lundi 25 mai 2009

Le 2e Prix Landerneau #1








"Un dieu un animal" Jérôme Ferrari. Roman. Actes Sud, 2009.







Il était parti pour l'Irak où il s'était engagé comme mercenaire. Il avait entraîné dans son aventure son ami d'enfance, Jean-Do. Il est revenu depuis peu dans son village natal, quelque part en Corse. Jean-Do, lui, ne reviendra pas. Sa vie s'est brutalement interrompue lorsqu'un kamikaze s'est fait exploser au checkpoint qu'ils contrôlaient.
Depuis, il erre sans but dans ce village. Lui qui, avant tout cela, avait déjà trouvé si peu de sens à sa vie au point de s'engager dans l'armée, se retrouve aujourd'hui aussi démuni qu'avant, entre ses parents vieillissants et les ruelles de ce village qui lui rappellent sans cesse les souvenirs d'une enfance alors riche en espoirs.
De ces années passées remonte alors en lui un souvenir, celui d'un flirt avec une jeune fille qui venait passer ses vacances ici, Magali, la fille du Russe.

Qu'est-elle devenue après toutes ces années et toutes ces épreuves ? Et s'il reprenait le fil de cette histoire interrompue par ces évènements tragiques ?
S'il retrouvait Magali, y aurait-il moyen d'effacer de sa vie cette parenthèse traumatisante et de retrouver, peut-être, l'insouciance des années d'une adolescence perdue ? Lui écrire une lettre, dans l'espoir qu'elle la reçoive, voilà la solution. La retrouver, apprendre ce qu'elle fait, quelle est sa vie. Renouer, peut-être, une relation qui s'était ébauchée près de la fontaine du village quelques années auparavant.

Magali, elle, travaille dans un cabinet de consultants. Ici on ne parle et on ne vit que pour atteindre et dépasser des objectifs dérisoires. La vie se mesure à l'aune des contrats remportés, des résultats, du chiffre d'affaires. Chacun est engagé dans une compétition qui l'oblige à se dépasser et à dépasser ses collègues/adversaires. Une sorte d'élan mystique incite tous ces cadres en costume-cravate et en tailleur à sacrifier leur existence sur l'autel du dieu de l'entreprise, un Moloch invisible qui se repaît de chiffres, de pourcentages et de bilans positifs.

C'est à cette rencontre entre deux formes de violence que nous invite Jérôme Ferrari dans « Un dieu un animal », deux formes de violence qui incarnent à elles seules les inquiétantes dérives de notre société. La violence traditionnelle, celle des armes et du sang, incarnée par ce jeune homme revenu d'Irak, et la violence du monde des affaires, celle des rapports humains au sein des entreprises où seuls les plus performants peuvent survivre. Au travers de ce récit magnifique et dérangeant, Jérôme Ferrari décrit avec lucidité l'impasse dans laquelle se trouve toute une génération sans repères, une génération offerte en sacrifice aux déités de l'argent et de la politique internationale.

Amer constat qui dénonce sans ambigüités les idéaux factices de nos sociétés contemporaines, « Un dieu un animal » nous renvoie une image de nous-mêmes bien peu reluisante et nous donne à réfléchir sur le sens que nous pouvons donner à notre vie.
Construit comme un long monologue dans lequel le narrateur (Qui est-il, d'ailleurs, ce narrateur ? Est-il ce Dieu que nous avons délaissé au profit d'autres idoles ?) s'adresse au jeune homme en le tutoyant. Ce texte, difficile à appréhender au début, se lit par la suite sans relâche tant la tension y est forte et monte crescendo. Sans chapitres ni paragraphes permettant au lecteur de bénéficier d'une pause, le récit nous entraîne et nous submerge comme une lame de fond. On ressort de ce roman hébété, halluciné par tant de puissance dans l'évocation de ce monde insoutenable qui est pourtant le nôtre.

