mercredi 23 décembre 2009

Joyeuses Fêtes !!!!

A toutes celles et à tous ceux qui passent par ici, je souhaite de très heureuses fêtes de fin d'année.
Rendez-vous en 2010.



lundi 21 décembre 2009

Le 2e Prix Landerneau # 5


"Les mains nues" Simonetta Greggio. Roman. Editions Stock, 2009.

Emma est vétérinaire. Elle ne soigne pas des caniches et des yorkshires mais des animaux de ferme. Elle s’est installée dans le Jura où elle exerce son activité auprès des éleveurs locaux, un métier rude, ingrat, accentué par les rudes hivers dans ce pays de montagnes. Âgée de quarante-sept ans, elle vit seule dans une vieille maison isolée, son repaire quand ses activités lui laissent un peu de temps libre. Là, elle passe la majeure partie de son temps à lire, parfois jusqu’à l’épuisement.
Son existence solitaire va pourtant se trouver bouleversée par l’arrivée inopinée d’un adolescent fugueur de quatorze ans, Giovanni, qui se trouve être le fils de son ancien petit ami, Raphaël.

La présence de Giovanni va ranimer chez Emma des souvenirs qu’elle aurait souhaité oublier, des souvenirs remontant à l’époque de ses vingt-cinq ans , dans les années 1980. Emma et Raphaël formaient alors un couple de jeunes amoureux qui, s’ils ne croyaient pas un seul instant que leur relation durerait toute une vie, vivaient pleinement et sincèrement cette liaison. Puis est arrivée Micol, la rivale, qui insidieusement s’est incrustée dans la vie de leur couple jusqu’à atteindre son objectif : ravir Raphaël et prendre la place d’Emma dans son cœur :

" Micol était comme un jeune boxeur qui n’a jamais été battu. Elle était tout ce que je ne suis pas, la Daisy de Gatsby et l’héritière des Finzi Contini courant après sa balle de tennis dans un jardin depuis longtemps disparu. Je ne sais pas si, comme moi, Raphaël avait été sensible à la grâce de ceux à qui tout est dû. Je ne sais pas s’il n’avait vu en Micol, avec l’aveugle sens de possession des mâles, qu’une svelte cascade de boucles blondes, une délicate couleuvre aux yeux d’escarbille ou s’il avait été foudroyé par l’exacte sensation d’être en face de quelqu’un qui allait changer son existence. Je n’avais pas forcément cru que Raphaël et moi c’était pour toujours, je ne m’étais même pas posé la question, d’ailleurs, mais je l’aimais. Avant lui, j’avais eu des amants, et après lui j’en ai eu aussi, mais c’était mon mec, mon amoureux, celui à qui j’avais fait des promesses et qui m’en avait fait aussi, et si Micol n’avait pas déboulé dans notre histoire, ma propre histoire ne se serait pas déroulée de la même manière."
Presque vingt ans plus tard, leur fils, arrivé chez moi un soir à l’improviste, cassait des œufs dans une poêle et me demandait ce qu’on allait faire pendant que le premier orage de la saison roulait dans un ciel noir, si lourd qu’on attendait impatiemment qu’il finisse par crever. »

Emma va bien évidemment être évincée par son adversaire qui ne tardera pas à annoncer qu’elle est enceinte de Raphaël et donnera ensuite naissance à Giovanni, puis plus tard à deux jumelles.
Une fois ses études terminées, Emma va quitter Paris et tirer un trait sur son passé en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage de son métier de vétérinaire. Avec Raphaël et Micol, elle n’entretiendra plus qu’une relation lointaine, se bornant à l’envoi d’une carte de vœux pour le nouvel an.
Avec l’arrivée de Giovanni, cette vieille histoire qu’Emma avait cru définitivement enterrée va remonter à la surface et rallumer de vieilles rancunes qui vont se trouver attisées par la relation qui va se nouer entre Emma et Giovanni, une relation répréhensible aux yeux de la loi et connue sous le nom de « détournement de mineurs ».

C’est avec beaucoup de pudeur et de retenue que Simonetta Greggio évoque dans ce roman ce sujet encore aujourd’hui tabou qu’est le délit de détournement de mineurs, un délit peu évoqué dans nos médias contemporains plutôt attirés par les actes de pédophilie jugé plus porteurs d’émotions et plus susceptible d’attirer une large audience du fait de la sordidité de ces affaires.

