
mercredi 31 décembre 2008
lundi 29 décembre 2008
Le fabuleux almanach illustré de la faune mondiale

On y trouvera bien sûr les portraits de nombreux animaux connus de tous comme le tigre, l'éléphant, le kiwi, le chameau, le casoar, le coelacanthe, etc...
Chaque gravure d'animal est faite de trois volets : un pour la tête de l'animal, un pour le corps, et le dernier pour son arrière-train. En regard de chaque illustration se trouve un descriptif de l'animal en question. Ainsi, l'éléphant est un « Pachyderme honorable à l'allure majestueuse des jungles indiennes ».
Mais si je tourne quelques volets en gardant la tête de l'éléphant, en lui appliquant le corps du kiwi et la queue de la corneille noire, j'obtiens alors un animal au nom improbable d' « éwinoire » qui est un « Pachyderme honorable aux ailes atrophiées, à l'occasion charognard »
Je mélange encore une fois et j'obtiens un animal qui a la tête d'une corneille, le corps d'un kangourou et l'arrière-train d'un rhinoceros, ce qui me donne un « Corkangouros : Corvidé tapageur aux mouvements agiles, d'un caractère renfrogné. »
De la même manière, on peut donc s'amuser de longs moments à reconstituer les 4096 espèces animales différentes que peuvent nous offrir ce petit livre, et même de découvrir la plus énigmatique de celles-ci puisqu'elle ne porte pas de nom.
« Brillamment achevé d'imprimer en juin 2008 sur les presses d'un grand imprimeur de la République populaire de Chine. Impression en quadrichromie sur un élégant papier offset, reliure spirale très pratique avec une couverture cartonnée et protégée d'un subtil pelliculage mat. Tirage à de nombreux exemplaires, soigneusement empaquetés par cartons de vingt volumes et acheminés par bateau sur europalettes jusqu'en France. »

lundi 22 décembre 2008
mercredi 17 décembre 2008
Prédateurs

Quand ils arrivent quelques mois plus tard à Chicago, tout semble leur sourire. Du travail, il y en a, et à profusion, dans ces immenses abattoirs qui s'étendent à perte de vue en périphérie de la ville.
Lorsqu'ils visitent pour la première fois cet immense complexe industriel, Jurgis et ses compagnons ne peuvent qu'être émerveillés par l'organisation et l'efficacité de ces exploitations où « tous les ans huit à dix millions d'animaux vivants étaient transformés ici en denrées comestibles. »
Pour ces gens qui débarquent tout juste de leurs forêts lituaniennes, cette industrie dans laquelle sont transformés chaque jour « dix mille bovins, autant de cochons et cinq mille moutons » ne peut qu'être le symbole de la modernité et de l'opulence qui règnent dans ce pays.
Très rapidement, Jurgis et les autres membres de sa famille sont embauchés à différents postes au sein de cette industrie et, désormais pourvus d'un salaire, peuvent envisager d'acquérir un foyer et d'en devenir les propriétaires.
Mais la dure réalité va très rapidement s'imposer et le beau rêve de liberté va voler en éclats. Les salaires que chacun rapporte à la maison (même les enfants) suffisent à peine à couvrir les traites de la maison et à permettre à la famille de pourvoir à ses besoins alimentaires.
C'est dans cette jungle que vont tenter de survivre Jurgis et sa famille, une jungle où les prédateurs sont partout et où la vie humaine n'est pas mieux considérée que celles de ces milliers d'animaux sacrifiés quotidiennement.
Chronique d'une descente aux Enfers, « La jungle » est un roman coup-de-poing, un réquisitoire contre les conditions inhumaines endurées par les classes ouvrières.
On pourrait penser que ce livre est le reflet d'une époque révolue. Il n'en est rien. Malheureusement, les thèmes abordés sont toujours d'actualité : chantage à l'emploi, corruption à tous les étages de la société, pollution, malbouffe, enrichissement scandaleux du patronat exploitant la misère des classes laborieuses, compétition entre les membres de ces classes ouvrières afin de mieux juguler leurs désirs d'émancipation, surendettement, crédits immobiliers « bidons », etc...
En ce début du XXIe siècle où rien ne semble avoir changé depuis l'époque ici évoquée, il est utile de lire ou de relire des ouvrages tels que « La jungle » d'Upton Sinclair.
Âmes sensibles s'abstenir.

