-Claude Romand.

mardi 4 décembre 2007

Un An !



Il y a exactement un an, le 4 décembre 2006, commençait pour moi une aventure dont je ne savais pas si elle ne serait qu'une passade, ou si au contraire elle perdurerait plus que quelques semaines, voire quelques mois.

Cette aventure qui débutait alors, c'était celle du blog du Bibliomane, blog qui fête aujourd'hui son premier anniversaire.


L'idée de tenir un blog ne vient pas de moi, elle m'a été conseillée par mon grand ami Laurent qui me proposait ainsi de créer cet espace pour donner un peu de piment à cette période de chômage prolongé qui va bientôt atteindre, elle, son deuxième anniversaire le 19 décembre.


Aurais-je persévéré si je n'avais également été soutenu et encouragé par ma tendre épouse Chatperlipopette ( qui fêtera son bloganniversaire demain!) ?


Aurais-je persévéré sans tous vos messages ?


Et voilà qu'une année est passée, avec environ 150 livres lus et chroniqués, tout cela entrecoupé de billets d'humeur sur l'actualité, qu'elle soit culturelle, politique ou écologique, mais aussi quelques citations, quelques films et quelques chansons.
Ce fut une année passionnante, pleine de rires et de rencontres. Car c'est ici qu'intervient l'élément le plus marquant de cette année : VOUS !


Combien d'échanges, combien d'avis partagés sur les blogs des uns et des autres, combien de messages déposés ça et là ? Tout cela je vous le dois, à toutes et à tous, les habitués et les occasionnels, les familiers et les inconnus. Car grâce à ce petit espace de discussion qu'est un blog, j'ai pu faire peu à peu votre connaissance, découvrir vos univers respectifs et m'enrichir de nos échanges.


J'ai également eu la chance de rencontrer « pour de vrai » Sylire, Majanissa, Joëlle, ainsi que Yvon-Eireann. Peut-être que l'année prochaine me permettra de faire connaissance avec un nombre plus important d'entre vous.


Je remercie également toutes celles et tous ceux qui, sans tenir un blog, interviennent régulièrement, je pense à Marie de Nantes, et particulièrement à Marie de Tahiti, à Domreader, à Coline, Aériale, Bertrand et aux autres membres du forum « Parfum de livres », ainsi qu'à mes proches, famille et amis, qui souvent viennent me rendre visite sur ce blog sans pour autant manifester leur présence.


A tous un grand merci !
Et l'aventure continue....


P.S : Toutes mes excuses auprès de celles et ceux que j'aurais oublié de citer dans ce message. Ils ont toute ma reconnaissance.

L'ironie du Sort


"Mitsuba" Aki Shimazaki. Roman. Leméac / Actes Sud, 2006



Takashi Aoki est un Shôsha-man (un commercial, en anglo-japonais), employé-modèle et dynamique de la firme Goshima, une multinationale spécialisée principalement dans le commerce de produits électriques et pétroliers.
En ce début des années 80, l'avenir sourit à Takashi. Reconnu et apprécié par ses supérieurs, sa carrière professionnelle se présente sous les meilleurs auspices. Cet homme à qui tout réussit n'a plus qu'un rêve à réaliser pour que sa vie soit comblée : se marier.
A presque trente ans, Takashi n'a pas de petite amie et encore moins de fiancée. Sa famille, ses amis et ses collègues ont bien tenté de lui présenter des jeunes filles mais Takashi est profondément réfractaire au procédé du Miaï (rencontre arrangée en vue d'un mariage).

En vérité son coeur bat pour une jeune femme qui exerce en tant que réceptionniste à l'accueil de la société Goshima. Elle s'appelle Yûko Tanase.

Takashi a fait sa connaissance en suivant des cours de français dans une école de langues. Très vite, les deux jeunes gens ont sympathisé et ils ont depuis pris l'habitude de se rendre après les cours au café du Trèfle (Mitsuba, en japonais).

C'est au cours de l'un de ces rendez-vous que Yûko apprend à Takashi qu'elle quittera dans quelques mois son emploi à la compagnie pour se rendre à Montréal et qu'ensuite elle se mariera avec un ingénieur que ses parents ont choisi pour elle. Takashi est atterré.

