samedi 31 mai 2008

Le violoncelliste




"Ce silence-là" Franck Bellucci. Roman. Editions Demeter, 2008





Qui est cet étrange jeune homme que la gendarmerie a récupéré, errant et hagard, sur une plage du littoral normand ? Vêtu d'un habit de gala, serrant contre sa poitrine une liasse de partitions musicales, l'inconnu semble muet et frappé d'amnésie.
Aussitôt pris en charge par les autorités, le voici admis dans le service psychiatrique de l'hopital de L.

Malgré toutes les tentatives des médecins et des enquêteurs, le mystère reste entier en ce qui concerne l'identité du patient de la chambre 22. Le jeune homme semble muré dans son silence et aucune stimulation sensorielle ne semble réussir à le sortir de son état apathique.

Hélène, l'infirmière chargée de le surveiller, s'interroge elle aussi sur le mystère qui entoure ce jeune inconnu. Ses questionnements vont peu à peu céder la place à une étrange fascination envers celui qu'elle va finir par considérer comme « son patient ».
La jeune femme qui, sous un aspect avenant dissimule d'anciennes blessures, va très rapidement se consacrer exclusivement à l'étrange pensionnaire de la chambre 22 et rester à son chevet des heures durant, quitte à oublier pour cela ses obligations professionnelles et personnelles.
Au matin du 15ème jour, une infirmière stagiaire découvre dans la chambre un dessin réalisé par le jeune homme : il s'agit d'un violoncelle.
L'inconnu de la chambre 22 serait-il musicien, hypothèse que tendrait à appuyer la liasse de partitions qu'il détenait lors de son admission ?

On fait alors appel à un professeur de musique qui arrive sur les lieux le lendemain matin, muni d'un violoncelle. À la stupéfaction générale, le jeune homme s'empare de l'instrument et se met à exécuter avec une grande virtuosité les Six Suites de Jean-Sébastien Bach.

Les enquêteurs de la police, les médias et les médecins se perdent en conjectures : qui est réellement cet homme ? un artiste de génie victime d'amnésie ? un autiste? ou, plus incroyable encore, un adroit mystificateur ?

Pour Hélène, ces suppositions importent peu alors que le jeune homme de la chambre 22 prend de plus en plus d'importance dans sa vie, tout ceci à un tel point qu'elle finit par perdre pied avec son quotidien et avec ses collègues, n'ayant plus pour seuls confidents que son journal intime ainsi que « son patient » avec qui elle entretient un dialogue silencieux, fait de gestes, de regards, de caresses.

Les jours vont passer – 85, exactement – pendant lesquels Hélène va peu à peu tenter de percer le mystère du patient de la chambre 22 , un mystère qui va trouver d'étranges résonnances avec son propre passé, un drame survenu lors de son adolescence et qui ne cesse de la hanter. Elle ira ainsi jusqu'au bout de ses questionnements, faisant resurgir peu à peu de douloureux souvenirs, jusqu'à ce que – passé et présent finissant par se confondre – elle soit amenée progressivement vers une conclusion qui s'avérera tragique et irrémédiable.

S'étant librement inspiré d'une histoire vraie qui défraya la chronique il y a de cela quelques années – l'affaire Andreas Grassl, surnommé « The Piano Man » – Franck Bellucci ne cherche pas à nous conter une enième interprétation de ce fait-divers qui fit alors couler beaucoup d'encre.
C'est en fait sur la personnalité d'Hélène, l'infirmière qui va assister le patient de la chambre 22, que l'ensemble de ce roman va se focaliser afin de nous livrer le portrait d'une femme déchirée par son passé, une femme qui trouvera dans la personne de ce jeune homme inconnu le catalyseur de tous ses espoirs, de toutes ses peurs et de tous ses regrets.

Franck Bellucci, dont c'est ici le premier roman, nous livre avec « Ce silence-là », un récit fascinant, sensuel, troublant et douloureux, un voyage aux limites de l'amour et de la folie qui ne laissera pas le lecteur indifférent.



L'avis de Laurence du Biblioblog.




dimanche 25 mai 2008

"Mais rien ne finit jamais."




Les vivants et les ombres" Diane Meur. Roman. Editions Sabine Wespieser, 2007.





Avec « Les vivants et les ombres », Diane Meur nous entraîne en Galicie, région située aux confins de la Pologne et de l'Ukraine.


C'est près du petit bourg de Grynow qu'au début du XVIIIème siècle, un aristocrate polonais, le comte Ponarski, fit construire une grande demeure à la façade néo-classique. Quand, soixante ans plus tard la Pologne fut dépecée par ses puissants voisins, les empires Russe et Austro-Hongrois, le "dwor" (manoir) échut au baron Von Kotz.

C'est en l'année 1820 que commence véritablement le récit, avec la rencontre, puis les épousailles de Jozef Zemka, intendant du domaine, avec la fille du baron, Clara von Kotz.
Ce sont les membres de cette famille Zemka que nous allons suivre sur près de 700 pages, de l'aube du XIXème siècle aux prémices de la première guerre mondiale en 1914.

