dimanche 14 février 2010

L'année du tigre

Un jour de Nouvel An, Bouddha convoqua tous les animaux de la Création. Seuls douze d'entre eux se présentèrent. En remerciement, Bouddha leur offrit à chacun une année qui porterait leur nom et qu'ils influenceraient.


Aujourd'hui débute l'année du Tigre. Si vous êtes né(e) en 1950, en 1962, en 1974, en 1986, en 1998, vous êts du signe du Tigre comme Emily Brontë, Marilyn Monroe, Rimbaud, Bayard, Robespierre, Schumann, Saint François-Xavier, Clovis...
 
Le Tigre : prend des risques

Frondeur et indiscipliné
Tu es contre l'autorité
Ton caractère est emporté
Les autres tu aimes mener
Tu cries "En avant"
Avec quelle témérité !
Tous sont en admiration
Taisant tes quatre vérités
On te suit jusqu'au bout
Comme derrière un chef
Tigre un peu casse-cou
Quelle vie passionnée !
Tu prends des risques
Fais un peu attention
T'es pas toujours un lion !
On dit que t'as la baraka
Mais suis les conseils du Cheval
Pour te calmer il sera là
Du serpent ce n'est pas le cas
Et méfie-toi de tous les chats.

Texte extrait de Club 77. Editions GALLIMARD, 1976

"La Marylandiade"

"Le Courtier en tabac" John Barth. Roman. Le Serpent à Plumes, 2002.
  Traduit de l'américain par Claro.

Quand John Barth publia en 1960 « The Sot-Weed Factor » (Le Courtier en tabac), il était loin de penser que son roman deviendrait l’un des classiques de la littérature américaine.
Moins connu chez nous que des auteurs tels que Steinbeck, Faulkner, Salinger et bien d’autres, John Barth est à l’origine, avec ce roman, d’une œuvre qui a fait date dans l’histoire littéraire américaine.


S’inspirant d’un poème publié à Londres en 1706, écrit par un certain Ebenezer Cooke, auteur dont on ne sait que peu de choses, si ce n’est qu’il fut avocat au Maryland où son père possédait une terre au point de jonction de la Choptank River et de la baie de Chesapeake, terre qui porte encore aujourd’hui le nom de Cooke’s Point.

Ce poème, intitulé : « Le Courtier en tabac : ou, un voyage au Maryland. Une satire dans laquelle sont décrits les Lois, Gouvernements, Tribunaux & Constitutions de cette contrée ; ainsi que les Éédifices, Fêtes, Caprices, Divertissements, et Beuveries des Habitants de cette Province américaine. En vers burlesques. Par Eben. Cook, Gent. LONDRES : imprimé et vendu par B. Bragg, à l’Enseigne du Corbeau dans Paternoster Row. 1706. », a inspiré John Barth, lui-même originaire du Maryland, qui a imaginé la biographie de ce mystérieux Ebenezer Cooke qui se trouva fort désappointé lorsque, venu d’Angleterre,il aborda pour la première fois les rivages du Maryland.

« Il débarque dans le légendaire Nouveau-Monde, nous dit John Barth dans sa Préface, pour se lancer dans le commerce du tabac; mais au lieu de l’Eden policé qu’ont coutume de vanter les publicités coloniales - une terre de nobles sauvages, d’honnêtes marchands, de planteurs courtois, de chastes épouses, d’élégantes plantations - , il découvre que le Maryland est un lieu barbare et pernicieux. Les indiens puent la graisse d’ours; les colons sont des ivrognes, des querelleurs, des illettrés et des filous dont l’hospitalité est on ne peut plus douteuse; leurs épouses sont des souillons, leurs tribunaux sont corrompus. »

Barth, dans le roman qu’il va créer à partir des maigres indices relatifs à ce courtier en tabac, va donner corps à ce mystérieux Ebenezer Cooke, un personnage aussi burlesque qu’attachant, d’une naïveté sans bornes, qui va se trouver bien malgré-lui propulsé dans des aventures aussi extravagantes que loufoques.

