samedi 30 juin 2007

Chasseurs de Nuages



"La Théorie des Nuages" Stéphane Audeguy. Roman. Gallimard, 2005

« Quand virginie Latour commence à travailler pour Akira Kumo, elle n'a bien évidemment, de toute sa vie, jamais pensé aux nuages. D'une façon plus générale, comme tout le monde, elle n'a presque jamais pensé ; ou alors juste un peu, en classe de terminale, le vendredi matin, dans le but exclusif de rédiger des dissertations de philosophie.Mais, contrairement à beaucoup de ses camarades, Virginie Latour a aimé penser, même au lycée ; elle a aimé cet exercice patient, laborieux, désertique et peuplé. Après les études tout s'est passé très vite, il y a eu les transports en commun, les courses et le ménage, le travail salarié. Ca a été fini parce que la pensée est un travail, parce qu'il faut des conditions spéciales pour penser : un peu de silence, un peu de temps, un peu de régularité, un peu de talent aussi. Il faut s'entraîner et certainement on pourrait, en théorie du moins, penser n'importe où, penser en faisant ses courses, par exemple, penser en poussant son chariot vers les caisses. Mais il y a la musique, mais il y a les lumières trop blanches, mais il y a les variations de température entre le secteur des vêtements et celui des armoires frigorifiques, qui donnent des maux de tête. Et pourtant Virginie s'était juré de faire attention : elle avait tellement craint, quand elle avait commencé à travailler pour de bon, de ne plus penser du tout, qu'elle avait décidé de réserver chaque semaine une demi-heure, assise dans une pièce bien chauffée, sur son canapé, rien qu'à penser. Et naturellement, chaque fois, il s'était passé ce qui devait se passer : elle s'était assoupie.S'agissant du travail, Virginie Latour fait partie de l'immense et infortunée majorité des personnes qu'aucune vocation n'a jamais visitée. La seule chose qui puisse se comparer chez elle à une passion est son goût pour la langue anglaise. Mais c'est tout. C'est par défaut qu'elle a échoué dans ce métier de bibliothécaire. »


Et c'est ainsi que Virginie Latour se retrouve détachée de son administration pour assister le couturier japonais Akira Kumo dans la tâche de classification de sa bibliothèque consacrée à l'étude des nuages. Au fil des jours, celui-ci va relater à la jeune femme l'étrange et fascinante histoire de l'étude des nuages ainsi que de tous ceux qui leur ont consacré leur vie, depuis la première classification de ces corps gazeux (Cirrus, Stratus, Cumulus) établie par l'anglais Howard au début du XIXè siècle jusqu'au surprenant voyage autour du monde de Richard Abercrombie, en passant par le destin du peintre Carmichael, qui effacera peu à peu de la partie inférieure de ses toiles tout élément naturel ou humain pour ne représenter en dernier lieu que la vaste étendue des cieux.


Le récit de ces « chasseurs de nuages » alterne avec la relation qui finit par s'établir entre Virginie Latour et Akira Kumo, une relation qui ira au delà de la mort et transformera à jamais l'existence terne et monotone de la jeune femme.
Au fil des chapitres, ces deux personnages vont se découvrir mutuellement et finir par livrer leurs secrets. On découvrira ainsi que le destin d'Akira Kumo fut à tout jamais bouleversé par un certain nuage qui s'étendit au dessus d'une ville japonaise un matin d'aout 1945.
Car les nuages que Stéphane Audeguy énumère au fil de son roman ne sont pas que ces poétiques et inoffensives masses de vapeur d'eau qui se déplacent sous un ciel d'azur, ce sont aussi des nuages mortels, nuages brûlants et mortels de cendres volcaniques, nuages atomiques, nuages de gaz ypérite ravageant les troupes engagées dans les combats de la première Guerre Mondiale...


