mercredi 28 octobre 2009

Un manuscrit à oublier


"Codex le manuscrit oublié" Lev Grossman. Roman. Calmann-Lévy, 2007

Traduit de l'américain par Lisa Rosenbaum.



Quand, dans les années 1980, Umberto Eco publia ses deux romans : « Le Nom de la Rose » et plus tard « Le Pendule de Foucault », il ne se doutait certainement pas – et nous, lecteurs encore moins – du formidable engouement qu'allaient susciter ses écrits.
Ce succès légitime allait pourtant avoir une conséquence catastrophique dans le fait que nombre d'écrivaillons et d'éditeurs, tous fermement décidés à faire tinter leur tiroir-caisse, décidèrent de lui emboîter le pas en proposant aux lecteurs des romans à énigmes, mêlant intrigue policière et faits historiques plus ou moins sérieux, le tout saupoudré d'un zeste d'érudition destiné à faire croire aux lecteurs que le livre qu'ils ont entre les mains est plus qu'un simple roman destiné à les distraire, mais un ouvrage censé leur apprendre énormément de choses, voire leur révéler des secrets jalousement gardés depuis des siècles par certaines autorités soucieuses de maintenir un pouvoir occulte sur le monde contemporain.
C'est ainsi que l'on a vu (et que l'on verra encore) défiler au cours des années et des parutions nombre de Templiers, d'Illuminati et d'Atlantes, de chevaliers du Graal... d'innombrables manuscrits détenteurs d'une vérité susceptible de bouleverser l'Histoire, voire de remettre en cause les fondements de la chrétienté : manuscrits de la Mer Morte, Évangiles apocryphes etc...

Un autre point commun caractéristique de ce genre littéraire est le sérieux avec lequel les auteurs tentent de nous convaincre du bien-fondé et de l'extrême véracité de leurs élucubrations. On est bien loin, dans la plupart de ces romans, de la distance qu'ont su prendre avec leurs sujets des auteurs comme Adrien Goetz avec son « Intrigue à l'anglaise » qui s'amuse avec humour et sans se prendre au sérieux à remettre en cause la légitimité de la Couronne d'Angleterre.
Quant à Umberto Eco, n'oublions pas qu'avec « Le Pendule de Foucault » il tire à boulets rouges sur ces romans, maniant les ficelles du genre avec une ironie jubilatoire dans le but de dégommer les poncifs propres à ces ouvrages.

Un autre aspect significatif de ces romans est aussi leur pauvreté lexicale, leur écriture rudimentaire faite de phrases courtes, ainsi que leurs personnages sans épaisseur, dotés d'une psychologie qui frise le zéro absolu.
Cerains de ces ouvrages réussissent quand même, malgré tout, à tirer leur épingle du jeu. J'en veux pour preuve le très célèbre « Da Vinci Code » de Dan Brown, qui, loin de faire date dans l'Histoire des Lettres, réussit quand même à tenir le lecteur en haleine grâce à un sens du suspense et à une intrigue qui force le lecteur à tourner la page pour en savoir toujours plus.

Il n'en sera pas de même, à mon avis, pour « Codex, le manuscrit oublié » de Lev Grossmann, roman qui accumule tous les défauts du genre.

Edward Wozny, un jeune banquier new-yorkais se prépare à prendre des vacances avant de partir pour Londres où l'attend un nouveau poste. Au dernier moment, son employeur lui confie une tâche bien peu en rapport avec son activité professionnelle : il s'agit de se rendre chez l'un des plus importants clients de la banque afin de répertorier les ouvrages d'une bibliothèque rapatriée d'Angleterre aux États-Unis par la richissime famille Went à l'aube de la seconde Guerre Mondiale.
Parmi toutes ces caisses remplies de livres précieux, Edward va être chargé de mettre la main sur un mystérieux manuscrit du XIVe siècle : Le Voyage au pays des Cimériens, écrit par un mystérieux chroniqueur nommé Gervase de Langford.
Bien évidemment, l'ouvrage reste introuvable dans la collection et Edward va devoir s'adjoindre l'aide d'une jeune étudiante au caractère de prime abord peu amène mais dont il va bien évidemment tomber amoureux quelques dizaines de pages plus loin.

