mardi 30 janvier 2007

Avant-Première


ODETTE TOULEMONDE. Eric-Emmanuel SCHMITT. 2007

Hier soir lundi 29 Janvier, le cinéma Les Baladins de Guingamp nous offrait en avant-première une projection du film d'Eric-Emmanuel Schmitt: Odette Toulemonde, en présence de deux des acteurs: Nicolas Buysse et Fabrice Murgia. Malheureusement pour nous, Eric-Emmanuel Schmitt qui devait être présent, n'a pas pu être des nôtres pour raison de santé.

La soirée à débuté, et c'est devenu si rare qu'il faut le signaler, par un petit bijou de court-métrage signé Xavier Diskeuve: Mon cousin Jacques dont le personnage central, un vieux garçon timide et emprunté, fils de fermier, tente maladroitement de rencontrer l'âme soeur.
Après cette petite merveille de court-métrage humoristique a débuté la projection d'Odette Toulemonde, et tout de suite nous avons été seduits par l'atmosphère tendre et poétique de ce film. Rappelons-en tout d'abord l'argument principal: Odette Toulemonde (Catherine Frot) est une petite femme discrète, vendeuse au rayon parfumerie d'un grand magasin de Charleroi; veuve, elle vit avec ses deux enfants dans un minuscule appartement à la décoration kitschissime faite de poupées espagnoles et de posters de plages exotiques au crépuscule. Mais Odette, personnage insignifiant et ordinaire à une secrète passion: la lecture de romans de son auteur préféré: Balthasar Balsan (Albert Dupontel). Celui-ci, auteur à succès, se fait laminer par la critique que fait de son dernier livre l'écrivain Olav Pims( Jacques Weber), déclarant lors d'une émission littéraire que Balsan ne produit que de la sous-littérature pour caissières de supermarchés. Déprimé, ridiculisé, trompé par sa femme, Balsan tentera de se suicider. N'ayant pu parvenir à ses fins, désespéré au point d'envisager de cesser d'écrire, Balsan, grâce à une lettre que lui avait auparavant envoyé sa fidèle admiratrice, va faire la connaissance d'Odette. Ces deux êtres qu'apparemment tout sépare, le milieu social, la culture et le mode de vie, vont peu à peu s'apprivoiser, s'aimer et répandre le bonheur autour d'eux.
On l'aura compris , le film d'Eric-Emmanuel Schmitt est une comédie résolument optimiste, un conte de fées moderne qui n'est pas sans rappeler par certains aspects Amélie Poulain ainsi que les films de Capra, voire de Disney.
Ce film est aussi et avant tout l'hommage d'un écrivain envers ses lecteurs, figures anonymes sans lesquelles la littérature et les écrivains seraient inutiles.
Odette Toulemonde est un film tendre et rafraîchissant, porté à bout de bras par une Catherine Frot toujours aussi sublime, lumineuse et bouleversante, nous faisant passer du rire aux larmes en un clin d'oeil. Les autre rôles sont incarnés par des acteurs qui manifestement se sont donné énormément de plaisir lors du tournage. Le ton est juste, les dialogues soignés, la poésie est omniprésente et les chorégraphies de Catherine Frot sur les chansons de Joséphine Baker sont irrésistibles. Que dire de plus , si ce n'est que nous avons passé un excellent moment de cinéma.
Si, une chose encore: les critiques cherchent apparemment et pour d'obscures raisons (Eric-Emmanuel Schmitt serait-il un auteur trop "populaire" à leur goût?) à éreinter le film. N'écoutez pas ces Cassandre, allez au cinéma voir ce film et faites-en vous mêmes votre propre opinion.


lundi 29 janvier 2007


"Le temps de lire est toujours du temps volé. C'est sans doute la raison pour laquelle le métro se trouve être la plus grande bibliothèque du monde." ( Daniel PENNAC )

Ronin


LES CONTES DU SEPTIEME SOUFFLE.
Eric ADAM & Hugues MICOL. Bande-Dessinée. Vents d'Ouest, 2006.

Dans le Japon de l'ère Edo,un jeune samouraï , Toho Daisuke cherche à découvrir la vérité sur son père dont la réputation est ternie par une mort honteuse au combat. Résolu à faire toute la lumière sur cette accusation, il part donc sur les chemins, en quête d'informations susceptibles d'éclairer le destin de son géniteur. Son errance, faite d'interrogations et de d'épreuves spirituelles et guerrières, amènera le lecteur, au cours des quatre albums qui composent le récit, à revisiter les grands thèmes de contes traditionnels tels que "Barbe-Bleue""Le vaillant petit tailleur", habilement retranscrits dans le Japon médiéval et au service d'une histoire passionnante qui n'est pas sans évoquer les films de Kurosawa ou le Zatoichi de Kitano.