« Dans les dernières années du dix-septième siècle, on pouvait rencontrer parmi les sots et les élégants des cabarets de Londres un personnage maigre et dégingandé du nom d’Ebenezer Cooke, plus ambitieux qu’ingénieux et néanmoins plus ingénieux que prudent, qui, semblable en cela à ses joyeux compagnons, tous censés étudier à Oxford ou à Cambridge, avait trouvé plus plaisant de se divertir de sa langue mère, l’anglais, que d’en approfondir sa connaissance, et, plutôt que de se soumettre à la rigueur des études, avait appris l’art de versifier et produit nombre de pages de distiques selon le goût de l’époque, tout empanachés de « Par Jove » et « Par Jupiter », tout clinquants de rimes discordantes et plein de comparaisons tirées par les cheveux et conséquemment sur le point de céder.

Poète, Ebenezer l’était, ni pire ni meilleur que ses compagnons dont aucun ne laissa derrière lui souvenir plus insigne que sa simple postérité; […]

le cheveu clair et l’œil clair, efflanqué, les joues émaciées, sa taille - non, sa coupe - était de dix-neuf paumes. Ses vêtements étaient de bonne qualité et fort bien coupés, mais ils pendaient sur lui comme des voiles lofées sur de longs espars. Héron par le physique, les membres sans cesse ployés et le bec long, il marchait et s’asseyait comme un pantin désarticulé; chacune de ses poses était une merveille d’inclinaison, chacun de ses gestes la course arrêtée d’un fléau. Qui plus est, son visage était sujet au dérèglement, comme si ses traits s’accordaient mal entre eux : son bec de héron, son front de loup, son menton pointu, ses joues caves, ses yeux d’un bleu délavé et ses sourcils blonds et proéminents obéissaient à des caprices distincts, chacun n’en faisant qu’à sa guise et s’arrangeant en de déconcertantes compositions, qui bien souvent n’étaient point en harmonie avec le sentiment qu’on pouvait alors lui prêter. »

Voici donc le portrait d’Ebenezer Cooke, tel qu’imaginé par John Barth. Fils d’un riche négociant, Ebenezer, ainsi que sa sœur jumelle Anna, est né au Maryland. La mère des deux enfants, étant morte en couches, le père, Andrew Cooke décida de repartir pour l’Angleterre, laissant son domaine, baptisé Malden, aux bons soins d’un homme de confiance.

Les deux enfants vont donc grandir en Angleterre, et leur éducation va être confiée à un étrange précepteur du nom d’Henry Burlingame III.

Andrew Cooke envoie Ebenezer étudier à Cambridge mais le jeune homme, qui se pique de poésie, fait preuve de bien peu d’acharnement dans ses études et préfère passer ses journées dans les estaminets londoniens en compagnie d’autres jeunes gens qui prétendent eux aussi taquiner la Muse.

Voyant son fils échouer à tous ses examens et perdre son temps dans les tavernes, Andrew Cooke va confier à Ebenezer la mission d’aller s’établir au Maryland afin de prendre en main son domaine de Malden. Rien moins qu’enthousiaste à cette idée, Ebenezer va pourtant accepter cette proposition suite à sa rencontre avec Lord Baltimore, ancien gouverneur du Maryland, qui lui décerne le titre de poète-lauréat du Maryland et lui confie la tâche de créer une œuvre poétique dans l’esprit de l’Iliade et de l’Énéide, dédiée à cette obscure province américaine : La Marylandiade.

C’est ainsi que, fort de son nouveau statut de Poète & Lauréat de la Province du Maryland, Ebenezer Cooke va s’embarquer vers cette lointaine contrée afin de prendre possession de son domaine de Malden et de composer une œuvre poétique qui fera de lui, pense-t-il, l’égal d'Homère, de Virgile, de Shakespeare et de Milton.

Mais Ebenezer Cooke va au devant de nombreuses péripéties. Bien que puceau à trente ans, et fier d’avoir conservé jusqu’ici sa vertu, le voici qui tombe éperdument amoureux d’une prostituée, puis le voici victime d’une usurpation d’identité, puis la proie des pirates.

