vendredi 30 novembre 2007

Derrière le voile des apparences...

"Le poids des secrets" Aki Shimazaki . Roman. Leméac/Actes Sud





"Le poids des secrets"

Tsubaki, Leméac / Actes Sud, 1999
Hamaguri, Leméac / Actes Sud, 2000
Tsubame, Leméac / Actes Sud, 2001
Wasurenagusa, Leméac / Actes Sud, 2003
Hotaru, Leméac / Actes Sud, 2004



Yukiko, une vieille dame, rescapée du terrible drame de Nagasaki, vient de s'éteindre. Sa fille reçoit alors, par l'intermédiaire de l'avocat de sa mère, deux lettres. La première lui est adressée tandis que l'autre devra être remise à un personnage dont jusqu'ici elle ignorait l'existence. Ce qu'elle apprend dans la lettre qui lui est destinée la stupéfie : son grand-père ne serait pas mort à cause de l'explosion atomique lors du bombardement de Nagasaki le 9 aout 1945, mais il aurait été empoisonné et serait mort avant l'explosion. L'auteur de cet empoisonnement ne serait autre que Yukiko, sa propre fille. Pourquoi ? C'est ce que va découvrir la jeune femme au fil du récit que lui a laissé sa mère.
L'histoire de Yukiko nous replonge à l'époque de la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est alors une jeune fille innocente qui, au hasard des circonstances, va faire d'étranges révélations au sujet de son père mais aussi au sujet de ses voisins immédiats dont le fils, Yukio, est son ami.
Quels secrets se cachent derrière les apparences ? C'est ce que Aki Shimazaki nous invite à découvrir au fil de ces cinq romans où plusieurs personnages, tous liés par le même destin se racontent les uns après les autres.
Dans cette pentalogie à l'aspect kaléidoscopique, chaque personnage nous en apprend un peu plus sur les secrets et les interrogations qui se posent d'emblée dès la lecture du premier de ces romans. Mais chaque révélation est aussi une ouverture vers d'autres questionnements, vers d'autres ramifications de l'intrigue qui, de l'époque contemporaine nous ramènent vers le début du XXème siècle.
On apprend ainsi au fil des cinq tomes le déroulement et les multiples intrications et connexions qui se jouent entre les protagonistes de l'histoire. Mais on assiste également en arrière-plan à l'évocation d'une page de l'histoire récente du Japon. C'est aussi toute une vision méconnue de la société japonaise qui nous est révélée : un nationalisme exacerbé, une xénophobie latente et une hiérarchisation des classes sociales qui faussent et pervertissent les rapports humains les plus simples et les plus innocents.

Je ne me hasarderai pas à raconter ou à résumer quoi que ce soit du récit qui se déroule au fil de ces cinq romans, de peur de déflorer l'intrigue, préférant en cela laisser aux futures lectrices et lecteurs le plaisir de découvrir par eux-mêmes la captivante histoire imaginée par Aki Shimazaki.
Mais que l'on ne s'y trompe pas, ce récit n'est pas un thriller ni un roman policier. Pourtant, on ne peut s'empêcher, une fois la lecture commencée, de tenter d'en savoir plus sur le destin de chacun des protagonistes de cette histoire tant ce récit est mené de main de maître.
Servie par une écriture sobre et fluide, l'histoire de Yukio et Yukiko, de leurs parents, mais aussi de leurs enfants emmènera le lecteur dans un récit captivant qui s'étend sur trois générations. On y verra que le destin des uns et des autres est bien souvent le fruit du pur hasard, que le moindre geste, la moinde parole, la décision la plus anodine, peuvent, à l'instar de l'effet papillon, se révéler lourds de conséquences pour des êtres que séparent le temps et l'espace.

D'une prodigieuse inventivité, d'une construction remarquable, « Le poids des secrets », ce roman en cinq actes, ce drame subtil empreint d'une poésie sous-jacente nous invite à découvrir la face cachée de la société japonaise tout en nous offrant un récit qui est aussi une méditation sur la destinée humaine et la part de hasard inhérente à chacune de nos existences. Sublime.

L'avis de Chatperlipopette, de Frisette, de Joëlle (désolé pour les autres mais les cinq tomes étant plus ou moins dispersés sur leurs blogs et répartis sur plusieurs articles, cela ne ferait que multiplier les liens)

mercredi 28 novembre 2007

"Il n'est pas nécessaire de brûler les livres pour éradiquer la culture.
Il est plus judicieux de faire en sorte que les gens n'éprouvent pas le besoin de les lire."

(Ray Bradbury)



lundi 26 novembre 2007

Sur le Sentier de la Guerre


"Le chemin des âmes" Joseph Boyden. Roman. Albin Michel, 2006.

Traduit de l'anglais (Canada) par Hugues Leroy



Cela fait plusieurs jours que la vieille Niska, une indienne de la nation Cree, vient assister à l'arrivée du train dans cette gare perdue du Nord de la province d'Ontario.

Nous sommes en 1919 et de l'autre côté de l'océan, l'Europe panse ses plaies après quatre ans d'une guerre qui aura fait 9 millions de morts et 6 millions d'invalides.
Ce jour là c'est justement l'un de ces invalides de guerre qui descend du train, une jambe coupée, en équilibre instable sur ses béquilles. Cet homme, à la grande surprise de Niska, n'est autre que son neveu, Xavier dont elle avait pourtant reçu l'avis de décès.

Celui qu'elle était venue accueillir devait être Elijah, l'ami de son neveu, avec qui il s'était enrôlé dans l'armée canadienne et avec qui il avait traversé l'Atlantique pour participer au conflit.
Mais l'homme qui descend de ce train n'est plus que l'ombre de lui-même. Unijambiste et morphinomane, Xavier ne peut détacher ses pensées de l' expérience traumatisante qu'il a vécu au cours de ce conflit, de longs mois à ramper dans la boue des tranchées, parmi les rats et les cadavres, à éviter la balle, la grenade, ou l'obus fatal et à voir ses camarades tomber les uns après les autres.


Pendant le voyage qui va les ramener chez eux au coeur de la forêt, Xavier et sa tante Niska vont chacun leur tour évoquer le passé durant ces longues heures où le canoë glisse sur les eaux du fleuve.
Niska se remémorera son enfance, la vie tribale au sein d'une nature grandiose et cruelle où l'avenir du groupe dépend de la présence du gibier et de l'adresse des chasseurs, où l'être humain peut être la proie de l'ours, du loup, ou pire encore, du windigo, cette créature redoutable et assoiffée de chair humaine qui hante les forêts. Niska évoque aussi la dissolution de son clan, rattrapé par la « civilisation » et qui s'est résigné à vivre sous la coupe des autorités canadiennes et des religieux catholiques qui tentent d'éradiquer toute trace de leur culture originelle.

Niska, quant à elle, refusera cette vie faite d'humiliations et de compromis; elle s'échappera pour retourner dans la forêt, quitte pour cela à affronter la solitude et les dangers inhérents à cette existence.

Après quelques années, elle réussira à libérer Xavier, le fils de sa soeur, et l'emmènera avec elle. Puis ce sera au tour d'Elijah, un orphelin ami de Xavier qui viendra les rejoindre. Ensemble, les deux enfants vont grandir au sein de cette nature sauvage, devenir de jeunes hommes et d'habiles chasseurs. Comme leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux, ils vont s' éveiller à cette vie rude et exaltante, où se côtoient le monde visible et celui des esprits.