"Les contes du septième souffle" est une oeuvre épique et intimiste, dotée d'un scenario envoûtant, servie par un dessin sombre et nerveux où s'opposent ombres et lumières dans des tableaux évoquant les scènes d'estampes traditionnelles japonaises. Magnifique et indispensable.

vendredi 26 janvier 2007

Rions un peu...


PARFOIS JE RIS TOUT SEUL. Jean-Paul DUBOIS. Chroniques. Le Seuil, 2007

Jean-Paul Dubois, reporter au Nouvel Observateur, lauréat du Prix Femina 2004 pour Une vie française signe ici un petit recueil de chroniques teintées d'absurde et d'humour noir. Je ne résiste pas à la tentation de recopier l'une de celles-ci en guise d'échantillon:


LOUPS

Chaque fois que j'appelais chez elle, je tombais sur son répondeur. Un jour, sachant qu'elle était dans son appartement, je lui ai laissé un message: "Je suis devant un téléphone cerné par les loups. Il y en a au moins douze. Sachant que je mesure un mètre quatre-vingt-deux et qu'un loup dévore quinze centimètres d'homme à la minute, tu as exactement douze minutes pour me rappeler." J'ai attendu une heure devant le combiné. Et puis je me suis rendu compte que j'avais oublié de lui donner mon numéro. Faut dire qu'avec tous ces loups autour, je n'avais pas toute ma tête.


mardi 23 janvier 2007

Road-Movie finlandais


PETITS SUICIDES ENTRE AMIS. Arto PAASILINNA. Roman. Gallimard 2005.
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail.


"Le plus grave dans la vie c'est la mort, mais ce n'est quand même pas si grave."

C'est par cette maxime populaire que s'ouvre le roman de Paasilinna "Petits suicides entre amis."

Par un beau matin du mois de Juin, Onni Rellonen, petit chef d'entreprise en faillite, prend la résolution de se suicider. Il se rend à cet effet dans une grange abandonnée afin de mettre discrètement fin à ses jours. C'est alors qu'il s'aperçoit que l'endroit est déjà occupé. Qui plus est par un autre candidat au suicide, le colonel Hermanni Kampainnen. Fort désappointés tous les deux par cette rencontre fortuite, ils sont bien obligés de reconnaître que, en ces temps incertains, nombreux sont les candidats au suicide. Alors germe une idée: pourquoi ne pas réunir en association tous les candidats à l'autolyse? A cet effet, ils rédigent alors et publient une petite annonce dans une quotidien finlandais. Et c'est un succès. Les désespérés, les désabusés, les déçus de l'existence répondent en masse. C'est alors que commence, à bord d'un autobus flambant neuf, une odyssée en forme de road-movie qui conduira nos suicidaires, bien déterminés à en finir avec la vie, à sillonner le réseau routier finlandais et à traverser l'Europe du nord au sud en un voyage épique riche en rencontres et en rebondissements cocasses.

Arto Paasilinna nous livre une fois encore, en abordant un sujet à priori empreint de gravité: la mort et le suicide, une fable loufoque et décapante, menée à cent à l'heure et qui, au cas où nous aurions tendance à être fâchés avec elle, nous réconcilie avec la vie. Un pur bonheur.

Biographie d'un Troll


LES BRIGANDS DE LA FORET DE SKULE. Kerstin EKMAN. Roman. Actes Sud, 1993.
Traduit du suédois par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach.


Skord vit dans la forêt suédoise. Skord est un troll. Le hasard le pousse un jour à côtoyer ces étranges créatures que sont les humains. A leur contact, il apprendra progressivement le langage et l'écriture. Il prendra peu à peu figure humaine et, du haut moyen-âge jusqu'au XIXè siècle, il connaîtra maintes péripéties et fera la rencontre de nombreux personnages de la petite et de la grande Histoire. Tour à tour vagabond, disciple d'un clerc en exil, brigand, apprenti alchimiste, médecin durant la Guerre de Trente Ans, guérisseur adepte du mesmérisme, Skord - parce que sa vie est considérablement plus longue que celle des humains - endossera de nombreuses incarnations au cours des siècles. Toutes l'amèneront à méditer sur l'impermanence et la brièveté de l'existence des êtres et des choses. Dans ce monde où tout change, tout meurt et se transforme, Skord- soumis lui aussi à cette loi inéluctable- ne gardera comme point de repère que la Nature immuable de la forêt de Skule où rôdent les brigands dont il partagera l'existence à plusieurs reprises.