On ne trouvera donc dans ce roman aucune tentative de voyeurisme, aucune apologie ni aucun anathème sur la liaison entre cette femme de presque cinquante et ce très jeune homme en proie aux doutes et aux révoltes de l’adolescence. On lira au contraire un récit sensible qui ne tombe en aucune manière dans le sensationnalisme, la mièvrerie ou la vulgarité. Cette relation taboue n’est d’ailleurs pas ce qui fait le corps et l’intérêt principal de ce roman qui nous offre le portrait d’une femme arrivée à l’âge où l’on fait le bilan d’une vie, où l’on revient et l’on examine les errements et les désillusions du passé, où l’on décortique, une fois les passions mises de côté, les évènements survenus il y a bien longtemps et qui paraissaient alors si douloureux qu’ils semblaient impossibles à oublier. En cela, le personnage d’Emma nous livre le portrait d’une femme qui s’est délivrée des passions futiles et qui, malgré l’apparente austérité de son existence, a su faire la part de ce qui est essentiel, sans retomber dans les embûches du passé.
Un beau roman qui aborde un sujet encore tabou en le traitant avec beaucoup d’intelligence et de pudeur sans tomber dans la pudibonderie.










mercredi 16 décembre 2009

"Les cons, ça ose tout..."


"Mort aux cons" Carl Aderhold. Roman. Hachette Littératures, 2007.

Qui n’a pas rêvé un jour de se débarrasser de certaines personnes de son entourage, généralement qualifiées de « cons » ou de « connes » ? L’espèce, il faut bien le dire, en est fort répandue et je ne connais à ce jour personne qui n’ ait été confronté à cette engeance et n’ait souhaité utiliser des moyens peu avouables pour s’en défaire. Heureusement, ces pulsions criminelles, qui nous poussent à imaginer toutes les morts possibles pour ces fâcheux, en restent, dans la majorité des cas, au stade du fantasme.


Ils sont partout : au travail, dans notre voisinage, sur la route, en ville ou à la campagne, dans les gares, les aéroports, les grandes surfaces, et même au sein de votre propre famille…et si, rentrés chez vous, vous croyant à l’abri de leurs nuisances, vous avez la malheureuse idée de lire le journal ou d’allumer votre radio ou, pire encore, votre poste de télévision, attendez vous à les voir déferler au sein de votre foyer tel un tsunami ravageur.

Ils sont pire que les blattes, vous en écartez un, il en surgit cent autres. Alors comment faire pour les éviter ? À moins de s’exiler au fin fond du désert ou de s’exiler vers une lointaine planète inhabitée, nul n’échappe au phénoménal pouvoir de nuisance des cons. Que faire alors ? Les exterminer ? Voilà une solution séduisante mais malheureusement vouée à l’échec. Le con est une espèce qui se reproduit et se multiplie à une vitesse phénoménale. On en trouve des spécimens là où l’on s’y attendrait le moins et celui ou celle qui voudrait les éradiquer jusqu’au dernier mènerait un combat perdu d’avance, une croisade sans fin qui ne pourrait se solder que par l’extinction du genre humain tout entier. Nous sommes tous en effet le con (ou la conne) de quelqu‘un et vouloir en finir avec la connerie, c’est s’exposer soi-même à devenir la victime de son propre dessein.

C’est pourtant une croisade de cet ordre que va mener le personnage principal du roman de Carl Aderhold, un personnage jusqu’ici sans histoires qui, par la force des choses, va s’engager dans ce combat contre la connerie ordinaire, celle que l’on rencontre tous les jours en bas de sa porte. Et il va avoir fort à faire, confronté à toute une typologie de cons patentés, de ceux que nous avons tous rencontrés : les chauffards, les bricoleurs du dimanche, les beaufs, les malpolis, les petits chefaillons, les jeunes du dessus qui font brailler leur musique à toute heure, les agents des impôts, de la SECU ou de l’ANPE, et tous les autres, les anonymes, les cons par vocation, ceux dont la connerie est une marque de fabrique, un apostolat, et qui sans elle ne seraient rien. Il ira même jusqu’à occire un con notoire, un politique « au discours sans langue de bois », ministre de l’Environnement qui pense (nous sommes avant 2007) à la présidence de la République. On pensera bien évidemment à une certaine personne (qui dans la réalité n’a pas occupé ce poste) au vu de ce discours prononcé dans un village de l’Est de la France lors de l’épidémie de grippe aviaire : « Vous en avez marre de toute cette volaille ? lança-t-il en direction de la foule. Eh bien on va vous en débarrasser ! J’ai déjà pris la décision de faire nettoyer entièrement le village au Kärcher pour éviter tout risque potentiel. […] La République ne tolérera aucun cas de grippe aviaire dans votre département. Il n’y aura pas d’épidémie. Je vous le garantis. »

