jeudi 24 septembre 2009

Le Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2009




Le Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2009 a été attribué à Philippe Claudel pour "Le Rapport de Brodeck" et je m'en réjouis.



Ce n'est pourtant pas pour ce beau roman que j'avais voté, accordant ma préférence à un ouvrage peut-être moins connu mais tout aussi remarquable : "Les Vivants et les Ombres" de Diane Meur.

Je suis néanmoins très satisfait de cette nomination et je remercie l'équipe des éditions du Livre de Poche pour cette belle aventure qui s'est déroulée sur 7 mois avec 23 romans à lire.

mardi 22 septembre 2009

Le 2e Prix Landerneau # 3




"L'Attente du soir" Tatiana Arfel. Roman. Editions José Corti, 2008.




Il y a d'abord Giacomo, le clown vieillissant qui, suite à la mort de sa mère et la folie de son père, a repris les rênes du petit cirque familial.
Il y a aussi le môme, un enfant sauvage, abandonné dans un terrain vague, qui se nourrit de ce qu'il trouve dans les sacs poubelles du quartier environnant.
Il y a enfin Mlle B. une jeune femme qui a grandi entre l'indifférence et le désamour de ses parents.

Giacomo tente tant bien que mal d'assurer la survie du cirque, repoussant le plus loin possible le moment où, trop vieux et malade, il devra mettre les clefs sous la porte et en finir avec sa vie d'errance. Pour cela, il continue ses tournées, exhibant devant un public de plus en plus clairsemé les tours de ses caniches savants et les prestations de la belle trapéziste Ismaëla. Mais les recettes sont de plus en plus maigres et le spectre de la faillite s'approche inéluctablement.

Pendant ce temps, dans une ville froide et triste, le môme grandit seul, sous un abri de ferrailles et de déchets, au milieu d'un terrain vague. Abandonné peu après sa naissance, il a survécu par miracle, se nourrissant d'ordures. Ignorant le langage des hommes, c'est en peignant qu'il réussit à interpréter le monde qui l'entoure, trouvant ses couleurs dans les jus colorés s'échappant des poubelles et les appliquant sur de vieux papiers d'emballage.

Mlle B. quant à elle, a grandi entre un père indifférent et une mère dénuée de toute tendresse. Élevée comme une chose dans un appartement étouffant, elle deviendra, une fois atteint l'âge adulte, une ombre grise, prématurément vieillie, un personnage dont le physique et le comportement, sans couleurs ni reliefs, lui conféreront une sorte d'invisibilité, à la fois prison et rempart contre le monde extérieur. Á cela s'ajoute le traumatisme d'une grossesse imprévue lors de son adolescence, grossesse qui s'ensuivra par la naissance d'un enfant qui lui sera arraché par sa mère qui s'évertuera à faire disparaître ce nourrisson compromettant.

Ces trois destins, celui du vieux clown, du môme, et de Mlle B. vont bien évidemment ( ce qui est d'ailleurs un peu trop prévisible) finir par s'entrecroiser lorsque le Circo Giacomo va planter son chapiteau dans le terrain vague où s'est réfugié l'enfant sauvage. De cette rencontre entre ces trois solitudes va naître un nouvel élan qui va permettre à chacune d'entre elles de retrouver enfin l'espoir.

En abordant « L'Attente du soir », le lecteur est très vite séduit par la qualité d'écriture et se trouve rapidement emporté par ces trois voix qui se succèdent et racontent leur douloureuse histoire. Mais l'on comprend malheureusement trop vite que ces trois personnages sont liés et que la suite du récit ne peut que tendre vers une rencontre finale et libératrice. En cela, le roman de Tatiana Arfel m'a laissé légèrement dubitatif au vu de cette intrigue « téléphonée » mais dont j'espérais, malgré tout, qu'un rebondissement inattendu démonte dans les toutes dernières pages mes certitudes sur la conclusion du récit. Hélas! Ce ne fut point le cas et la lecture s'achemina lentement vers la fin, sans surprise ni contrecoup susceptible de démentir le trop évident épilogue de cette histoire.