Remarquablement écrit et traduit, le roman de Kerstin Ekman est une réflexion sur le mouvement perpétuel du monde et de l'univers, un hymne envoûtant à la Nature et à ses cycles annuels de morts et de renaissances, une méditation sur la brièveté de la vie et le caractère tout aussi changeant de la nature humaine. Empreinte de poésie, entre conte merveilleux et roman historique, "Les brigands de la forêt de Skule" est une oeuvre atypique et fascinante où le rationnalisme ne peut que s'incliner devant le mystère de la Nature.
(A propos de ce livre, voir l'avis de Chimère.)

samedi 20 janvier 2007


Les Dieux sont tombés sur la tête.


ANANSI BOYS. Neil GAIMAN. Roman. Editions Au Diable Vauvert, 2006.
Traduit de l'anglais par Michel Pagel.

Pour me détendre, après l'atmosphère pesante des "Bienveillantes" de Littell, j'ai lu ANANSI BOYS de Neil Gaiman. Et pour ce qui est de la détente, voire de la rigolade, j'ai été servi!
Jugez plutôt:
Gros Charlie Nancy mène une vie sans histoires. Comptable dans une société londonienne, il se prépare à convoler en justes noces avec sa charmante fiancée Rosie. Jusqu'ici rien que de très banal. Mais voilà que son père vient à décéder d'un arrêt cardiaque dans un bar de Miami. Arrivé aux Etats-Unis pour les obsèques de ce père qu'il a toujours trouvé insupportable de par sa mythomanie et son goût immodéré pour les blagues douteuses, Gros Charlie apprend fortuitement que son géniteur n'était autre que le dieu Anansi, le dieu-araignée, incarnation de la ruse et du renversement de l'ordre social. Apprendre que l'on est le fils d'un dieu est déjà en soi un évènement susceptible de vous faire péter les plombs mais quand Gros Charlie se retrouve avec sur les bras un frère doté de pouvoirs divins et dont il avait jusqu'ici ignoré l'existence, sa vie qui jusqu'ici semblait toute tracée cède tout à coup la place à un vaste désordre aux implications cosmiques.

Mais ANANSI BOYS, ce romant hilarant et déjanté, ce n'est pas que cela. C'est aussi un quatuor de vieilles dames respectables adeptes de la magie, un homme d'affaires véreux aux pulsions criminelles, une belle-mère acariâtre, un fantôme épris de vengeance, des oiseaux tueurs tout droit sortis du film d'Hitchcock, un citron vert... et une bonne dose de karaoké.

Mais après tout, le mieux placé pour en parler c'est l'auteur, Neil Gaiman lui-même: "Si on devait définir ANANSI BOYS, ce serait une épopée magico-horrifico-thrillo-fantastico-romantico familiale, même si cela exclut son côté polar et tout son aspect culinaire."

vendredi 19 janvier 2007

Goncourt 2006


LES BIENVEILLANTES. Jonathan LITTELL. Roman.Gallimard 2006.

Il est rare que je lise le Goncourt l'année même où il a été décerné. D'abord parce que de manière générale le choix du lauréat m'apparaît trop souvent partial. Ensuite, il ne suscite pas nécessairement mon intérêt en ce qui concerne le sujet du récit où la manière dont il est traîté. Et plus prosaïquement, je préfère acheter trois où quatre livres de poche plutôt que d'avoir à casser ma tirelire pour la seule et vaine satisfaction de posséder "le Goncourt."

Mais comme cette année on me l'a gracieusement prêté ( merci Annaïg ), je me suis donc attelé à la lecture de cet imposant pavé de neuf cents pages qui à fait ( et continue à faire ) couler beaucoup d'encre.

Je viens donc de refermer Les Bienveillantes et, à l'instar des critiques et avis que j'ai pu lire avant et au cours de ma lecture, je suis partagé sur l'impression que m'a laissé ce roman.