Mais le monde des hommes blancs parvient tout de même à se faire entendre jusque dans leur refuge et c'est ainsi que les deux jeunes hommes apprennent que le monde est en guerre. Fiers de leurs origines guerrières et de leur talent de chasseurs, bouillant du sang de la jeunesse, Xavier et Elijah vont quitter leur tante Niska pour rejopindre le monde de l'homme blanc et s'enrôler dans l'armée canadienne.
Après quelques semaines d'entraînement et après avoir traversé l'Atlantique, les deux jeunes indiens vont se retrouver sur le front et vont faire la douloureuse expérience de la guerre. Très rapidement ils vont être remarqués par leurs officiers de tutelle pour leur talent de tireurs d'élite.

Commence alors pour les deux amis un duel avec l'ennemi où la traque peut durer des jours, où la moindre balle tirée doit faire mouche et abattre l'adversaire. Terrés pendant des heures, voire des jours, ils attendent le moment opportun où se présentera la cible – simple soldat ou officier – qu'ils devront abattre du premier coup sans se faire repérer et sans attirer la riposte de l'ennemi.

A ce jeu du chat et de la souris, Xavier, de caractère taciturne, n'éprouve aucune satisfaction, si ce n'est celle du devoir accompli. Pour Elijah par contre, beaucoup plus extraverti que son ami et devenu dépendant de la morphine, l'acte de tuer devient rapidement irrépressible et la surenchère de victimes à accrocher à son tableau de chasse devient une obsession qui va le pousser au bord de la folie. Face à cette frénésie meurtrière, cette inextinguible soif de sang, Xavier va finir par ne plus reconnaître celui qui était son ami. Elijah serait-il en passe de devenir un windigo ? Xavier va devoir, pour sauver l'âme et la mémoire de son ami, appliquer l'ancestral rite indien dont il est le dépositaire. Mais le prix à payer sera terrible.


« Le chemin des âmes », ce premier roman de Joseph Boyden est de cette catégorie de livres qui une fois commencés, aspirent le lecteur dans un tourbillon d'émotions et de sensations qui ne cessent qu'à la dernière page.

Entre le silence quasiment surnaturel des grandes forêts enneigées de l'Ontario et le fracas assourdissant de la guerre des tranchées, Joseph Boyden nous entraîne dans un récit hypnotique et fascinant où la sérénité de la nature, inspiratrice de la sagesse des peuples amérindiens, alterne avec les atrocités de la guerre, les assauts sous la mitraille et les obus, la boue, les cadavres, la peur et la folie des hommes.
Puissant et inspiré, sauvage et magnifique, ce livre plein de lumière et de noirceur, ce récit d'une beauté et d'une cruauté à couper le souffle est l'un des meilleurs qu'il m'ait été donné de lire dans le courant de cette année. Avec ce roman que l'on pourrait qualifier d'épique, Joseph Boyden s'impose comme l'un des auteurs majeurs de la littérature anglo-saxonne contemporaine.


Les avis de Sophie , de Joëlle, de Chimère et de Chatperlipopette.

vendredi 23 novembre 2007


"Je suis pour les titres longs. Si à la recherche du temps perdu s'était appelé simplement Albertine, ce serait moins bon."

(Michel Audiard)

mercredi 21 novembre 2007

Trahison !!!



Le 29 mai 2005 après une campagne longue et passionnante, une large majorité de Français (54,7%) disaient NON par référendum à la Constitution européenne.


Le 19 octobre 2007, le président de la République approuve un Traité européen censé remplacer la Constitution et annonce qu’il le fera ratifier par la France sans référendum, via le Parlement.


Or ces 2 Traités sont les mêmes !


• Le nouveau Traité européen, de 256 pages (!), dit « modificatif », est une copie-conforme de la Constitution Giscard !

• Les juristes, les hommes politiques de bonne foi, et même quelques journalistes honnêtes le reconnaissent : ces 2 textes n’ont pas le même nom, mais ont le même contenu, à 99% !
Renseignez-vous, vous verrez !


2 Traités identiques


• Seule différence : l’article sur les « symboles de l’Union » a disparu, mais il n’avait aucune portée.
Et le « ministre des affaires étrangères » de la Constitution a changé de nom, juste de nom…


• Pour le reste…rien ne change.


2 Traités identiques


Même atlantisme (l’OTAN entre dans le Traité et encadre la politique des Etats)


Même libéralisme débridé (toujours le culte de la « concurrence libre et non faussée », libre-échange absolu, rien contre les délocalisations, indépendance gravée dans le marbre de la Banque centrale européenne)


2 Traités identiques


Et même absence de démocratie (monopole d’initiative des textes européens à la Commission européenne, qui n’est pas élue et n’a aucune légitimité)


TOUS les articles de la Constitution européenne que nous avions rejetée sont dans lenouveauTraité !


Nous ne pouvons pas accepter cela !


• Nous ne pouvons pas accepter que ce qui a été rejeté par le peuple revienne sous un autre nom via le Parlement.

• Le Parlement ne représente pas correctement l’opinion des Français. En 2005, quand 54,7% des électeurs disaient NON, les parlementaires disaient OUI à 93%…On voit que le fossé est très large !


Nous exigeons donc un référendum !


Nous avons notre mot à dire ! Nous devons pouvoir donner notre avis sur l’Europe, dire si les politiques qu’elle mène depuis 20 ans ont rempli leurs promesses.

• Nous refusons qu’on nous vole la démocratie ! C’est un bien trop précieux.


Un référendum !


Il est inacceptable de faire voter par le parlement un texte rejeté par les Français.

Le président de la République a dit qu’il voulait aller le plus vite possible, pour éviter le débat ! C’est exactement ce qu’attendent la Commission de Bruxelles, l’ensemble du patronat européen et les groupes de pression qui avaient voté OUI en 2005.


Nous exigeons un référendum !


Signez la pétition nationale pour un référendum en envoyant un mail à pourunreferendum@yahoo.fr. Vous pouvez aussi signer ici.
Sur Internet, tout peut aller très vite.


Nous pouvons y arriver. Si chacun mobilise autour de lui, et informe ses amis, nous pouvons faire pression et obtenir un référendum. Au nom de la démocratie, tout simplement.

mardi 20 novembre 2007

Martine rend son tablier

Le "Martine Cover Generator" vient de fermer ses portes. A la demande des éditions Casterman, le créateur de ce site vient de mettre fin à celui-ci.

Nous avons été un nombre incalculable, en cet automne 2007, à créer de fausses couvertures pour les aventures de Martine, à nous les envoyer, à les publier sur le net et à nous esclaffer devant les trouvailles des uns et des autres. En moins d'un mois, 16 000 couvertures ont été créées et 530 000 votes ont été enregistrés pour élire les meilleures créations.

Félicitations au créateur de ce site qui, heureusement, s'en tire sans passer par la case tribunal.

L'idée a fait tache d'huile et l'on commence à voir fleurir ici où là des couvertures détournées mettant en scène Oui-Oui ou Le Club des Cinq.