La prose de Jérôme Ferrari, poétique, mystique, brutale, envoûtante et hypnotique nous porte sans répit dans ce récit brutal et désespéré aux accents de tragédie. Un court roman, certes, mais dont le nombre de pages (une centaine) ne nuit en rien à la densité et à la force du récit.
Un roman essentiel, peut-être l'un des plus marquants qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps.



dimanche 17 mai 2009

Le 7ème Prix des lecteurs du Télégramme # 7






"Les déferlantes" Claudie Gallay. Roman. Editions du Rouergue, 2008.




Pour beaucoup, La Hague c'est avant tout un centre de traitement de déchets radioactifs dont on entend parler de loin en loin lorsque des militants écologistes viennent manifester contre les activités de la COGEMA (aujourd'hui AREVA). Mais c'est oublier un peu trop vite qu'à l'origine La Hague est un cap situé au Nord-Ouest de la péninsule du Cotentin et regroupant plusieurs communes.
C'est ici, dans cette région sauvage et battue par les vents que Claudie Gallay a planté le décor de son roman « Les déferlantes ».

La narratrice, une ornithologue, s'est installée depuis quelques mois dans ce village du bout du monde dont elle arpente la côte afin de recenser les différentes espèces d'oiseaux marins qui nichent dans les falaises.

Elle a trouvé un logement à La Griffue, un ancien hôtel délabré du bord de mer dont elle partage l'espace avec Raphaël, un sculpteur taciturne qui vit ici avec sa sœur Morgane, une jeune femme au caractère fantasque.

Cette narratrice – dont on ne connaîtra jamais le prénom – est aussi arrivée ici pour en finir avec son ancienne existence et tenter de refermer les cicatrices dues à la mort de son compagnon que l'on devine avoir été emporté par un cancer.


Peu à peu, à force de patience, elle a fini par s'intégrer à la petite communauté de ce village en fréquentant le bar tenu par Lili, une vieille file au caractère bien trempé qui entretient sa mère à demi sénile. Elle y fait connaissance avec Max, un vieux garçon un peu simple d'esprit, un peu philosophe, désespérément amoureux de Morgane. Elle y rencontre aussi monsieur Anselme, un vieil intellectuel qui ne parle que de Jacques Prévert qu'il a connu par le passé quand le poète vivait dans les environs (à Omonville-la-Petite). Il y a aussi Nan, une vieille femme un peu folle qui court les grèves à la recherche des siens disparus en mer alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Et puis il y a Théo, un vieillard solitaire, le père de Lili, ancien gardien de phare qui vit retiré au dessus du village au milieu de ses chats.


C'est par un jour de tempête qu'arrive un inconnu, un homme prénommé Lambert. Très rapidement les villageois reconnaissent en lui le fils Perack, le seul enfant survivant d'une famille dont tous les membres se sont noyés lors du naufrage d'un bateau de plaisance à la fin des années 60. On s'interroge : que vient-il faire ici ? Il semblerait qu'il soit venu vendre la maison de famille mais ses errances dans les environs et son manque d'empressement à conclure la vente plaident en faveur d'une autre raison. Serait-il venu ici afin de faire toute la lumière sur la disparition de sa famille, et particulièrement en interrogeant Théo qui est soupçonné d'avoir volontairement éteint le phare la nuit du naufrage ?


L'arrivée de Lambert va réveiller les fantômes du passé, rouvrir d'anciennes plaies que l'on croyait enfouies sous la poussière des années et révéler enfin les secrets que chacun des protagonistes tenait jusqu'ici caché dans un recoin de sa mémoire.


Que dire si ce n'est que je me suis plongé avec délices dans ces « Déferlantes », suivant pas à pas tous ces personnages meurtris par la vie et qui portent chacun leur part de solitude et de renoncement. La dimension peut-être un petit peu trop « romanesque » des personnages rencontrés m'a un peu gêné au début, un sentiment qui s'est rapidement effacé une fois entré de plain-pied dans l'intrigue visant à découvrir le mystère planant autour des circonstances de la disparition des membres de la famille Perack lors du naufrage.