Arrivé tant bien que mal sur le continent américain, le voici dépossédé de son domaine suite à l’imprudence de son valet Bertrand, puis bientôt prisonnier d’esclaves révoltés et d’une tribu d’indiens. Tout cela sans compter les apparitions d’Henry Burlingame, personnage aux multiples facettes, dont personne ne sait quelles sont les réelles intentions, si ce n’est celle de découvrir les étranges circonstances de sa naissance. On apprendra aussi comment se déroula réellement l’aventure de John Smith en Virginie ainsi que la curieuse méthode utilisée par celui-ci pour déflorer la princesse Pocahontas et bien d’autres choses encore, à tel point qu’il est difficile de résumer tous les épisodes qui jalonnent ce roman foisonnant.

Roman picaresque, drolatique et rabelaisien, écrit dans un langage qui fleure bon le XVIIè siècle et remarquablement traduit par Claro ( qui est aussi le traducteur, entre autres, de Pynchon, de Selby Jr. et de William T. Vollmann), John Barth avoue s’être inspiré notamment du « Tom Jones » de Fielding mais l’on retrouvera aussi dans cet ouvrage les influences de Swift, de Sterne, de Cervantès et de Lesage.

Nombreux sont les romanciers qui, par leur talent, ont su débarrasser l’Amérique de ce sentiment infondé qu’était leur infériorité dans le domaine littéraire par rapport à la suprématie des belles-lettres de la patrie originelle : le Royaume-Uni. A n’en pas douter, John Barth est de ceux-là et « Le Courtier en tabac » apparaît comme l’ un des plus beaux fleurons de la littérature américaine.

Un pur chef-d-œuvre.




Pieter Jacob Codde (1599-1678) : "Jeune fumeur de pipe délaissant l'étude" (vers 1630-1633)

mardi 9 février 2010

Le 2e Prix Landerneau # 6

"L'homme barbelé" Béatrice Fontanel. Roman. Editions Grasset & Fasquelle, 2009.

Ferdinand Bouvier est un drôle de bonhomme. Enfin, pas si drôle que ça. Ancien héros de la première guerre mondiale, où il a sauvé au péril de sa vie des camarades tombés dans la boue des tranchées de Verdun, Douaumont, Les Eparges…il mène une vie d’enfer à sa femme Thérèse et à ses quatre enfants.


Ferdinand est un tyran domestique. Lorsqu’il rentre du travail, sa famille peut s’attendre à des cris, des sarcasmes, des remarques désobligeantes. Et chacun de tendre le dos quand, le soir venu, s’ouvre la porte d’entrée.

Aussi, c’est avec un certain soulagement qu’en ce jour d’avril 1944, les enfants de Ferdinand voient celui-ci se faire arrêter par la Gestapo. Qui aurait pu soupçonner que Ferdinand faisait du trafic de faux papiers d’identité ? Qui aurait pu soupçonner qu’au lendemain de cette arrestation, le plus jeune des fils de Ferdinand allait exprimer à haute voix ce que tous pensaient secrètement : « Enfin une journée tranquille. » ?

Ferdinand va être déporté à Mauthausen où il mourra quelques mois plus tard, en janvier 1945. De quoi au juste ? Personne ne le sait. De maladie ? D’épuisement ? D’une exécution sommaire ?

Bien des années plus tard, alors que Thérèse est morte depuis longtemps et que ses enfants sont devenus de vieilles personnes, la narratrice, qui a décidé d’écrire un roman sur Ferdinand, va rencontrer chacun d’eux pour tenter de percer le mystère qui plane sur la mort de ce pater familias tyrannique et aussi de retracer ses années de jeunesse afin de comprendre, peut-être, la personnalité de cet homme qui savait si bien se rendre insupportable envers ses proches.