Parallèlement à cette recherche, Edward va se faire offrir, par un ami informaticien et un peu hacker, un jeu vidéo multijoueurs non commercialisé et qui circule sous le manteau, jeu vidéo à l'usage d'une communauté triée sur le volet de développeurs en informatique.
MOMUS, c'est le nom de ce jeu, va s'avérer posséder de troublantes ressemblances avec ce qu' Edward finit par apprendre sur le contenu du Voyage au pays des Cimériens de Gervase de Langford.
Tout cela pourrait s'avérer assez agréable à lire – les passages concernant le chroniqueur médiéval et la rédaction de son ouvrage n'étant pas dénués d'intérêt – mais on s'apercevra très vite que l'intrigue peine à démarrer, que le rythme en est poussif, les dialogues inconsistants et que l'insertion dans le récit du jeu vidéo est inintéressante au possible, voire quasiment barbante !
Quant à la conclusion du mystère, elle laisse le lecteur sur sa faim suite à des démêlés rocambolesques, embrouillés et difficilement crédibles. Las! On referme le roman en se disant : « tout ça pour ça ! » et la seule satisfaction que l'on ressent après coup est d'en avoir terminé avec cette œuvrette de 440 pages dont on a du mal à comprendre comment elle est devenue un best-seller international. Ceci dit, les best-sellers contemporains ne sont après tout, et dans la majeure partie des cas, que des romans de gare. Le livre de Lev Grossmann relève de cette catégorie, à cette nuance près qu'il est un mauvais roman de gare.
Bref, « Codex » est un roman dont le manuscrit – comme son titre l'indique – aurait gagné lui aussi à être oublié dans une pile de caisses dans la cave d'un obscur éditeur.






jeudi 15 octobre 2009

Que le spectacle commence !


"De l'eau pour les éléphants" Sara Gruen. Roman. Albin-Michel, 2007

Traduit de l'américain par Valérie Malfoy.



Âgé de vingt-trois ans en cette année 1931, le jeune Jacob Jankowski se destine, à l'instar de son père, à la carrière de vétérinaire. Pour cela, il poursuit ses études au sein de la prestigieuse Université Cornell d'Ithaca.
Alors qu'approchent les examens de fin d'année, Jacob apprend avec stupéfaction que ses parents viennent de décéder, victimes d'un accident de la route.
Profondément bouleversé par cette nouvelle, le jeune homme va également se retrouver sans un sou vaillant. Le krach de 1929 a conduit la société américaine dans la Grande Dépression et la maison familiale ainsi que le cabinet vétérinaire de son père reviennent à la banque, suite au retard pris sur le remboursement d'un emprunt contracté pour payer ses études.

Ulcéré, Jacob va devoir abandonner ses études et se retrouver à la rue et partager le destin de ces milliers d'autres personnes qui, victimes de la crise, vont tenter de retrouver une vie normale autre part.
Le voici contraint de sauter dans un train en marche vers une destination inconnue, comme tous ces trimardeurs qui voyagent clandestinement dans les wagons de marchandises, à la recherche d'un emploi ou d'une soupe chaude.

Mais le train dans lequel a sauté Jacob n'est pas un convoi de marchandises, c'est le train du cirque des Frères Benzini.
Recueilli par quatre membres de l'Escadron Volant (équipe destinée à assurer la logistique et l'installation du cirque avant l'arrivée des artistes), Jacob va trouver un emploi au sein de ce cirque itinérant, ses études de vétérinaire s'avérant fort utiles pour soigner les animaux de la ménagerie.

Mais si le jeune homme peut se considérer satisfait d'avoir trouvé si rapidement un emploi, il va vite se rendre compte que l'univers du cirque est loin d'être un havre de paix. Les employés sont en effet sous la coupe du directeur, l'Oncle Al, un individu tyrannique qui possède quasiment un droit de vie et de mort sur chacun d'entre eux. Lorsqu'un membre de l'équipe ne peut plus accomplir son travail, usé par la fatigue, la maladie ou la vieillesse, il peut s'attendre à être jeté sur la voie alors que le train est en marche. Les mauvais traitements infligés aux hommes ainsi qu'aux animaux relèvent ici de l'ordinaire et gare à celui qui ne peut plus assurer ses tâches quotidiennes !

Contraint de partager sa couchette avec le nain Kinko, qui lui voue une haine démesurée pour sa petite taille, Jacob va faire le dur apprentissage de la vie d'employé de cirque, confronté à la perversité d'August, le dresseur d'animaux, un individu sournois et pervers.