Sur ces entrefaites, son supérieur hiérarchique, Mr. Toda, apprend à Takashi que la compagnie Goshima a décidé de l'affecter pendant trois ans en poste à Paris.
Le temps presse pour le jeune homme s'il veut déclarer sa flamme à Yûko avant qu'ils ne soient séparés. Il doit donc agir très vite avant qu'il ne soit trop tard mais entre temps le destin vient de frapper un coup en la personne d'un autre jeune homme qui est le fils du président de la banque Sumida, banque qui détient la majorité des parts de marché de la compagnie Goshima.


Takashi va alors tomber de déceptions en désillusions et faire l'amer constat que sa position au sein de la compagnie – si gratifiante et confortable soit-elle – n'est que relative. Son avenir professionnel pourrait en effet se trouver gravement compromis s'il ne sacrifie pas ce qui lui est le plus cher aux intérêts supérieurs de la compagnie Goshima. Il va apprendre à cette occasion les circonstances réelles qui l'ont amenées à travailler pour Goshima ainsi que la cause véritable du décès de son père – lui aussi employé de la compagnie – survenu lors d'un voyage d'affaires à Londres onze ans plus tôt.

Et qu'en est-il de cette prédiction qui lui est faite en pleine rue par un ékisha (devin, diseur de bonne aventure), prédiction qui le voit vivant à l'étranger, marié et père de deux enfants, prédiction placée sous le symbole du trèfle ?


Avec « Mitsuba », Aki Shimazaki nous livre, comme pour la pentalogie du « Poids des Secrets », un récit en forme de parabole sur le destin et l'ironie du sort. Remarquablement construit, ce court roman, sous l'aspect faussement anodin d'une histoire d'amour sur fond de réussite sociale, entraîne le lecteur dans une spirale qui le tiendra accroché jusqu'aux dernières pages.
Comme pour « Le poids des secrets » Aki Shimazaki dénonce les travers de la société japonaise, ses archaïsmes toujours présents sous le vernis de la modernité et de la technologie, son conformisme de facade, son système de castes étendu à tous les niveaux de la société , sa culture d'entreprise qui fait de chaque employé un être soumis, corvéable et malléable à volonté.


Un roman concis et virtuose, un petit chef-d-oeuvre d'habileté où Aki Shimazaki, en habile tisserande, entremêle les fils du destin avec ceux du hasard.
Dans les mythologies grecque, romaine et scandinave, le destin est représenté par la figure des Moires, des Parques ou des Nornes, trois femmes qui tissent le destin inéluctable des mortels. Si au lieu du rouet et du fuseau elles avaient été pourvues d'une plume et d'une feuille de papier, Aki Shimazaki serait assurément l'une d'entre elles.


L'avis de Joëlle, de Carole, de Jules, d' Eontos, d' Absolu, de Michel, de Ashita, de Chatperlipopette.

lundi 3 décembre 2007

Le-Saviez-Vous ? "Un nouveau continent vient d'apparaître !"

Ce n'est pas un canular, notre planète peut aujourd'hui s'enorgueillir d'un sixième continent. Situé entre la Californie et Hawaï, sa superficie est plus grande que l'Afghanistan ou la Somalie. Mais il ne cesse de s'étendre et à la fin du siècle il sera grand comme l'Afrique. Dans deux cents ans il aura tellement pris d'importance qu' il sera possible de passer à pied sec du Japon à la Californie.

Ce nouveau continent a un nom : "La Grande Plaque de déchets du Pacifique". Il est composé d'un amoncellement de détritus divers, polyesters, plastiques et autres déchets évalué à 3,5 millions de tonnes. Tournant sur lui-même sous l'action d'un courant marin connu sous le nom de North Pacific Gyre, il ne cesse de prendre de l'ampleur. Les scientifiques qui ont étudié ce phénomène ont conclu qu'il était impossible de l'éliminer car trop grand. De plus, cela s'avérerait trop coûteux !
Ce n'est pas un cauchemar, ce n'est pas de la science-fiction. C'est aujourd'hui.


(Source : NaturaVox)

dimanche 2 décembre 2007

Les Esquintés


"Passer l'hiver" Olivier Adam. Nouvelles. Editions de l'Olivier / Le Seuil, 2004



Ils sont bien esquintés les personnages que met en scène Olivier Adam dans ce recueil de neuf nouvelles. Fatigués, cabossés par la vie. Chaque journée qui commence est un combat contre la poisse, un combat qui les laisse un peu plus seuls, un peu plus usés par les injures de l'existence.