Ferdinand était-il un personnage foncièrement méchant ou seulement un homme qui n’a pu trouver un sens à sa vie que lors des combats de la grande guerre ? D’ailleurs, quand a sonné l’armistice, le 11 novembre 1918, n’a-t-il pas décidé de continuer sa guerre en rempilant pour les Dardanelles, la Crimée, la Serbie, l’Albanie, puis la Syrie ? « Tout plutôt que de retrouver la vie civile et sa saveur écoeurante. D’ailleurs, il ne l’imagine même plus, tant elle s’est réduite dans sa mémoire à une peau de chagrin. »

Pourtant, tout à une fin et il faudra bien rentrer au pays, au début des années vingt quand les conflits cesseront. Ferdinand se mariera avec Thérèse. Puis il y aura les enfants, le travail quotidien au P.L.M et l’enfer domestique qu’il instaurera au sein de son propre foyer. Comment comprendre le comportement de cet homme qui fait régner la terreur chez lui mais qui, une fois à l’extérieur, au bistro avec ses amis, peut se révéler amusant, agréable et prêt à aider n’importe qui ?

C’est donc le portrait tout en contrastes de cet « homme barbelé » que nous brosse la narratrice, sous la plume de Béatrice Fontanel, dans ce roman en forme de puzzle qui éclaire par petites touches les zones d’ombre qui entourent le passé de Ferdinand, des tranchées de Verdun en 1916 jusqu’à sa disparition mystérieuse et brutale dans l’enfer de la déportation. Qui était vraiment Ferdinand ? Un héros ? Un fou de guerre ? Un salaud ? Ou tout simplement un homme comme tant d’autres, pétri de contradictions, confronté à des circonstances qu’il n’a pas choisies et qui le dépassent ?

Béatrice Fontanel nous laisse, à nous, lecteurs, le choix de juger. Le choix de décider si Ferdinand est réellement un monstre ou un homme qui n’a pas su, une fois retourné à la vie civile, s’adapter à autre chose qu’aux fracas des champs de bataille.







lundi 1 février 2010

"Et nos bouches proclameront Tes louanges !"

"Le Canon" Cecil Scott Forester. Roman. Editions Phébus, 1994.
Traduit de l'anglais par Renée Tesnière.

Cecil Scott Forester (1899-1966) est surtout connu du grand public pour sa saga maritime en douze volumes : « Hornblower ». Il est aussi, et c’est un fait moins connu, l’auteur de « The African Queen », roman immortalisé sur grand écran par John Huston avec dans les principaux rôles Humphrey Bogart et Katharine Hepburn.

Parmi d’autres romans moins connus de cet auteur, dont Winston Churchill pensait qu’il était le plus grand romancier du siècle, figure « Le Canon » qui se situe dans le même contexte historique qu’ « Hornblower », c’est-à-dire à l’époque napoléonienne.

Cependant, nous sommes avec « Le Canon » bien loin des combats navals et des aventures maritimes d’Horatio Hornblower. L’action se déroule en effet en Espagne, en 1808, après que les armées napoléoniennes aient envahi le pays, et que l’empereur des français ait déposé Charles IV et Ferdinand VII pour installer sur le trône son propre frère, Joseph Bonaparte.

Si la Grande Armée a pu venir à bout relativement facilement de l’armée régulière espagnole, il n’en fut cependant pas de même avec la population qui se souleva et embrasa les provinces du royaume. Les fières armées françaises vont en effet avoir fort à faire avec un ennemi fuyant et insaisissable qui pratique les techniques de guérilla. Les régiments disciplinés qui avancent en rangs serrés sur les champs de bataille avec en face d’eux un adversaire utilisant la même tactique n’auront plus cours ici. Les occupants sont harcelés par des troupes peu nombreuses, rapides et invisibles qui, au lieu de faire front face à l’ennemi, frappent par surprise et profitent du moindre point faible pour semer la mort. Ces guérilleros ne sont, pour la plupart, pas des militaires mais des hommes venus de tous horizons qui ont pour objectif commun de rétablir l’indépendance de leur pays.

C’est l’histoire de certains de ces hommes ordinaires qui nous est contée dans « Le Canon ».
Alors que l’ armée espagnole, défaite, fuit devant l’envahisseur, les soldats décident, afin de ne pas se retarder, d’abandonner sur le chemin une lourde pièce d’artillerie dont le transport s’avère des plus malaisés compte tenu de l’énormité de cette arme.