Pour nous raconter sur une période d'un siècle les évenements et les différents acteurs qui apparaîtront au fil du récit, la narratrice de cette histoire ne sera autre que la maison elle-même, une maison dotée d'une conscience, d'une mémoire et aussi d'une bonne dose de curiosité, ce qui permettra de découvrir non seulement chacun des membres de la famille Zemka dans son intimité mais aussi d'apprendre les propos qui s'échangent entre les domestiques, que ce soit à l'écurie ou dans les cuisines. Nous allons donc devenir les témoins et les proches de cette famille, apprendre à connaître chacun des habitants de cette demeure et à suivre les vicissitudes que leur réservent les bonnes et les mauvaises surprises de l'existence.
Nous allons suivre sur près d'un siècle Jozef et Clara Zemka, leurs filles : Urszula, Maria, Wioletta, Jadwiga et Zosia, ainsi que tous ceux qui les entourent, cousins, maris, enfants, domestiques... au fil d'un récit captivant qui nous dressera les portraits de tous ces personnages dans toute leur grandeur mais aussi dans toutes leurs faiblesses.

En ce XIXème siècle troublé par les révolutions et les luttes pour l'indépendance face aux impérialismes russes et austro-hongrois, cette région de Galicie où se déroule notre histoire, sera le décor de nombreux drames dont les origines prennent leurs sources dans la grande et la petite Histoire. Nous assisterons aux déchirements, aux doutes et aux espoirs des protagonistes de ce roman, personnages attachants, vulnérables et en proie à maintes passions au sein de cette micro-société qu'est la grande maison sous le toit de laquelle ils sont réunis, cette maison qui les observe avec infiniment de fascination et d'indulgence envers les errements des uns et des autres.

Bien loin des poncifs habituels au genre romanesque des sagas familiales, le texte de Diane Meur se rapproche de cette dimension épique que l'on retrouve essentiellement dans la littérature nord-américaine, avec une profusion de personnages, d'évenements et d'interactions entre ce qui est du domaine de l'intime et ce qui relève de la grande Histoire. Dimension épique donc, mais aussi dimension poétique à travers la vision que porte sur le monde la narratrice de ce récit, la maison Ponarski-Zemka, demeure séculaire dotée d'une existence secrète qui lui permet d'être le témoin de tout ce qui se passe entre ses murs, des plus grands bouleversements aux faits les plus infimes :


« ET VOICI LE TABLEAU d'une belle nuit d'août.
J'aime la nuit, ses bruits et ses silences. J'aime ses odeurs plus que celles du jour, qui ne font que suivre les hommes comme de braves toutous – les fumets de cuisine jappent aux basques des laquais qui montent l'escalier, l'eau de Cologne de Jozef frétille de la queue et renverse tout sur son passage, et quand une femme de chambre ouvre un bahut, lavande, poussière et renfermé sautent sur ses genoux, comme une portée de chiots réclamant leur gamelle.
Les odeurs nocturnes, elles, sont plus indépendantes. Elles viennent d'on ne sait où et vont où elles veulent, comme un fier peuple nomade qui se rit des attaches et s'installe pour bivouaquer à l'endroit qui lui plaît. Elles se glissent sous les portes et dans l'entrebaîllement des fenêtres, visitent les caves, inspectent les pièces d'apparat en se poussant du coude : ces joliesses figées leur paraissent un peu mièvres.
Ainsi le grand salon dont on a laissé, cette nuit, quelques carreaux ouverts. Tous les parfums d'herbe et de fleurs des champs s'y sont invités à un bal clandestin et virevoltent sous l'archet d'un grillon violoneux. Dehors, sous la lune, les meules les attendent, comme de grosses poules couveuses sur leurs trois bâtons de bois. Et elles murmurent, indulgentes : « Allons...revenez... » mais savent bien qu'avant l'aube, on ne les écoutera pas. »


Servi, comme on le voit, par une prose généreuse et inventive, le roman de Diane Meur – récit baroque et foisonnant où se bousculent les premiers et les seconds rôles, les vivants et aussi les ombres de ceux qui peuplèrent les chambres, les couloirs, les salons et les escaliers de cette demeure – ce roman donc, d'une remarquable richesse narrative, est un récit ample et touffu, une saga aux innombrables figurants qui se lit avec passion et avec bonheur. Un grand moment de lecture.

Les avis de Solenn, de Patricia, de Marie, de Gachucha et de Michel.





"Les volets clos" Peinture de Elizabeth Nour

samedi 24 mai 2008

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 9







"La femme de l'Allemand" Marie Sizun. Roman. Editions Arléa, 2007.







Aussi loin que remontent ses souvenirs, la petite Marion a toujours eu conscience que quelque chose clochait dans sa vie. Sa mère, Fanny, qu'elle adore comme tout enfant est censé aimer celle qui l'a mise au monde, fait preuve à certains moments d'un comportement pour le moins inquiétant.
Ce sont de brusques accès d'irritation, des propos étranges, une conduite insolite, qui lui valent d'être traîtée médicalement et d'accomplir des séjours en hopital psychiatrique.


« Pourtant, dans le discours à mi-voix qu'il (le médecin) tient à la tante, un mot attire ton attention, un nom, le nom d'une maladie, la maladie de Fanny, sans doute, un joli nom, sonore et singulier, qui revient à plusieurs reprises : un nom en ose et en ive, compliqué ; il t'échappe, mais voilà qu'il revient, tu le saisis au vol : psychose maniaco-dépressive. C'est le terme qu'il emploie, et tu l'entends pour la première fois. »

Cette maladie que Fanny porte en elle était-elle inscrite dans ses gènes ? Ou est-elle est la conséquence d'un douloureux secret qui prend ses racines dans les années noires de l'Occupation ?
Car Fanny, à l'âge de dix-huit ans, étudiante aux Beaux-Arts, a rencontré puis aimé un jeune officier allemand. Cette relation, découverte et réprimée par la famille de la jeune femme, s'avérera sans suite, le jeune homme ayant disparu sur le front russe à la fin de la guerre.
Sans suite ? Quelques mois plus tard naîtra Marion.