Avec « De l'eau pour les éléphants » Sara Gruen nous offre un remarquable tableau de la vie de ces cirques itinérants au sein de l'Amérique des années de la Grande Dépression. Minutieusement documenté, agrémenté de photos d'époque, ce roman nous livre un riche témoignage sur la vie dans ces entreprises dédiées au spectacle.
Ce roman, dont le contexte s'avère passionnant souffre cependant à mon humble avis d'une écriture un peu trop lisse qui fait obstacle à une immersion que j'aurais souhaité beaucoup plus approfondie dans cet univers cruel et chatoyant. Si certains personnages sont tout au long du roman sur le devant de la scène, il est dommage que d'autres, à propos desquels on aurait souhaité en savoir plus, ne soient que brièvement esquissés et disparaissent du récit après une brève incursion.

Malgré ce petit bémol, ce roman reste cependant très agréable à lire et le lecteur en quête de dépaysement y trouvera, je n'en doute pas, de quoi satisfaire sa soif de curiosité à propos de cet univers assez particulier des grands cirques qui sillonnaient les États-Unis dans le contexte de cette période de cataclysme social qui a suivi le jeudi noir du 24 octobre 1929.







mercredi 14 octobre 2009

Le-saviez-vous ? Il y a des sarcoptes à l'Elysée

Il y a quelques temps, un quotidien allemand (Bild Zeitung) nous révélait (puisque la presse française est déséspérément muette sur ce sujet) le train de vie de notre omniprésident en son palais de l'Elysée.

Nous apprenions ainsi, nous pauvres contribuables, que l'argent public (le nôtre, donc) servait à entretenir un train de vie princier au roitelet des français élu en mai 2007.

Le petit individu disposerait donc à lui tout seul et pour son seul service de 8 avions (2 Airbus et 6 Falcon-Jet, dont le dernier en date, baptisé "Carla"aurait coûté 60 millions d'euros. L'un de ces Falcon 7x aurait été équipé d'une machine à café d'une valeur de 25000 euros !!!).

Mais le service du prince ne s'arrête pas là, il dispose en effet de 61 voitures de fonction et aussi d'un millier d'employés attachés à son service, dont 44 chauffeurs et 87 cuisiniers.

Dans les 300 mètres carré de l'appartement de fonction présidentiel, les fleurs se doivent d'être fraîches. Coût annuel : 280000 euros.

Lorsque Nicolas-le-petit voyage à titre privé, un avion gouvernemental vide le suit au cas où il devrait rentrer d'urgence à Paris.

Mais c'est avec stupeur que j'ai appris aujourd'hui qu'une autre forme de parasite vivait au palais présidentiel. Son nom est d'ailleurs, ironie du sort, bien choisi, il s'agit (non ce n'est pas Jean Sarkozy) du sarcopte, acarien microscopique vecteur de la gale.

Trois sous-officiers de la Garde républicaine en poste à l'Elysée ont en effet contracté cette agréable infection.

Un courrier anonyme, dont l'AFP a reçu une copie, et émanant vraisemblablement de l'un de ces Gardes républicains fait état de la "vétusté des locaux"dans lesquels sont logés ces militaires.

"Les murs de plâtre tombent en lambeaux, les chaises que les gardes ont récupéré aux ordures de l'Elysée n'ont plus d'assises."

"Chaque jour, poursuit l'auteur de ce courrier, nous devons accomplir nos missions avec des moyens dérisoires, du matériel obsolète, hors d'usage, et ceci avec la peur de la sanction et aucune reconnaissance."



Les journalistes d'outre-Rhin, dans l'article précédemment cité, n'avaient pas hésité à qualifier notre président de "successeur du Roi-Soleil" et c'est à juste titre, car le palais de celui-ci, tel Versailles en son temps, cache sous les dorures, les réceptions fastueuses et les dépenses somptuaires une toute autre réalité où règne la crasse et une hygiène douteuse, conséquence d'une gestion catastrophique toute entière dédiée au service du seul monarque, de sa famille et de ses courtisans.



dimanche 11 octobre 2009

"Lève-toi et marche !"





"Aide-toi et le ciel..." Yves Viollier. Roman. Robert Laffont, 2009.