dimanche 14 décembre 2008
Alam

Alors la jeune femme se met à raconter...
L'un des principaux officiers de la suite du prince, le comte Ostrov, va perdre son fils, Ludwig, qui mourra sur le champ de bataille non lors d'un affrontement avec l'adversaire mais d'une banale chute de cheval.
Mais le château ancestral des comtes d'Ostrov a pour particularité – on l'a vu – d'être situé à cheval sur la frontière de Bohême et de Hongrie, ce qui oblige le comte à verser des impôts aux deux royaumes. Afin de parer à cet inconvénient et d'éviter le démantèlement de son domaine qu'il considère comme indépendant des deux États, le comte va trouver une parade. Puisque la loi s'applique sur les biens immobiliers, il va faire de son château un lieu en perpétuel mouvement :
« Meubles, vaisselle, tissus, vêtements furent tirés de leurs niches respectives et redistribués dans tout le château. On abattit des murs antédiluviens, on arracha à leurs gonds des portes vieilles de plusieurs siècles. Tout ce qui était fixe fut détaché, l'immuable devint mobile. On perça des fenêtres dans les plafonds et les planchers, des portes inaccessibles à mi-hauteur des murs, de sinueux passages qui revenaient sur eux-mêmes ou menaient à des enceintes de pierre en apparence infranchissables, mais qui se dérobaient au moindre effleurement d'un levier adroitement dissimulé. Vinrent ensuite les tables, les chaises, les lits montés sur des rails courant sur le sol, les mezzanines qui descendaient toutes seules dans des cryptes souterraines, les salons tournants posés sur des plate-formes et garnis de moitiés de chaises, de causeuses et de divans dont on pouvait retrouver l'autre moitié dans des galeries retirées, parmi un amas hétéroclite d'objets ménagers.
[…]
Mais le couronnement de l'oeuvre du comte était sans aucun doute la bibliothèque. Un inventeur écossais avait conçu à grands frais un système de chaînes, de poulies et de convoyeurs dérobés, fonctionnant à l'eau et à la vapeur et qui imprimait un déplacement constant aux étagères, les faisant s'enfoncer dans les murs ou disparaître sans prévenir derrière des panneaux de bois coulissants. Certaines descendaient du plafond par des trappes, d'autres surgissaient de tranchées camouflées sous le parquet. La bibliothèque finit par envahir le château tout entier. Nul espace privé n'était inviolable. Tel hôte se livrait avec délices à la chaleur d'un bain parfumé ou pourchassait lubriquement une servante lorsque soudain, dans un bruissement de rouages invisibles, une cloison qui lui avait semblé parfaitement solide s'écartait pour laisser passer un pupitre ou une armoire chargée de livres, quand ce n'était pas le comte en personne qui suivait en clopinant, l'oeil fixé sur sa montre, indifférent à tout ce qui ne concernait pas le minutage ou la précision du mouvement des meubles. »
Flood restera de longues années au cachot, ne gardant en l'esprit que deux idées fixes : son amour pour Irena ainsi que son acharnement à poursuivre l'oeuvre que lui avait commandée le comte.
Mais tout cela n'est que le début d'une longue suite d'aventures qui va nous conduire à Venise, à Alexandrie, à Londres et jusqu'en Chine à la recherche des différents éléments nécessaires à la confection du livre infini : le papier, l'encre, les caractères d'imprimerie et la reliure. On y rencontrera Amphitrite Snow, qui dirige une bande de pirates en jupons, Pica, la jeune fille qui respire sous l'eau, Djinn, un jeune homme aux origines mystérieuses, mais aussi les vrais-faux et les faux-vrais automates de porcelaine de l'empereur de Chine, Monsieur Zéro,un naufragé vivant sur une île déserte, l'énigmatique duchesse de Beaufort, le machiavélique abbé de Saint-Foix et beaucoup d'autres encore...
Picaresque, baroque, onirique et poétique, « Un jardin de papier » est un conte pour adultes entièrement dédié à la littérature, à la passion et à la préservation des livres, une fable surréaliste et un roman d'aventures traversé de lieux, de personnages et de situations où l'on retrouve l'imaginaire de Cervantès, de Defoe, de Swift mais aussi de Mervyn Peake, d'Italo Calvino et de Jorge Luis Borges.
Un livre destiné à faire rêver d'autres livres, de ceux qui existent, de ceux que l'on a déjà lus ou pas encore, mais aussi de ceux qui n'existeront jamais que dans nos songes.
Plus on approche des dernières pages, plus on galope dans le livre, de plus en plus vite, et soudain, le pouce relâche son étreinte, on s'échappe de l'histoire et on revient à soi. Le livre n'est plus qu'un fragile réceptacle de toile et de papier. On est allé partout et nulle part. » ( p.223 )