Tout d'abord, j'en ressors vaguement nauséeux après avoir dû suivre pendant près d'une semaine de lecture le parcours de Maximilian Aue, cadre de la SS et artisan de la "solution finale."Après avoir assisté à tous ces massacres, après avoir été l'auditeur de toutes ces conversations sur l'idéologie nationale-socialiste et après avoir enduré les délires pornographico-scatologiques du narrateur, j'éprouve, le livre achevé, une impression de malaise, voire de dégoût.
Je pense que en cela Jonathan Littell à atteint le but qu'il s'était fixé en écrivant ce livre: nous inspirer de la répulsion pour les personnages qu'il met en scène, nous faire toucher du doigt l'abomination d'une idéologie perverse et mortifère.
Pour arriver à ses fins, Littell ne nous épargne rien en usant de descriptions d'une violence trop souvent outrancière: on ne compte plus les litres de sang et les entrailles déversés, les yeux giclant des orbites, les crânes fracassés répandant la matière cervicale.
On peut regretter aussi une phraséologie censée tomber à propos mais qui hélas s'égare parfois et frise le mauvais goût: "[...] mais très souvent dans la journée ma tête se met à rugir, sourdement comme un four crématoire." (p.14)
Cette accumulation de descriptions sordides et sanguinolentes, si elle peut s'avérer nécessaire pour décrire la barbarie du nazisme, finit, à force de répétitions, par écoeurer le lecteur, voire même à susciter en lui une forme d'indifférence face à la souffrance d'autrui. Mais ne serait-ce pas là non plus le but recherché par Littell? Ne cherche-t-il pas à faire de nous , à l'instar de ses personnages, des êtres insensibles et dénués de toute compassion? des êtres pour qui la mort de l'autre, homme, femme ou enfant, n'est somme toute qu'une chose dérisoire? Car plusieurs fois au cours du récit, le narrateur veut nous démontrer que ces atrocités ne sont pas le fait d'abominables sadiques mais de personnages ordinaires:vous, moi, le voisin de palier...Que dans des circonstances différentes chacun de nous pourrait devenir un de ces tortionnaires. Robert Merle l'avait déjà démontré avec La mort est mon métier en dressant le portrait d'un Rudolf Hoess dévoué et obéissant aux ordres, sans états d'âme et reportant les responsabilités de ses actes sur ses supérieurs. Le personnage principal du roman de Littell ,lui, assume pleinement ses responsabilités et justifie celles-ci par l'ambition et la foi qu'il porte envers l'idéal national-socialiste. Maximilian Aue et ses comparses, loin d'incarner des brutes sanguinaires, apparaissent plutôt comme des arrivistes soucieux de leur carrière, prêts à tout pour arriver au sommet: des Golden Boys du nazisme. Littell fait donc de ces personnages des êtres qui ne sont après tout pas si différents de certains d'entre nous, de ceux qui sont prêts à tous les compromis, de ceux qui sont prêts à sacrifier toute morale sur l'autel de la réussite sociale.
Là où le bât blesse, c'est que, dans sa description d'un personnage qu'il voudrait ordinaire afin de nous faire ressentir le risque pour chacun d'entre nous de devenir un bourreau, Littell nous dresse le portrait d'un personnage qui, justement, n'est pas ordinaire. Maximilian Aue, frère incestueux, soupçonné de matricide et doté de pulsions et de fantasmes sexuels troubles ne peut que nous sembler différent, en marge, ce qui empêche le lecteur de s'identifier à lui et par conséquent de se positionner en tant que tortionnaire potentiel.
Au crédit de ce livre, on peut également saluer l'énorme travail de reconstitution historique qui plonge le lecteur dans une immersion totale. La somme de détails et de faits de la grande et de la petite Histoire est proprement phénoménale et révèle un travail de documentation gigantesque.

En bref, Les Bienveillantes, malgré son caractère parfois outrancier, son argumentaire troublant et dérangeant, est une oeuvre puissante et vertigineuse, un roman-miroir qui invite chacun de nous à s'interroger sur sa propre humanité.

mercredi 17 janvier 2007




"Je trouve que la télévision à la maison est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu'un l'allume chez moi, je vais dans la pièce d'à côté et je lis." (Groucho Marx)

lundi 15 janvier 2007

Aventures précolombiennes


APOCALYPTO. Mel GIBSON. 2006

Ne tenant pas compte des critiques intello-parisiano-bobos de Télérama et des Inrocks qui sabrent le film, nous sommes allés voir hier la dernière réalisation de Mel Gibson. Et j'avoue , n'en déplaise aux représentants de la Nomenklatura de la critique cinématographique, que j'ai passé un bon moment à regarder ce film.