Je m'étais moi aussi prêté au jeu :


lundi 19 novembre 2007

Le Mépris


"Cochon d'Allemand" Knud Romer. Roman. Editions Les Allusifs, 2007

Traduit du danois par Elena Balzamo.



Avec « Cochon d'Allemand », Knud Romer revient sur son enfance dans les années 60, au sein d'une petite ville danoise, Nykøbing.


« Nikøbing Falster est une ville si petite qu'elle se termine avant d'avoir commencé. Quand on est dedans, on ne peut pas en sortir, et quand on est dehors, on ne peut pas y entrer. Dans les deux cas, on se retrouve du mauvais côté, et la seule preuve de son existence est l'odeur qui imprègne les vêtements : en été ça sent les engrais, en hiver la betterave à sucre. C'est à cet endroit que je naquis en 1960, et c'était la façon la plus sûre de ne pas exister du tout. »


Dans ce récit autobiographique, l'auteur prend également le temps de remonter dans le passé, bien avant sa naissance, pour nous décrire les circonstances qui ont conduit sa mère à quitter l'Allemagne après la seconde guerre mondiale afin de s'établir au Danemark où elle rencontrera celui qui deviendra son mari.
C'est l'occasion pour l'auteur de nous croquer les portraits de ses parents et grands parents maternels et paternels, tout ceci avec un sens de l'observation acéré et sans concessions. On voit ainsi défiler sous nos yeux le grand-père maternel, dit « Papa Schneider », qui est en fait le beau-père de sa mère (son père biologique, Heinrich Voll étant décédé lors d'une appendicectomie en 1924), un aristocrate allemand au visage couturé de cicatrices.

Sa grand-mère, une des plus belles femmes de l'Allemagne d'avant-guerre, défigurée lors d'une explosion, dotée d'une sensibilité exacerbée sous son visage ravagé et détentrice du secret de fabrication ancestral d'un sublime goulasch :


« Le goulasch de ma grand-mère était irrésistible ; l'ayant goûté une fois, on en redemandait encore et encore, on n'arrêtait plus de lécher son assiette. Puis venait le moment où grand-mère disait ça suffit, emportait la cocotte et la mettait au réfrigérateur, le torchon de cuisine autour du couvercle. Mes pensées y revenaient constamment, je sentais grandir la faim. Dès que la porte se refermait sur mère et grand-mère sorties faire un tour en ville, je courais à la cuisine, ouvrais le réfrigérateur et inspectais la marmite. Il y avait une part de trop, je m'en emparais ; le goulasch avait un goût encore plus exquis, il me transportait dans un passé de plus en plus lointain, jusqu'à l'arrière grand-mère : Lydia Matthes, qui faisait revenir la viande et les oignons dans cette même marmite cent ans auparavant. Elle mettait le paprika, écrasait les tomates, ajoutait l'ail et les épices – gingembre, genièvre, cumin – et quand le mélange commençait à frémir, elle y versait le vin rouge et le fond de boeuf. Elle construisait son goulasch lentement, le faisait mijoter plusieurs heures, jusqu'à ce que la viande se détache en filaments. Elle en prélevait un peu et se servait lors des préparations ultérieures de cette substance qui se renforçait et s'enrichissait au fil des années. Ayant hérité de la cocotte, grand-mère utilisa la même méthode, veillant à ce qu'il reste toujours une petite quantité pour le goulasch suivant. »


Puis ce sont les grands-parents paternels, la branche danoise. Karen, la grand-mère, mais surtout le grand-père, Carl Christian Johannes Romer Jørgensen, un homme dont le destin est de voir tous ses projets professionnels échouer les uns après les autres. Après avoir tenté d'ouvrir un hotel, une ligne de bus, une entreprise de transport routier, ce fut un magasin de chaussures, puis la vente d'appareils téléphoniques, de motos, et enfin de conseils financiers plus ou moins douteux. Son fils, le futur père de Knud, s'en tirera mieux en devenant employé puis directeur adjoint d'une société d'assurances.
Mais c'est surtout sur l'histoire de sa mère qu'insiste Knud Romer, sur le destin de cette femme née en Allemagne entre les deux guerres. Amoureuse d'un opposant au régime hitlérien, elle échappera de peu à la mort quand le réseau anti-nazi auquel appartenait son amant sera découvert et démantelé, ses membres exécutés dans des conditions atroces.
Ayant échappé à la tourmente qui accompagna la chute de l'Allemagne, Hildegard Voll, après maintes péripéties, trouvera refuge au Danemark où elle trouvera un emploi, puis un mari et donnera enfin naissance au petit Knud.
Mais les rancunes sont tenaces dans les petites villes telles que Nikøbing. Pour la population, la mère de Knud est une allemande, et forcément une nazie. Les visages se détournent, on murmure dans son dos, on la jalouse.Elle est « Mme le Directeur », une nazie qui puait l'arrogance. »
Il en va de même pour Knud, qui redoute l'école où ses camarades ne cessent de le brimer et de lui lancer ce « Cochon d'allemand » qui restera gravé dans sa mémoire. La menace est partout, il lui faut faire des détours quand il doit traverser la ville pour se rendre quelque part.


C'est toute l'histoire de cette vie entre parenthèses, cette initiation à la survie en milieu hostile que nous fait revivre Knud Romer dans « Cochon d'allemand », un récit âpre et violent où se dévoile toute la bêtise et toute la bassesse dont peut faire preuve l'ensemble d' une communauté face à quelques individus isolés dont le seul tort est d'être originaire d'un autre pays. Témoignage d'un aspect de la réalité sociale du Danemark dans les années 60 et 70, le texte de Knud Romer nous immerge dans ce monde où la télé n'était pas encore dans tous les foyers et où les émissions radiophoniques rythmaient les activités de la vie quotidienne. On y découvre une société où les plaies de la seconde guerre mondiale sont encore très vives dans les corps et les esprits, une société où, malgré les avancées techniques et sociales, l'intolérance et le rejet de l'autre restent des constantes « culturelles » fermement ancrées dans les mentalités.
Avec un style et une écriture remarquables, Knud Romer retrace sous nos yeux et sur trois quarts de siècle, la petite et la grande histoire de sa famille, une saga passionnante, cruelle et bouleversante, un récit dont on regrette, une fois le livre refermé, qu'il n'ait pas été plus long afin de nous faire pénétrer encore plus avant dans l'intimité et dans les souvenirs des membres de cette famille germano-danoise.


Les avis de Lily, de In Cold Blog, de Joëlle, de Cathe, d'Anne-Sophie, de Fashion Victim, de Malice.

samedi 17 novembre 2007

La Grande Marche pour la Liberté




Mobilisation exceptionnelle à Paris, dimanche 18 novembre

IngridBetancourt-idf.com - Paris - 03/11/07



Depuis plusieurs mois, les efforts de la médiation internationale nous rendent indéniablement optimistes. Les avancées obtenues jusqu’à présent sont inédites et nous laissent espérer que le dénouement de la prise d’otage d’Ingrid Betancourt et de plusieurs otages colombiens, est proche.

Il nous appartient à nous, citoyen-ne-s, de contribuer à ce qu’une solution historique et tant attendue se mette en place rapidement. C’est pourquoi le Comité de soutien à Ingrid Betancourt et l’ONG Otages du Monde appellent à une mobilisation exceptionnelle.