mercredi 10 décembre 2008
La grande peur dans la montagne

« Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois, 1903. C'est un pays de loups et d'abandon au début du vingtième siècle, mal desservi par les transports publics à deux heures de Lausanne, perché sur une haute côte au dessus de la route de Berne bordée d'opaques forêts de sapins. Habitations souvent disséminées dans des déserts cernés d'arbres sombres, villages étroits aux maisons basses. Les idées ne circulent pas, la tradition pèse, l'hygiène moderne est inconnue. Avarice, cruauté, superstition, on n'est pas loin de la frontière de Fribourg où foisonne la sorcellerie. On se pend beaucoup, dans les fermes du Haut-Jorat. À la grange. Aux poutres faîtières. On garde une arme chargée à l'écurie ou à la cave. Sous prétexte de chasse ou de braconne on choie poudre, chevrotine, gros pièges à dents de fer, lames affûtées à la meule à faux. La peur qui rôde. À la nuit on dit les prières de conjuration ou d'exorcisme. On est durement protestants mais on se signe à l'apparition des monstres que dessine le brouillard. Avec la neige, le loup revient. Il n'y a pas si longtemps qu'on a tué le dernier, en 1881, sa dépouille empaillée s'empoussière à douze kilomètres dans une vitrine du musée du Vieux-Moudon.
Et l'horrible ours venu du Jura. Il a éventré des génisses il n'y a pas quarante ans dans les gorges de la Mérine. Les vieux s'en souviennent, ils ne rient pas à Ropraz ni à Ussières. Au temps de Voltaire, qui a habité le château d'en-bas, au hameau d'Ussières, les brigands attendaient sur la route principale, celle de Berne, des Allemagnes, plus tard les soldats revenus des guerres de la Grande armée rançonnaient les honnêtes gens. On fait très attention quand on engage un trimardeur pour la moisson ou la pomme de terre. C'est l'étranger, le fouineur, le voleur. Anneau à l'oreille, sournois, le laguiole glissé dans la botte.
Ici on n'a pas de grands commerces, d'usines, de manufactures, on n'a que ce qu'on gagne de la terre, autant dire rien. Ce n'est pas une vie. On est même si pauvres qu'on vend nos vaches pour la viande aux bouchers des grandes villes, on se contente du cochon et on en mange tellement sous toutes ses formes, fumé, écouenné, haché, salé, qu'on finit par lui ressembler, figure rose, hure rougie, loin du monde, par combes noires et forêts.
Dans ces campagnes perdues une jeune fille est une étoile qui aimante les folies. Inceste et rumination, dans l'ombre célibataire, de la part charnelle à jamais convoitée et interdite. »
Le décor est planté : une région reculée, hors du temps, aux paysages inquiétants de montagnes et de sombres forêts de sapins. Reste maintenant à découvrir les acteurs du drame qui va se jouer ici, un fait-divers oublié ayant réellement eu lieu dans les premières années du XXe siècle et sur lequel Jacques Chessex revient dans cet ouvrage.
En février de cette année 1903, Rosa, la fille d'un riche fermier de Ropraz, Émile Gilliéron, succombe d'une méningite foudroyante. C'est la consternation dans les environs. Qui aurait pu prévoir que cette jeune fille de vingt ans, l'une des plus belles du pays, puisse être subitement emportée dans la fleur de sa jeunesse ? On l'enterre le jeudi 19 février et, malgré la neige qui paralyse le pays, nombreux sont ceux qui sont venus rendre un dernier hommage à la jeune disparue.
Le surlendemain, un fermier des environs, venu couper du bois aux abords du cimetière, fait une macabre découverte : la tombe de Rosa a été profanée. On va chercher le fossoyeur puis à l'aide de l'unique téléphone du village on prévient les autorités : le médecin, le juge de paix, le juge d'instruction accompagné de deux agents de la Police cantonale de Sûreté.
C'est au moment où tous sont réunis pour procéder à l'exhumation du corps qu'ils découvrent dans toute son horreur ce qui s'est passé lors de la nuit précédente. Le cadavre de la jeune fille à été violé et mutilé : la main gauche a été coupée, la tête, quasi décapitée, a été enfoncée dans le tronc, le coeur a disparu, les seins et les parties intimes ont été mâchés puis recrachés.
Quant à l'enquête, elle piétine. On soupçonne à tort quelques personnages des environs, des marginaux, un valet de ferme, un boucher ambulant, un éducateur, un étudiant en médecine... Rien n'y fait et dans les villages la peur et la méfiance s'installent.
Au mois d'avril, le vampire frappe de nouveau et de la même manière à Carrouges, à huit kilomètres de Ropraz. Cette fois-ci, c'est le corps de Nadine Jordan, une jeune femme décédée d'une tuberculose osseuse, qui est retrouvé après avoir subi les mêmes abominables sévices post-mortem.
Puis c'est à Ferlens que le vampire frappe encore, sur le corps de Justine Beaupierre, morte de phtisie. Même procédure que pour les deux autre victimes : viol, mutilations, dévoration.
Après maints errements, les autorités mettent la main sur un suspect : Charles-Augustin Favez, un colosse, alcoolique, obsédé sexuel et sujet à des crises de violence spectaculaires, surpris en train de violer...une génisse !
L'homme est arrêté, emprisonné, interrogé, examiné par un psychiatre disciple de Charcot.
Favez est-il le vampire de Ropraz ? Tout le monde voudrait le croire malgré les doutes du psychiatre Albert Mahaim.
Favez va pourtant être libéré, suite au rapport d'expertise psychiatrique, décision qui provoquera l'indignation de la population. Mais il est de nouveau arrêté quelques jours plus tard, à Mézières, pour viol sur la personne d'une veuve.
Cette fois-ci, la justice prend l'affaire au sérieux et, après le procès, Favez est condamné à vingt ans de réclusion. Le Dr. Mahaim réussira à commuer cette peine en un enfermement à perpétuité dans l'établissement psychiatrique qu'il dirige, à Céry.
Favez y restera douze ans jusqu'à ce jour de février 1915 où il s'évadera , franchira la frontière et s'engagera dans la Légion Étrangère, sous les ordres du commandant Frédéric Sauser, plus connu sous le nom de Blaise Cendrars.
Ce qu'il adviendra ensuite de Charles- Augustin Favez, le vampire de Ropraz, je vous laisse le découvrir si vous n'avez pas encore tenu entre vos mains ce court roman de Jacques Chessex, récit d'un fait-divers terrifiant, baignant dans une atmosphère oppressante et dont la conclusion s'avèrera pour le moins inattendue.
Mais qu'on s'y méprenne pas, ce roman n'a rien à voir avec la vague romanesque mettant en scène des serial-killers, genre littéraire qui a fait la fortune et la renommée de nombreux auteurs d'outre-Atlantique. Charles-Augustin Favez n'est pas Hannibal Lecter. L'histoire ici relatée par Jacques Chessex est le fruit de nombreuses recherches, recherches mises en valeur par le talent de l'écrivain qui nous fait ressentir toute la pesanteur du climat de suspicion qui s'instaure dans cette région isolée suite à ces monstrueux évènements. Et qu'en est-il de cette mystérieuse dame en blanc qui vient visiter Favez dans sa cellule ? Personnage réel ou pure fiction ?
On baigne ici en plein mystère, dans une atmosphère sombre et terrifiante, entre fiction et réalité, sans plus savoir quelle est la part de la véracité historique et quelle est la part d'invention de l'auteur.
Mais l'important n'est pas là, l'important est de se laisser entraîner par le talent de conteur de Jacques Chessex et de suivre cette histoire comme on le ferait lors d'une de ces veillées dans le pays du Valais, quand le feu crépite dans la cheminée tandis que dehors règne la nuit, glacée, inquiétante, peuplée d'ombres furtives et menaçantes.

vendredi 5 décembre 2008
Deux ans !

Merci à toutes et à tous, vous qui venez régulièrement me rendre visite et sans qui j'aurais peut-être mis un terme à cette aventure.
Bien sûr il ne vous a pas échappé que ce blog est moins fourni qu'auparavant, mais la reprise d'une activité salariée entraîne immanquablement moins de disponibilités à consacrer à cet espace (d'autant plus que pour nourrir ce blog il me faut nécessairement utiliser mon temps libre à lire les nombreux romans qui me passent entre les mains).
Merci encore pour tous vos commentaires laissés ça-et-là, merci à vous qui avez fait de ce blog un espace d'échanges convivial et (je l'espère...) sans prétentions.
jeudi 4 décembre 2008
Sept cavaliers...