Est-ce la douleur d'avoir perdu celui qu'elle aimait qui a fait basculer Fanny peu à peu vers la folie ?
Est-ce le refus de ses parents d'accepter que leur fille se compromette avec un représentant des forces d'occupation ? Peu à peu, l'état de Fanny s'aggrave au gré de ses déceptions professionnelles et sentimentales.

Quant à Marion, elle grandit auprès de cette mère, « la femme de l'Allemand », dont les périodes de rémission alternent avec des crises de démence qui l'obligent à effectuer des sejours plus ou moins longs dans des institutions psychiatriques. Lors de ces périodes d'internement, Marion est confiée à ses grands-parents et à sa tante Elisa. C'est auprès de celle-ci qu'elle découvrira la vérité sur ses origines, sur la figure de ce père absent qui ne cesse de la hanter. Mais elle retirera bien peu d'éléments sur la personnalité de celui-ci, ignorant jusqu'à son nom ainsi que les circonstances exactes de sa disparition.
Elle ne cessera pourtant, au cours des années, de tenter de percer ce mystère afin de faire toute la lumière sur ce secret honteux qui a poussé Fanny à se brouiller de manière définitive avec ses parents. Marion n'est-elle pas, après tout, « la fille de l'Allemand » ?

Avec ce roman, Marie Sizun nous conte une histoire douloureuse et bouleversante, un récit sur une relation mère-fille érigée sur des non-dits, sur l'image, comme une empreinte en négatif, d'un père inconnu et définitivement disparu. Elle nous relate ces sentiments d'amour, d'inquiétude,de défiance, puis de haine, et enfin de pardon, qui vont s'installer progressivement entre une mère et sa fille, toutes deux marquées à jamais par le sceau du destin et par le poids de l'absence de l'autre, qu'il soit le mari ou qu'il soit le père.
D'une grande sensibilité, loin de tout effet mélodramatique, le texte de Marie Sizun nous renvoie à l' éternelle quête des origines au travers d'un récit superbement maîtrisé, d'une sobriété et d'une puissance narrative remarquables. Un très beau roman qui séduira, je n'en doute pas, celles et ceux qui auront apprécié « Lambeaux » de Charles Juliet ou encore « J'apprends » de Brigitte Giraud.


Les avis de Flo, d'Hélène, de Clarabel, de Sylire, de Marie, de Joëlle, de Chatperlipopette.






dimanche 18 mai 2008

Sugar




"La Rose pourpre et le Lys" Michel Faber. Roman. Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005.


Traduit de l'anglais par Guillemette de Saint-Aubin.





Avec « La Rose pourpre et le Lys », Michel Faber nous entraîne sur près de 1200 pages dans une immersion totale au sein de la société victorienne. Ce roman, succès planétaire, bientôt adapté au cinéma, mérite en effet que l'on se plonge dans cet imposant pavé et que l'on suive, pour plus de quelques heures, (mais plutôt pour quelques jours, voire quelques semaines) le destin fascinant des personnages principaux qui en composent la trame.

Tout commence par un lent travelling dans lequel le narrateur nous prend par la main pour nous mener, au coeur de la nuit londonienne du milieu des années 1870, vers Church Lane, une des rues les plus misérables et les plus mal famées de la capitale britannique :

« Je dois cependant vous avertir que je vous introduis bien bas : plus bas, vous ne trouverez pas. L'opulence de Bedford Square et du British Museum n'est peut-être qu'à quelques centaines de mètres, mais New Oxford Street s'étale entre ici et là telle une rivière trop large pour être franchie à la nage, et vous êtes du mauvais côté. Le prince de Galles n'a jamais, je vous l'assure, serré la main d'aucun des habitants de cette rue, ni même salué quiconque, en passant, d'un signe de tête, ni même, sous le couvert de la nuit, prélevé quelques échantillons parmi les prostituées. Car bien que Church Lane compte plus de putes que presque toute autre rue de Londres, elles ne sont pas du calibre d'un gentleman. Pour un connaisseur, une femme est d'avantage qu'une carcasse après tout ; inutile d'espérer qu'il passe outre le fait qu'ici les lits sont sales, le décor misérable, les coeurs froids et qu'il n'y a pas de fiacres qui attendent en bas.
En bref, c'est un tout autre monde, où la prospérité est un rêve exotique aussi lointain que les étoiles. Church Lane est le genre de rue où même les chats ont le flanc creux et l'oeil cave par manque de viande, le genre de rue où les hommes qui se prétendent ouvriers n'ont jamais l'air de travailler et les soi-disant lavandières lavent rarement. Ceux qui aiment à faire le bien ne peuvent en faire aucun ici, et repartent le désespoir au coeur et la merde aux souliers. Une pension modèle pour les pauvres méritants, ouverte en grande fanfare philanthropique vingt ans auparavant, est déjà tombée entre les mains de personnes peu recommandables, et a terriblement vieilli. Les autres maisons, plus vétustes, bien qu'elles soient hautes de deux ou même trois étages, exsudent une atmosphère souterraine, comme si elles avaient été excavées d'une fosse profonde, archéologie en décomposition d'une civilisation disparue. Des bâtiments vieux de plusieurs siècles se tiennent sur des béquilles de canalisations en fer, leurs blessures et infirmités enduites d'un cataplasme de stuc, gréées de cordes à linge, rapiécées de bois pourrissant. Les toits forment un fol enchevêtrement, les fenêtres supérieures sont aussi craquelées et noires que les briques des murs et le ciel semble plus solide que l'air, voûte pareille à la verrière d'une usine ou d'une gare, jadis lumineuse et transparente, aujourd'hui couverte de crasse. »