Le tout dernier roman d'Yves Viollier (que j'avais découvert avec « Les sœurs Robin ») nous entraîne cette fois-ci dans les pas de Marie Gendreau, une femme d'une quarantaine d'années qui, devenue veuve, s'est consacrée à l'éducation de son fils unique, Simon, mais aussi et surtout à son engagement associatif au sein des JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique).
Quand débute le récit, Marie est à l'aéroport où elle vient accueillir Simon, de retour d'une mission humanitaire en Haïti. Mais le jeune homme qui débarque ce jour là n'est plus cet enfant souriant et enjoué qu'elle a toujours connu. Simon, lors de sa mission, a découvert un autre monde, un monde de misère et de violence où survit tant bien que mal une population haïtienne qui, en plus de ses problèmes sociaux insondables, s'est vue décimée par l'ouragan Ike.
Simon n'a pourtant pas économisé son énergie pour aider les plus démunis et son engagement a donné un regain d'énergie à la communauté de religieux à laquelle il coopérait. Son dévouement, ainsi que son attachement envers Augustin-Aristide, un enfant abandonné et recueilli par la communauté, vont susciter l'admiration de ses pairs.
Mais un jour, échappant à sa surveillance, Augustin-Aristide est enlevé, probablement par une organisation tirant ses subsides du trafic d'êtres humains.
Rongé par le chagrin et le remords de n'avoir pu protéger ce gamin innocent, Simon va s'enliser dans une profonde dépression, aggravée par la contraction du paludisme. Les moines du centre où il œuvrait vont tenter, non sans difficultés, de la convaincre de rentrer en France.

Et c'est ainsi que Simon rentre chez lui, accueilli par une mère profondément inquiète à son sujet, prête à tout pour le sortir de ce noir écheveau de pensées qui semble le ronger de l'intérieur.
Mais la vie continue et Marie doit continuer à s'occuper des adolescents en difficulté qu'elle a pris en charge dans le cadre de la mission épiscopale qui lui a été confiée. Pendant ses absences, Simon reste seul à la maison, broyant du noir.

Puis un jour, c'est le choc. Simon a voulu mourir et s'est défenestré.
Après une longue période de coma, il va reprendre conscience mais va se réveiller paraplégique.
Déjà accablée par la mort de son mari, voici Marie face au cruel constat d'un fils qui a voulu mettre fin à ses jours et qui se retrouve finalement contraint de se déplacer dans un fauteuil roulant. Comment en sont-ils arrivés là tous les deux ? Leur altruisme, leur engagement envers les plus faibles, attitude qui nourrissait leur foi chrétienne, n'était-il que le chemin qui allait les mener tous deux vers cette impasse ?

Alors chez Marie le doute s'installe : pourquoi dépenser son temps et son énergie à tenter d'aider les autres, au point de négliger le malaise de ceux qui nous sont les plus proches ? Pourquoi tenter de faire le bien autour de soi, si en retour n'adviennent que malheurs et désillusions ? Dieu veut-il la mettre à l'épreuve comme il le fit pour le prophète Job, ou n'est-il qu'une entité pétrie d'indifférence et d'ingratitude ? Au final, Dieu existe-t-il ? Ou n'est-il qu'une création de l'esprit, une marionnette que l'on agite pour se donner bonne conscience et donner un sens à la vie?
Les réponses à ses interrogations, elle les trouvera au sein du groupe d'adolescents dont elle a la charge, ces gamins esquintés par l'existence et qui tentent de se relever, n'ayant comme seule arme que leur foi et leur détermination. La réponse , elle la trouvera aussi peut-être dans ce conte brésilien qu'elle partage avec d'autres fidèles un soir de Noël, lors de la messe de minuit :
« Un homme arrive au paradis et demande à Dieu une faveur : « Montre-moi ma vie ! » Dieu déroule devant lui une plage de sable fin. On y voit des pas : ceux de Dieu et de l'homme. Par endroits, il n'y a plus que deux traces de pas, plus profondes. L'homme se rend compte que ces traces-là correspondent aux moments les plus douloureux de sa vie et il reproche à Dieu : « Tu m'as laissé seul pendant les moments les plus difficiles de ma vie ! » Alors Dieu lui répond : « Ces traces de pas sont les miennes, parce qu'à ce moment-là je te portais... »

