jeudi 23 décembre 2010

L'Enfer Blanc

"Terreur" Dan Simmons. Roman. Robert Laffont, 2008.
   Traduit de l'américain par Jean-Daniel Brèque.

Dans ces deux genres littéraires que sont le fantastique et la science-fiction, Dan Simmons appartient à la catégorie des poids lourds. C'est avec bonheur que je me souviens des heures passées à lire le cycle d' "Hypérion" ainsi que « L' Échiquier du Mal ». Puis l'engouement pour cet auteur s'était quelque peu refroidi pour moi suite à la lecture laborieuse et indigeste du dyptique « Illium-Olympos » qui m'avait laissé très dubitatif.
Heureusement, c'est avec un grand plaisir que j'ai pu renouer avec cet auteur suite à la lecture de « Terreur ».
Encore un pavé, certes, comme excelle à en produire Dan Simmons, mais quel pavé ! 
Voici en effet un ouvrage de plus de mille pages qui va nous entraîner dans une aventure dantesque retraçant la dramatique expédition polaire de Sir John Franklin, partie d'Angleterre le 19 mai 1845 en direction de l'Arctique à la recherche du très convoité passage du nord-ouest.

Composée de deux navires : le HMS Erebus et le HMS Terror, puissamment équipés pour affronter les glaces, l'expédition est commandée par sir John Franklin et les deux bâtiments sont dirigés respectivement par le capitaine de frégate James Fitzjames et le capitaine de vaisseau Francis Crozier.
Ces deux navires seront aperçus pour la dernière fois à l'entrée de la mer de Baffin en août 1845. On sait que les deux vaisseaux seront ensuite pris dans les glaces et passeront l'hiver 1845-1846 sur l'île Beechey, pour ensuite se retrouver irrémédiablement immobilisés l'hiver 1846-1847 et 1847-1848 sur l'île du Roi-Guillaume d'où ils ne repartiront jamais.

Les notes, retrouvées par les expéditions de secours lancées suite à la disparition de l'Erebus et du Terror nous apprennent que des membres de l'équipage ont survécu jusqu'en 1848, tentant de rejoindre à pied l'embouchure de la rivière Back au Canada.

Au fil des années, suite aux différentes recherches, menées de 1848 jusqu'en 2008 pour tenter de faire la lumière sur cette tragédie, on a beaucoup appris sur la disparition de l'expédition Franklin.
On sait aujourd'hui que l'équipage a été progressivement décimé par le froid, la faim, le scorbut, le botulisme et autres maladies. On sait aussi que les membres de l'expédition, après l'épuisement des vivres, se sont livrés au cannibalisme pour survivre.

C'est donc cette effroyable odyssée que nous raconte Dan Simmons dans « Terreur », un récit étayé par un scrupuleux respect des données historiques concernant la préparation et le déroulement de cette tragique expédition. L'auteur, en effet, a veillé à retranscrire scrupuleusement toutes les données concernant la dernière expédition de l'Erebus et du Terror. Le lecteur approche ainsi – grâce à un remarquable travail de documentation – au plus près les conditions de ces hommes, officiers, marins, soldats, reclus de longs mois dans des navires immobilisés par les glaces. On ressent fortement, à la lecture de ce roman, l'atmosphère glaciale, le confinement, la promiscuité, et aussi la peur.
La peur est en effet omniprésente dans ce roman : la peur de mourir de faim, de froid, de maladie, d'isolement dans ces solitudes glacées. Mais à toutes ces peurs vient s'en ajouter une plus grande encore. 
Dan Simmons qui, on l'a dit, a scrupuleusement veillé au respect des données historiques, a profité des nombreuses zones d'ombre qui subsistent dans le déroulement des faits tragiques de cette expédition pour y introduire un nouvel élément : une créature maléfique et redoutable qui s'attaque sauvagement aux membres de l'équipage avant de disparaître. C'est ici en effet qu'intervient la patte de l'auteur fantastique qu'est Dan Simmons. Là où il aurait pu se contenter de nous narrrer l'histoire passionnante et dramatique de cette expédition, il ajoute à tout ceci un élément irrationnel inspiré de la mythologie du peuple inuit qui fait basculer ce récit au départ historique vers le roman d'épouvante. Cette étrange et dangereuse créature donnera lieu à des passages d'anthologie comme cette fête organisée pour remonter le moral de l'équipage à l'occasion du nouvel an 1848, fête inspirée d'une nouvelle : « Le masque de la mort rouge », écrite par un auteur américain alors inconnu dénommé Edgar Allan Poe.
Mais ce monstre qui rôde autour de l'Erebus et du Terror immobilisés dans les glaces, ce monstre qui massacre un par un les hommes d'équipage, est-il finalement ce dont les membres de l'expédition ont le plus à craindre ? Car un autre monstre, bien plus terrifiant celui-ci, se prépare à entrer en scène...