« Le tout dernier élément de la colonne espagnole - si l’on en excepte les mourants - était une pièce plus grosse, plus lourde et plus imposante que les pièces de six en fonte qui ouvraient la marche de la colonne d’artillerie. Treize pieds de long, deux pieds de diamètre à la culasse, un à la gueule. C’était un canon de dix-huit en bronze, fait de ce bel alliage sombre que l’on appelle encore « bronze à canon ». Il s’ornait autour de la lumière et tout au long du fût, de motifs et d’emblèmes héraldiques, d’un dessin remarquable, fondus dans le corps même ; c’était à l’évidence, une pièce coulée à l’unité, dans un moule conçu tout exprès : une pièce visiblement destinée à faire l’ornement du château d’un riche seigneur. Autour de la gueule se lisait, en relief hardi, une inscription latine, un fragment de la liturgie du Nocturne… « Et nos bouches proclameront Tes louanges ! » Il devait faire partie d’un couple de canons géants et le frère de celui-ci portait sans doute l’inscription « Ô Seigneur, ouvre nos lèvres ». Tous deux devaient s’être dressés de chaque côté de la rampe d’accès d’un château du Sud. Lorsque les espagnols s’étaient soulevés contre l’occupant français, quand la nation tout entière avait pris les armes, on avait du arracher les deux pièces à leurs fonctions décoratives pour remédier quelque peu à l’équipement déplorablement insuffisant de l’artillerie espagnole. L’autre canon était tombé aux mains des français lors de l’un quelconque des désastres qui s’étaient abattus sur l’Espagne quand Napoléon avait fait passer les Pyrénées à la Grande Armée : à Gamonal, peut-être, ou bien au Rio Seco, ou encore à Tudela. A présent, il se trouvait probablement de nouveau relégué au rang d’ornement et embellissait, aux Tuileries ou à Compiègne, la splendeur impériale. »

Ce canon abandonné va être retrouvé par des hommes du pays, bûcherons et mineurs qui, sous l’autorité d’un prêtre, vont transporter l’énorme pièce d’artillerie afin de la dissimuler dans une carrière. Deux ans plus tard, un chef de la guérilla viendra à s’en emparer et commencera alors une odyssée violente et barbare au cours de laquelle le canon passera de main en main et sera l’objet de toutes les convoitises et de toutes les trahisons. L’énorme pièce d’artillerie sera témoin de nombre d’exactions, d’exécutions sommaires, de massacres de civils et de militaires, faits qui sont devenus caractéristiques de cette guerre d’indépendance espagnole où la cruauté et la barbarie se sont illustrées de manière particulièrement effroyable. On ne peut, en lisant « Le Canon », que penser aux peintures, aux gravures et aux dessins de Francisco de Goya qui illustra, de la même manière que le fit deux siècles plus tôt Jacques Callot, les malheurs de la guerre avec son cortège d’atrocités, de corps pendus, mutilés et démembrés.

On pourra voir dans ce livre une métaphore de la guerre, de toutes les guerres. Ici pas de figures héroïques mais seulement des hommes terriblement ordinaires confrontés à une situation extra-ordinaire qui bouleversera leurs destins et fera d’eux des braves ou des monstres.
Pas de héros, donc, dans cette histoire, si ce n’est la figure muette de ce canon qui s’achemine dans les plaines du Léon, traînant son imposante masse de terreur et de destruction.

Ce récit sans héros, sans vertueux vainqueurs et sans infortunés vaincus, où le Mal est partout et où le Bien fait preuve d’une cruelle absence, se lit donc comme une parabole sur la guerre, sur le rapport de forces apporté par la puissance des armes, rapport de forces qui, du premier gourdin paléolithique jusqu’à la bombe thermo-nucléaire, se nourrit des peurs et des ambitions humaines. La portée quasi-universelle du propos de ce roman de C.S. Forester donne à cet ouvrage une dimension épique qui l’inscrit dans la catégorie des grandes œuvres littéraires mettant en scène la condition humaine face à ce phénomène de la guerre omniprésent dans l’histoire des civilisations.



"La bataille de Somosierra" Peinture de Janvier Suchodolski