Dimanche 18 novembre, à Paris, une grande marche partira à 15H00 du Parvis des Droits de l’Homme (appelé Parvis du Trocadéro) pour rejoindre le Mur de la Paix.

La famille d’Ingrid Betancourt prendra part à cette manifestation : Mélanie et Lorenzo Betancourt, enfants d’Ingrid ; Juan Carlos Lecompte, mari d’Ingrid et Fabrice Delloye, ex-mari et père des enfants d’Ingrid, seront présents. Les élus montreront également leur engagement : Anne Hidalgo, Denis Baupin et de nombreux parlementaires seront là. Plusieurs personnalités seront présentes : Renaud, Carla Bruni, Jorge Semprun, Cristiana Reali, Shirley et Dino, Marek Halter, Raphaël Mezrahi, Maïdi Roth, Yves Duteil,... ainsi que les anciens otages Florence Aubenas et Jean-Louis Normandin. Cette liste sera agrandie au fil des confirmations.

Les FARC comme le gouvernement colombien y seront appelés à négocier au plus vite. Les efforts de la médiation internationale sont inouïs et sans précédent : il faut que la volonté populaire qui les accompagne le soit aussi.

Toutes les données concernant la Grande Marche :

Date et horaire de départ : Dimanche 18 novembre à 15H00
Lieu de départ : Parvis des Droits de l’Homme (Paris 16ème)
Métro le plus proche : Trocadéro (Lignes 6 et 9)
Bus le plus proche : Trocadéro (Ligne 63)
Bornes Vélib’ les plus proches (page spéciale)


Un concert de soutien suivra cette marche à 19H00 au Zénith.

Rejoignez l’Event Facebook de la marche et invitez-y vos amis

Contact presse : Hervé Marro ( 06.88.79.11.23 .) et Anne-Colombe de la Taille( 06.09.80.59.26 .)

Contact organisation : Camille Reynaud - 06.68.32.93.99

La "Telle du Conquest"


"Intrigue à l'anglaise" Adrien Goetz. Roman. Grasset & Fasquelle, 2007


Pénélope est dépitée. Elle aurait pu rêver mieux. A peine sortie de l'ecole du Louvre, la voilà catapultée conservatrice-adjointe au Musée de la Tapisserie à Bayeux. Pour elle, qui rêvait d'Egypte et qui s'était spécialisée dans l'étude de l'art copte, cette nomination est un véritable camouflet !
Voici donc Pénélope en route pour la cité bajocasse, persuadée de se trouver au début d'une longue période teintée d'ennui dans cette atmosphère provinciale. Mais à sa grande surprise,elle va très rapidement faire l'expérience du contraire.
Tout d'abord, Solange Fulgence, la conservatrice du Musée, est brutalement agressée au moment précis où elle devait se rendre à Paris afin d'assister à une vente aux enchères à l'Hotel Drouot. Qu'à cela ne tienne! Pénélope se rendra elle-même à Paris où elle fera jouer le droit de préemption des Musées de France pour faire l'acquisition de vieux tissus qui, décidément, semblent intéresser au plus haut point un énigmatique personnage puisque celui-ci n'hésite pas à agresser Pénélope à sa sortie de la vente et à lui dérober le carton renfermant son achat.
Et pénélope n'est pas au bout de ses surprises ! Convoquée chez le Directeur du Louvre, celui-ci lui apprend que dans la perspective d'une future exposition consacrée à Vivant Denon, premier directeur général du grand musée parisien et bonapartiste de la première heure, elle va avoir à enquêter sur la célèbre tapisserie de Bayeux dont certains indices pourraient laisser croire qu'elle serait un faux fabriqué en 1803 dans le but de justifier les prétentions de l'empereur Napoléon à la conquête de l'Angleterre.
Et que dire des fragments manquants à la fin de la tapisserie ? Que décrivaient-ils ? Le couronnement de Guillaume le conquérant ? La désignation de son demi-frère Odon de Conteville comme son successeur ? Ces fragments étaient-ils contenus dans le carton dérobé à Pénélope ? Et que penser de l'intérêt que suscitent ces quelques mètres de toile brodée chez certains individus dénués de scrupules ? Les morceaux manquants de la tapisserie présenteraient-ils une menace pour l'actuelle couronne d'Angleterre en ce mois de septembre 1997 où Lady Di et Dodi Al Fayed viennent de périr dans un accident de voiture sous le pont de l'Alma ?
C'est tout cet écheveau que va devoir débrouiller tant bien que mal Pénélope, aidée par son petit ami Wandrille, journaliste et chroniqueur mondain.

Mené à cent à l'heure, ce roman d'Adrien Goetz est un petit chef-d-oeuvre d'humour et d'érudition qui pastiche intelligemment les romans à mystère et à complots du style « Da Vinci Chose » et autres « Règle de quatre ».
Sans jamais se prendre au sérieux, mais en nous livrant toutefois des informations véridiques sur l'histoire de la « Telle du Conquest » (la Toile de la Conquête), Adrien Goetz réussit l'exploit de nous mener en bateau sur plus de 300 pages, de nous faire rire et trembler, de nous croquer les portraits truculents des personnages principaux et secondaires, de nous faire remonter le temps et de nous narrer les pérégrinations et autres aventures de cette tapisserie du XIème siècle ainsi que l'exploitation politique et idéologique qui a pu être faite de cet artefact, du haut moyen-âge jusqu'à l'Allemagne nazie.

Mêlant habilement polar, humour caustique et histoire de l'art, Adrien Goetz avec « Intrigue à l'anglaise » nous livre un roman plein de fausses pistes, d'éclats de rire et d'anecdotes historiques méconnues. Un roman léger, certes, mais intelligent et intensément jubilatoire.

L'excellent avis de Chatperlipopette.

Une version animée de la Tapisserie de Bayeux ci-dessous :

mercredi 14 novembre 2007

"Sunt Lacrimae Rerum"


"Les Disparus" Daniel Mendelsohn. Récit. Flammarion, 2007

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina.




Pourquoi ? Pourquoi le petit Daniel Mendelsohn, âgé de sept ou huit ans, suscite t-il tant de larmes chez les membres les plus âgés de cette famille juive américaine au milieu des années 60 ? Quand il se trouve en visite chez ses grands-oncles et grand-tantes, les yeux se mouillent, les gorges se serrent et l'on murmure à chaque fois le même nom énigmatique : Shmiel.
« Oy, er zett oys zeyer eynlikh tzu Shmiel ! » Prononcent-ils en yiddish, « Oh, comme il ressemble à Shmiel ! »


Shmiel était son grand oncle, le frère aîné de son grand-père maternel.
Shmiel, ainsi que sa femme Ester et leurs quatre filles ont été tués par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.

Alors que ses frères et soeurs ont quitté la Pologne au cours des années 20 pour s'installer aux Etats-Unis ou en Palestine, Shmiel est resté à Bolechow, ce village aux confins de la Pologne et de l'Ukraine où ses ancêtres avaient pris racine depuis le XVIIème siècle.