Frederic Edwin Church : "Icebergs" 1861




dimanche 12 décembre 2010

Un privé à Berlin

"La trilogie berlinoise" Philip Kerr. Romans. Editions du Masque, 2008.
 Traduit de l'anglais par Gilles Berton.


La vie des détectives privés n'est pas toujours des plus faciles. 
S'ils excellent à démasquer les coupables lors d'affaires particulièrement alambiquées, leur vie privée est en revanche bien souvent un désastre. Veufs ou divorcés, ils accusent souvent un net penchant pour la bouteille, vice dont ils abusent entre deux filatures. L'entretien de leur domicile, le choix de leur tenue vestimentaire laissent souvent à désirer. Solitaires, désabusés, ils portent sur la société un regard empreint de cynisme et d'ironie.
C'est le cas de Bernhard Gunther, le personnage créé par Philip Kerr, un détective privé contemporain des célèbres Philip Marlowe et Sam Spade de Raymond Chandler et Dashiell Hammett
Le contexte de ses investigations se trouve par contre bien loin de la Californie des années 30 et 40 où évoluent les deux célèbres détectives cités plus haut. L'univers de Bernhard Gunther c'est l'Allemagne, et plus précisément Berlin, entre 1936 et 1947 lors de cette période qui verra l'ascension et la chute du IIIè Reich.

Bernhard Gunther, ex-flic, est devenu détective privé suite à sa démission de la Kripo (Kriminalpolizei) au moment où tout fonctionnaire de police se devait d'appartenir au parti National-Socialiste. Gunther est en effet allergique à la montée du nazisme et au fanatisme ambiant qui semblent régner sur l'Allemagne de cette époque, sentiment qui ne lui attirera pas que des amis et lui vaudra même de se retrouver à Dachau.

Réunis en un seul volume intitulé « La trilogie berlinoise », on trouvera dans cet ouvrage – comme son nom l'indique – trois romans : le premier, « L'été de cristal » se déroule en 1936 au moment où se déroulent les Jeux Olympiques de Berlin. Le second : « La pâle figure » nous amène en 1938 à l'époque de l'annexion des Sudètes; et le troisième, « Un requiem allemand » nous fait découvrir Berlin et Vienne en 1947, alors que l'Allemagne en ruines est livrée à la convoitise des deux grandes puissances victorieuses que sont les États-Unis et l'Union Soviétique.
Trois romans donc, trois moments de cette sinistre période de l'histoire allemande qui donnent lieu à trois enquêtes où se mêlent meurtres, corruption, espionnage, disparitions et chantages, trois enquêtes se déroulant dans un climat lourd et oppressant qui fait toucher du doigt au lecteur ce que pouvait être la vie quotidienne dans l'Allemagne du IIIè Reich. On y suivra Bernhard Gunther dans ses investigations qui le mèneront des résidences les plus huppées des hauts fonctionnaires nazis aux taudis les plus abominables, des cabarets louches aux sinistres geôles de la Columbia Haus. 
On y fera également la rencontre de personnages devenus tristement célèbres : Hermann Goering, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich, ainsi que le très controversé « archéologue » Otto Rahn qui apparaît ici sous son vrai jour, celui d'une fripouille arriviste dénuée de tout sens moral.

Avec cette « Trilogie berlinoise » Philip Kerr nous gratifie de trois polars de haute volée dont le contexte – original s'il en est – n'est pas que le seul attrait. La maîtrise de la narration, la complexité des enquêtes, leur insertion et leurs implications dans le contexte historique et politique de l'époque en font des chefs-d-oeuvre du genre.
Le polar étant un genre littéraire auquel je ne m'adonne malheureusement que trop rarement, je ne voudrais pas m'ériger en spécialiste du genre et juger quels sont les bons et les mauvais auteurs dans cette catégorie. Je ne peux cependant que conseiller cette trilogie qui m'a passionné de bout en bout.