Quand on apprend ce qu’il advient du dit ministre quelques pages plus tard, on se prend à regretter que « Mort aux cons » ne soit qu’une oeuvre de fiction…

Les cons étant, nous l’avons dit, une espèce surabondante, l’accumulation de morts suspectes autour de notre héros ne va pas manquer d’attirer l’attention, et le commissaire Marie, un flic un peu philosophe qui n’est pas loin de partager les mêmes idées que le suspect, (il aime à citer la phrase de Michel Audiard tirée des « Tontons flingueurs » : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. ») va s’intéresser de près aux faits et gestes de ce justicier d’un genre nouveau. Va alors s’installer un jeu du chat et de la souris entre le flic et le suspect, une relation oscillant entre méfiance et amitié qui trouvera un aboutissement pour le moins inattendu qui fera de notre éradicateur de connerie ce qu’il n’avait pas un instant imaginé devenir…

« Mort aux cons » est, on l’a deviné, un véritable jeu de massacre dans lequel toutes les formes de connerie répertoriées à ce jour sont passées en revue. On s’amuse, pour avoir été confronté soi-même à nombre de ses représentants, à cette vaste taxinomie de la connerie humaine qui va du voisin de palier au ministre précédemment cité et jusqu’au néo-philosophe mondain et chevelu qui porte un avis sur tout et n'importe quoi.

Même si l’exécution de ces cons apparaît parfois un peu facile et expéditive, au contraire du roman d’Antoine Laurain « Fume et tue » qui recensait lui aussi une belle galerie de cons-temporains et qui mettait en scène des meurtres d’une habileté machiavélique, on s’amuse quand même beaucoup à suivre les aventures du personnage de Carl Aderhold, un parcours meurtrier jalonné d’ambassadeurs de la connerie qui apparaissent plus vrais que nature.

Bref, si vous êtes vous aussi confrontés dans votre vie quotidienne à un ou plusieurs cons qui vous pourrissent l’existence, lisez-donc « Mort aux cons », mettez-vous dans la peau du narrateur et prenez-vous à rêver d’un monde enfin débarrassé de tous les cons. Évitez toutefois le passage à l’acte, une vie entière ne suffirait pas pour mener à bien ce projet.






jeudi 10 décembre 2009

L' Île des Fantômes


"L' Aigle et le Dragon" Gillian Bradshaw. Roman. Actes Sud / Errance, 2006.
  Traduit de l'anglais par Iaroslav Lebedynsky.

En l’an 175 de notre ère, le divin empereur Marc-Aurèle remporte une victoire décisive sur les tribus Sarmates basées entre le Danube et l’Oural.


Le peuple Sarmate est composé de tribus nomades dont les plus importantes sont les Iazyges, les Roxolans, les Siraques et les Aorses. Ces nomades de la steppe ont basé leur économie sur l’élevage de chèvres, de moutons, de bovins, mais aussi et surtout de chevaux, animaux fort prisés pour leur utilité lors des combats, les armées Sarmates étant principalement composées de cavaliers, archers montés et de lanciers lourds. Cette combinaison de tireurs légers et mobiles et de cavaliers cuirassés capables de charges impressionnantes a fait des Sarmates de redoutables adversaires pour les armées romaines chargées de défendre les limites orientales de l’empire contre les razzias et incursions de ces tribus belliqueuses.

Cependant, les armées impériales réussissent, en 175, à infliger une sévère défaite aux Sarmates Iazyges dans la plaine de Hongrie. Le roi Sarmate Zanticos se vit alors contraint de cesser les hostilités. Pour sceller la fin des hostilités, les Sarmates se voient contraints de fournir à l’empire romain huit mille de leurs cavaliers qui seront employés dans les armées au titre d’auxiliaires. Ces troupes ne seront pas déployées sur le théâtre de leurs actions passées mais envoyées dans des provinces lointaines de l’empire, cet éloignement limitant les possibles rébellions de ces troupes contraintes de vivre dans un pays étranger où les populations locales ne pourront pas leur apporter de soutien. De plus, ces armées d’auxiliaires seront dirigées (sous la responsabilité d’officiers romains, cela va de soi.) par des membres de la noblesse Sarmate, princes et chefs de clans, qui se verront ainsi privés du renfort éventuel de leurs peuples respectifs en cas de soulèvement éventuel.