Mais ce qui sous-tend avant tout ce roman, c'est le symbolisme de l'impermanence et de la fragilité des êtres, des sentiments et des choses, à l'instar de ces nuages qui traversent les cieux en modifiant leurs formes au gré des échanges air/eau.
C'est également une approche « holiste » du monde sensible symbolisée ici par le très convoité Protocole Abercrombie dont l'auteur, au cours de son périple halluciné autour du monde – dans l'intention de photographier et classifier les nuages sous toutes les latitudes – va déceler dans chaque forme, que ce soit celle d'un nuage, d'une oreille, d'un sexe féminin ou d'un coquillage, la même perfection esthétique ainsi que de troublantes analogies formelles combinées à une logique de singularité démontrant l'unicité formelle de chaque élément.
De la même manière ce roman se caractérise par son aspect protéiforme, par ses récits mis en Abyme, par ses fausses digressions et l'impression d'éparpillement qui en résulte. Tout cela est en fait habilement amené par Stéphane Audeguy qui donne à son récit l'aspect d'un nuage, d' une forme en perpétuelle métamorphose et dont les personnages aux sentiments et aux physiques ( volontairement ) estompés, donnent à l'ensemble un aspect fugace et vaporeux.


Poétique et instructif, troublant et sensuel, classique par certains aspects et résolument contemporain par d'autres, « La théorie des nuages » de Stéphane Audeguy est un roman d'une sobriété et d'une originalité remarquables de par sa construction, sa singularité narrative ainsi que par son argument principal. Une oeuvre fascinante.




Pour finir, quelques instants nuageux avec un extrait du film « Koyaanisqatsi » réalisé par Godfrey Reggio en 1983.




Koyaanisqatsi - Cloudscape
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vendredi 29 juin 2007

Un peu d'humour ... de Droite

Moins de 2 millions de chômeurs en France
A la fin du mois de mai, le taux de chômage s'établissait à 8,1% de la population active.

Le nombre de chômeurs en France a baissé de 1,2% (-24.100 personnes) en mai pour passer sous la barre symbolique des deux millions, le taux de chômage étant ramené à 8,1% de la population active (-0,1 point sur un mois).
(Le Figaro. 29 juin 2007)

mercredi 27 juin 2007

La Voie du Milieu


"La fin de la souffrance" Le Bouddha dans le monde. Pankaj Mishra. Essai. Editions Buchet/Chastel, 2006.

Traduit de l'Anglais (Inde) par France Camus-Pichon.



Pankaj Mishra, jeune écrivain indien auteur de « Une terrasse sur le Gange » ( Calmann-lévy, 2003) et de reportages pour de grands journaux anglais, indiens et américains, signe avec « La fin de la souffrance » un essai consacré au Bouddhisme.


A l'origine de cette démarche, c'est l'envie d'écrire un roman historique sur le personnage du Bouddha qui a incité Pankaj Mishra à collecter une importante documentation afin de donner corps à son projet.


C'est donc le résultat de ses recherches qui nous est ici présenté sous la forme d'un essai mais aussi d'un récit de voyage agrémenté de faits autobiographiques et de réflexions personnelles.
Tout commence en 1992 quand, après avoir terminé ses études et, fermement décidé à vivre de sa plume, Pankaj Mishra quitte New-Delhi pour s'installer dans un petit village du nord de l'Inde à proximité des contreforts de l'Himalaya. C'est à ce moment là que va peu à peu s'éveiller son intérêt pour la figure et la philosophie du Bouddha.
Comme la majorité des indiens, Pankaj Mishra ne connaît, à cette époque, quasiment rien de ce personnage qui, pour la plupart, appartient au domaine du mythe. Il constate que, par un étrange paradoxe, l'Inde, pays où est né le Bouddha et où s'est développée sa doctrine, est une nation où le Bouddhisme est largement méconnu et fort peu représenté comparativement à beaucoup d' autres pays d'Asie.


Il décide alors de se rendre sur les lieux que le Bouddha a fréquenté il y a deux mille cinq cents ans: le lieu de sa naissance tout d'abord, Lumbini près de la capitale du royaume des Sakya, Kapilavastu dont son père, Sudodhana était le Roi. Il se rend également à Bodh Gaya, là où le jeune Gautama Siddharta parvint à l'illumination et acquit, de ce fait le titre de « Bouddha » ( l'Eveillé), ainsi qu'à Sarnath et Bénarès, lieux de méditation où le philosophe exposa sa doctrine devant des disciples de plus en plus nombreux.