La description psychologique des protagonistes de cette histoire est amenée aussi de manière fort subtile, avec beaucoup de non-dits et une grande retenue, ce qui nous dispense ainsi des écueils mélodramatiques que l'on rencontre assez souvent dans nombre de romans.
Quant à ce qu'il en est de l'intrigue elle-même, on en vient peu à peu à suivre comme dans un polar les différentes révélations qui nous sont faites au fil du récit, révélations qui lèvent progressivement le voile sur les circonstances et les conséquences d'un drame survenu plus de trente ans en arrière.
Ainsi, les silences, les vieilles haines, les secrets inavouables trouvent progressivement leur explication et le lecteur – à l'instar de la narratrice – devient le témoin de l'aboutissement de cette dramatique histoire qui pèse depuis de trop nombreuses années sur cette petite communauté d'hommes et de femmes perdus au bout de cette langue de terre qui s'enfonce dans l'océan.
Et puis il me faut avouer aussi que l'intérêt que j'ai trouvé à ce roman me vient aussi de souvenirs personnels, ayant de par le passé emprunté les sentiers douaniers de la côte lors de visites chez un de mes très grands amis (Hello Stephan ! ) Chaque lieu évoqué dans ce roman parle à ma mémoire : la baie d'Ecalgrain, le Nez de Jobourg, Saint-Germain-des-Vaux, Port-Racine, et bien sûr Auderville.

Les paysages de cette région, d'une beauté à couper le souffle sont en effet le cadre idéal pour tenir lieu de décor à un récit comme « Les déferlantes ». Les landes, les murets de pierre délimitant les pâturages où paissent vaches et moutons, la lumière toujours changeante, le vent , les nuées aussi violentes qu'imprévisibles ont valu – à juste titre – à ce petit bout de terre son appellation de petite Irlande.
Comment ne pas imaginer – face à ces paysages grandioses et en grande partie préservés des ravages de l'urbanisation – que les âmes, semblables en cela aux éléments qui ont modelé cette côte déchiquetée, comment ne pas imaginer en effet que les âmes des hommes et des femmes vivant ici ne renferment pas en elles cette même puissance créatrice et destructrice, cette force en apparence si paisible et pourtant susceptible de se déchaîner en un éclair ?








mercredi 13 mai 2009

Le 2e Prix Landerneau...c'est reparti !!!



Certains des lecteurs de ce blog s'étonnent peut-être que, depuis quelques temps, les commentaires de lectures se font plus rares. La raison en est simple, je participe cette année à trois prix littéraires : le Prix des lecteurs du Livre de Poche, le Prix des lecteurs du Télégramme, et enfin la deuxième édition du Prix Landerneau, organisé par les libraires des Centres Culturels Leclerc.

Avec tous ces romans à lire (une quarantaine environ), il me reste peu de temps pour commenter en temps réel chaque ouvrage dont j'ai terminé la lecture. Conséquence : les chroniques en retard s'accumulent.

Mais le but de ce blog n'étant pas de faire de l'abattage, ni de briguer la première place dans un quelconque palmarès des bloggueurs les plus prolifiques, je me réserve le droit de continuer à mon propre rythme tout en gardant à l'esprit une priorité première : lire.

En effet, à mon avis, le plaisir de la lecture l'emporte haut la main sur la recherche de performances liées au nombre de commentaires écrits sur un blog. Je ne suis pas en cela un cheval de course, et je laisse à d'autres ce genre de trophées.

Cette petite mise au point étant faite, voici donc ci-dessous la sélection du 2e Prix Landerneau pour cette année 2009 :



  • "Un dieu un animal" de Jérôme Ferrari. Actes Sud.

  • "Les mains nues" de Simonetta Greggio. Stock.

  • "L'attente du soir" de Tatiana Arfel. José Corti.