Neuf nouvelles, neuf portraits d'hommes et de femmes d'aujourd' hui. Neuf solitudes qui tentent tant bien que mal de passer l'hiver.

Ces neuf textes ont effectivement l' hiver en toile de fond, l'hiver saison du dépouillement, saison difficile et cruelle à ceux qui n'auront pas la force de voir venir le printemps. Mais c'est surtout l'hiver métaphorique qui s'installe en chacun de nous que nous décrit ici Olivier Adam, cet hiver intérieur qui nous étreint après la mort d'un proche, la perte d'un emploi, d'un amour, ou tout simplement de nos illusions piétinées par le sort.

Olivier Adam nous fait partager quelques heures ou quelques jours de ces vies brisées ou en passe de le devenir. Il nous raconte ces hommes et ces femmes aux prises avec l'adversité du quotidien, avec ces douleurs muettes qui se cachent derrière les fenêtres des cités pavillonnaires éclairées par les écrans de télévision, avec ces chagrins refoulés sous les néons de ces zones commerciales dont on ne sait plus où elles commencent et où elles prennent fin, avec ces envies de tout foutre en l'air qui survient lors de ces nuits interminables passées à contempler derrière une vitre les lumières de ces villes glacées.


« [...] et c'est la nationale et les enseignes alignées, les feux, les voitures, les restaurants, les cubes en tôle, Saint-Maclou, But, La Halle aux chaussures, les zones commerciales, les zones d'activité, les zones industrielles, plus haut l'hopital et la gare RER, plus bas la maison de quartier, l'ANPE et les alignements de pavillons, les jardins, les terrains vagues. C'est là que je vis. »


Ils sont tous là, ceux qui ne passent pas l'hiver à Megève ou aux Caraïbes. Ils sont chauffeurs de taxi, employés de supermarché, vendeuses dans une station-service, infirmières, professeurs des écoles, taulards récemment libérés, ouvriers, employées de bureau...
Tous essaient à leur façon de passer l'hiver, soit en rentrant les épaules et en attendant que cela se passe, soit en décidant de tout envoyer paître et d'abandonner un quotidien devenu insupportable.
Ils sont comme ça les personnages que nous dépeint Olivier Adam dans ces neuf nouvelles qui sont autant de facettes de nos vies dérisoires, neuf tableaux qui décrivent avec une froide lucidité la France d'en bas, celle qui se lève tôt et qui souvent ne se couche même pas tant elle ressasse les crachats et les affronts de l'existence.
Pour eux, pour nous, l'hiver est toujours là, dans ces nuits d'insomnie, dans ces moments où tout ce qui nous entoure semble se réduire en cendres parce que quelqu'un nous a quitté, parce qu'un être cher meurt d'un cancer sous nos yeux, parce qu'il faut chaque jour se faire humilier par un petit chef pour ne pas se retrouver dans la rue, parce que la vie, finalement, se présente parfois comme notre pire ennemie.


Avec « Passer l'hiver », Olivier Adam s'est vu décerner le Prix Goncourt de la Nouvelle en 2004. Les neuf textes qui composent ce recueil n'incitent certes pas à la gaudriole mais sont, par certains aspects, le reflet sans fard de la réalité sociale de notre pays.
Une réalité crue, dure, et qui fait mal.

samedi 1 décembre 2007

Quand Norman Mailer se prend pour Cecil B. DeMille...


"Nuits des Temps" Norman Mailer. Roman. Robert Laffont, 1983



Quand j'ai lu « Nuits des Temps » à sa sortie en France, en 1983, je n'avais pas encore dix-huit ans. C'était la première fois de ma vie où je lisais une oeuvre de Norman Mailer. C'était l'été, et quand dans la fraîche pénombre de la bibliothèque municipale j'avais trouvé cet ouvrage je m'étais interrogé. Le peu que je savais sur Norman Mailer ne m'avait pas préparé à le considérer comme un auteur de romans historiques.

Pourtant, l'évidence était là, j'avais dans les mains le dernier roman en date de Norman Mailer et il était consacré à l'Egypte ancienne. J'ai donc emprunté ce pavé de 717 pages, me délectant par avance d'une épopée qui allait me faire voyager très loin dans le temps.