Certes, Apocalypto n'est pas exempt d' erreurs historiques, de maladresses et et de faiblesses scénaristiques flagrantes, mais peut-être ne faut-il ,après tout , prendre ce film que pour ce qu'il est: un divertissement qui nous plonge dans une aventure exotique se déroulant dans l'amérique précolombienne. Le (mince) scenario,qui commence avec une tribus d'indiens rigolards, amateurs de blagues de potaches, attaqués par les méchants Mayas esclavagistes, sadiques et décadents, afin d'être sacrifiés au dieu Kukulkan (version Maya de Quetzalcoatl, le serpent à plumes des aztèques) relève d'un manichéisme simpliste caractéristique du cinéma américain. En effet, si les décors, les costumes et la reconstitution de la cité Maya sont superbement restitués, pourquoi a t'il fallu faire de cette brillante civilisation une horde de dégénérés assoiffés de sang, corrompus et cruels? Bien sûr les civilisations précolombiennes n'ont pas lésiné sur les sacrifices humains pour satisfaire leurs dieux (qu'on pense aux Aztèques qui sacrifièrent 20 000 victimes pour l'inauguraution du grand temple de Mexico-Tenochtitlan) mais cela n'en faisait pas pour cela des psychopathes dignes de films d'horreur de série B. Quid de cette brillante culture, de ses arts, ses sciences, son mode de vie sophistiqué? Rien. Mel Gibson, nous resservant le mythe du bon sauvage s'opposant au méchant civilisé n'apporte qu'une réponse simpliste et mille fois rebattue qui sent le réchauffé.

Ajoutons à tout cela un scenario basique et linéaire, aux nombreuses invraisemblances et qui frise parfois le ridicule: ainsi, cette scène de sacrifice humain débutant de manière impressionnante mais qui sombre ensuite dans un dénouement digne de Tintin et le temple du soleil.

Quant aux nombreuses critiques faisant état d'un film d'une violence insoutenable, il serait juste d'y apporter un bémol. Oui, le film comporte des scènes de violence, mais pas plus qu'un Scorcese ou un Tarantino. Et comment évoquer les civilisations précolombiennes sans montrer les sacrifices rituels exercés quotidiennement à l'époque? Heureusement pour certaines âmes sensibles, Mel Gibson n'a pas choisi pour sujet de son film la civilisation aztèque dont les sacrifices au dieu Xipe Totec comportaient décapitation et écorchement de la victime dont le prêtre revêtait ensuite la peau.

Bref, Apocalypto est un film inégal, fascinant en ce qu'il décrit un univers étrange et chatoyant malheureusement jamais traité au cinéma, mais hélas décevant par les faiblesses de son scenario qui le réduisent à un bon film d'aventures, original et dépaysant, ni chef-d'oeuvre, ni nanar, mais qui offre toutefois au spectateur un pur moment de divertissement. Mais après tout, nous divertir, n'est ce pas là la finalité première du cinema?

samedi 13 janvier 2007

Un Don Quichotte British


LES AVENTURES DE SIR LAUNCELOT GREAVES. Tobias SMOLLETT. Roman. Editions Joëlle Losfeld 1996.
Traduit de l'anglais par Serge Soupel.


L'écrivain écossais Tobias Smollett (1721-1771) qui traduisit en anglais Don Quichotte s'est fortement inspiré de Cervantès pour créer le personnage central et l'argument des Aventures de Sir Launcelot Greaves. Comme son illustre modèle, le héros de ce roman, bien qu'il soit jeune et non atteint de sénilité, revêt une armure et part sur les chemins afin de vivre en chevalier errant redresseur de torts. Pris d'une douce folie passagère occasionnée par ses amours contrariées pour la belle Aurelia, le jeune homme, rompant avec le mode de vie qui fut le sien jusqu'alors, se lance à coeur perdu dans son fantasme anachronique de défenseur de la veuve et de l'orphelin. Accompagné d'un écuyer couard et rustaud, il parcourt la campagne anglaise où il vivra maintes aventures cocasses et rencontrera de nombreux personnages qui ne le sont pas moins.