Ils sont sept, commandés par le comte Silve de Pikkendorff, colonel-major, gouverneur militaire de la Ville.
Il y a d'abord l'évêque Von Beck, coadjuteur de la Ville, puis le Cornette Maxime Bazin du Bourg, le brigadier Vassili Clément, le lieutenant Tancrède,le cadet Stanislas Vénier et le palefrenier Abaï, de la tribu des Oumiâtes.
C'est sur l'ordre de son Altesse sérénissime Welf III, margrave héréditaire de la Ville, que ces sept cavaliers vont prendre la route et tenter de comprendre pourquoi le pays, naguère prospère, est devenu en l'espace de quelques temps un désert où ne rôdent que des bandes de pillards.
Toujours est-il que le pays est coupé du reste du monde, le télégraphe ne fonctionne plus, les trafics ferroviaires et maritimes non plus. Des pays limitrophes ne parviennent aucune nouvelle et les postes-frontière ont été abandonnés.
Les sept cavaliers vont donc quitter la Ville « au crépuscule, par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée » et entamer un voyage qui va les conduire sur la côte, puis dans les montagnes et la Grande Forêt. Ils ne vont rencontrer que désolation sur leur chemin mais également croiser des personnages et des populations tour-à-tour amicales ou hostiles. Leurs conversations, lors des haltes autour du feu, leur donneront l'occasion d'émettre leurs hypothèses sur les causes de la déliquescence du pays, sur leurs espoirs, sur la légende menaçante des hordes d'envahisseurs tchétchènes qui pourraient profiter de l'abandon du pays pour s'en emparer et y faire régner une autre forme de terreur, sur l'étrange destin du capitaine et poète Wilhelm Kostrowitsky, disparu trente ans plus tôt en recherchant ces mêmes tchétchènes qui obsèdent le brigadier Vassili, et dont les poèmes ont trouvé un fervent amateur en la personne du jeune officier Maxime Bazin du Bourg.
Au cours de ce voyage, les sept cavaliers vont rencontrer l'un après l'autre leur destin et peu à peu leur groupe s'amenuisera jusqu'à ce qu'il ne reste plus que deux d'entre eux à atteindre Sépharée, le lieu où tout va prendre un nouveau sens et où cette histoire va connaître un dénouement inattendu.
Avec ce roman au titre évocateur, Jean Raspail démontre une fois de plus son extraordinaire talent de conteur et la richesse de son imaginaire. On retrouve dans ce livre des thèmes qui lui sont chers, comme l'évocation de peuplades et de contrées réelles ou imaginaires, la confrontation entre civilisations que tout sépare, entre sociétés traditionnelles et avènement d'un modernisme écrasant et destructeur.
Entre « Le désert des Tartares » de Buzzatti, « Le rivage des Syrtes » de Gracq, et l'univers des romans d'Italo Calvino, Jean Raspail nous entraîne ici dans un monde fascinant qui se situe aux frontières de la réalité et nous ouvre ainsi une porte sur des contrées inconnues, tissées de l'étoffe du songe et du réel.
Si le quotidien vous ennuie et vous semble morose, ouvrez-donc ce roman de Jean Raspail et laissez-vous entraîner à la suite de ces sept cavaliers qui « quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée ».
Bon voyage.

samedi 29 novembre 2008
"Deux frères"





"Les Thibault" Roger Martin du Gard. Roman. gallimard, 2003.
« Deux frères », c'est le titre auquel avait pensé Roger Martin du Gard pour nommer ce cycle romanesque en huit épisodes avant de l'intituler « Les Thibault ».
Cette vasque fresque, fruit de dix-sept ans d'écriture, qui nous mène des premières années du XXe siècle jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, a valu à son auteur d'obtenir le Prix Nobel de Littérature en 1937.
Le premier épisode de cette série : « Le cahier gris », nous introduit au sein de cette famille de la grande bourgeoisie parisienne, famille séverement régentée par le pater familias, Oscar Thibault qui, veuf, dirige seul et d'une main de fer sa maisonnée. Le vieil homme a fort à faire car le plus jeune de ses deux fils, Jacques, vient de fuguer en compagnie de son ami Daniel de Fontanin. La cause de cette fuite a été motivée par la découverte à l'école d'un cahier gris que s'échangeaient les deux élèves, cahier dans lequel s'étale une correspondance compromettante, faite d'échanges passionnés entre les deux jeunes garçons.
Oscar Thibault est dans tous ses états. Non seulement ces écrits témoignent d'une relation qui, plus qu'amicale, incitent à penser à une relation homosexuelle, mais de plus font état des liens qui unissent Jacques au fils des Fontanin, des protestants !
Car Monsieur Thibault est un homme d'un catholicisme zélé et rigoureux, intolérant envers ceux qui se sont écartés de la vraie foi. Comment éviter le scandale pour cet homme richissime qui préside à de nombreuses ligues de vertu et est le fondateur d'une institution destinée à redresser les jeunes délinquants ?
La fugue de Jacques et de Daniel trouvera son terme à Marseille et c'est accompagné de son grand-frère Antoine, que le puîné des Thibault réintégrera le foyer familial.
Mais devant sa révolte et son comportement emporté, Monsieur Thibault, bien qu'aimant profondément son fils, n'aura d'autre solution que de le faire intégrer la Fondation qu'il a créée à Crouy, fondation qui n'est en fait qu'un pénitencier pour jeunes garçons récalcitrants.
Jacques, sous la pression de son frère Antoine qui mettra toutes ses forces pour convaincre son père de le faire libérer, en ressortira au bout d'un an. Pour tous, il semblera assagi, résigné à devenir comme son frère le digne héritier des valeurs bourgeoises incarnées par son père. Mais sous le masque, Jacques reste un rebelle à l'ordre établi et ne veut pas devenir un notable comme son père et comme Antoine qui termine ses études de médecine. Jacques rêve de grands espaces, d'amour, de sentiments entiers, de liberté et de littérature. Pour son ami Daniel de Fontanin, il n'éprouve plus qu'un vague intérêt, portant plutôt son attention sur la jeune soeur de celui-ci : Jenny.
Mais ses sentiments amoureux semblant n'être pas partagés par la jeune fille, Jacques va de nouveau fuir. Quelques années ont passé et il n'est plus l'enfant qui avait fugué jusqu'à Marseille. Sa famille va perdre toute trace de lui. On le croira en Angleterre alors qu'il s'est bâti une nouvelle vie en Suisse où il s'essaie à l'écriture avant d'adhérer à l'Internationale Socialiste, engagement dans lequel il mettra toute son énergie.
C'est ainsi que le lecteur va suivre, au cours des années les destins entrecroisés des Thibault et des Fontanin, dans cette France du début du XXe siècle jusqu'à leur conclusion tragique lors de la première guerre mondiale.
Oeuvre magistrale, portée par un souffle épique, « Les Thibault » est une suite romanesque fascinante, peuplée de personnages en prise avec les tourments de l'existence, une saga familiale dont le point d'orgue et le pivot central est sans nul doute « La mort du père » récit de l' agonie d'Oscar Thibault, agonie qui s'étend sur près de 200 pages, récit d' une puissance évocatrice incomparable qui mériterait à lui seul des pages et des pages de commentaires.
Mais, à bien y réfléchir, c'est tout le cycle des « Thibault » qui nécessiterait une analyse et des commentaires infinis tant la matière y est riche, tant les caractères de tous les protagonistes – et ils sont nombreux – y sont finement ciselés, dotés d'une extraordinaire densité et d'une profondeur incommensurable. Où trouver une telle richesse,en effet, si ce n'est dans Proust ou dans Joyce ?
Il y a tant à dire sur cette oeuvre que je ne m'étendrai pas plus longtemps dans ce commentaire car je m'aperçois qu'il y a ici matière à écrire indéfiniment.
Je ne peux que vous conseiller, en guise de conclusion, de lire ou de relire « Les Thibault » et de vous laisser emporter, comme je l'ai été, dans ce grand fleuve littéraire.