Le cadre va peu à peu se reserrer pour nous faire pénétrer à l'intérieur d'un immeuble lépreux, où se trouve la chambre misérable d'une prostituée de bas-étage. Accompagnant celle-ci, le lecteur va progressivement faire la connaissance des deux principaux protagonistes du roman. Ce sera d'abord Sugar, prostituée elle aussi, pensionnaire et fille de la patronne d'une maison de passe : Mrs Castaway.
Sugar est très recherchée pour ses multiples talents mais elle est aussi – ce qui est rarissime à l'époque dans les bas-fonds londoniens – une prostituée cultivée, amatrice de littérature. Quand elle peut bénéficier de quelques instants de solitude, elle met à profit ceux-ci pour la composition d'un roman qu'elle garde jalousement et qu'elle dissimule aux yeux de ses proches.

Ce sont justement ses connaissances littéraires et la richesse de sa conversation qui vont attirer et séduire William Rackham. Héritier des Parfumeries Rackham, William est un jeune homme qui se pique de devenir romancier en lieu et place de reprendre l'affaire familiale. Son frère aîné Henry ayant refusé de suivre les traces du pater familias pour se destiner à la religion, le chef de famille a du reporter – en vain – ses espoirs sur William. Mais le second fils Rackham préfère de loin s'imaginer en écrivain à succès et s'encanailler dans les bouges londoniens en compagnie de ses amis Bodley et Ashwell.

Mais sa rencontre avec Sugar va tout bouleverser. Très rapidement, William Rackham va être fasciné par la personnalité de la jeune femme, au point de souhaiter qu'elle n'entretienne plus d'autre commerce avec ses clients. Mais pour que Sugar n'aie plus qu'un seul client – en l'occurence lui – il va falloir débourser de l'argent. Et de l'argent, William Rackham en manque cruellement, son père ayant décidé de lui couper les vivres tant qu'il s'entêtera à ne pas vouloir reprendre l'entreprise familiale. William Rackham et sa femme Agnès – loin de vivre dans la pauvreté et le dénuement – sont pourtant obligés de surveiller leurs dépenses, de réduire leur personnel domestique et de rester à l'écart des évenements mondains de la haute société londonienne.
Mais pris de passion pour Sugar, William Rackham va remiser ses vieux rêves d'écriture et rentrer dans le giron familial en reprenant la direction des Parfumeries. Travaillant d'arrache-pied, et avec l'aide avisée de Sugar, il va remettre sur pied l'entreprise familiale qui annonçait des signes d'essoufflement. Voici que l'argent se déverse à flots sur la famille Rackham. La bonne société commence à lui faire les yeux doux. Rackham décide alors de sortir Sugar du bourbier de Church Lane et il établit celle qui dorénavant n'est plus une prostituée, mais sa maîtresse, dans un appartement d'un quartier chic. Mais le travail accapare William et il ne lui reste que bien peu de temps à consacrer à Sugar.

C'est alors que la nurse de Sophie – la fille de William et Agnès – prend son congé. Et si la solution était d'engager Sugar auprès de Sophie ? Vivant tous les deux sous le même toit, William et sa maîtresse n'auraient plus de difficultés à se retrouver.
C'est ainsi que Sugar va entrer au service des Rackham. Elle va faire connaissance de sa protégée : Sophie, mais aussi de l'épouse de William, Agnès, dont les troubles mentaux la mènent peu à peu vers la folie.
Au sein de ce foyer, Sugar va faire l'apprentissage d'un monde tout aussi dur et cruel que celui qu'elle vient de quitter. L'hypocrisie et la dissimulation règnent en effet dans cette haute-société victorienne où le moindre mot peut faire ou défaire une réputation. Sugar devra jouer d'habileté pour masquer son statut de maîtresse du chef de famille ainsi que son passé de prostituée. Elle devra évoluer au sein de la maison Rackham comme au milieu d'une jungle, ayant à se méfier non seulement des regards des proches de la famille, mais aussi des soupçons des domestiques qu'elle est appelée à cotoyer. Cette situation, si périlleuse et si fragile, pourra-t-elle perdurer ?


« La Rose pourpre et le Lys » est un véritable roman-fleuve, un de ces romans dont le nombre incalculable de pages n'empêche pas le lecteur d' avancer toujours plus loin dans la progression du récit afin d'en apprendre un peu plus sur le déroulement de ce qui est en train de se jouer sous ses yeux. Pris dans la virtuosité de ce roman ainsi que par l'intrigue, les portraits chatoyants des divers personnages rencontrés, mais aussi par les descriptions crépusculaires du Londres de l'époque victorienne, le lecteur ne peut plus se détacher de ce récit envoûtant qui nous mène des bas-fonds les plus répugnants de Church Lane aux luxueuses résidences de Notting Hill, un récit qui plonge le lecteur dans la vénéneuse hypocrisie de la société victorienne, une société où le vice, la démence et l'étroitesse d'esprit, ne sont pas l'apanage des classes les plus défavorisées mais se cachent aussi sous les lourdes tentures des grands salons de la bourgeoisie.