Ce roman, même s'il n'a pas la prétention d'égaler son modèle espagnol, est pour le lecteur l'opportunité de découvrir un instantané de la société rurale anglaise du XVIIIè siècle, au moment où commence à s'affirmer, comme un peu partout en Europe, la bourgeoisie, classe moyenne qui tend à se libérer des principes aristocratiques qui jusqu'alors régissaient les arts et la société. C'est aussi, et surtout, pour notre plus grand plaisir, l'occasion d'apprécier le talent de Smollett qui, à l'instar du peintre Hogarth ( dont il était contemporain) nous dépeint des personnages truculents comme celui du Capitaine Crowe qui ne s'exprime que dans un curieux dialecte emprunté au jargon de la Marine, ou Thomas Clarke, jeune avoué utilisant à tout propos des termes inspirés du langage juridique.

Ce roman picaresque en forme de conte moral, librement inspiré de Don Quichotte , n'est pas non plus sans rappeler, pour le portrait qu'il fait de la société de son époque, les oeuvres de Fielding et de Sterne. Les aventures tragi-comiques de Sir Launcelot, empêtré dans sa quête éperdue de l'amour de sa belle font de ce petit livre plein de fraîcheur un excellent divertissement.

jeudi 11 janvier 2007


Bientôt treize mois de chômage. Pour me remonter le moral cette citation de Confucius:


"Ne vous souciez pas d'être sans emploi, souciez vous plutôt d'être digne d'un emploi.
Ne vous souciez pas de n'être pas remarqué; cherchez plutôt à faire quelque chose de remarquable."

mercredi 10 janvier 2007

A l'ombre de la cathédrale...


LES MORTS REVIENNENT TOUJOURS. Charles PALLISER. Phebus 1999. Traduit de l'américain par Eric Chedaille.


Charles Palliser, l'auteur du Quinconce, ce diabolique roman-piège qui fut un succès mondial nous offre avec Les morts reviennent toujours un nouveau casse-tête littéraire en forme d'énigme policière. Quittant les quartiers de Londres et l'ambiance "dickensienne" du Quinconce , l'auteur nous transporte à la fin du XIXè siècle dans une ville endormie et brumeuse du Wessex, dominée par son imposante cathédrale et son enceinte médiévale. Le narrateur principal, Courtine, professeur d'Histoire à Cambridge, s'y rend pour quelques jours afin de rendre visite à un ancien ami et camarade d'études , ainsi que pour recueillir des informations concernant ses recherches sur la vie du roi Alfred de Wessex qui vécut au IXè siècle. L'atmosphère mysterieuse de la ville, l'attitude étrange de son vieil ami, la découverte d'un cadavre, probablement assassiné au XVIIè siècle, ainsi que le meurtre sauvage et énigmatique d'un notable bouleverseront ce séjour initialement consacré au repos et à l'étude.

Une fois de plus, Charles Palliser joue avec nos nerfs et notre sens de la logique en nous offrant une intrigue policière d'une redoutable efficacité. L'atmosphère d'étrangeté dans laquelle baigne le récit, avec sa cathédrale et ses maisons aux pignons gothiques noyées dans la nuit et la brume, ainsi que les personnages So British, tout concourt dans ce roman à évoquer les ambiances chères à Agatha Christie et Conan Doyle. L'érudition, le sens du détail et de la mise en scène, le ton volontairement désuet, le rythme ( faussement) nonchalant du récit, font de ce livre un petit chef-d'oeuvre du suspense, roman à tiroirs mêlant de multiples intrigues afin de manipuler et d'égarer ( pour son plus grand plaisir) le lecteur qui rebondit de certitudes en chausse-trappes jusqu'à l'ultime conclusion du roman.

En digne émule d'Hitchcock et de Wilkie Collins, Charles Palliser démontre une fois encore son talent d'architecte du mystère, sa maîtrise de l'intrigue et sa capacité à fourvoyer le lecteur dans sa quête de la vérité. En conclusion, rien à voir ici avec les romans du style Da Vinci Truc et autres bouquins qui font florès actuellement. Les morts reviennent toujours est un livre superbement charpenté ( au même titre que le Quinconce) et, à mon humble avis, place son auteur au rang des plus grands maîtres du Suspense.

Un dernier mot, si vous aimez qu'un auteur vous fasse "tourner en bourrique" , alors précipitez vous sur un roman de Palliser, vous n'en ressortirez pas indemne. Un pur régal.

mardi 9 janvier 2007


"Shakespeare est vraiment bon, malgré le nombre de personnes qui disent qu'il est bon." ( Robert Ranke GRAVES)

lundi 8 janvier 2007

Portrait de Femme


MEMOIRES D'AGRIPPINE. Pierre GRIMAL. Roman. LGF 1994.