Deux semaines plus tard, je rapportais le livre à la bibliothèque. Je l'avais lu, du début à la fin, mais l'impression qu'il m'en restait était que je venais de lire un roman barbant et interminable. Profondément déçu, j'oubliais Norman Mailer et le hasard et les circonstances firent que rien d'autre de cet auteur ne me tomba sous la main dans les années qui suivirent.


Les années passèrent, et c'est vingt-quatre ans plus tard, en cet été 2007, que me trouvant chez des amis et farfouillant dans leur bibliothèque, me tombait à nouveau sous la main « Nuits des temps », même édition brochée de 1983 de chez Robert Laffont, même couverture rouge, noire et or où la silhouette d'une pyramide se profile à contre-jour dans une lumière crépusculaire. Je retourne l'ouvrage pour y lire la quatrième de couverture :
« Le livre le plus important de la décennie sinon du siècle », selon le New-York Times. Une plongée dans les ténèbres et les lumières d'un monde à la mesure des dieux : l'Egypte de Ramses II. Un roman superbe et délirant, savant, érotique, provocant, dont on sort ébloui.


Je m'interrogeai : « Serais-je, à l'époque, passé à côté d'un grand roman? Mon manque de maturité m'avait-il poussé à négliger ce qui s'avérait sûrement un livre passionnant et profond ? »
Je n'étais certes pas dupe de cette petite phrase qualifiant ce livre de « plus important de la décennie sinon du siècle ». Si ce livre avait réellement mérité ce concert de louanges, il serait aujourd'hui encore édité et lu par d'innombrables lecteurs. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est effectivement pas le cas.
Je me sentais toutefois intrigué et l'envie m'est venue de relire ce roman dont ne me restaient plus en mémoire que quelques noms et images confuses, en particulier l'histoire d'un vieillard nommé Menenhetet qui, grâce à un procédé assez particulier, réussit à se réincarner et à vivre ainsi plusieurs vies consécutives.
J'ai donc demandé à mes amis s'il m'était possible de leur emprunter ce roman, ce à quoi il ont fort aimablement consenti. Puis les mois ont passé, d'autres lectures m'ont accaparé et le 10 novembre j'appris la mort de Norman Mailer, survenue peu de temps après qu'ait été édité en France son dernier roman en date : « Un château en forêt », premier volet d'un cycle consacré à la vie d'Adolf Hitler.

C'est le 18 novembre que j'ai commencé la relecture de « Nuits des Temps » et c'est le seulement le 28, dix jours plus tard que je refermais ce roman. Au final, la même impression que lors de mes dix-sept ans : barbant et interminable.


Menenhetet II , ou plutôt son Ka (son double) se réveille au sein de la pyramide de Khoufou (Kheops). Sorti du monument, il erre dans la nécropole afin de retrouver la tombe dans laquelle son corps momifié a été déposé. Ayant retrouvé sa dernière demeure, il s'aperçoit qu'il n'y est pas seul : son arrière grand-père Menenhetet Ier s'y trouve aussi.

Avant d'effectuer le grand voyage des morts dans l' Am-Douat (le lieu souterrain où se retrouvent les défunts et que parcourt le Dieu Rê pendant les heures de la nuit), le Ka du vieil homme va relater à son arrière petit-fils les quatre incarnations qu'il a pu vivre en ce monde depuis le règne de Ramses II jusqu'à celui de Ramses IX .

Pour cela, il va faire remonter son descendant jusqu'à l'époque ou celui-ci n'était alors qu'un enfant, invité en compagnie de ss parents et de son arrière grand-père dans le palais du pharaon Ramses IX. Au cours de cette réception qui ne s'achèvera qu'à l'aube, le vieillard va relater au Pharaon, à sa petite fille Hathfertiti, mère de Menenhetet II ainsi qu'au père de celui-ci, Nef-khep-aukhem.

Toute la nuit le vieux Menenehetet va raconter ses quatre vies qui se dérouleront principalement sous le règne de Ramses II.

Jeune homme pauvre, il deviendra l'un des plus talentueux auriges de l'armée du pharaon et participera avec lui à la célèbre bataille de Qadesh. Plus tard il deviendra gouverneur du Jardin des Recluses, le harem du pharaon, où il apprendra l'art du complot. Puis il fera partie de la suite de la reine Nefertari et deviendra son amant.
Je ferai l'impasse sur ses trois incarnations suivantes qui offrent encore moins d'intérêt que la première.