Ayant pris soin d'éviter la tentation du pastiche, Michel Faber se fait le narrateur d'une histoire qu'il nous conte à la manière d'un roman contemporain. Ainsi débarrassé des effets de style, son écriture nous révèle un monde sombre et violent, souvent cru, à la limite de l'obscénité, ce qui ne peut que rajouter au réalisme du récit qu'il met en scène. Le contexte historique de ce roman fera bien sûr penser à Dickens et à Wilkie Collins mais l'écriture toute contemporaine évitera au lecteur de penser qu'il est en train de lire un roman « à la manière de... »

Passionnant de bout en bout, « La Rose pourpre et le Lys » est un chef-d-oeuvre de noirceur dont les personnages hanteront longtemps l'âme du lecteur. Je ne peux que regretter que l'auteur, après nous avoir menés si loin dans son récit et après nous avoir laissés accompagner ses personnages sur près de 1200 pages, nous laisse pantois face à un dénouement qui laisse malheureusement un désagréable goût d'inachevé. C'est fort dommage mais l'on se rendra rapidement compte que c'est en fait un bien petit défaut face à la perfection de l'ensemble de ce roman. Sublime.



Merci à Stell_A du Forum « Parfum de livres... » pour m'avoir gentiment prêté cet ouvrage.
Les avis de Gaëlle, de Holly Golightly , de Rennette et de Patryck Froissart.




samedi 17 mai 2008

Le 6ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 8







"Un acte d'amour" James Meek. Roman. Editions Métailié, 2007.



Traduit de l'anglais (Ecosse) par David Fauquemberg.



Perdu au fin fond de la Sibérie, le village de Jazyk, en cette année 1919, est le théâtre de curieux évenements. Sa population, essentiellement composée de membres d'une secte religieuse, connue sous le nom de Skoptsky – dont les adeptes s'émasculent afin de se rapprocher de la pureté divine – se voient contraints de cohabiter avec un bataillon des Légions tchèques commandé par le sanguinaire capitaine Matula.

Alors que les soldats n'aspirent qu'à retrouver leurs foyers au sein de la toute nouvelle République tchécoslovaque enfin libérée du joug austro-hongrois, le capitaine Matula, lui, ne rêve que de se constituer un royaume dans cette contrée du bout du monde, royaume dont il serait, bien évidemment, le dirigeant.
Mais voici que sort de la taïga un inconnu : Kyrill Ivanovich Samarin. Cet homme dit s'être échappé d'un camp de travail – Le jardin blanc – situé à mille kilomètres plus au Nord, et raconte qu'il est poursuivi par son compagnon d'évasion qui a voulu le dévorer.
Car Samarin est une « vache » (Korova) , un de ces détenus naïfs, nourri et engraissé par un de ses compagnons de captivité afin de servir de garde-manger ambulant à celui-ci en cas de manque de nourriture lors de l'évasion.
L'homme qui poursuit ainsi Samarin afin de le dévorer est surnommé Le Mohican.

Arrivé à Jazyk, le fuyard tente d'avertir les habitants : Le Mohican est sur ses traces. Peut-être est-il déjà sur place? C'est ce qui expliquerait la mort mystérieuse d'un shaman toungouse venu à Jazyk pour négocier l'achat d'un cheval. Peut-être est-il aussi à l'origine de l'assassinat d'un soldat tchèque et de la disparition d'un palefrenier...
Samarin est capturé et interrogé par les tchèques et est placé sous la garde du lieutenant Josef Mutz dont la judéïté a attisé la haine et le mépris du capitaine Matula.
Mutz, à l'instar de ses compatriotes, désire rejoindre Vladivostok où il pourra embarquer afin de regagner la Tchécoslovaquie, mais sa hâte de retrouver sa terre natale et de fuir cet enfer blanc n'est pas seulement entravée par les atermoiements du capitaine Matula, elle est dûe aussi en grande partie à l'attachement qu'il éprouve envers celle que l'on appelle ici La Veuve.
Cette veuve, de son vrai nom Anna Petrovna, est venue s'installer à Jazyk après que son mari, lieutenant des hussards, ait disparu lors de la Première Guerre Mondiale.
Cette femme mystérieuse, devenue la maîtresse de Mutz, semble également entretenir une étrange relation avec Gleb Alexeyevich Balashov, barbier et membre principal de la secte des castrats.
Qui sont, en réalité, tous les personnages de cette histoire ? On le découvrira peu à peu au fil des pages de ce roman, alors que l'armée bolchevique s'approche du village de Jazyk, bien déterminée à éliminer le régiment du capitaine Matula (ainsi que la population, si besoin est) afin de venger le massacre que la légion tchèque a perpétré dans la ville de Staraya Krepost.
L'arrivée des Rouges à proximité de Jazik va précipiter les évenements et peu à peu les masques vont tomber. Les motivations des différents protagonistes vont apparaître au grand jour, laissant choir non-dits et contre-vérités afin de révéler leur nature profonde ainsi que les liens qui les relient les uns aux autres.

L'Enfer est – dit-on – pavé de bonnes intentions ; il est aussi, dans le roman de James Meek, pavé d'actes d'amour, actes qui peuvent aller jusqu'à s'auto-mutiler ou à se nourrir de la chair de son prochain.
Avec ce roman, James Meek, écrivain écossais, signe ici un roman russe à l'atmosphère étrange et oppressante, un drame dont l'ambiance n'est pas sans évoquer l'univers propre aux romans de Tolstoï et Dostoïevski.
Reprenant dans son récit des faits historiques avérés, James Meek nous entraîne dans un récit peuplé de personnages mystérieux, cruels et inquiétants, livrés à eux-mêmes au sein d'une nature et d'un climat hostiles, pris au piège des tourments et des vicissitudes de l' Histoire.

Flamboyant, baroque, profondément original, « Un acte d'amour » nous livre, par le biais d' un pan méconnu de l'Histoire de la Russie, un récit et des personnages hauts en couleurs, une intrigue puissamment charpentée aux accents épiques. Une réussite.