Pierre Grimal est membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, professeur émerite à l'université de Paris-Sorbonne et avant tout éminent spécialiste de l'histoire de la civilisation romaine. Il est l'auteur de nombreux essais sur l'antiquité romaine , traducteur de Plaute , Térence et Tacite.
C'est en s'appuyant justement sur les écrits de Tacite qui mentionne l'existence de Mémoires écrites par Agrippine la Jeune (15-59 ap.J.C.), et aujourd'hui disparues, que Pierre Grimal nous livre, sous la forme d'un roman, les Mémoires apocryphes de ce personnage-clé de l'histoire romaine. Et quel personnage! Agrippine est l'arrière petite fille du divin Auguste, la soeur de Caligula, la nièce et ensuite la femme de l'Empereur Claude, et enfin la mère de Néron. Un tel pedigree est évidemment une aubaine pour historiens et romanciers. Pierre Grimal s'est pris au jeu et nous offre avec ces Mémoires le fascinant portrait d'une femme convaincue de son ascendance divine, héritière et donatrice d'une dynastie qu'elle s'acharnera à faire perdurer, mettant en oeuvre pour cela tous les moyens à sa disposition, même les plus sanglants. Ces Mémoires sont aussi l'occasion de faire revivre sous nos yeux toute une époque, celle des Julio-Claudiens, avec une justesse historique et une économie de moyens qui évite les écueils de nombreux romans à vocation historique qui veulent donner à tout prix une impression de réalisme en insistant sur les détails sordides ou pittoresques de l'époque choisie.
Certes, Pierre Grimal ne nous épargne rien des turpitudes des empereurs et de leur entourage mais, en historien confirmé, il élague et dépoussière certains mythes inhérents à l'antiquité romaine et en dresse un portrait nuancé, éloigné des jugements moraux dressés après deux mille ans de civilisation judéo-chrétienne.

On l'aura compris, ces Mémoires d'Agrippine ne laissent pas de place à la fantaisie, voire à la mièvrerie, trop souvent rencontrées dans le genre du roman historique mettant en scène des femmes célèbres. Nous sommes ici en présence d'un récit superbement maîtrisé , d'une oeuvre d'une justesse remarquable.

samedi 6 janvier 2007

Mervyn l'Enchanteur



MR. PYE. Mervyn PEAKE. Roman. Editions Joëlle Losfeld 1993. Traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner.





Mervyn PEAKE (1911-1968) est et restera toujours l'un de mes auteurs préférés pour sa trilogie "Titus d'Enfer; Gormenghast;Titus errant". Son imaginaire, qui n'a rien à envier à Tolkien ou à Powys, reste cependant relativement méconnu de notre côté du Channel. Dommage.


Cet auteur aux multiples facettes: poète , romancier, peintre et dessinateur a laissé derrière lui une oeuvre romanesque empreinte de merveilleux et de poésie, habitée de personnages tendres ou inquiétants, comiques ou revêches, mais toujours extrêmement attachants, figures que le lecteur aura peine à oublier.


Mervyn PEAKE a séjourné pendant trois ans sur l'île de Sercq où il s'est consacré à la peinture. C'est sur cette même île que se déroule l'action de Mr. PYE.


Mais qui est donc Mr. PYE? Qui est ce petit homme délicieusement rondouillard et tiré à quatre épingles qui débarque un beau jour sur le port de Sercq? Son extrême politesse, sa gentillesse exacerbée, son parfait savoir-vivre, cachent-ils quelque mystère? Quel est le secret dessein de cet homme tellement sympathique qu'il finira, après avoir éveillé leur curiosité, par conquérir et bouleverser les coeurs et les esprits des îliens?