  • "L'homme barbelé" de Béatrice Fontanel. Grasset.

  • "A l'angle du renard" de Fabienne Juhel. Editions du Rouergue.

  • "L'origine de la violence" de Fabrice Humbert. Le Passage.



PS : Un grand merci à Elodie Giraud

jeudi 7 mai 2009

Une mamm-gozh chez les Maoris


"Le voyage de Jabel" Angèle Jacq. Roman. Editions du Palémon & Coop Breizh, 2004.



Jabel n'a pas eu une vie facile. Née en Bretagne dans une famille pauvre, ses parents ont décidé que l'école serait pour ses frères. Alors Jabel n'a pas pu apprendre à lire et à écrire. Son enfance s'est passée à travailler dans les champs comme journalière pour les riches fermiers de la région. Quand ce n'étaient pas les travaux des champs, c'était de ses frères et sœurs dont elle devait s'occuper, sans compter les tâches ménagères : aller au lavoir, s'occuper des bêtes et du potager, faire la cuisine...
C'est pour cela que Jabel n'a jamais appris à parler le français. Elle en connaît bien quelques mots ou quelques phrases d'usage courant mais la langue bretonne est la seule qu'elle pratique.
Quand elle eût dix-sept ans on la maria avec Fañch, un homme de douze ans plus âgé qu'elle. Son mari, à part lui avoir donné un fils, se révélera toute sa vie un fainéant et un ivrogne invétéré.

Travaillant pour deux – Fañch étant plus souvent au café qu'au travail – Jabel a continué à louer ses bras aux agriculteurs pour assurer un minimum de revenus à son foyer.
Sa seule joie en cette vie, c'est Ifig, son fils, pour qui elle endure sans se plaindre cette existence morne et difficile.
Mais les années passent. Ifig grandit, passe son certificat d'études, apprend la mécanique et devient garagiste. L'enfant de Jabel est devenu un homme. Des hommes, justement, la France en a besoin ces années-là pour aller se battre de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie.
Ifig va devoir partir. Il ne sait pas encore qu'il passera trois ans dans les Aurès, loin de sa mère, et loin de sa promise, Alice.
Son expérience des combats va le traumatiser à vie et rares seront les nuits où il ne s'éveillera pas en criant, en proie à des cauchemars suscités par les scènes de violence auxquelles il a assisté.
Quand il reviendra au pays, il ne sera plus le même, d'autant plus qu'en son absence, Alice – lassée de l'attendre en vain et ne recevant plus de nouvelles de lui – a décidé de se marier avec un autre.
La mort dans l'âme, Ifig va tenter de reprendre une vie normale et se faire embaucher dans une usine d'abattage de volailles. Mais les cadences infernales et la bassesse des contremaîtres vont définitivement le dégoûter de cette vie.
Quand la malchance vous colle aux basques de cette manière, il ne reste plus qu'une échappatoire : partir au loin.
C'est de l'autre côté du monde qu'il va choisir de prendre un nouveau départ : en Nouvelle-Zélande.

Malgré sa peine de savoir son fils si loin d'elle, Jabel se sent moins seule quand elle reçoit une lettre d'Ifig. Elle court alors chez sa voisine Marie-Louise qui lui lit le courrier, et ces quelques mots qui ont traversé le monde lui donnent l'impression qu'Ifig est encore près d'elle. Elle apprend ainsi qu'il s'est marié, que ses affaires marchent bien, qu'il s'est construit une maison tout en bois :
« E koad ! Peseu' soñj ! Un'ti savet gant maen, zo glokoc'h kement-se ! Hañ ! En bois ! Quelle idée ! Une maison en pierre, c'est tout de même plus solide ! Hañ ! Commente Jabel en y repensant. »
Puis elle apprend qu'il lui est né un petit-fils, doté d'un prénom breton, Ronan. Jabel est désormais une mamm-gozh, une grand'mère.