L'avis de Moustafette, de Marc, et de Chatperlipopette.


mercredi 14 mai 2008


"Un livre apporte au lecteur sa propre histoire."

(Alberto Manguel - Histoire de la Lecture)












Rogier Van der Weyden (1399/1400-1464) "L'Annonciation"

lundi 12 mai 2008

Gwenn ha Du




"Au dessous du calvaire" Hervé Jaouen. Roman. Presses de la Cité, 2005.





En cette matinée du moi de mai 1969, les portes de la maison d'arrêt de Mesgloaguen, située à Quimper, s'ouvrent pour laisser sortir un détenu. Cet homme, Corentin Kermanac'h, vient de purger vingt-cinq ans de prison. Malgré son apparence placide et résignée, un feu couve encore dans le coeur de Corentin Kermanac'h.

Après toutes ces années de détention, une seule chose lui importe : déterrer un vieux fusil qu'il avait enfoui près de la ferme familiale en 1940. Ce fusil, il compte bien s'en servir à nouveau pour assouvir sa vengeance.
Que s'est-il passé pendant cette sombre période de l'Occupation, pour que cet homme, bien des années plus tard, éprouve le besoin irrépressible de retrouver cette arme et de l'utiliser afin de régler ses comptes ? Qui est l'homme qu'il souhaite mettre en joue et abattre comme une bête malfaisante ?

C'est ainsi que commence le roman d'Hervé Jaouen et c'est en suivant ce récit que le lecteur découvrira progressivement les causes et les conséquences de cet acte qui puise ses racines dans les années noires de la seconde guerre mondiale.
En un va-et-vient entre cette année 1969 et l'époque de l'Occupation, le récit se déroule comme une mosaïque où peu à peu les éléments du drame qui va se jouer se mettent en place. À la manière d'une tragédie, l'on suit petit à petit les actes et les évenements qui vont de manière inexorable marquer le destin des principaux personnages de ce roman. C'est ainsi que l'on va faire connaissance avec la fratrie des Kermanac'h, paysans des monts d'Arrée, pris dans la tourmente de l'Histoire, une Histoire qui fera basculer leurs destins respectifs et les amènera jusqu'au déchirement et à la haine.

Au travers de cette histoire familiale où s'entremêlent secrets et esprit de vengeance, Hervé Jaouen nous conte une page de l'Histoire récente de la Bretagne, celle de l'Occupation allemande, en nous offrant un récit dénué de tout manichéisme et où le Bien et le Mal ne sont pas nécessairement là où on s'attendrait à les trouver. Ici, pas de bons résistants confrontés à de méchants allemands, mais une vision beaucoup plus nuancée de la nature humaine, une nature humaine dont les circonstances historiques ne font qu'exacerber les jalousies, les rancunes et les haines.
Mais ce récit est avant tout l'occasion de découvrir un aspect méconnu du passé de la Bretagne en revenant sur les prises de position idéologiques adoptées à cette époque par certains groupuscules nationalistes tels que le Parti National Breton, émanant du mouvement Breizh Atao ("Bretagne toujours"), mouvement séparatiste anti-français qui ne dissimulait pas ses sympathies pro-nazies et dont les brigades paramilitaires serviront d'auxiliaires aux forces d'occupation de la même manière que les miliciens du régime de Vichy.
(Au vu de la tempête d'émotions suscitée par cette partie de mon commentaire concernant la création du drapeau "Gwenn ha Du", je supprime ce paragraphe. Il appartiendra à chacun de se faire un avis à ce sujet.)
[...]
Pour en revenir au roman d'Hervé Jaouen, les personnages qu'il nous décrit dans son récit ne sont pas, contrairement aux couleurs du Gwenn ha Du, blancs ou noirs. Ils se déclinent plutôt en un camaïeu de gris plus ou moins foncés, s'éclaircissant ou s'assombrissant au fil des circonstances.
Avec ce roman, Hervé Jaouen nous offre ici une tragédie à la mode de Bretagne, un récit situé entre roman-policier, roman régionaliste et roman historique.
Passionnant et redoutablement efficace, « Au dessous du calvaire » est un livre qui se lit d'une traite, un récit de vengeance et de trahison qui captivera le lecteur jusqu'à la dernière page. Du grand art.

Un grand merci à Sylire qui m'a aimablement prêté ce livre.
Son avis à propos de ce roman est ici, ainsi que celui de Yvon et de Chatperlipopette.




Le "Gwenn ha Du"

vendredi 9 mai 2008

Le temps d'une escapade

Petite escapade à St. Malo ce week-end pour le festival "Etonnants Voyageurs" où nous allons glaner quelques livres, écouter quelques conférences et, peut-être, rencontrer quelques auteurs, dont, entre autres : Olivier Adam, Tahar Ben Jelloun, Joseph Boyden, Sorj Chalandon, Didier Daeninckx, Rébecca Dautremer, Moussa Konaté, Björn Larsson, Michèle Lesbre, Iain Levison, Alain Mabanckou, Patrick Rambaud, Jean Rouaud, Xinran, et encore bien d'autres...

A Bientôt.


dimanche 4 mai 2008

23, rue du Bosphore




"Le messager d'Alger" José Carlos Llop. Roman. Editions Jacqueline Chambon, 2006


Traduit de l'espagnol par Edmond Raillard.





Carlos Ofila Klein est un homme hanté par le passé. Non seulement le sien, mais aussi celui des autres, de tous ces hommes et ces femmes – des vieillards – qu'il rencontre et qu'il invite à venir raconter leurs souvenirs dans l'émission radiophonique qu'il anime.