Yves Viollier, auteur vendéen, appartient à la Nouvelle École de Brive, mouvement littéraire spécialisé dans les romans dits « de terroir », ce qui ne transparaît pas dans les deux ouvrages que j'ai lus de lui à ce jour.
Bien sûr, l'action se déroule dans la région de prédilection de l'auteur, mais n'importe quel endroit de France ou d'ailleurs pourrait servir de décor au récit. Ce qui est prépondérant ici, c'est l'humain et non pas le paysage.
Dans « Les sœurs Robin » on découvrait deux vieilles dames en butte aux tentatives de leur entourage afin de les exproprier et de construire un immeuble en lieu et place de leur maison.
Avec « Aide-toi et le ciel... », nous suivons le parcours d'une mère et de son fils, profondément engagés dans l'action charismatique, mais qui vont malheureusement se retrouver confrontés à une série d'évènements malheureux qui ira jusqu'à faire vaciller leur foi chrétienne.
Rien de commun donc, avec le genre littéraire « de terroir » mais plutôt un récit ancré dans la réalité contemporaine, destiné à nous faire découvrir une frange de notre société : celle qui s'engage corps et âme pour une cause, qu'elle soit politique, philosophique, ou comme ici religieuse et caritative.

Je ne cacherais pas que j'ai eu un peu peur au début de ce roman. En effet, au vu du contexte, je craignais une apologie d'une certaine forme de militantisme chrétien empreint de prosélytisme, émanant de certains milieux catholiques trop souvent conservateurs et réactionnaires, voire familiers des idées nauséabondes d'extrême-droite. Il n'en est rien heureusement car Yves Viollier nous décrit ici des adhérents de la JOC, association de jeunes chrétiens créée en 1925 et qui a su, contrairement à d'autres mouvements, s'opposer lors de l'Occupation au régime de collaboration de Vichy et à l'attitude complaisante de l'Église en faveur de l'occupant nazi.
Les jeunes militants qu'il nous décrit ici avec beaucoup de tendresse ne se sont pas écartés, du fait de leur foi, de la société contemporaine mais vivent au contraire pleinement au sein de celle-ci, avec cette particularité en plus qui est celle de leur éveil à la spiritualité. Cette spiritualité, loin d'être un miroir déformant qui transforme la réalité leur permet au contraire de poser un regard critique sur le monde contemporain et d'éviter ainsi les impasses du consumérisme et de l'individualisme qui tendent hélas! à devenir la norme.

Je craignais aussi en abordant ce roman, de me trouver face à un de ces ouvrages qui veulent absolument véhiculer un message à portée philosophique et / ou religieuse, de ces livres qui prétendent apporter au lecteur les recettes du bonheur, comme excellent à le faire (bien pauvrement) des auteurs tels que Paulo Coelho. Mais Yves Viollier est, et reste un auteur, pas un quelconque gourou. Son but, en écrivant ce roman, vise surtout, à mon humble avis, à rendre un vibrant hommage à nombre d'anonymes qui œuvrent à leur manière à rendre la société plus humaine et plus généreuse.
Je ne cacherais pas non plus que j'ai moins aimé ce roman que « Les sœurs Robin », l'intrigue m'étant apparue cousue de fil blanc et par trop prévisible.
Me reste cependant l'impression d'un ouvrage agréable à lire mais qui malheureusement ne me laissera pas de souvenirs impérissables.








jeudi 1 octobre 2009

Le chevalier de la Triste-Figure


"L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche" Miguel de Cervantes. Roman. Garnier - Flammarion, 1969

Traduction de Louis Viardot.




« Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n'y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse. Un pot-au-feu, plus souvent de mouton que de bœuf, une vinaigrette presque tous les soirs, des abattis de bétail le samedi, le vendredi des lentilles, et le dimanche quelque pigeonneau outre l'ordinaire, consumaient les trois quarts de son revenu. Le reste se dépensait en un pourpoint de drap fin, des chausses de panne avec leurs pantoufles de même étoffe, pour les jours de fête, et un habit de la meilleure serge du pays, dont il se faisait honneur les jours de la semaine. […]
Or, il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, c'est-à-dire à peu près toute l'année, s'adonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir qu'il en oublia presque entièrement l'exercice de la chasse et l'administration de son bien. Sa curiosité et son extravagance arrivèrent à ce point qu'il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à blé pour acheter des livres de chevalerie à lire. Aussi en amassa-t-il dans sa maison autant qu'il put s'en procurer. »
C'est ainsi que commencent les aventures de l'un des personnages les plus célèbres de la littérature occidentale, don Quichotte de la Manche, le chevalier de la Triste-Figure.
Lecteur compulsif, atteint d'une forme aigüe de bibliomanie, notre homme va peu à peu – comme chacun le sait – perdre le sens de la réalité et s'improviser chevalier errant, à l'image des héros de ses lectures tels que le Roland de l'Arioste ou encore Amadis de Gaule, qu'il considère comme le modèle et parangon du parfait chevalier.
Résolu à défendre la veuve et l'orphelin, l'hidalgo s'équipe d'une vieille armure rouillée et, juché sur un étique bidet qu'il aura auparavant baptisé du nom de Rossinante, le voilà parti sur les routes, au grand désespoir de sa gouvernante et de sa nièce, incapables de museler sa folie, malgré l'aide du curé et du barbier, amis de don Quichotte, eux aussi stupéfaits de cette étrange lubie.
Mais comme tout bon chevalier se doit d'avoir à son service un écuyer fidèle, don Quichotte va se choisir comme compagnon un paysan des environs : Sancho Panza.
Ainsi va se former un des couples les plus célèbres de la littérature, dont les silhouettes, l'une grande et efflanquée, l'autre grasse et courtaude, inspireront au cours des siècles nombre de peintres et illustrateurs dont Gustave Doré, Honoré Daumier, Picasso, Dali, Raymond Moretti et plus récemment Gérard Garouste.