Reste l'écriture, brillante, ciselée, d'une grande qualité, qui m'a permis de suivre jusqu'au bout ces trois personnages au long de leur parcours. Attachants, de par leur humanité, les protagonistes de cette histoire, soumis à la cruauté de l'existence, ne peuvent qu'éveiller notre compassion et nous inciter à leur souhaiter de trouver le chemin de la paix et de la sérénité.
Quant à l'atmosphère dans laquelle baigne le récit, elle est à déconseiller à toute personne un tant soit peu déprimée, tant l'ambiance qui y règne est grise, voire glauque. J'ai pour ma part éprouvé le même malaise à lire ces lignes qu'à contempler une toile de Bernard Buffet (je n'ai rien – entendons-nous bien – contre Bernard Buffet mais ses peintures sont ce que je connais de plus visuellement déprimant).

Je dirais donc pour conclure que « L'Attente du soir » est un conte moderne qui m'a marqué beaucoup plus par son ambiance désespérante ainsi que par sa prose sensible et poétique plutôt que par le déroulement de son récit, trop attendu et sans surprises.
Les avis (plus enthousiastes que le mien) de Lily, Sylire, Anne, Michel, Cathulu, Papillon et Caroline.


"Tête de Clown" Peinture de Bernard Buffet



samedi 19 septembre 2009

Mieux vaut tard que jamais...Mon Prix Landerneau




J'ai certes un peu tardé à faire mon choix dans la sélection de ce 2ème Prix Landerneau, mais il faut admettre que cette fois encore les six romans présentés sont d'excellente qualité, ce qui ne facilite pas le choix d'un lauréat.

Cependant, c'est après maintes délibérations entre moi et moi, que j'ai élu à l'unanimité, pour cette sélection 2009.... "Un dieu un animal" de Jérôme Ferrari (Actes Sud), rejoignant en cela le choix exprimé par les libraires des Espaces Culturels Leclerc qui l'ont plébiscité lors de la remise officielle du Prix au mois de juin dernier.




Quant à mon deuxième coup de coeur, il va cette fois-ci au roman de Fabrice Humbert : "L'origine de la violence" (Editions Le Passage)




Les quatre autres romans finalistes seront prochainement commentés sur ce blog.


Merci encore à Elodie Giraud qui m'a permis de découvrir cette année encore une belle sélection de romans.

dimanche 13 septembre 2009

Le 2e Prix Landerneau # 2




"L'origine de la violence" Fabrice Humbert. Roman. Editions Le Passage, 2009






Le narrateur,un jeune professeur de lettres, accompagnant ses élèves dans un voyage culturel en Allemagne, leur fait visiter Weimar et sa région. Là, ils vont suivre les traces de Goethe et de Schiller qui ont vécu et arpenté cette partie du Land de Thuringe au XIXe siècle.
Au cours d'une sortie dans la forêt de l'Ettersberg, le professeur et ses élèves vont être amenés à visiter un lieu beaucoup moins romantique : le camp de concentration de Buchenwald.

Dans le musée, une photographie va brusquement attirer son attention. Sur ce cliché, pris en décembre 1941, le médecin du camp s'est fait photographier avec quelques prisonniers en arrière-plan. C'est justement le visage de l'un de ceux-ci qui va profondément déranger le jeune homme : l'un des prisonniers accuse en effet une troublante ressemblance avec son propre père.
Bien évidemment, l'homme de la photographie ne peut pas être son père, celui-ci étant né en 1942, l'année même où mourra le prisonnier de Buchenwald.