« Je suis un interviewer de vieillards. C'est pourquoi mon émission s'appelle La morgue. Parce que j'interviewe des cadavres ambulants. Des gens qui ont vécu dans un monde qui n'existe plus. Un monde que ne survolaient pas les hélicoptères et où les scarabées étaient dans les champs et les jardins, pas sur l'asphalte et les trottoirs comme maintenant. Certains scarabées ont l'air de lourds chars d'assaut s'avançant à travers l'épaisseur d'un bois ; d'autres se déplacent aussi vite qu'une voiture blindée dans le désert. Beaucoup sont piétinés et tombent dans la bataille. Alors leurs élytres chitineux s'ouvrent et ils montrent leurs parties molles, agonisant sur le trottoir jusqu'à ce qu'un autre pied les écrase définitivement. Comme les vieillards de mon émission qui ont pedu leur chitine et leurs élytres et leur carapace et ne vivent que des souvenirs de leurs parties molles : jusqu'au moment où leur propre mémoire, qui réside dans la zone la plus faible de leur cerveau, finit par les écraser. Comme la vie écrase tous ceux qui ne se nourrissent que de leurs souvenirs. Eh bien oui : je suis l'archiviste de ces souvenirs, le mémorialiste d'un monde que je n'ai pas connu, le compilateur d'un monde que je ne me résigne pas à voir disparaître. [...]

J'aime mon travail. J'aime écouter les histoires des autres, les mots des autres quand quand ils me racontent tout ce que je n'ai pas connu. Ils me racontent la vie des autres. J'ai la sensation d'être un homme qui écrit une étrange encyclopédie d'archéologie et de choses mortes tandis que le monde change autour de lui. Un homme qui fixe la vie qui a précédé ces changements qui lui échappent. Parce que, je l'ai déjà, dit, c'est comme si tout ce qui arrive maintenant n'arrivait plus jamais. J'aime mon travail parce que c'est un travail inutile, parce que je sais que c'est un travail qui ne procure aucune richesse à personne ; ni aucun pouvoir. Et c'est un soulagement : savoir que dans le fond je ne travaille que pour moi. »

C'est à l'occasion de l'une de ces émissions qu'il fait la connaissance d'un curieux personnage : un antiquaire du nom de Jorge Baker. Cet homme, Carlos Ofila Klein est persuadé de l'avoir déjà vu il y a de nombreuses années, chez ses grands-parents. Pour lui, il n'y a pas doute, et malgré les dénégations de l'homme, Carlos Ofila Klein sait qu'il a devant-lui celui que sa grand-mère avait surnommé « le messager d'Alger ».
La rencontre – apparemment fortuite – avec cet homme resurgi du passé va pousser l'animateur de radio à replonger dans le passé de sa propre famille, à la recherche de ses parents dont il a perdu la trace, mais aussi à la recherche du passé trouble qui environne la personnalité de son grand-père, Le Dr; Klein.
Mais à trop gratter dans les vestiges du passé, il arrive que celui-ci puisse s'avérer inattendu et fasse remonter à la surface des secrets inavouables.

Quête de la mémoire, exhumation du passé, le roman de José Carlos Llop nous entraîne au coeur d'une ville méditerranéenne dans un futur immédiat, où les attentats se multiplient à tel point que la démocratie ne semble plus être qu'une vague réminiscence d'un passé si proche mais pourtant si lointain. Devant la menace, les libertés individuelles sont en train de disparaître peu à peu, laissant la place à une société ultra-sécuritaire. Dans ce monde en pleine métamorphose, Carlos Ofila Klein s'accroche au passé, aux souvenirs des uns et des autres afin de renouer avec une époque révolue mais aussi afin d'éclairer les zones d'ombre qui cernent ses propres origines.

Né en 1968 d'un couple engagé dans le mouvement hippie, Carlos va être confié à la garde de ses grands-parents après que son père et sa mère se soient séparés pour d'obscures raisons. Après une petite enfance vécue dans le milieu bohême propre à ces années, l'enfant va se retrouver dans l'appartement du 23 rue du Bosphore, un appartement où règne un silence sépulcral, et dont le maître des lieux – le Dr. Klein – semble avoir assis sa fortune sur des fondations aussi mystérieuses que troublantes.

C'est bien des années plus tard, à l'âge de quarante-deux ans, que Carlos Orfila Klein va retrouver des traces de ses parents ainsi que des indices sur l'inavouable passé de son grand-père. Mais pour cela, il devra percer à jour l'étrange et inquiétante personnalité de Jorge Baker, « le messager d'Alger ».

Le roman de José Carlos Llop nous offre un récit poétique aux phrases envoûtantes, une narration parsemée d'allusions culturelles et historiques, rythmée par les grands succès musicaux des années 70 chantés, entre autres, par Neil Young, Bob Dylan, Buffalo Springfield et les Pink Floyd. Il nous invite à une réflexion sur la fascination qu'exerce le passé sur ceux dont les origines ont été occultées pour diverses raisons : familiales, politiques, idéologiques...
C'est un roman passionnant, vaguement inquiétant de par ses allusions à un futur proche qui ressemble déjà étrangement à notre présent, un roman dont je ne peux déplorer que le fait qu'il ne fut pas plus long. En effet, José Carlos Llop nous mène sur des pistes qu'il ne fait qu'ébaucher et dont le lecteur avide que je suis aurait voulu qu'elles fussent plus fouillées. De nombreux éléments présents dans ce récit mériteraient à eux seuls un roman à part entière. Il est dommage que l'auteur nous laisse ici sur notre faim ; à moins que son but ait été de nous laisser imaginer les différentes ramifications de son récit.