jeudi 20 novembre 2008
Un cabinet de curiosités
Eléazard von Wogau est correspondant de presse au Brésil. Il s'est installé à Alcântara, dans la région du Nordeste, et vient de divorcer d'avec son épouse Elaine, paléontologue et universitaire brésilienne.
Eléazard vient de recevoir d'un éditeur un manuscrit inédit du XVIIeme siècle, retrouvé à la Bibliothèque nationale de Palerme. Il s'agit d'une biographie du père jésuite Athanase Kircher, rédigée par son disciple Caspar Schott. Eléazard a pour tâche de remettre en forme ce texte et de le commenter pour en faciliter l'accès aux futurs lecteurs.
Devenu une véritable autorité en toutes ces matières, il est nommé en 1635 au Collège Romain, ce qui lui permettra d'ouvrir son propre musée, vaste cabinet de curiosités où s'entassent toutes sortes d'objets étranges et exotiques ramenés des quatre coins du monde par les membres de la Compagnie de Jésus.
Souvent comparé à Léonard de Vinci, cet esprit encyclopédique, surnommé « Le Maître des cent Savoirs » n'atteindra jamais, dans les siècles suivants, la renommée de son illustre prédécesseur. Nombre de ses théories s'avèrent en effet fausses ou inexactes : il prétendra ainsi avoir déchiffré le mystère des hiéroglyphes égyptiens et maîtriser la langue chinoise. En homme de Dieu, il ne saura expliquer les mystères de l'archéologie, de la linguistique, des croyances autres que chrétiennes, de la géologie et de la physique, qu'au travers du prisme de la Bible, voyant en toutes ces matières les manifestations de l'oeuvre de Dieu.

Le Musée d'Athanase Kircher
dimanche 16 novembre 2008
Mors Omnia Vincit

Un matin de l'été 1980, à Naples, Matteo De Nittis, chauffeur de taxi, conduit son fils Pippo à l'école. Exaspéré par les embouteillages, il a garé sa voiture et a décidé de finir le trajet à pied. Alors qu'ils arrivent tous deux à proximité de l'établissement scolaire, des coups de feu éclatent et voilà le père et son fils au milieu d'une fusillade. C'est en effet à ce même endroit et au même moment que deux clans de la Camorra ont décidé d'en découdre. Matteo se jette à terre en serrant son fils afin de le protéger. Quand tout s'arrête, Matteo se redresse, indemne. Mais Pippo, lui, ne se relèvera plus jamais : touché par une balle perdue, l'enfant a été tué sur le coup.
Commence alors, pour Matteo et sa femme Giuliana, un long cauchemar. Leur fils de six ans est mort et, c'est bien compréhensible, ils ne peuvent admettre cette disparition, cet absurde, injuste et douloureux coup du sort.
Matteo erre toutes les nuits sans but au volant de son taxi dans les rues de Naples, ne s'arrêtant même plus pour prendre des clients.
Quant à Giuliana, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même et à l'abattement succèdent peu à peu la haine et le désir de vengeance.
Cette vengeance, elle pense l'accomplir en la personne de Matteo qui va découvrirpar l'entremise d'une lettre anonyme, la photo, l'adresse et l'identité de l'homme responsable de la mort de leur enfant : il s'agit d'un petit cacique de la pègre napolitaine dénommé Toto Cullaccio.
Giuliana exhorte alors son mari et le presse d'accomplir sa vengeance. Matteo ressort d'une armoire un vieux pistolet et s'apprête à faire justice. Il tuera Cullaccio et quand il rentrera chez lui, Giuliana lavera sa chemise rougie du sang de l'assassin de leur enfant.
Mais Matteo De Nittis n'est pas un héros de cinema et, au moment où il tiendra en joue Cullaccio, il renoncera à faire couler le sang.
Rentré chez lui, Giuliana ne lui pardonnera pas sa faiblesse et décidera d'abandonner son mari.
Pour Matteo, le cauchemar va continuer, lancinant, aggravé par le départ de Giuliana. Le soir même, alors qu'il a repris ses errances dans la nuit napolitaine, une étrange cliente va s'imposer dans son taxi. Grâce à elle, il va faire la rencontre, dans un café, de quelques singuliers personnages : un professeur à la sulfureuse réputation, un vieux curé en révolte contre les autorités du Vatican, le patron de ce fameux café ainsi que sa cliente qui est en fait un travesti prostitué.
Alors que Giuliana sombre peu à peu dans la folie, Matteo va apprendre de la bouche même du vieux professeur qu'il existe peut-être une solution pour ramener son fils à la vie et le rendre à sa mère. Il ne s'agit ni plus ni moins que de se rendre aux Enfers. D'après le professeur, les Enfers ne sont pas un mythe, ils existent réellement et il suffit, pour s'y rendre, d'emprunter une des portes qui subsistent encore dans de discrets endroits.
S'il n'a pas pu mener à bien sa vengeance, Matteo est prêt à tout tenter pour ramener son fils d'entre les morts. Suivant les directives du professeur, il va trouver une des entrées du monde souterrain et, accompagné du vieux prêtre, il va s'enfoncer dans les entrailles de la terre en direction du monde des morts...
Avec ce roman, Laurent Gaudé revisite le mythe d'Orphée et nous offre un conte qui commence comme un polar pour se muer peu à peu en un récit qui donne la part belle au fantastique. On pense aussi à la « Divine Comédie » dans ce périple au royaume des morts où Matteo est accompagné et guidé par le vieux curé Mazerotti qui joue le rôle de Virgile, le poète qui sert de guide à Dante Alighieri dans sa visite des Enfers.
L'Enfer, d'ailleurs, tel qu'il est décrit par Gaudé, diffère peu de la vision de Dante et de toute la tradition qui veut que le pays des morts soit un séjour de souffrance, peuplé d'ombres tourmentées qui évoluent dans un décor cauchemardesque.
On pourra reprocher à l'auteur cette vision naïve et conventionnelle du monde d'en-bas, directement héritée de l'iconographie chrétienne. Les personnages qui apparaissent dans ce roman sembleront aussi assez stéréotypés : la prostituée au grand coeur, le vieux curé rebelle... mais Gaudé, et c'est ce qui fait le charme de ses romans, aime à jouer avec les clichés et restituer des images et des ambiances chargées de sens, quasi-cinématographiques, afin de mieux planter le décor et d'emmener le lecteur dans un récit dont il pourra facilement imaginer le contexte et les acteurs.
On pourra aussi lui reprocher dans cet ouvrage une certaine tendance au pathos en l'image de ce couple déchiré par la disparition brutale de leur enfant, mais cette critique n'est peut-être envisageable que par des personnes qui n'ont encore jamais eu à faire face au décès subit d'un être aimé.
« La porte des Enfers » ne sera sûrement pas l'un de mes romans préférés de Laurent Gaudé mais j'ai quand même éprouvé un grand plaisir à lire ce récit qui, à la manière d'un conte nous fait basculer du quotidien le plus banal vers la fantaisie d' un monde onirique riche en symboles. Quant à la charge émotive de ce roman, elle est indéniable (quoiqu'un peu pesante à la longue) et nous ramène, comme tout grand roman, à une grande interrogation que s'est posée et que se posera encore longtemps l'humanité : à savoir l'inéluctabilité de la mort, le chagrin consécutif à la disparition d'êtres chers et les fantasmes qui ressurgissent de manière obsessionnelle lorsque l'on se voit confronté à ce drame : voir nos disparus revenir à la vie.