Sur ces entrefaites, Fañch a la bonne idée (ce sera la meilleure de toute sa vie) de mourir et voilà Jabel enfin libre de vivre à son aise.
Après avoir travaillé comme un cheval de labour pendant toutes ces années, Jabel décide prendre sa retraite. Mais ce n'est pas là sa plus grande décision. Car en fait, et à la grande stupéfaction de tout son entourage, Jabel a mûri un grand projet : rendre visite à Ifig en Nouvelle-Zélande.

Mais comment faire pour voyager si loin quand on ne sait ni lire ni écrire ni même parler le français. Au sortir du train de Quimper, arrivée à Paris, elle sera déjà en terre inconnue, dans une région où il est impossible de se faire comprendre. Comment alors se débrouiller pour se rendre à l'aéroport, prendre l'avion, ne pas se perdre lors des escales ? Tout ceci sans compter les nombreuses formalités à accomplir , vaccins, passeports, visa, etc...
Pourtant, tous ces obstacles n'arrêteront pas jabel dans sa décision de se rendre aux antipodes pour découvrir le visage de son petit-fils, et c'est le début d'une incroyable odyssée qui va commencer.
Munie de sa valise et d'un carton renfermant quelques crêpes et un gwastell-vras (un grand gâteau), préparés par ses soins, Jabel va devoir affronter de nombreuses épreuves afin d'arriver au bout de son voyage. Ce ne sera pas toujours facile mais c'est sans compter sur le sens de la répartie, les colères homériques et la sagacité de cette Mamm-gozh qui ira jusqu'à faire déguster ses crêpes aux habitants d'un village Maori.

Dès les premières pages du « Voyage de Jabel » on pourrait se croire dans un de ces innombrables « romans du terroir » chers à nombre d'auteurs de nos régions, puis on se trouve sans crier gare catapulté dans une sorte de Road-movie sur les pas de cette vieille dame bretonne qui va traverser la planète jusqu'aux antipodes en faisant fi de tous les obstacles semés sur son chemin.

C'est avec une grande tendresse qu'Angèle Jacq a bâti le personnage de Jabel, un personnage naïf certes, mais qui n'a aucun point commun avec la célèbre Bécassine, autre bretonne voyageuse dont la célébrité n'est plus à démontrer. On rit, on s'attendrit, on est ému par toutes ces figures rencontrées au cours de la lecture de ce roman. On s'étonne du pragmatisme de cette vieille dame soudain confrontée à un monde dont elle ignore tout et qui va cependant réussir à chaque fois à tirer son épingle du jeu tout en restant fidèle à elle-même.

Incroyable odyssée qui nous plonge dans le monde des années 60-70, « Le voyage de Jabel » nous dresse le portrait haut en couleurs d'une mamm-gozh qui, même si elle ne parle que le breton, n'a pas sa langue dans sa poche. On ne se lasse pas de suivre une à une toutes les étapes de la préparation et de la réalisation de son voyage et c'est bien à regret que l'on se voit contraint de la quitter quand s'achève le roman.
Si vous ne connaissez pas encore Jabel, Mallozh Doue ! précipitez-vous chez votre libraire !

L'avis d'Yvon.




dimanche 3 mai 2009

Calmar Boy




"A marée basse" Jim Lynch. Roman. Editions des Deux Terres, 2008


Traduit de l'américain par Jean Esch.