Toujours est-il que je suis ressorti de la lecture de ce récit avec beaucoup de plaisir mais aussi avec un vague sentiment d'insatisfaction face à ces allusions historiques et romanesques foisonnantes qui, hélas! M'ont laissé sur ma faim. Dommage ! Mais il n'empêche que José Carlos Llop est un auteur dont je découvrirais avec grand plaisir d'autres oeuvres telles que « Le rapport Stein » et « Parle-moi du troisième homme ».




Merci à Kenavo du Forum littéraire "Parfum de livres...Parfum d'ailleurs" qui m'a fait découvrir ce roman et cet auteur.

jeudi 1 mai 2008

Conte de la folie ordinaire




"Chroniques de l'oiseau à ressort" Haruki Murakami. Roman. Editions du seuil, 2001.


Traduit du japonais par Corinne Atlan avec Karine Chesneau.





Je l'avoue à ma grande honte, je n'avais jamais, jusqu'ici, ouvert un roman de Haruki Murakami. Ce n'était ni par paresse, ni par manque d'intérêt, mais il se trouve que la quantité de livres de ma PAL atteint des proportions himalayennes. Quand j'achève la lecture d'un roman, le choix du prochain livre à découvrir est parfois dû au hasard ou au gré de mes envies, mais aussi à la nécessité – quand le livre a été emprunté à des proches ou à la bibliothèque – de rendre celui-ci au plus vite à son (sa) propriétaire.
Les « Chroniques de l'oiseau à ressort », de même que « Kafka sur le rivage » (que je n'ai pas encore ouvert) font partie de ma bibliothèque personnelle, ce qui explique le peu d'empressement que j'aie mis à découvrir cet auteur, sachant que ces deux romans m'attendaient, sagement posés sur leur rayonnage. J'ai donc temporisé jusqu'à cette journée ( froide et pluvieuse, faut-il le préciser?) de la fin du mois de mars où je me suis enfin décidé à prendre ce livre en main et à découvrir cet auteur dont j'avais entendu chanter les louanges depuis fort longtemps.

C'est ainsi que je me suis immiscé dans la vie en apparence banale de Toru Okada, un jeune chômeur confronté à la disparition de son chat. Ayant renoncé à une activité professionnelle pour laquelle il n'éprouvait que peu d'intérêt, Toru Okada est devenu homme au foyer, assumant les tâches domestiques tandis que Kumiko, sa femme, se rend tous les matins à son travail. Celle-ci lui donne pour mission de rechercher le chat qui n'a pas donné signe de vie depuis quelques jours. C'est dans la ruelle, un passage abandonné qui donne sur l'arrière des jardins du quartier, que Toru Okada va se lancer à la recherche de l'animal disparu. C'est en longeant l'un de ces jardins qu'il va faire la connaissance d'une étrange et fantasque adolescente : May Kasahara. Mais il va également recevoir à son domicile d'étranges coups de téléphone d'une inconnue, rencontrer tour à tour deux soeurs, Creta et Malta Kano, se faire narrer l'histoire cruelle du lieutenant Mamiya survenue dans les steppes de Mongolie lors du conflit russo-japonais, faire face à la disparition inopinée de Kumiko, à l'inquiétante personnalité de son beau-frère, Noboru Wataya, devenir l'associé de Muscade et Cannelle, mais aussi et surtout découvrir dans le jardin d'une maison abandonnée un vieux puits asséché propice à la méditation et à l'évasion, tout ceci sans oublier les trilles du mystérieux oiseau à ressort.

On l'aura compris, ce roman est irracontable tant il apparaît dense et touffu, émaillé de digressions de toutes sortes, d'images oniriques et de situations surréalistes. Dès la première page, on se laisse emporter par la petite musique que distille Haruki Murakami et l'on se laisse guider comme un aveugle qu'il aurait pris par la main afin de nous faire découvrir peu à peu le dédale que constitue son récit. On se laisse ensorceler par cette narration qui semble partir dans tous les sens mais qui ne laisse pas de nous intriguer et de nous passionner tout au long de cette histoire débutant de manière apparemment si anodine et qui, progressivement, nous mène aux frontières de la réalité et du fantastique.
En cela, Haruki Murakami est un conteur exceptionnel, capable de nous envoûter par son récit, de nous faire redevenir de tous petits enfants béants d'admiration et de stupeur en écoutant les paroles distillées de manière à nous faire rester cois, la machoire pendante et la bouche ouverte, tant la magie de sa prose nous hypnotise, nous ensorcelle et nous laisse pantois une fois l'histoire achevée.

Ce fut pour moi une bien belle aventure que cette découverte de l'univers de Murakami, une expérience poétique et onirique qui m'a passionné de la première à la dernière page de son récit. Je me suis abandonné avec délectation au rythme hypnotique de ses images et de ses multiples récits imbriqués les uns dans les autres, parfois dérouté, mais toujours enchanté par cette prose que l'on dirait inspirée par l'Ange du Bizarre.
Bien sûr, la lecture de ce roman n'a pas fait de moi un fanatique de Murakami et je réserve pour plus tard l'occasion de découvrir plus intimement son oeuvre romanesque, ne voulant pas céder à une tentation qui s'apparenterait à de la boulimie. Cette première expérience s'est avérée concluante et je sais d'ores-et-déjà que je relirai un jour proche ou lointain d'autres oeuvres de Murakami, pour le plaisir de redevenir comme un enfant innocent, accroché et envoûté par les paroles du conteur.


1er Mai : Fête du Travail


"L'esclavage humain a atteint son point culminant à notre époque sous forme de travail librement salarié."