"L'île des morts" Peinture d'Arnold Böcklin
mercredi 12 novembre 2008
Le prix de la chair
« Paris, nombril crasseux et puant de France. Le soleil, suspendu au ciel comme un oeil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sécheresse suffocante. Cette fièvre fondait sur Paris, cire épaisse, brûlante, transformait les taudis des soupentes en enfers, coulait dans l'étroitesse des ruelles, saturait de son suc chaque veine et chaque artère, asséchait les fontaines, stagnait dans l'air tremblotant des cours nauséabondes, la désertion des places.
Dans cette géhenne, la chaleur de l'été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, tuait les bêtes qui tentaient de survivre en quelque coin d'ombre, suffoquait les femmes uax poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d'aisselles velues, elles s'écoumaient des fesses aux flancs puis sur les jambes. Fondue comme du beurre sur les fronts, la sueur piquait aux yeux, répandait son sel aux bouches haletantes. La crasse s'écoulait comme un sédiment, marquait les plis aux articulations de traces noires. On s'éventait avec un rien, un vieux chiffon, une gazette, une main. On soulevait, ce faisant, le remugle aigrelet des corps transpirants. La puanteur de l'un se mêlait à la puanteur de l'autre quand déjà les corps ne se frottaient pas, mélangeant leurs sueurs respectives. Cette pestilence gonflait les haillons, les vêtements de peu couvrant un reste de pudeur, montait paresseusement dans l'air stagnant, fleurissait, envahissait la ville entière.
Cette odeur d'homme flottait et rendait l'horizon incertain, c'était l'odeur même de Paris, son parfum estival. Paris suait, ses aisselles abondaient, coulaient dans les rues, dans la Seine. Paris, hébétée par cette incandescence, offrait ses chairs grasses à la liquéfaction. Dans l'imbroglio de ses entrailles, la foule haletait, avalait par goulées l'air corrompu, se traînait sans conviction le long des avenues, s'adossait contre la pierre tiède des ruelles, s'engouffrait dans l'orifice des culs-de-sac. Les étals eux-mêmes étaient ébahis de chaleur : les fruits flétris, les viandes et les poissons verdâtres, les légumes rabougris. Sur les amoncellements épars, le bruissement des mouches ignorait le geste las d'une marchande qui claquait un chiffon avant d'éponger son front, puis soulevait ses jupes pour aérer son entrecuisse moite. Une main se glissait dans la superposition des tissus pour gratter l'irritation de la peau. Elle ressortait brillante, musquée, se levait sans conviction pour interpeller un passant, tâtait les fruits, s'essuyait en remuant un sac de blé, déplaçait l'air chaud d'un geste de mépris quand l'autre continuait son chemin sans même un regard. »

Pierre-Antoine Demachy (1723-1807)
Mais comment lui – pauvre fils de paysan sans le sou – pourra-t-il trouver le moyen d'échapper à sa condition dans cette capitale où la crasse et la misère s'étalent sans retenue ? Comment s'extirper de cette fange qui le happe dès son arrivée et où il devra, pour gagner de quoi vivre, passer ses journées plongé dans l'eau putride de la Seine et débarder des trains de bois flotté. Comment pourrait-il donner vie à ses rêves ambitieux alors que chaque jour est une course contre le froid, la faim, les maladies, la mort peut-être ? Mais le hasard va croiser son chemin en la personne de Billod, un perruquier de la rue de la parcheminerie qui va l'engager comme commis. Et c'est dans l'atelier de celui-ci qu'il va plus tard faire la connaissance d'un singulier client : le comte Étienne de V.
L'aristocrate va remarquer Gaspard et une étrange relation va se nouer entre ces deux hommes qu'à priori tout sépare. Le jeune homme ne pourra résister à la fascination qu'exerce sur lui Étienne de V. tout ceci malgré les mises en garde de Billod :