Bien que l'on sente que Mailer s'est fortement documenté sur la civilisation de l'ancienne Egypte, ses rites, sa mythologie, la composition de sa société, le déroulement de la bataille de Qadesh qui, contrairement aux idées reçues, n'a pas été une victoire égyptienne (il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu), on ne retire de ce récit que l'impression d'avoir lu un énième roman historique, quelconque et soporifique.

Malgré l'importante documentation qu' a du consulter Norman Mailer pour donner un semblant de vie à ces égyptiens, je n'ai pu que m'esclaffer devant certaines bourdes. Ainsi, on apprend, page 232, que le pharaon Ramses IX se fait livrer...des tomates! Il est également l'inventeur de ... la chasse d'eau ! Mais attention, une chasse d'eau en forme de chadouf, et toute en or comme le siège assorti sur lequel le pharaon pose son divin postérieur afin d'y accomplir sa royale défécation. Aux pages 261 et 262, Menenhetet nous apprend également que Ramses II était blond avec des yeux bleu-vert ! On nage en plein film hollywoodien.
Ainsi, malgré un conséquent travail de recherche historique, Norman Mailer n'a pu éviter de se fourvoyer dans la vision ethnocentriste de l'américain contemplant et jugeant toutes les autres civilisations, présentes ou passées, à l'aune de sa propre représentation du monde. Les grossières erreurs historiques relevées plus haut ne peuvent que décrédibiliser l'ensemble du récit qui n'avait pas besoin de cela tant il apparaît morne, banal et sans intérêt.
C'est peut-être cet aspect fastidieux et interminable du récit qui a poussé Norman Mailer à tenter d'épicer quelque peu son roman en nous livrant à la pelle des scènes érotico-porno-scatologiques qui émaillent l'intrigue à tout moment. En effet, quoi de mieux pour attirer l'attention des lecteurs et des critiques littéraires qu'un zeste de sexe et de perversion ? Alors Norman Mailer nous en sert à la louche et ce ne sont que scènes de sodomie, fellations et autres pénétrations par tous les orifices dont la nature a gratifié le corps humain. Dans l'Egypte de Mailer, on se sodomise les uns les autres à tout moment, dans toutes les occasions ; on se fait des fellations gaillardement en tous lieux. Bref, si tout cela semble donner beaucoup de plaisir à nos égyptiens, on sent que c'est Mailer avant tout qui s'amuse de ces scènes et il faut bien reconnaître qu'il est le seul ! A lire ces pages, on en sort vaguement nauséeux et quelque peu dubitatif. Quelle est l'utilité de tout cela ? Nous démontrer que les habitants de l'Egypte ancienne avaient une vie sexuelle libérée et décomplexée ? On le savait déjà mais est ce que pour autant ils passaient leurs journées à se pénétrer les uns les autres ? Il est permis d'en douter. Est-ce que Norman Mailer veut plutôt nous montrer que c'est sa vie sexuelle à lui, qui est libérée et décomplexée ? Sans intérêt. Personnellement je me fous de la vie sexuelle de Mailer. Et que dire de ces multiples allusions scatologiques ? De ces réflexions philosophico-vasouillardes sur le rôle et la symbolique de la défécation ? Bref, et pour rester dans le ton : à lire ces 718 pages, on s'emmerde pharaoniquement !


Ce qui sauve Mailer dans ce livre qui s'est avéré comme son plus grand fiasco littéraire, c'est que Mailer écrit bien, très bien même, et c'est pour cela que je suis allé jusqu'au bout de cet interminable récit, porté par la prose de cet auteur que j'aurais du aborder avec un autre roman que celui-ci.

Je ne sais pas si je lirai un jour un autre roman de Norman Mailer. Il est trop tôt pour le dire et je dois d'abord digérer celui-ci et enfin l'oublier. La tâche ne devrait pas être trop difficile. Ce roman est aussi long à lire qu'il sera rapide à oublier.
Il y a quand même une chose que je n'oublierai pas, c'est que quand Norman mailer se prend pour Cecil B. DeMille, il fait du Max Pecas.

1er décembre : Journée Mondiale de la lutte contre le Sida