Lorsque débute le roman de Gillian Bradshaw, la première vague d’auxiliaires Sarmates arrive à Bononia (Boulogne) après une chevauchée d’une cinquantaine de jours depuis Aquincum (Budapest). Mais Bononia n’est pas la destination de ce voyage. Le port gallo-romain n’est que la dernière étape qui va mener ces nomades vers l’île de Bretagne où les troupes vont être employées à protéger les populations des incursions des tribus pictes de l’actuelle Écosse en renforçant le dispositif défensif mis en place par les armées romaines le long du Mur d’Hadrien.

Les troupes Sarmates respectivement commandées par trois princes : Archak, Gatalas, et Ariantès, qui est la narrateur et personnage principal du roman, vont ainsi rejoindre cette île de Bretagne qu’ils ne tarderont pas à qualifier d‘« île des fantômes ». Pour ces hommes, en effet, habitués à vivre dans des chariots de bois et de feutre, les habitations de pierre qu’ils découvrent en Bretagne ne peuvent que leur évoquer des tombeaux. Pour eux, il n’est pas concevable qu’un être vivant puisse vivre à l’abri de murs de pierre. Mais cette appellation de « fantômes » est aussi valable pour eux, Sarmates, qui ont du tout quitter, famille, honneurs, domaines, pour devenir les instruments d’une puissance étrangère et ainsi mettre définitivement fin à leur existence passée.

Le prince Ariantès éprouve particulièrement ce sentiment d’être mort, sa femme et son enfant ayant été massacrés par les troupes romaines durant la guerre. Exilé au bout du monde connu, dernier survivant de sa famille, Ariantès n’a plus que son honneur à défendre en respectant le pacte conclu entre son peuple et l’empire romain, pacte qui lui enjoint de défendre et d’assister les ennemis d’hier. Cet engagement d’Ariantès ne sera pas du goût de ses pairs, les princes Archak et Gatalas qui dissimulent à peine leur rancœur contre ceux qui les ont vaincus.

Ariantès aura fort à faire dans cette île de Bretagne pour calmer les esprits échauffés des princes Sarmates, prompts à s’enflammer et à se révolter contre l’autorité de Rome, d’autant plus que dans l’ombre, quelque un semble attiser leurs velléités d’insoumission. En effet, l’île de Bretagne, pacifiée depuis plusieurs décennies dans sa partie méridionale, n’a pas oublié la résistance à l’envahisseur romain incarnée par la reine Boadicée des Icènes plus d’un siècle auparavant, et il semble que des forces mystérieuses s’attachent à réitérer le soulèvement des nations bretonnes afin d’éradiquer de l’île toute trace de l’occupation romaine.

« L’aigle et le Dragon », par son propos et son intrigue est à classer dans la catégorie des polars historiques, genre littéraire que j’affectionne particulièrement même si parfois les résultats s’avèrent moyens. Parfois en effet, le côté polar prend le pas sur l’aspect historique, nous offrant une intrigue alléchante au détriment d’un contexte temporel qui n’a souvent pour utilité que de servir de toile de fond. Dans d’autres cas, c’est l’inverse qui se produit, la reconstitution historique est talentueuse mais l’intrigue, quant à elle, laisse un peu à désirer. C’est le cas pour « L’Aigle et le Dragon », un roman qui s’attache à respecter le plus fidèlement possible la réalité historique mais qui manque un peu de piquant et de surprises en ce qui concerne le canevas de l’action proprement dite.

Ceci dit, ce roman a le grand mérite de nous plonger dans l’univers méconnu de ce peuple Sarmate et de nous décrire, au moyen des différents personnages rencontrés au fil du récit, les différents stades d’assimilation à la romanité tels qu’on pu les vivre les habitants des pays colonisés par l’empire romain.

Il est à noter que le traducteur de ce roman, Iaroslav Lebedynsky, est un spécialiste du peuple Sarmate, ayant lui-même publié un ouvrage sur ce peuple (« Les Sarmates » Éditions Errance, 2002). Qui, en effet, mieux que lui, aurait pu - à travers sa traduction et l’intéressante postface qu’il nous livre à la fin du récit - nous offrir ce roman au contexte passionnant et original ? Grâce à Gillian Bradshaw et Iaroslav Lebedynsky, les Sarmates, ces fiers nomades qui scalpaient leurs victimes et buvaient dans les crânes de leurs ennemis vaincus, ces cavaliers cuirassés qui furent un temps la terreur des armées romaines, revivent et chevauchent dans les plaines de notre imaginaire.