« Une éducation libertine », premier et prometteur roman de Jean-Baptiste del Amo, nous entraîne dans le Paris de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, un décor dantesque, grouillant de vermine et de crasse qui n'est pas sans rappeler les premières pages du « Parfum » de Patrick Süskind et « Les nuits de Paris » de Restif de la Bretonne.
L'auteur nous prend par la main et nous invite à renifler la puanteur des bouges, des tavernes et des corps. Il nous fait toucher du doigt la crasse immémoriale accumulée sur les murs de cette capitale. Il nous offre en pâture la vision de corps en décomposition, de personnages dont la peau couverte d'ulcères gonfle et éclate en jaillissements de pus. Tout ici pue les excréments, l'urine, la viande pourrie, et les corps mal lavés dans l'eau douteuse de la Seine. Le « Siècle des Lumières » cher aux historiens n'est plus ici qu'une parenthèse et nous livre une vision nauséeuse et répugnante , cauchemardesque, de la capitale du Royaume de France.
Des ruelles sordides et des bordels faméliques jusqu'aux soupers fins de l'aristocratie, Jean-baptiste del Amo décrit avec minutie cette tour de Babel où s'entassent et se côtoient représentants de la noblesse et victimes de la misère la plus noire.
C'est avec Gaspard, personnage aux accents Faustiens, ainsi qu'avec le comte Étienne de V. avatar du Valmont de Laclos, que nous découvrons peu à peu cette ville aux remugles écoeurants, ses moeurs et ses vices. Les descriptions sordides se succèdent ici afin de nous immerger dans cet univers de noirceur qu'a voulu recréer Jean-Baptiste del Amo et le style de l'auteur, même s'il nous met souvent au bord de la nausée, nous emporte comme un fleuve dans ce roman d'initiation traversé d'horreurs et de perversions.
Que dire de cet ouvrage, si ce n'est qu'au delà de toutes ces descriptions morbides et répugnantes, on ne peut plus lâcher ce roman tant le style y est éclatant et la narration captivante ? Une fois ouvert ce livre, impossible de se détacher de Gaspard et de ne pas suivre son parcours au sein de cette grouillante fourmilière parisienne dans le but de s'arracher à ce magma d'immondices qui l'étouffe.
On pense au départ avoir affaire à un proto-Rastignac en la personne de celui-ci pour finalement découvrir qu'il s'apparente plutôt à Faust.
Mais je ne voudrais pas trop en dire afin de ne pas dévoiler trop de détails à celles et ceux qui n'ont pas encore lu ce formidable roman. J'espère, en tout cas, qu'ils prendront autant de plaisir que j'en ai eu à la lecture de cet ouvrage.
Entretien avec Jean-Baptiste Del Amo : ICI
Mille mercis à Malorie qui m'a prêté ce livre dans le cadre du cerclage du forum "Parfum de livres"

"Ecorché" Juan de Valverde, 1556
mardi 11 novembre 2008
11 Novembre
mercredi 5 novembre 2008
Rions un peu...avec Christine Lagarde !

Nicolas Sarkozy possède des origines hongroises par son père et s'est par le passé présenté comme un président "à moitié magyar". (Source : AFP)
mardi 4 novembre 2008
La guerre de Troie n'aura pas lieu.
Dan Simmons est un de ces auteurs de S.F. que j'ai connu sur le tard avec le cycle « Hypérion-Endimyon » puis peu de temps après avec « L'échiquier du Mal ». J'avais été emballé par ces romans extrêmement bien construits, riches en rebondissements et servis par un imaginaire foisonnant propice à une immersion totale dans l'univers présenté par l'auteur.
Aussi, quand s'est trouvé à ma disposition le diptyque « Ilium-Olympos », c'est sans hésitation que je me suis lancé dans la lecture de ce qui se présentait à mes yeux comme un nouvel évenement dans la littérature S.F.
J'ai donc commencé « Ilium » avec enthousiasme, me régalant d'avance à l'idée de me plonger pendant de longues heures dans un univers étrange et futuriste, allant de surprises en émerveillements au fil des pages, à la rencontre de personnages hors du commun plongés dans des aventures palpitantes.
J'ai en tout premier lieu fait la connaissance de Thomas Hockenberry, universitaire professeur de littérature antique et spécialiste de l'oeuvre d'Homère. Thomas Hockenberry est décédé d'un cancer au XXe siècle mais il a été ressuscité par les dieux de l'Olympe qui ont récupéré son ADN. Ils ont fait de lui un des nombreux scholiastes, des érudits de toutes époques, dont la mission consiste à se téléporter quantiquement à l'époque de la guerre de Troie afin d'observer et de rendre compte des évenements aux divinités qui, mis à part Zeus, ne savent rien de l'issue de ce conflit dans lequel ils interviennent de temps à autre, suivant leurs affinités envers l'un ou l'autre camp.
Puis je me suis retrouvé sur Terre, dans un très lointain futur, à une époque où les humains « à l'ancienne » ne sont plus que quelques milliers, leur population étant régulée avec soin par les posthumains qui veillent sur eux depuis les anneaux e et p situés en orbite.
Puis enfin j'ai fait la connaissance de Mahnmut d'Europe et d'Orphu d'Io, deux moravecs, créatures biomécaniques originaires des satellites de Jupiter, envoyés en mission sur Mars par le Consortium des Cinq Lunes afin d'éclaircir une mystérieuse activité sur la surface de la planète rouge.
Une expédition est montée dont feront partie Mahnmut et Orphu d'Io, créatures inséparables qui ne cessent de se chamailler sur les qualités respectives de leurs auteurs préférés : William Shakespeare pour Mahnmut, et Marcel Proust pour Orphu d'Io.
Mais les choses vont se gâter : l'expédition moravec va être attaquée dès son arrivée sur l'orbite martienne. Sur Terre, les humains « à l'ancienne » vont être confrontés à une terrible menace qui va les obliger à redécouvrir certains réflexes qui ont aidé leur espèce à survivre de par le passé. Quant au scholiaste Thomas Hockenberry, il va être appelé par la déesse Aphrodite à accomplir un acte inimaginable, acte qui sera la cause de conséquences incalculables sur le déroulement de la guerre de Troie et qui verra les héros ennemis Achille et Hector s'unir pour défier les dieux de l'Olympe.
C'est ainsi que va se jouer, sur trois tableaux, le récit de Dan Simmons, un récit plein de références culturelles et historiques où l'on verra apparaître les protagonistes de l'Iliade, troyens et achéens, mais aussi ceux de « La Tempête » de Shakespeare : Prospero, Caliban, Ariel et Sycorax. Nombreuses références donc, et formidable travail d'érudition de la part de l'auteur qui parsème ses dialogues de citations de Yeats, Browning, Sénèque, Hésiode, Proust, Blake, Shelley, Ovide, etc...
Mais là où le bât blesse, c'est au niveau du récit lui-même, le déroulement en est interminable, à la limite du remplissage afin d' accumuler au final un nombre impressionnant de pages. Les descriptions des technologies utilisées sont proprement indigestes, les dialogues des héros et des dieux de l'Antiquité, quand ils ne copient pas le style d'Homère tombent dans une familiarité tendance vulgaire qui peut faire sourire au début ( ça rappelle parfois la série « Kaamelott ») mais qui finit par lasser.
Et puisqu'il est souvent question de Shakespeare, je concluerai en reprenant le titre de l'une de ses pièces : « Beaucoup de bruit pour rien »!