Intrigué, cependant, le jeune homme ne compte pas en rester là et décide d'en savoir plus sur cet inconnu. De retour à Paris, il va même informer son père de cette étrange ressemblance. Mais celui-ci, bien qu'admettant la similitude des traits, ne semble éprouver qu' indifférence face à cette découverte.
Continuant ses investigations, le jeune professeur de lettres va finir par découvrir l'identité de l'inconnu : un juif nommé David Wagner.
Le narrateur, au vu de cette découverte, se trouve dans une impasse : comment expliquer cette ressemblance entre son père et un déporté juif, mort en 1942 ? Le jeune homme est en effet issu d'une famille de riches notables normands qui à priori n'a jamais compté de membres d'origine israëlite.
C'est cependant à force de recherches , de recoupements et de témoignages d'anciens déportés, que peu à peu la vérité va se faire jour. Dénouant patiemment l'écheveau embrouillé d'anciennes archives, le jeune homme va exhumer de bien inavouables secrets.


Dans la même veine que « Les Disparus » de Daniel Mendelssohn, qui s'appuyait sur des faits authentiques, Fabrice Humbert nous offre une œuvre de fiction ayant elle aussi pour argument principal un douloureux secret de famille dont les origines remontent à la sombre époque de la montée du nazisme, bientôt suivie par l'orchestration de la « solution finale ».

Mais ici les causes du drame s'avèrent beaucoup plus inavouables que celles décrites par Mendelssohn dans son ouvrage. Ici sont décrits les petits travers d'une certaine bourgeoise française qui, lors des années de l'Occupation, n'a pas hésité à recourir à la délation, que ce soit par jalousie, par intérêt, ou pour toutes autres raisons, mais aussi du fait de ce vieil antisémitisme latent, (qui n'est nullement l'apanage des populations d'outre-Rhin) habilement dissimulé derrière une façade de respectabilité et d'humanisme, mais qui, de l'affaire Dreyfus au régime de Vichy va se déchaîner et exhiber au grand jour ses aspects les plus ignominieux.


Le lecteur qui aura lu « Les Disparus » avant « L'origine de la violence » trouvera certainement le roman de Fabrice Humbert moins perturbant émotionnellement que l'ouvrage de Daniel Mendelssohn, sentiment dû au fait que les personnages ici décrits ressortent de la fiction et ont donc de par ce fait moins d'impact que les visages réels rencontrés lors de la lectures des « Disparus ».
Reste cependant que « L'origine de la violence » est un roman captivant qui nous entraîne, à la suite du narrateur, dans une recherche de la vérité qui va s'avérer pleines de surprises et de mystères. On ne peut que saluer l'habileté de l'auteur qui nous livre ici un récit captivant sur la quête des origines, sur la honte, la trahison, la vengeance et, pour finir, sur le pardon et la réconciliation.



L'inscription pleine de cynisme sur la porte du camp de Buchenwald : "A chacun son dû"



vendredi 4 septembre 2009

Que sont-ils devenus ?




"Carrefour des nostalgies" Antoine Laurain. Roman. Editions Le Passage, 2009



En cette soirée d'élections municipales, François Heurtevent est consterné. Il vient de perdre son siège de maire de Perisac et c'est son adversaire, Pierre-Marie Alphandon qui l'emporte avec 202 voix d'écart. Ayant déjà du abandonner son poste de député lors des dernières législatives, François Heurtevent redevient, au lendemain du scrutin, un citoyen lambda, sans projets d'avenir et – qui plus est – sans aucune activité.
La déprime s'installe : le voici contraint à faire usage de somnifères et d'anxiolytiques. Sans but, il erre dans sa maison, passe ses journées à dormir, calquant en cela sa conduite sur celle d'Archipattes, le chat de la famille.