Stèle funéraire de Chester (Grande-Bretagne) représentant un cavalier Sarmate


dimanche 6 décembre 2009

Sangre y Oro


"Conquistadors" Eric Vuillard. Roman. Editions Léo Scheer, 2009.




En janvier 1531, un aventurier sans le sou originaire de Trujillo, Francisco Pizarro, quitte Panama en compagnie de cent quatre-vingt hommes et trente-sept chevaux. Son but : conquérir au profit de la couronne d’Espagne un immense empire, celui du Pérou.

Avec lui, ses frères Hernando, Gonzalo, Juan et son demi-frère Francisco Martin de Alcántara. D’autres gentilshommes de fortune se sont associés à cette aventure, dont Sebastián de Belalcazar
et Hernando de Soto, qui participa à la conquête du Nicaragua.

Ces hommes, perdus dans ces paysages immenses, rongés par la faim, la vermine et les maladies, vont, malgré leur petit nombre, se rendre maîtres d’un des plus grands empires de l’histoire, celui des Incas. Quel sera le principal moteur de leur succès ? Leur audace ? Certes, ces hommes n’ont rien à perdre. Ils sont pour la plupart issus de familles pauvres et ne peuvent compter que sur leurs bras pour conquérir la gloire et la fortune.
Leur sentiment de supériorité sur les peuplades indiennes ? Ces aventuriers sont convaincus de la prééminence de leurs armes et de leur foi catholique sur les armées et les croyances païennes des amérindiens.
L’exemple de Cortés ? Celui-ci a réussi , dix ans plus tôt, à soumettre le Mexique avec guère plus de troupes que Pizarre n’en détient en ce début d’année 1531 et a mis à genoux le belliqueux empire des Aztèques.
L’audace donc, l’exemple mexicain et la foi en la supériorité des armes et de la foi vont pousser ces hommes à tenter cette aventure. Mais il ne faudrait pas négliger le principal : la convoitise, qui est ici exprimée par la possession de l’élément le plus précieux : l’or.

Pizarre et ses compagnons espèrent en effet mettre la main sur des quantités fabuleuse de cet or que ce mystérieux empire Inca recèlerait en abondance. Ce précieux métal, dont une bonne partie serait envoyée en Europe pour couvrir les dépenses de l’empereur Charles-Quint, se trouverait, aux dires de certains, si répandu dans cet empire du Pérou qu’il en resterait après partage, suffisamment pour que chacun de ces conquérants puisse amasser d’immenses fortunes. Alors ces hommes simples, frustes, pour la plupart illettrés, vont se prendre à rêver d’immenses richesses, de palais couverts d’or et d’opulents royaumes dont-ils seraient les souverains.

Attirés eux aussi par cette soif de richesses, Diego de Almagro et Pedro de Alvarado, ancien compagnon de Cortés, vont rejoindre Pizarre et participer à ce festin d’or et de sang.
La conversion des amérindiens à la vraie foi sera dévolue aux prêtres qui accompagnent l‘expédition. Les hommes d’armes, eux, n’auront qu’un seul but : l’or, encore et toujours.

Ce sera le début d’une épopée sanglante et tourmentée qui verra ces hommes en guenilles se rendre maîtres d’un empire avant de s’entre-déchirer comme des chiens autour d’un os.

Massacres, trahisons et intrigues seront au rendez-vous lors de cette conquête qui illustre avec talent cet épisode historique qui s’annonce comme le prélude de notre monde moderne où la soif de possessions n’a jamais été aussi exacerbée. Ces conquistadors, à l’instar de nos financiers contemporains prennent tous les risques pour assouvir cette soif inextinguible de posséder encore et toujours plus, cette soif insatiable qui conduit irrémédiablement à l’élimination du plus faible et enfin à l’auto-destruction.

Eric Vuillard nous offre, avec « Conquistadors », un des romans les plus atypiques de cette rentrée littéraire 2009, une fresque grandiose et sordide, pleine de bruit et de fureur, qui ne peut que nous forcer à nous interroger sur la condition humaine, sur ses doutes, ses errements et ses fautes inlassablement renouvelées. Un roman audacieux et lyrique, en forme de tragédie, servi par une écriture puissante, poétique et sensuelle, qui nous met face à nos propres démons et nous incite à réfléchir sur les motivations de nos sociétés contemporaines.







"Homme en armure" Peinture de Jean-Baptiste Camille Corot.