Le volcan "Olympus Mons" domine la surface martienne du haut de ses 27 kms d'altitude
jeudi 30 octobre 2008
La Voie de l'Encre et du Pinceau

Elle décide alors d'entrer à l'École des Beaux-Arts de Toulouse mais n'y éprouvera finalement que des désillusions :
Je calligraphiais des textes classiques écrits par les vieux sages grecs que nous choisissions ou qui nous étaient imposés. On nous donnait des modèles d'écriture à copier et à recopier sans cesse : la caroline primitive sur des fragments de l'Ancien Testament de l'époque de Pépin le Bref ; l'humanistique du XVe siècle que nous travaillions à la plume d'oiseau sur des textes de Sénèque ; des ex-libris en gothique bâtarde flamande, extraits de fragments de manuscrits anciens, ou même, pour nous divertir un peu, des menus d'autrefois que nous nous amusions à calligraphier. Mon goût pour les courtes maximes philosophiques qui aident à sublimer le quotidien est né alors. Je prenais un grand plaisir à calligraphier des phrases comme : « L'éclosion reste cachée », d'Héraclite (extraite de ses fragments, n° 123) ou encore : « Toute beauté est joie qui demeure », de John Keats.
Grâce à ces modestes plaisirs, commençait à s'ancrer en moi la conviction que, dans l'art calligraphique, se profilait aussi un art de vivre. »

C'est cette quête du savoir que nous relate Fabienne Verdier dans ce très beau récit qui nous plonge dans la Chine d'après la mort de Mao Zedong, une Chine où la Révolution Culturelle a fait des ravages, un état totalitaire où chacun est l'espion de son prochain et où la discipline du parti règne sur la communauté. Bien sûr, tout n'est pas si sombre dans ce récit et les moments douloureux cèdent la place à des instants de grâce, quand Fabienne Verdier retrouve les vieillards de la maison de thé de Jiu Long Po, quand elle va à la rencontre des minorités ethniques : Miao, Yi, Buyi... C'est aussi un voyage au Tibet où elle visitera le monastère de Shigatse, une excursion avec son maître sur le mont Emei Shan, mais aussi les rencontres émouvantes avec les anciens maître de peinture et de calligraphie, vieillards ayant eu à subir toutes sortes d'avanies lorsque la Révolution Culturelle s'abattit sur eux.
Formidable récit, témoignage précieux, « Passagère du Silence » est un ouvrage qui se lit comme un roman d'aventures, une aventure humaine vécue par une femme hors du commun, dont la détermination n'a peut-être d'égale que celle d'une autre « passagère » qui emprunta les mêmes chemins, dans des condition qui, bien que différentes furent aussi extrêmes : Alexandra David-Néel.
Un très beau livre qui nous permet d'approcher et de saisir les motivations et les sources d'inspiration d'une grande artiste contemporaine.
Magnifique.

mercredi 29 octobre 2008
En ascèse de peinture


Mais la plus grande partie est consacrée à un dialogue entre Fabienne Verdier et l'écrivain et poète Charles Juliet, dialogue au cours duquel l'artiste revient sur ses motivations, sur son apprentissage mais surtout sur l'état d'esprit qui est le sien lorsque elle réalise ses oeuvres. On y découvre alors tout un cheminement inspiré de la tradition des grands maîtres peintres et calligraphes chinois, cheminement aux implications spirituelles bien éloigné des mondanités et du mercantilisme trop souvent attachés à l'art contemporain.
Car le travail de Fabienne Verdier est avant tout une ascèse, un moment de recueillement où le silence et un esprit détaché des contingences de ce monde préludent à l'acte de création, un moment où l'artiste ne fait plus qu'un avec son instrument, le support sur lequel elle peint, et l'univers qui l'entoure.
« Fabienne se prépare à peindre. Cet instant a été précédé par une méditation qui lui a permis de se rassembler, de s'unifier, de rejoindre sa source. Hissée à la pointe d'elle-même, concentrée et détendue, intense et détachée, libre de la crainte d'échouer et de la volonté de réussir, elle enchaîne avec maïtrise et sang-froid une succession de gestes qui libèrent l'énergie amassée. L'encre a fait apparaître des formes qui ne tolèrent aucune reprise, des figures elliptiques et vigoureuses dans lesquelles elle a coulé son ascèse, sa liberté, son innocence, sa connaissance, sa sérénité, sa clairvoyance, les richesses qu'elle a tirées de ses rencontres, de ses lectures, de sa fréquentation des oeuvres du passé, de son amour et de sa contemplation de la nature, à quoi s'ajoute sa recherche de l'excellence, de la perfection, de l'impérissable – une quintessence de haute densité où brûle en secret la flamme voilée de son incandescence. »
vendredi 24 octobre 2008
L'unique trait de pinceau

S'il existe dans l'Histoire une figure emblématique de la peinture chinoise, c'est bien celle de Shitao (1641? 1642 ? - 1707), moine bouddhiste, poète, calligraphe et surtout peintre de grand talent qui exprima par le biais d'un traité ses théories picturales en composant « Les propos sur la peinture du Moine Citrouille Amère ».
À cet académisme pesant, Shitao va apporter sa touche personnelle et, tout en respectant les principes picturaux de son époque, va cependant élaborer une théorie laissant libre cours à son individualité.
On trouvera donc dans les « Propos » des considérations philosophiques mais aussi des conseils techniques destinés aux adeptes de cette forme d'art : Shitao y évoque les mouvements du poignet (ou comment tenir le pinceau à main levée), ainsi que les règles de composition d'un paysage, comment suggérer le relief des sujets représentés suivant leur texture et l'atmosphère dans lequel ils baignent (on trouvera dans les notes de Pierre Ryckmans, (Note 1 du chapitre XIV, p.107) la classification des différents phénomènes atmosphériques à représenter suivant les saisons : paysage nuageux au début du printemps, brume du matin sur les montagnes en été, pluie abondante avec vent faible, etc...)
Le même avertissement est certainement nécessaire, a fortiori, pour le lecteur de cette traduction ; et si, au terme de son étude, bien des points lui restent encore obscurs, qu'il ne s'en étonne pas trop puisque Yu Jianhua, l'un des meilleurs spécialistes en la matière, confesse lui-même : « Dans la littérature esthétique de l'époque Qing, le traité de Shitao est considéré, de l'avis général, comme le texte le plus difficile (...) ; plusieurs endroits m'en sont encore inintelligibles et je me sens fort en peine de leur fournir un commentaire... »