Pourtant, Shmiel est venu lui aussi aux Etats-Unis dans le but de s'y établir, mais pour une raison inconnue il est subitement retourné en Europe. Pourquoi ce revirement ? Y-a-t-il eu un conflit familial, une brouille entre les frères, pour expliquer ce retour ? Toujours est-il que Shmiel semble s'accomoder de son retour dans ce village qui l'a vu naître. Les affaires sont florissantes et il est considéré comme l'un des notables de Bolechow.

Mais arrive la guerre et l'Allemagne nazie envahit la Pologne. C'est à ce moment que la famille émigrée aux Etats-Unis reçoit de Shmiel des lettres désespérées leur demandant de les aider à émigrer vers l'Amérique et de les sortir de ce Gehenim (Enfer) dans lequel ils se trouvent plongés.
Peine perdue, Shmiel, sa femme et ses filles vont mourir les uns après les autres, victimes de la barbarie nazie.
Quant aux autres membres de la famille, ceux à qui étaient destinées les lettres de Shmiel, auraient-ils pu intervenir et les sauver ? Sont-ils restés indifférents aux supplications de leurs proches ? Ont-ils été dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit après avoir tout tenté pour arracher Shmiel et sa famille au sort atroce qui les attendait ?
C'est ce que Daniel Mendelsohn va chercher à savoir.

Comme il ne retrouve dans les archives de la famille aucune réponse aux lettres de son grand-oncle, c'est auprès de son grand-père qu'il souhaite trouver une explication. Mais le sort en décidera autrement car le vieil homme, atteint d'un cancer, se suicidera, emportant dans la tombe le mystère de cette tragédie familiale.
De plus en plus marqué par cette histoire, Daniel Mendelsohn va tenter de faire la lumière sur ce drame à l'aide des seuls éléments disponibles : de vieilles photos d'avant-guerre. C'est également auprès de témoins de cette époque, qu'ils soient juifs, polonais ou ukrainiens, qu'il va chercher à reconstituer, soixante ans après les faits, ce qui est advenu de son grand-oncle, de sa femme et de ses quatre filles.

Cette enquête le mènera, bien sûr, en Ukraine dans le village de Bolechow, mais aussi en Australie, en Israël, en Lituanie, en République Tchèque, en Suède et au Danemark. Mais le temps lui est compté, les témoins sont âgés, les souvenirs s'effacent ou se contredisent, les blessures du passé sont encore vives et certains silences, certaines omissions, révèlent plus de choses qu'ils ne veulent en dissimuler.
Ainsi, de découvertes en fausses pistes, Daniel Mendelsohn va peu à peu faire la lumière sur les personnalités de son grand-oncle Shmiel, de sa grand-tante Ester et de leurs filles Lorka, Frydka, Ruchele et Bronia. Il va aussi découvrir – par déduction mais aussi à l'aide de témoins, voisins et habitants de Bolechow à l'époque – sur les circonstances de leur mort ainsi que sur les lieux où se sont brutalement achevées leurs vies.


C'est en regardant ces photos jaunies, en visitant ces lieux où ont vécu et où ont souffert les siens que Daniel Mendelsohn va amèrement constater, comme le fait Enée dans le livre premier de l'oeuvre de Virgile, qu' « Il y a des larmes dans les choses » (Sunt lacrimae rerum) et que ces photos, que ces endroits qui pour tant d'autres n'engendrent qu'indifférence, peuvent pour certains être porteurs d'une bouleversante et douloureuse émotion. Tous ces visages, tous ces regards, tous ces sourires figés sur un rectangle de papier ont appartenu à des êtres qui comme nous ont vécu, ri, souffert, aimé.

Comme eux, nous disparaîtront un jour. Certains se souviendront de nous mais avec les années ils seront de plus en plus rares et s'éteindront eux aussi jusqu'au dernier. Ne resteront plus alors, pour témoigner de ce que nous fûmes, que quelques images photographiques, quelques enregistrements qui peu à peu deviendront des énigmes pour celles et ceux qui tenteront de retrouver à qui était ce visage, à qui ce sourire, à qui ce regard ? Nous serons à notre tour devenus des énigmes.
Avec « Les Disparus », Daniel Mendelsohn nous entraîne dans une enquête familiale passionnante et bouleversante, un récit poignant où l'on hésite entre le rire et les pleurs, une saga familiale aux dimensions épiques où le merveilleux le dispute à l'atrocité, mais un livre qui est aussi une méditation sur l'Histoire, la destinée et le souvenir.

Au delà du destin particulier d'une famille, « Les Disparus » est un récit qui nous invite à réfléchir sur notre propre passé, sur ceux qui nous ont précédés et nous ont faits tels que nous sommes, mais aussi sur notre devenir et sur les traces que nous laisserons à nos descendants. Ce livre est aussi une interrogation sur cette malédiction attachée à l'espèce humaine, cette malédiction qui fait que, de tous temps l'homme s'évertue à jalouser son prochain, son voisin, son frère, puis à le haïr et finalement à l'exterminer. Un récit poignant, riche en émotions et en questionnements, qui s'annonce comme l'une des oeuvres majeures de la littérature consacrée au drame de la Shoah.


« Les Disparus » a reçu le grand prix du National Jewish Book Award et du National Book Critic's Circle Award. Il a reçu le Prix Medicis Etranger le 12 novembre 2007.
L'avis de Adeline, de Nicolas, et de Chatperlipopette.

lundi 12 novembre 2007

La grande colère de la montagne


"La légende du Mont Ararat" Yachar Kemal. roman. Gallimard, 1998.

Traduit du turc par Munevver Andac



« Et chaque année, quand le printemps s'éveille sur l'Ararat, des bergers grands et robustes, aux beaux yeux noirs mélancoliques et aux longs doigts fins, s'en viennent avec leurs flûtes au lac de Kup. Ils étalent leurs houppelandes au pied des rochers rouges, sur la terre couleur de cuivre, sur le printemps millénaire, ils s'installent en formant un cercle sur les rives du lac. Un peu avant l'aube, sous les masses d'étoiles qui palpitent au dessus de la montagne, ils saisissent leurs flûtes et célèbrent par leur jeu la grande colère de l'Ararat. Cela dure du point du jour au coucher du soleil. Et alors, à l'instant même où le soleil disparaît à l'horizon, un oiseau minuscule, blanc comme neige, surgit au dessus du lac. Un oiseau long et pointu qui ressemble à l'hirondelle. Il vole en tournant très vite au dessus de l'eau, il trace sans cesse de vastes cercles blancs, dont l'ombre retombe sur le bleu intense du lac. Les joueurs de flûte cessent de jouer à l'instant où disparaît le soleil. Ils remettent leurs flûtes dans leurs ceintures et se redressent. L'oiseau blanc, qui vole à toute vitesse au dessus du lac, s'élance, rapide comme l'éclair, il plonge une aile dans l'eau, s'élève à nouveau. Par trois fois, il se jette ainsi vers l'eau, puis s'envole à tire-d'aile et disparaît dans le ciel. L'oiseau blanc, une fois disparu, les bergers s'éloignent l'un après l'autre, et se perdent silencieusement dans l'obscurité. »


C'est ainsi que commence « La légende du Mont Ararat », ce très beau roman signé Yachar Kemal qui nous emmène au Nord-Est de la Turquie sur les contreforts de ce sommet mythique où se serait – paraît-il – échouée l'arche de Noé.