À treize ans, le jeune Miles O'Malley paraît moins que son âge. Au grand désespoir de ses parents – et surtout de son père – sa croissance semble être au point mort : il ne mesure qu'1,47 m pour 36 kg, ce qui lui donne l'apparence d'un enfant d'à peine 10 ans.
Existe-t-il un lien entre ce déficit de croissance et les fréquentes insomnies dont Miles est victime ?
Ces longues heures sans sommeil, Miles les passe à arpenter les grèves à l'insu de ses parents ou à dévorer les ouvrages de la zoologiste Rachel Carson . La vie sous-marine est en effet la grande passion de ce jeune garçon qui est devenu incollable sur la vie et les mœurs de toutes les espèces animales relevant de cet écosystème.
Ses connaissances lui assurent même quelques revenus car pour la première fois en ces vacances d'été il vend des espèces animales aux aquariums publics ainsi qu'aux restaurants de fruits de mer de cette région de l'État de Washington.
C'est ainsi – ses parents ayant d'autres préoccupations que de s'occuper de lui – que Miles passe ses journées et ses nuits, explorant les laisses de vases et les anfractuosités des rochers de Puget Sound à la recherche de crabes, de bigorneaux, d'étoiles de mer et de palourdes en compagnie de son ami et « employé » Phelps, un gamin de son âge.
Quand il ne parcourt pas les grèves, Miles rend visite à Florence, une vieille dame quasi-impotente et un peu médium qui vit au bord de l'eau dans une maison sur pilotis encombrée de livres.
Mais c'est surtout vers Angie, la fille du juge Stegner, que vont les pensées de Miles. Cette jeune fille plus âgée que lui de quelques années est son ancienne baby-sitter. Miles éprouve un sentiment secret pour Angie, chanteuse et bassiste dans un groupe de rock local. Mais Angie ne va pas bien, elle traîne son mal de vivre et n'hésite pas à consommer drogues et médicaments pour mettre fin à ses angoisses existentielles.
Mais la quiétude de cet été va être bouleversée par les étranges découvertes que va faire Miles au cours de ses virées au bord de l'eau. Ces évènements vont en effet troubler le calme de l'endroit et attirer toutes sortes de journalistes , de curieux et de personnages pour le moins illuminés.
Miles, qui est à l'origine de ces découvertes, va devoir faire face aux intrusions intempestives des chaînes de télévision locales et des reporters de tout poil. Il lui faudra aussi se garder des attentions d'une secte dont les membres voient en lui un jeune prophète, voire un enfant-messie.
Heureusement pour lui, le jeune garçon garde la tête froide face à ce déferlement médiatico-mystique, ne gardant en tête que quelques objectifs bien précis : sauver Florence des services sociaux qui veulent mettre la vieille dame en maison de retraite, sauver Angie Stegner de son mal de vivre, et aussi éviter que ses parents ne divorcent.
Voilà qui fait beaucoup pour un enfant de treize ans, mais c'est sans compter sur la suite des évènements et sur la sagacité d'un jeune garçon qui observe ses contemporains avec le même intérêt et le même détachement que celui qu'il porte sur les créatures marines qu'il collecte dans le sable.
Premier roman de Jim Lynch, « À marée basse » est un récit initiatique qui nous entraîne aux frontières de l'enfance et de l'adolescence. Miles, le jeune héros de cette histoire, passionné de zoologie et connaissant quasiment tout des modes de reproduction des animaux marins, s'interroge avec son ami Phelps sur la sexualité humaine, domaine encore inconnu pour eux, angoissant et empreint d'interdits, mais aussi irrésistiblement attirant . Ces questionnements typiques de jeunes pré-adolescents sont prétexte à de longues discussions entrecoupées de plaisanteries bravaches et d'observations sur l'anatomie des filles de leur collège.
Toutes ces questions, toutes ces peurs liées à l'avènement prochain de l'âge adulte : la sexualité mais aussi la vieillesse et la mort sont finement abordées dans ce roman et le jeune Miles verra s'approcher l'échéance de la fin de l'enfance comme le flux de ces marées qui le fascinent tant mais qui progressent inexorablement.
Au sortir de cet été, Miles aura beaucoup appris sur la vie et sur la société qui l'entoure. Le constat n'en sera pas forcément lumineux mais c'est avec une grande lucidité qu'il pourra aborder aux rivages de l'âge adulte.
Un roman fascinant empreint de tendresse et d'humour, qui sait nous parler des choses graves de l'existence sans tomber dans le pathos, la pédanterie ou une certaine facilité.