Ce roman est , une fois de plus, l'occasion pour Mervyn PEAKE , avec tout le talent qu'on lui connaît, de nous offrir une truculente galerie de personnages cocasses, empêtrés dans leurs contradictions et leurs questionnements. Il nous livre avec Mr.PYE une sorte de conte moral, une réflexion sur le vieux thème manichéen du Bien et du Mal, de la rédemption et du martyre. Tout ceci, bien évidemment, vu à travers le prisme de l'écriture de Mervyn PEAKE, c'est à dire avec toute la drôlerie, la naïveté, la poésie, la tendresse et la profonde humanité dont il a toujours su orner ses récits. Mervyn PEAKE était (il le reste pour moi) un enchanteur.

jeudi 4 janvier 2007

Mémoires d'un Kanak


CANNIBALE. Didier DAENINCKX. Récit. Gallimard, 2000


A l'occasion de l'Exposition Coloniale de 1931, les autorités de Nouméa décident d'envoyer à Paris un groupe de jeunes Kanaks afin de représenter la Nouvelle-Calédonie.
Arrivés sur les lieux de l'Exposition, ces hommes et ces femmes seront exhibés comme des animaux en cage. Brimés, depouillés de leurs vêtements, ils seront contraints de jouer les "sauvages" et seront décrits à la foule des visiteurs comme étant de féroces anthropophages.
Mais voilà que les crocodiles du zoo de Vincennes viennent subitement à mourir pour une raison inconnue. Qu'à cela ne tienne! les organisateurs de l'Exposition conclueront un marché avec un cirque allemand: ils échangeront de nouveaux crocodiles en parfaite santé contre autant de "cannibales". Voyant une partie des siens littéralement kidnappés pour les besoins du zoo et expédiés vers l'Allemagne, Gocéné, un jeune Kanak, fera tout son possible pour faire échouer cette révoltante transaction. Il devra pour cela affronter l'incompréhension, la bassesse, la bêtise et la vulgarité de la populace et des autorités.
Didier DAENINCKX , dans ce récit (court roman où longue nouvelle?) nous décrit l'océan qui sépare les colonisateurs des "indigènes"et nous invite à une réflexion sur ce qu'est la "civilisation" dans ses rapports avec ceux qu'elle ose qualifier de "primitifs", n'hésitant pas pour cela à user et abuser de poncifs et de clichés dégradants afin d'asseoir sa prétendue supériorité et de rabaisser le "sauvage" au rang de bête de foire.
L'auteur, mettant en perspective le récit se déroulant dans les années trente et les évènements qui, cinquante ans plus tard, ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie entre indépendantistes Kanaks et "loyalistes" Caldoches, dresse un portrait sans concessions des conséquences du colonialisme.
Quant à ceux qui, il y a peu de temps encore, voulaient faire reconnaître les "aspects positifs de la colonisation", on ne peut que leur conseiller la lecture de "Cannibale", un récit court (93 pages) mais d'une grande densité, inspiré d'un fait authentique. Edifiant.

mardi 2 janvier 2007

Aux sources du Niger




WATER MUSIC. T.C.BOYLE. Roman. Phébus 1998 .
Traduit de l'américain par Robert Pepin.




L'action de Water Music , le roman de T.C. Boyle , se déroule entre la fin du XVIIIè et le début du XIXè siècle. Nous y suivons les destins de deux hommes; l'un est le célèbre explorateur écossais Mungo Park (1771- 1806), l'autre est un dénommé Ned Rise, personnage issu de la foule anonyme des bas quartiers de Londres.
Au fil du récit,se déroulent parallèlement, d'une part, les pérégrinations de Park dans son exploration du cours du Niger, et d'autre part les vicissitudes de Rise dans ses tentatives plus ou moins honnêtes d'échapper à la misère et au mauvais sort qui l'accablent. Ces deux hommes qu'à priori tout sépare, l'espace, l'éducation et le milieu social, finiront pourtant par se cotoyer et même s'apprécier lors de la descente aux enfers que sera la dernière mission d'exploration de Park.
T.C. Boyle, dans cet extraordinaire roman nous entraîne dans un récit haletant, truffé de coups de théâtre, riche en évènements et en personnages drôlatiques et hauts en couleurs. Ce roman baroque et foisonnant n'est pas sans évoquer le Tom Jones de Fielding, le Tristram Shandy de Sterne, ainsi que Anthony Adverse d' Hervey Allen ou Au Coeur des Ténèbres de Conrad. L'auteur prenant librement , et pour notre plus grand plaisir, ses distances avec la réalité historique nous fait voyager entre les sordides bas-fonds londoniens et les jungles et savanes africaines , peuplées de tribus et de royaumes étranges et inquiétants. Les deux personnages centraux de ce roman sont, quant à eux, prisonniers de leur destin respectif, de ce Fatum qui les poussera l'un et l'autre, tels des personnages de tragédie antique, vers la conclusion paroxystique de leur existence.

Water Music est un roman drôle et sensuel , baroque et cruel. Surprenant et captivant. A lire sans retenue.