Un matin, Ahmet le berger trouve un cheval devant sa maison. L'animal, dont la robe est aussi blanche que les neiges éternelles qui recouvrent le sommet du Mont Ararat, est richement équipé :
« La selle du cheval était une belle selle tcherkesse niellée d'argent. Les éperons étaient d'argent ouvré. [...] Les rênes, ornées de fils d'or, étaient passées sous le pommeau rehaussé de nacre de la selle. Une couverture de selle, faite d'un feutre que l'on devinait, même de loin, foulé avec un soin extrême, s'allongeait jusqu'à la croupe du cheval. Sur la couverture, on avait brodé l'antique emblème du disque solaire. D'un orange très vif. Et, derrière le soleil, s'élevait un immense arbre de vie. Sur le flanc gauche du cheval, on retrouvait le même soleil et le même arbre. [...] Ces images étaient certainement le blason d'une tribu ou d'un clan de vieille noblesse. »


A qui appartient ce cheval ?
Par trois fois, Ahmet va reconduire l'animal sur la route. Par trois fois, le cheval revient devant la porte de sa maison. Ahmet demande alors conseil au vieux Sofi, le sage du village. Puisque l'animal est revenu par trois fois, c'est qu'il est un don de Dieu fait au berger. Par conséquent, le cheval lui revient de droit. Telle est la tradition dans la région d'Ararat.
Mais voici qu'un mois plus tard arrivent au village les hommes du Pacha. Mahmout Khan revendique la propriété de l'animal et exige qu'Ahmet restitue celui-ci. Il lui donnera même en compensation une somme d'argent afin de le dédommager. Peine perdue, Ahmet refuse. « Un cheval qui est un don du Ciel ne saurait être rendu à son propriétaire, fût-il bey ou pacha. »
Après les négociations vient le temps des menaces. Si Ahmet ne restitue pas son bien au pacha, celui-ci le lui fera enlever de force, il punira par l'emprisonnement et par la mort Ahmet et tous les villageois ses complices. Rien n'y fait. Ahmet, soutenu par ses voisins, les habitants des villages alentour ainsi que par les beys kurdes de la région, va devoir affronter la colère de Mahmout le cruel.
Trahi, livré aux mains du pacha, Ahmet sera emprisonné dans les geôles du château. Pour le punir d'avoir osé lui résister, et parce que le jeune berger ne veut toujours pas révéler où il a caché le cheval, Mahmout Khan décide le mettre à mort.
Mais c'est sans compter sur Gulbahar, la troisième fille du pacha, qui s'est secrètement éprise du jeune prisonnier. Aidée de Mémo le geôlier, elle va tenter l'impossible pour délivrer celui qu'elle aime par dessus tout.


Avec ce très beau récit, Yachar Kemal fait revivre sous nos yeux une légende traditionnelle de cette région de l'Ararat, région fortement marquée par les influences turques, arméniennes et kurdes qui composent depuis toujours sa population.

Rehaussant les couleurs ternies sous la patine des siècles , Yachar Kemal apporte aussi à cette légende une touche de poésie et d'universalité qui, tout en respectant le style traditionnel du récit, le rend plus lisible et plus abordable pour notre sensibilité contemporaine.

Cette légende – dont les motifs et les péripéties puisent dans le vieux fonds indo-européen qui, des monts du Caucase aux rivages de l'Irlande, des tragédies antiques aux sagas scandinaves, d 'Homère à Shakespeare, imprègne toute la littérature traditionnelle – transcende cultures et frontières pour nous offrir une variation sur les thèmes universels de l'amour, de la mort, de la convoitise, de la colère, du châtiment divin, du destin irrémédiable qui est le sort de tout un chacun...
Une légende intemporelle et universelle, un beau conte d'amour et de mort, coloré et délicat comme une miniature persane médiévale.
L'avis de Chatperlipopette.

dimanche 11 novembre 2007

Eugène, Alphonse, Auguste...


Léo Ferré - Tu n'en reviendras pas
envoyé par Quarouble


DES NOMS PERIMES

Ils s'appelaient Gustave, Alphonse, Auguste, Octave, Gontran, Alfred, Eugène. Leur nom est gravé sur des grandes plaques dans le cul des églises de province. Qui les prononce encore, ces noms d'un autre âge qui sentent l'hospice, le vieux béret et les grasseyements ?

Les porteurs de ces noms gravés devenus obsolètes ont pourtant eu vingt ans, eux aussi. Et ces vingt ans-là se sont brisés dans des tranchées. Sans même le piteux espoir de finir un jour à l'hospice. On se souvient des masses indistinctes de soldats tués, des régiments décimés, des troupes de combattants sacrifiés. Mais qui se souvient des individus, des Eugène, des Alphonse, des Auguste, de tous ces destins anonymes et pathétiques qui ont fini sur des listes dans les églises ? D'ailleurs les églises sont désertes et presque plus personne ne s'attarde devant ces rangées de noms gravés.

Moi j'y lis la moustache d'Eugène, la casquette de Gustave, la pipe d'Auguste : des choses qui nous ressemblent, à presque un siècle de distance. J'y lis le sort humble et pénible de ces appelés arrachés du sillon, du foyer ou des bras de l'aimée. J'y lis les vingt ans d'Auguste, de Gustave, d'Alphonse, d'Eugène, de Gontran, d'Octave, d'Alfred, leurs maudits, damnés, poignants vingt ans massacrés dans les tranchées de la «14».

Raphaël Zacharie de Izarra

vendredi 9 novembre 2007

Vive la Bretagne !

Les journaux télévisés n'avaient bien évidemment donné que la version "lèche-bottes" de cet incident opposant Sarkozy aux marins pêcheurs du Guilvinec. Heureusement, un journaliste du Télégramme était aux côtés des manifestants et l'on sait enfin ce qui a fait se dresser sur ses talonnettes le crétin patenté qui dirige notre pays.
Depuis que j'ai pris connaissance de cette vidéo, je ne cesse de me la repasser en boucle et j'en éprouve une intense jubilation...
Enjoy it !!!



Sarkozy insulte pecheur
envoyé par sarkophage


Par contre, ce que ne savait pas notre courageux pêcheur, c'est que l'augmentation que s'est octroyée le roquet présidentiel, selon les toutes dernières informations, s'élève non pas à 140% , ni même à 172%, mais accrochez-vous, à 205 % !!!

jeudi 8 novembre 2007

Portrait d'un ambitieux


"Le chat botté" Patrick Rambaud. Roman. Grasset & Fasquelle, 2006.



Avec ce roman, Patrick Rambaud ajoute un nouvel opus à la série de romans qu'il a consacrés à l'empereur Napoléon 1er – série qu'il a inaugurée avec « La bataille », roman couronné par le Grand Prix de l'Académie Française puis par le Prix Goncourt en 1997, et relatant la bataille d'Essling qui opposa en 1809 la Grande armée aux forces autrichiennes. Puis, en 2000, ce fut « Il neigeait » qui décrit la Campagne de Russie au cours de l'hiver 1812-1813. Avec « L'absent », paru en 2003, c'est en 1814 que nous entraînait Patrick Rambaud pour nous faire le portrait d'un Napoléon vaincu à l'issue de la Campagne de France, contraint à abdiquer et à se retirer sur l'île d'Elbe.