En même temps qu'il retourne sur les lieux emblématiques de l'histoire du Bouddha, Pankaj Mishra relate les observations et réflexions qu'il a pu faire au cours de ses déplacements dans une Inde qui s'ouvre à l'économie de marché mais reste aussi fermement ancrée dans ses traditions sociales et religieuses. Il évoque ce sentiment d'attirance-répulsion qu'éprouvent nombre d'indiens face à un monde occidental hégémonique pourvoyeur de biens matériels et de haute technologie mais cruellement dénué de spiritualité.


Pankaj Mishra ne manque évidemment pas de revenir sur ce qui constitue la philosophie bouddhiste : impermanence du Moi et du monde phénoménal, loi du Karma et de la réincarnation, méditation et action, compassion, etc...
Il retrace également l'histoire et la propagation du Bouddhisme, ses particularismes géographiques et culturels ainsi que son rapport au cours des siècles avec les civilisations occidentales chrétiennes et musulmanes, les interprétations qui ont pu en être faites à travers la vision de philosophes tels que Nietzsche ou Schopenhauer.


Mettant en parallèle notre époque contemporaine et celle où vécut le Bouddha, il met le doigt sur de nombreuses similitudes : troubles sociaux et religieux, expansionnisme des plus puissantes nations, rapports sociaux basés sur l'avidité, la haine et l'attrait du pouvoir, croyances illusoires, etc...
Il analyse également à cette occasion la spectaculaire progression du bouddhisme dans les sociétés occidentales contemporaines, l'engouement qu'il suscite malheureusement auprès de personnes issues en grande majorité de milieux socio-culturels privilégiés en opposition avec les masses des pays émergents qui se tournent, elles, vers des systèmes de pensée plus radicaux tels que le fondamentalisme musulman. Il en tire ainsi l'amer constat lors d'un reportage qu'il effectue au Pakistan, près de la frontière afghane :


« Jamais je n'aurais cru éprouver autant de tristesse devant tout ce gâchis humain – ces jeunes gens dont les ancêtres avaient jadis édifié l'une des plus belles civilisations de l'histoire, et qui vivaient désormais dans des sociétés malades à la solde ou à la botte de l'Amérique, pratiquement sans autre perspective qu'une brève carrière de kamikaze.
L'avenir qu'on leur avait naguère fait miroiter s'était révélé sans lendemain. Dans ce meilleur des mondes possibles, tous les habitants de la planète devaient porter une cravate, aller au bureau ou à l'usine, pratiquer le contrôle des naissances, avoir une famille de deux enfants, posséder une voiture et payer des impôts. Mais il n'y avait pas assez d'établissements scolaires publics pour préparer les jeunes gens en question à la modernité, et peu d'emplois attendaient ceux qui avaient fait des études.
La marche en avant de l'histoire devait laisser la plupart d'entre eux sur le bord de la route. Il ne leur resterait que l'illusion du progrès, savamment entretenue par une multitude de programmes d' « aide », de prêts du FMI et de la Banque mondiale, de grands discours sur les vertus du libéralisme économique et de la démocratie pour lutter contre le sous-développement. Et pourtant le mirage de la modernité brandi par leurs Etats, et par le système économique et politique régnant à l'échelle mondiale, avait exercé un attrait assez puissant pour déraciner ces jeunes gens des villages de leur enfance.
Tel était le sort qu'avaient connu mon père et tant d'autres avec lui, mais chaque année le passage du vieux monde au nouveau devenait plus difficile pour la majorité de la population. Désormais interminable, il semblait broyer de plus en plus de gens : des centaines de millions d'individus hébétés, désarmés, attirés par des promesses de justice et d'égalité vers un monde incompréhensible, dont ils étaient censés exploiter les ressources déjà en cours d'épuisement pour se hisser à leur tour au niveau de revenus dont seule jouissait sur la planète une minorité appartenant aux classes moyennes.Aux yeux des plus révoltés d'entre eux, la modernité apparaissait comme une gigantesque montagne, au sommet de laquelle un petit groupe les regardait gravir centimètre par centimètre les pentes escarpées, leur jetant parfois une corde usée, mais le plus souvent d'énormes rochers. Ils savaient qu'il ne restait ni peuples ni territoires inconnus à conquérir et à exploiter. Ils ne pouvaient que déboiser leurs propres forêts, polluer leurs propres lacs et rivières, chercher à contrôler, et donc à opprimer leur propre population, leurs femmes et leurs minorités.
Ayant perdu la protection offerte par leur morale traditionnelle, leurs formes spécifiques de solidarité et de gouvernement, ils espéraient échapper au chaos et se régénérer en rejoignant des mouvements autoritaires comme ceux du nationalisme hindou ou de l'islamisme, et en abandonnant leurs rêves à des démagogues comme Ben Laden. »