Vient le moment de mettre fin à quinze ans de mandature en débarrassant le bureau occupé pendant toutes ces années à la mairie de Perisac, et de faire place nette au vainqueur des élections.
En fouillant dans les cartons et les dossiers empilés, reliquats appartenant désormais au passé, François Heurtevent met la main sur une vieille photo. Il s'agit d'une photo de classe, prise trente ans auparavant, lorsqu'il était élève de terminale, à la fin des années 70.
Et voici que remontent à la surface de très vieux souvenirs, les visages de cette photo de groupe retrouvent une identité. Les noms accolés à ces jeunes visages, les avait-il oubliés ? Ou bien étaient-ils profondément enfouis dans sa mémoire, n'attendant que ce moment pour réapparaître à la surface ?

Et voici qu'une étrange lubie va s'emparer de François Heurtevent : retrouver ces visages trente ans plus tard, savoir ce que sont devenus ces adolescents qui souriaient à l'objectif et qui avaient alors toute la vie devant eux. Qu'est devenu Clément Jacquier qui rêvait de devenir réalisateur de cinéma et qui ne jurait que par François Truffaut ? Qu'est devenue la jolie et inaccessible Marjorie Levart ? Et le taciturne Cédric Pichon ? Et Daniel Célac, Delphine Poisson, Jérôme Auberpie, Dominique Pierson et tous les autres élèves de la terminale A du cours Levert ? Où sont-ils aujourd'hui ? Que font-ils de leur vie ?

Pour retrouver d'anciens camarades de lycée, il existe bien sûr des sites internet comme « Copains d'Avant » mais François Heurtevent a décidé d'agir autrement. Pour cela, il va faire appel à une ancienne connaissance des services secrets qui ne pourra pas lui refuser ce petit coup de main, eu égard à leur vieille amitié.

Autre lubie : Heurtevent va s'installer à Paris dans l'ancien appartement d'André Dercours, son mentor aujourd'hui décédé, vieux briscard de la politique, ancien député-maire, sénateur et ministre, ami intime de François Mitterrand. C'est là, dans cet appartement vide que François Heurtevent va mener à bien ses recherches concernant ses anciens camarades de lycée.
Ce qu'il va découvrir ne manquera pas de le surprendre et il ira de surprises en surprises. Toutes ces rencontres vont en effet avoir une incidence sur son propre destin et quand le hasard se met de la partie, il y a fort à parier que la conclusion de ces recherches va aboutir à un résultat plus que surprenant.

Antoine Laurain, qui nous revient après l'excellent et machiavélique « Fume et tue », nous offre ici un roman teinté de nostalgie et d'humour, un récit qui oscille entre la comédie de mœurs, la satire sociale, le polar et le thriller politique. D'une construction remarquable, le récit semble au premier abord partir dans tous les sens avant que le lecteur ne comprenne que tous ces éléments disparates finiront par s'accorder et mèneront progressivement l'intrigue jusqu'à sa conclusion.
L'ensemble forme un roman diablement efficace, sans temps mort, mettant en scène une galerie de personnages parfois cocasses, souvent émouvants, décrits avec beaucoup de tendresse et d'humanité. Mais cela ne doit pas nous faire oublier qu'Antoine Laurain, à l'instar d'autre auteurs tels que Pascal Garnier, aime à nous décrire avec un humour souvent corrosif la réalité de notre société de manière grinçante. Un fait, aussi anodin soit-il, peut se révéler porteur de conséquences inattendues, voire dramatiques, et le lecteur, suivant à l'aveuglette au fil des pages le personnage principal, se retrouve, comme celui-ci, entraîné dans une succession d'évènements inattendus dont la portée restera incalculable jusqu'à la fin du récit.

Habile, surprenant, jubilatoire, « Carrefour des nostalgies », ce roman doux-amer, offrira aux lecteurs un moment de lecture riche en émotions et en surprises de toutes sortes. Et, en cette période de rentrée scolaire, propice à l'évocation de souvenirs plus ou moins lointains, comment ne pas penser à toutes celles et à tous ceux que nous avons côtoyé pendant les années de lycée ? Comment ne pas se poser la question de savoir ce qu'ils sont devenus ? Comment ne pas se poser la question de savoir ce que nous-mêmes sommes devenus ?