L'action du « Chat botté » quant à elle, revient en arrière dans le temps et établit une rupture avec la progression chronologique observée dans les trois précédents romans.
C'est au matin du 9 Thermidor de l'An II (27 Juillet 1794) que commence le récit, avec l'arrestation de Robespierre suivie de son exécution le lendemain.
Avec la chute de l'artisan de la Terreur s'arrête la « dictature jacobine » et la Convention Thermidorienne succède à la Convention Montagnarde.
Profitant de l'assouplissement du régime, royalistes, fédéralistes, modérés, catholiques fanatiques et exilés reviennent sur le devant de la scène et se déchaînent verbalement et physiquement contre les jacobins qualifiés de « cannibales » et de « buveurs de sang ».
Fréron et Tallien, réactionnaires et antijacobins virulents organisent des bandes de jeunes chargées de déstabiliser le régime et de faire le coup de force contre les jacobins : ce sont les muscadins, représentants de la jeunesse dorée, royalistes aux tenues vestimentaires extravagantes, se répandant par bandes dans Paris, armés de gourdins afin de rosser tout individu suspecté de jacobinisme.
Ces bandes armées répandent peu à peu la terreur et l'insécurité et les affrontements se font de plus en plus violents, notamment le 19 septembre 1794 au Palais-Egalité (le Palais-Royal) ainsi que lors de l'insurrection royaliste du 13 Vendémiaire de l'An IV (5 octobre 1795).
Les jacobins quant à eux ne sont pas en reste en menant les insurrections manquées du 12 Germinal et du 1er Prairial de l'An III (Avril et Mai 1795)
Prise entre deux feux, la Convention Thermidorienne va devoir trancher dans le vif afin de rétablir le calme et de renforcer la République naissante. Pour cela elle aura besoin de s'assurer le concours d'hommes à poigne, de volontaires qui ne se laisseront pas impressionner par les rodomontades des partisans de l'un et de l'autre parti. Le destin va sourire à la Convention en la personne d'un obscur général de brigade démobilisé, au nom imprononçable, qui erre dans les rues de Paris avec « [...]ses bottes poussiéreuses, sa redingote râpée et son accent d'étranger
Cet homme, qui va épouser le destin de la France pour le meilleur et surtout pour le pire, se nomme Napoleone Buonaparte.


Avec ce nouveau chapitre de l'épopée napoléonienne qui nous relate les tous premiers évenements qui conduiront Bonaparte vers le sommet du pouvoir, Patrick Rambaud nous offre une fois de plus une fresque historique flamboyante qui nous conduit dans les rues du Paris de la Révolution Française.
On y verra le luxe et le raffinement le plus provocant cotoyer la misère la plus sombre et la violence la plus insoutenable. On y assistera à des combats de rue menés par de jeunes gens aux tenues vestimentaires excentriques, affrontements qui évoqueront au lecteur cinéphile des scènes dignes d' « Orange mécanique » de Stanley Kubrick et de « Gangs of New-York » de Martin Scorsese.
On y verra aussi les ambitions des uns se nourrir de la déchéance des autres, se constituant des fortunes colossales tandis que le peuple réclame du pain. On y verra le cynisme, les trahisons, les luttes d'influence, les manipulations de l'opinion et l'instrumentalisation de la violence dans le but de faire basculer la balance du pouvoir dans un sens ou dans l'autre.
On assistera à cet horrible carnaval, à cet infernal mascaret où l'on brandit les têtes au bout des piques, où l'on étripe son prochain sans état d'âme parce qu'il n'a pas l'heur de partager votre propre point de vue sur la conduite politique du pays.
On ira aussi dans les antichambres du pouvoir ou des demi-mondaines s'offrent sans retenue aux petits potentats du moment, tyrans aux perruques poudrées et aux mains pleines de sang. On fera le constat déprimant – et malheureusement toujours d'actualité – de l'abandon et de la mise à l'écart des plus pauvres, de ces éternels grugés de l'Histoire, de ce peuple toujours en première ligne quand il s'agit d'offrir sa poitrine aux baïonnettes et qui ne fait que supprimer une tyrannie pour en voir, au bout du compte, s'en installer une autre.


Spectaculaire, violent, sordide et chatoyant, « Le chat botté » est un roman parcouru d'un souffle épique, une fresque en technicolor pleine de bruit et de fureur, un récit sans temps mort qui, sans être un roman policier, tient pourtant le lecteur en haleine de bout en bout et lui offre un point de vue passionnant sur une période extrêmement sombre de notre histoire trop souvent occultée par une imagerie officielle soucieuse de donner à ces évenements une aura de prestige et de respectabilité.

Avec ce roman, Patrick Rambaud nous donne une fois de plus la preuve que le genre du « roman historique » – quand il atteint ce degré de perfection – est loin d'être un courant mineur de la littérature.

lundi 5 novembre 2007

Exquis !


"L'enchanteur et illustrissime gâteau Café-Café d'Irina Sasson" Joëlle Tiano. Roman. Editions Intervista, 2007.



Parce qu'elle a une grande nouvelle à lui annoncer, Susan est venue de loin pour rendre visite à sa grand-mère Irina. C'est dans une chambre de l'hospice San Joao San Antao de la ville de Batenda que se repose maintenant cette vieille dame centenaire. Pour exercer sa mémoire, Irina ne manque pas de réciter chaque matin – dans les sept langues qu'elle a appris à parler au cours de son existence – la recette du gâteau café-café, recette jalousement gardée que lui avait offerte en guise de cadeau sa cousine Lise à l'occasion de son mariage.
Cette recette, celle du fameux et inimitable gâteau gâteau café-café, va accompagner Irina tout au long de sa vie et la confection de cette gourmandise ponctuera les petits et les grands évenements, graves ou heureux, de son existence.


C'est donc en suivant le fil de l'énumération de cette préparation culinaire que l'on va découvrir le destin de cette femme, fille d'une famille juive originaire des Balkans, son enfance à Istanbul, sa jeunesse à Paris puis son mariage immédiatement suivi de la traversée de l'océan pour atteindre l'Amérique du Sud où s'était établie la famille de son mari Adriano. Ce qui ne se présentait au départ que comme un séjour de quelques mois s'avérera finalement être une installation définitive dans cette petite ville de Batenda. Car pendant ce temps les hostilités se sont déclarées en Europe et Irina apprendra à la fin de cette guerre une bien douloureuse nouvelle concernant sa famille restée en France. Mais bon gré mal gré la vie doit continuer et Irina va devoir composer avec ce mari que l'on a choisi pour elle, cet Adriano au caractère soupe-au-lait avec qui elle aura son premier enfant, sa fille Djoïa, sur qui elle reportera toute cette tendresse qu'elle ne pourra plus jamais témoigner envers les siens disparus dans l'horreur de la déportation.
Mais cette nostalgie de la douceur de vivre française, de la culture française, de sa famille à jamais disparue, cette impression de manque, Irina va trouver matière à la combler en la personne d'Ambroise. Elle va faire connaissance avec cet homme, attaché culturel de l'Ambassade de France, au cours d'un dîner organisé par la bonne société de Batenda.
Très vite une complicité va s'établir entre eux deux et ils ne cesseront de correspondre et de nourrir leur passion commune pour la littérature en s'échangeant de nombreux romans. De cette complicité, de cette intimité qui va bientôt naître entre cet homme et cette femme, qu'adviendra-t-il ? Pour Irina, le choix ne pourra qu'être déchirant et il lui faudra faire preuve d'un grand sens de l'abnégation pour donner la priorité à ce qui – jusqu'ici – a donné un sens à sa vie.
Et inlassablement, dans la joie et dans l'épreuve, dans le chagrin ou l'insouciance, Irina continuera à confectionner son gâteau café-café pour exprimer sa tendresse envers les siens, qu'ils soient proches ou éloignés, vivants ou disparus.