Face à ce triste tableau qui est celui de notre monde contemporain, Pankaj Mishra nous invite à revenir sur nous-mêmes et, ainsi que le fit le Bouddha il y a vingt-cinq siècles, à méditer sur notre propre nature et à éviter les pièges de l'avidité et de l'ignorance :

« Vivre dans le présent, avec un haut degré de conscience et de compassion se manifestant dans le moindre de nos actes et la moindre de nos pensées, voilà qui peut paraître un remède individuel à une détresse individuelle. Mais l'épanouissement et la moralisation de la vie quotidienne faisaient partie de la réponse à la fois audacieuse et originale du Bouddha à la crise intellectuelle et spirituelle de son temps – crise provoquée par l'éclatement des petites communautés et la disparition de la morale traditionnelle. Dans la plupart de ses propos et de ses actes, il tentait d'apaiser la souffrance d'êtres humains qui, privés des consolations autrefois apportées par la foi et la collectivité, se trouvaient abandonnés à eux-mêmes dans un vaste monde empli d'étranges tentations et de nouveaux dangers.
C'était la condition humaine telle que la décrivirent ensuite avec ironie et passion Baudelaire, Kierkegaard, Nietzsche et Dostoïevski. Le Bouddha ne s'était toutefois pas contenté de descriptions poétiques et de lamentations éloquentes. Non seulement il avait diagnostiqué la nouvelle impasse intellectuelle et spirituelle à laquelle étaient confrontés les hommes en cette période de changements tumultueux, mais il avait tenté d'en sortir. Ce faisant, il s'en prit à nombre de certitudes sur lesquelles reposent encore les systèmes économiques et politiques d'aujourd'hui.Dans un monde de plus en plus souvent défini par des conflits entre des individus et des sociétés poursuivant avec une agressivité croissante leurs intérêts respectifs, il révéla l'interdépendance de ces individus comme de ces sociétés. Il remit en cause le fondement de la perception que les humains ont d'eux-mêmes – une identité stable, essentielle – en démontrant l'existence d'un moi pluriel, instable, qui possède à la fois la capacité de souffrir et celle de mettre fin à cette souffrance. En fin psychologue, il enseigna une méfiance radicale envers le désir, comme envers ses sublimations que sont les séduisants concepts d'idéologie et d'histoire. Il proposa une discipline morale et spirituelle aboutissant rien moins qu'à un mode entièrement nouveau de voir et d'appréhender le monde. »


On le voit, bien plus qu'une simple biographie du Bouddha et une explication de la philosophie bouddhiste, « La fin de la souffrance » de Pankaj Mishra est un ouvrage extrêmement complet qui embrasse de nombreux sujets gravitant autour de cette discipline, un rapport sans concessions sur les qualités et les défauts d'un système de pensée élaboré par un homme qui se voulait avant tout un thérapeute de l'esprit humain, et par là même de la société, plutôt qu'un prophète, un messie, ou un chef religieux. Le message du Bouddha, par delà ses deux mille cinq cents ans d'existence, reste encore un message d'actualité, un don inestimable pour l'humanité présente et à venir.

mardi 26 juin 2007

lundi 25 juin 2007

Intrigues byzantines


"Bélisaire ou le mendiant de Sainte-Sophie" Franck Gardian. Roman. Gaïa Editions, 2001.