Mais comme tout chevalier se doit également d'accomplir de hauts-faits en l'honneur d'une Dame, don Quichotte va mener ses exploits au nom de Dulcinée du Toboso, qui est en réalité une paysanne rustaude nommée Aldonza Lorenzo, qu'il n'a bien sûr jamais vue mais à qui il déclare amour et fidélité.

Parcourant les chemins du Royaume d'Espagne, nos deux compères vont rencontrer maintes aventures au cours desquelles don Quichotte prendra les auberges pour de somptueux châteaux et les servantes pour des princesses.
Les épisodes les plus célèbres restent bien sûr ceux où le chevalier de la Triste-Figure croit voir des géants en place de moulins à vent et confond deux troupeaux de moutons avec les armées du grand empereur Alifanfaron opposées à celles de Pentapolin, roi des Garamantes, tout cela sans oublier l'acquisition du légendaire armet de Mambrin, légendaire couvre-chef qui n'est en réalité qu'un plat à barbe!

S'insérant entre ces nombreuses et cocasses aventures, viennent se placer, s'intercalant dans le récit, d'autres histoires, narrées par des personnages de rencontre, digressions dont les plus importantes sont les aventures de Luscinde et Cardenio suivies par le récit du Curieux Malavisé et l'histoire du Captif.
Le rythme des aventures du chevalier de la Triste-Figure est également temporisé par les nombreux dialogues qu'entretiennent don Quichotte et Sancho Panza, passages savoureux dans lesquels les deux comparses devisent sur la question de la supériorité des armes et des lettres ou encore de la rémunération que doit un chevalier errant à son écuyer.

Dès sa publication, en 1605, « L'ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche » connut un succès phénoménal, au point que,quelques années plus tard, en 1614, parut une suite qui n'était pas de la main de Cervantes, œuvre apocryphe attribuée à un certain Alonso Fernández de Avelladena.
Afin de couper court à cette usurpation, Cervantes publia la deuxième partie de son roman en 1615, en ne manquant pas de s'en prendre, dès le prologue, à l'imposteur qui s'est emparé de ses personnages. Cervantes ira même jusqu'à faire mourir don Quichotte à la fin du second volume, afin d'empêcher toute nouvelle usurpation de son œuvre. Certains s'y essaieront pourtant, tels Filleau de Saint-Martin qui, en traduisant le roman, en modifiera la fin afin de redonner vie à don Quichotte, et Robert Challe qui publia en 1715 la « Continuation de l'histoire de l'admirable Don Quichotte de la Manche ».
Considéré au départ comme un roman comique, une parodie des romans de chevalerie, « Don Quichotte » fut perçu différemment par les lecteurs au cours des siècles suivants : on y vit une métaphore de l'opposition entre l'individu et la société, puis une critique sociale, un éloge de la folie et / ou de l'idéalisme, etc... Les interprétations de l'œuvre de Cervantes sont légion et les hypothèses émises à son sujet sont loin d'être taries.

On pourrait ainsi gloser à l'infini sur le "Quichotte", mais une chose reste sûre, le lecteur, émerveillé par la lecture du roman de Cervantes, n'oubliera pas de sitôt ces deux silhouettes – l'une, filiforme, dressée sur sa monture famélique, et l'autre, pansue et replète, juchée sur son âne – se profilant sur l'azur du ciel de la Mancha.




Don Quichotte dans sa bibliothèque - Illustration de Gustave Doré