Ce livre voyageur proposé par Moustafette est déjà passé entre les mains de Valdebaz, de Cathulu, de Bellesahi, de Tamara, d' Elfe et de Chatperlipopette. Laurence de Biblioblog et Chiffonnette l'ont lu aussi.
L'avis est unanime : nous sommes en présence d'un roman d'une grande qualité. Avec Irina Sasson nous faisons la connaissance d'un très beau personnage de femme que nous allons suivre de sa jeunesse jusqu'à ses cent ans au fil d'un récit empreint de nostalgie, de tendresse, de poésie et de sensualité. Joëlle Tiano, avec ce roman, nous offre un récit d'une sobriété et d'une délicatesse remarquables, un récit tout en mi-teintes où les non-dits s'avèrent très éloquents, une histoire simple, émouvante et sensuelle où la vie se révèle douce-amère à l'instar de ce fameux gâteau café-café.

dimanche 4 novembre 2007

Le-Saviez-Vous ? La France institutionnalise le racisme


Le ministère de l’identité nationale prend une mesure pour distinguer les individus en fonction de leur couleur de peau, en fonction de leur religion et en fonction de leur origine : la statistique ethnique...


Cette disposition de la loi Hortefeux a fait l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel.
Une mobilisation massive est necessaire pour empécher une telle pratique.


Signez la pétition ici.

jeudi 1 novembre 2007

Disciplina Augusta


"Mémoires d'Hadrien" Marguerite Yourcenar. Roman. Gallimard, 1974.



Certains romans demandent à être lus, relus et re-relus de nombreuses fois au cours d'une vie. En ce qui me concerne, "Mémoires d'Hadrien" fait partie de cette catégorie d'ouvrages sur lesquels j'aime à revenir inlassablement.
Le temps, l'âge et la maturité m'apportent à chaque relecture - alors que les années passent - un nouvel éclairage, une nouvelle manière d'appréhender ces oeuvres, de les comprendre, de saisir parfois le sens mystérieux d'une phrase, d'une allusion, d'une idée qui échappe à la jeunesse et qui ne se révèle parfois qu'à l'aube de l'âge mûr.
C'est donc pour la troisième fois en quinze ans que j'ouvre ce roman. C'est bien peu si l'on compare ce petit laps de temps à la période de vingt-sept ans (de 1924 à 1951) durant laquelle Marguerite Yourcenar a porté ce roman, vécu avec ce personnage, s'est imprégnée de lui au point de s'effacer devant la personnalité de cet empereur du IIème siècle, de le laisser s'incarner en elle, de se laisser "posséder" par Hadrien : "Je me suis assez vite aperçue que j'écrivais la vie d'un grand homme. De là, plus de respect de la vérité, plus d'attention, et, de ma part, plus de silence."


C'est donc à la première personne que Marguerite Yourcenar nous raconte Hadrien, s'effaçant volontairement devant la personnalité de cet homme qui prend la parole au soir de sa vie pour relater ce que fut son existence à un jeune homme qui n'est autre que le futur empereur Marc-Aurèle. « Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi. »

Hadrien se raconte, de son enfance dans la colonie espagnole d'Italica à ses premiers faits d'armes sous les ordres de l'empereur Trajan, de son accession au pouvoir suprême aux cruelles désillusions qu'entraîneront l'exercice de celui-ci, de sa volonté d'éclairer le monde romain à la lumière de la culture grecque pour qui il voue une admiration sans bornes, à la sinistre intuition ressentie d'un empire et d'une civilisation en déclin, en butte aux agressions sans cesse renouvelées des peuples barbares, des provinces révoltées, ainsi que de ces nouvelles religions et de ces philosophies originaires des turbulentes contrées orientales.

Mais les préoccupations de l'empereur Hadrien ne sont pas uniquement d'ordre guerrier, politique ou religieux. Car l'empereur est aussi et avant tout un homme. Et comme tout homme – qu 'il soit drapé dans la pourpre impériale ou qu'il soit le dernier des esclaves – il se voit confronté à l'impermanence et à la vanité de toutes choses, au désir et à l'amour, mais aussi à la vieillesse, à la maladie et à la mort, à la disparition de ses intimes et bien sûr à sa propre extinction.


« Tout être qui a vécu l'aventure humaine est moi », note MargueriteYourcenar dans ses carnets, car Hadrien, fut-il empereur, un empereur dont dix-huit siècles d'histoire nous séparent, Hadrien participe de l'universalité de la condition humaine, condition qui transcende siècles et cultures et dont l'éloignement temporel ne fait finalement que nous rapprocher de celui-ci. Ses réflexions sur divers sujets acquièrent de ce fait une troublante actualité dans ces mémoires apocryphes censées restituer la pensée d'un homme du IIème siècle et composées par une romancière du XXème : « Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d'imaginer des formes de servitude pires que les nôtres parce que plus insidieuses : soit qu'on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies, soit qu'on développe chez eux, à l'exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. A cette servitude de l'esprit, ou de l'imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait. »


Ce qui nous rend Hadrien si proche, c'est aussi ce regard lucide posé sur le monde, ce regard bien éloigné du folklore qui tend à faire des empereurs romains des êtres corrompus et pervers à la santé mentale défaillante. Hadrien se veut un rénovateur de l'Empire, il veut redresser son économie, contenir l'expansion de celui-ci en lui assurant une paix durable ; il veut surtout faire revivre à travers cet Empire l'éclat culturel et le culte de la beauté hérité de la civilisation grecque. De là viendra sa passion pour le jeune Antinoüs qu'il fera diviniser après la mort tragique de celui-ci. De là viendront également son engouement pour la philosophie et son érudition peu commune, médecines de l'âme qui lui seront d'un grand secours face aux épreuves qui jalonneront son existence.


Mais il serait possible de gloser infiniment sur ce roman qui en lui-même est une somme, roman historique, philosophique et initiatique, étude psychologique et roman d'aventures, étude de moeurs et reconstitution minutieuse d'une époque méconnue parce que moins spectaculaire que d'autres épisodes de l'histoire romaine. S'ajoute à tout cela la grande qualité d'écriture de marguerite Yourcenar qui a su éviter certains écueils propres au genre du roman historique en nous délivrant un récit sobre et dépouillé de tout effet grandiloquent ou « typique », une oeuvre sans fausse note ni faute de goût, sans détails triviaux ou bassement sordides.
Grâce à cette sobriété et à ce dépouillement, Marguerite Yourcenar réussit la gageure de faire résonner en nous la voix immémoriale d'un homme qui, malgré son statut d'empereur, nous devient si contemporain et si proche de nos préoccupations qu'il nous semble n' être qu'un reflet de nous-même.