Nous sommes au VIè siècle après J.C dans la ville de Byzance, capitale de l'Empire romain d'Orient sous le règne de l'Empereur Justinien.
En ce Jeudi Saint de l'an 565, le préfet Procope remarque sur le parvis de la basilique Sainte-Sophie un vieux mendiant aveugle en train de se faire rosser par la foule. Sa surprise est grande de constater que sous ces haillons se cache un homme dont il fut pendant de longues années le compagnon et le secrétaire : Bélisaire.
Tout le monde croyait disparu l'ancien Généralissime de l'Empire romain d'Orient après qu'il fût tombé en disgrâce auprès de l'Empereur Justinien et de l'Impératrice Theodora.
C'est avec le concours de cet homme meurtri, abandonné par ses plus fidèles amis, trahi par son épouse et son fils adoptif, que Procope va tenter d'élucider les faits inquiétants qui se déroulent au coeur même de la capitale : le Grand Moghan, Chef des Mages, envoyé à Byzance par le Roi des Rois, l'Empereur Perse Khosroès, pour célébrer l'anniversaire de la « Paix Universelle » a mystérieusement disparu. Des enfants de la noblesse disparaissent eux aussi. On en retrouve certains, dépecés, leur enveloppe charnelle bourrée de paille, accrochée aux portes de la ville.
En compagnie de l'ancien général, d'un mystérieux moine et d'un vétéran des armées devenu négociant en soie, Procope va mener l'enquête au péril de sa vie et tenter de mettre fin à un complot d'une extrême envergure visant à mettre à bas les fondements des deux grandes puissances de l'époque.
Roman historique et polar, le livre de Franck Gardian se lit comme un thriller. Prenant comme personnages principaux des figures emblématiques de l'histoire byzantine, il nous entraîne à leur suite dans une course mortelle et effrénée qui va les mener des étendues désertiques de la Perse aux dédales souterrains qui s'étendent sous la capitale de l'Empire romain d'Orient, des vastes et fastueux palais où se pressent dignitaires et prêtres de tout poil, aux sombres lupanars des bas-quartiers où grouille une foule de mendiants et de prostituées.
Franck Gardian restitue avec brio cette époque trouble et chatoyante où le christianisme s'éparpille et se déchire en de multiples hérésies et doit tenir tête au culte mazdéiste de l'Empire Perse. Il nous plonge au coeur de cette civilisation cruelle et raffinée, héritière d'un Empire romain moribond, assaillie de toutes parts par les Perses, les Huns et autres barbares, Vandales et Ostrogoths. Il nous dépeint avec talent les moeurs de l'époque, ascétiques pour les uns, d'une luxure débridée pour les autres, et nous offre un tableau violent et contrasté de personnages dont les portraits figés sur les fresques et les mosaïques nous fixent depuis quinze cents ans de leur regard énigmatique.
Servi par une prose riche, puissante et colorée, ce roman ravira tous les amateurs de polars historiques et leur offrira une immersion complète dans un univers à tout jamais disparu.

dimanche 24 juin 2007


"Plus que toute autre création humaine, le livre est le fléau des dictatures."

Alberto Manguel. Extrait d' Une Histoire de la Lecture.

samedi 23 juin 2007

Yesterday


"Dans les coulisses du Musée" Kate Atkinson. Roman. Editions de Fallois, 1996.

Traduit de l'anglais par Jean Bourdier.



Dans ce qui fut son premier roman, paru en 1995, Kate Atkinson donne la parole à la dernière née d'une famille de commerçants du Yorkshire : Ruby Lennox.
Des les premiers instants de sa conception en 1951 jusqu'à l'âge mûr, en 1992, Ruby relate la petite et la grande histoire de sa famille sur une période recouvrant quatre générations.

On suit ainsi pas à pas Ruby, petite fille effacée tentant de s'épanouir à l'ombre de ses deux grandes soeurs, Gillian et Patricia, toutes deux dotées d'un caractère difficile et d'une volonté farouche de domination. On fait également connaissance des parents, George et Bunty, tenanciers d'une animalerie dans la vieille ville de York.
On découvre ainsi peu à peu toute une famille avec ses oncles et ses tantes, ses beaux-frères et belles-soeurs, ses cousins et cousines, grands parents et nouveaux-nés, tous décrits avec un humour et une truculence qui font de ce roman un véritable régal de lecture.

On rit beaucoup à l'évocation de la retransmission télévisée du couronnement de la Reine Elizabeth II en 1953, de vacances en Ecosse en 1964 ou d'un mariage désastreux organisé malheureusement le jour de la finale de la Coupe du Monde de Football de 1966.
Mais on a aussi le coeur serré à assister aux drames qui surviennent dans cette famille ainsi qu'à l'étrange présence (ou absence) qui semble accompagner Ruby jusqu'au moment où elle découvrira avec chagrin et stupéfaction la vérité sur un drame survenu durant sa petite enfance.
Car c'est bien de secrets de famille dont il s'agit dans ce roman de Kate Atkinson, des secrets qui s'éclaircissent au fil des annexes accolées à chaque fin de chapitre et qui nous éclairent sur les origines de certains faits, sur la signification d'une vieille photo sépia, sur le sort de trois boutons de verre rose en forme de fleur, un service à thé couleur myosotis, une patte de lapin porte-bonheur...
On pénètre ainsi peu à peu au sein de cette famille et l'on traverse avec elle les petits et les grands évenements de l'histoire du XX ème siècle, siècle ponctué par deux guerres mondiales qui apporteront leur lot de souffrances et de disparitions.
Tout cela nous est conté avec malice, tendresse et émotion par une Ruby Lennox qui, sous la plume de Kate Atkinson, déclenche tour à tour chez le lecteur l'hilarité ou la mélancolie. Le ton d'ensemble, apparemment naïf, est résolument ironique et cocasse, à l'image de la vision que Ruby porte sur le monde et sur sa famille. On pourra en juger au vu de ce passage qui relate sa naissance :


« Je n'aime pas cela. Je n'aime pas cela du tout. Qu'on me sorte d'ici, et vite ! Mon frêle petit squelette est en train d'être écrasé comme une coquille de noix. Ma tendre petite peau, encore épargnée par le contact de l'atmosphère terrestre, est mise à vif par ces manipulations barbares. (Ce n'est sûrement pas très naturel, tout cela !)
-Dépêchez-vous, ma petite !tonne une grosse voix furieuse. J'ai un dîner !
La réponse de Bunty est totalement inarticulée, mais le sens général en est, je pense, qu'elle a tout aussi hâte d'en finir que notre aimable gynécologue. Docteur Torquemada, je présume ? L'angélique sage-femme commise à présider à ma naissance est amidonnée des pieds à la tête. Elle hurle littéralement ses ordres :
-POUSSEZ ! POUSSEZ MAINTENANT !
-C'est bien ce que je fais ! Hurle à son tour Bunty.
Elle grogne et elle sue, en triturant de toutes ses forces ce qui ressemble à un petit bout de mammifère tout ratatiné, un médaillon de fourrure accroché à son cou. (Voir Annexe II.) C'est une patte de lapin destinée à porter chance. Pas au lapin, bien sûr, mais à ma mère, dont je commence à avoir hâte d'être un peu séparée. Neuf mois d'emprisonnement en elle n'ont pas représenté la plus enchanteresse des expériences. Et récemment, il commençait à n'y avoir vraiment plus de place. Je me fiche de ce qui m'attend dehors ; ce sera toujours mieux qu'ici.
-POUSSEZ, MA PETITE ! POUSSEZ !
Bunty pousse des hurlements très convaincants, et puis, tout à coup, c'est fini. Je glisse hors d'elle comme un petit poisson descendant la rivière. Même le docteur Torquemada est surpris. -Bon-jour ! Qu'est-ce que c'est donc que cela ? Fait-il comme s'il ne s'était jamais attendu à me voir.
La sage-femme se met à rire.
Je suis sur le point d'être expédiée à la nursery lorsque quequ'un suggère que Bunty aimerait peut-être jeter un coup d'oeil sur moi. Ce coup d'oeil est rapide, et le jugement tombe :
-On dirait un morceau de viande. Emportez cela !
Je mets cette attitude sur le compte de la fatigue ou de l'émotion. Elle n'a même pas précisé à quel genre de viande elle pensait. Aloyau ? Baron d'agneau ? Longe de porc, sans doute, ou bien quelque morceau anonyme mais sanguinolent. N'importe – rien ne me surprend plus. Après tout, je ne suis pas une nouveauté pour Bunty : elle a déjà produit la pâle Patricia et l'insupportable Gillian. Et je suis paisible et bien élevée en comparaison de celle-ci. Née agitée, Gillian était sortie du ventre de Bunty en gigotant frénétiquement et hurlant à pleins poumons, de peur qu'on ne la remarque pas. Il n'y avait guère de chances que cela arrive.
Au cas où vous poseriez la question, mon père absent est au pub
Le Chien et le Lièvre de Doncaster, après une journée très satisfaisante aux courses. Il a une pinte de bière devant lui et il est précisément en train d'expliquer à une femme en robe vert émeraude qu'il n'est pas marié. Il ne sait pas que je suis arrivée, sinon il serait à la clinique. Non ? »


Avec « Dans les coulisses du Musée » Kate Atkinson nous dresse un portrait de famille sur quatre générations, une oeuvre tragi-comique empreinte de nostalgie et d'humour, un tableau représentant de nombreuses figures féminines aux personnalités fortes et entières qui affrontent contre vents et marées, chacune à leur manière, les petites et les grandes injures de la vie. Un roman doux-amer, naïf et cruel, cocasse et poignant. Comme la vie.
L'avis de Virginie, Papillon, et Heri.

vendredi 22 juin 2007

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme : Le lauréat

...And the winner is...





Le lauréat du 5ème Prix des Lecteurs du Télégramme est donc Jérôme Tonnerre pour son roman "L'Atlantique Sud"
Dominic Cooper a reçu une mention spéciale du jury pour la très grande qualité de son ouvrage
" Le Coeur de l'Hiver" qui a aussi fait l'unanimité auprès des lecteurs.

On ne peut que se réjouir du choix des lecteurs du Télégramme en faveur de ces deux excellents romans.

Bravo et félicitations à Jérôme Tonnerre et Dominic Cooper pour ces deux romans très éloignés l'un de l'autre mais d'une qualité incontestable.

P.S : Je viens d'apprendre ce matin que, suite au tirage au sort, je fais partie des trente lecteurs ayant participé au Prix du Télégramme qui remportent un Chèque-Lire de 15 € par mois pendant un an. Youpi !

Je voudrais qu'on m'explique...#7


Je voudrais qu'on m'explique qui a inspiré la politique du gouvernement ?

jeudi 21 juin 2007

Ivre de musique et de peinture

C'est aujourd'hui la Fête de la Musique




Musique : Tom Waits "Tom Traubert's Blues"

mercredi 20 juin 2007

C'est moi le chat !


J'ai été "taggué" par Carole qui m'invite au "Jeu du Chat" :

Règlement : Chaque personne décrit sept choses à propos d’elle-même. Ceux qui ont été «taggués» doivent écrire sur leurs blogues ces sept choses ainsi que ce règlement. Ensuite, vous devez tagguer sept autres personnes et les énumérer sur votre blogue. Après, vous devez laisser un message aux 7 blogueurs pour les prévenir qu'ils ont été taggués et leur laisser un message pour les prévenir :
« C’est toi le chat ! »

-1 : C'est rare chez un homme mais le sport m'indiffère totalement. Je n'en pratique aucun et je fuis les retransmissions télévisées et radiophoniques. Ne parlons même pas d'assister à une rencontre sportive. En plus je ne comprends rien aux règles et suis incapable de déterminer, par exemple, qui gagne ou qui perd dans un match de tennis.

-2 : Je suis un accro des jeux video. Pas tous bien sûr, mais j'adore les jeux de stratégie historique ( surtout ceux se déroulant dans l'Antiquité et au Moyen-Age ) et les jeux de gestion style « City Builders. » Je pourrai passer des journées entières ( voire des nuits quand l'insomnie me gagne) devant mon écran. Je me suis nettement calmé depuis quelques temps car d'autres préoccupations m'accaparent mais il m'arrive encore parfois de lancer quelques légions romaines à l'assaut contre quelques tribus Scythes ou Sarmates velléitaires à ma soif d'expansion impériale.

-3 : Je déteste et j'abhorre les araignées. Je sais, c'est stupide, « la petite bête ne mangera pas la grosse » m'a-t-on souvent répété mais rien n'y fait. Dès que je vois une de ces bestioles à huit pattes j'ai des sueurs froides et ne trouve le repos qu'après avoir occis l'innocent animal. Cela augure d'un mauvais Karma pour ma vie future où je serais sûrement réincarné en insecte et me ferais dévorer par un de ces ravissants arthropodes.

-4 : Je ne mange quasiment pas de viande et cela depuis ma toute petite enfance, donc pas d'explication ou de choix de vie végétarien. Je ne saurais l'expliquer mais il m'est impossible de manger de la viande rouge, blanche ou autre. J'ai bien tenté de me raisonner et d'essayer mais l'expérience a été peu convaincante : nausées, écoeurement, etc... Depuis quelques années je fais des progrès et arrive à consommer de la chair animale transformée sous forme de charcuterie ( sans excès) ou de viande hachée abondamment épicée par exemple. De toutes manières, la consommation de viande est nuisible à la santé alors ce n'est pas demain que je me ferai cuire un steak.

-5 : Je n'aime pas le bruit. Je considère celui-ci comme une agression, voire une pollution. Je déteste avoir à subir le bruit occasionné par certaines personnes indélicates qui considèrent, chez eux ou en voiture, que leur musique ou leurs propos sont dignes d'être écoutés par tout le monde. Je fuis ce genre de personnages ainsi que les boîtes de nuit, les hypermarchés, les festivals et concerts rock, etc...
Je fais en sorte, de mon côté, de ne pas occasionner de nuisances sonores à autrui et suis toujours gêné quand vient le moment de sortir la tondeuse à gazon.

-6 : J'aime la solitude. Ce qui pour beaucoup de nos contemporains ressemble à une punition est pour moi un état privilégié ou je peux être moi-même. Comme pour beaucoup, j'ai souffert de la solitude dans le passé mais les années passant j'ai surmonté ce malaise et en ai pris mon parti. J'ai une âme d'ermite mais ne suis pas pour autant devenu un misanthrope : j'aime bien la foule... vue de loin.

-7 : Je n'ai pas d'ambition professionnelle. Je n'ai jamais souhaité devenir un petit chef avec une grosse voiture, une vraie gourmette, une fausse Rollex et un petit costume. La seule activité qui me fasse rêver, c'est celle de romancier, mais je crains que l'ANPE ne me prenne pas au sérieux . Autant vous dire que jusqu'ici mon parcours professionnel n'a pas été de ceux dont on pourrait se faire une vaine gloriole : pendant quinze ans j'ai travaillé dans un hopital ou j'ai passé l'essentiel de mon temps à charrier des sacs d'ordures et du linge sale.
Considéré par mes supérieurs comme un primate et une bête de somme, je n'ai trouvé de réconfort qu'auprès de mes ami(e)s et de mes livres. Mais toute cette histoire est terminée maintenant, j'ai rencontré la femme de ma vie et ai quitté sans regret mon boulot pour m'installer en province. Je suis certes au chômage mais peu à peu je redeviens moi-même. Et cela , ça n'a pas de prix Messieurs les petits chefs !

Voili,voilà... Et puisque c'est la règle du jeu, je désigne donc Majanissa, Amy, Lou, Incoldblog, Suny, Lamousmé et Moustafette.
Illustration: Gustave DORE "Le dernier banquet"

Je voudrais qu'on m'explique...#6



Je voudrais qu'on m'explique ce qu'est une "minorité visible" ?

mardi 19 juin 2007


"Lorsque nos intentions sont égoïstes, le fait que nos actes puissent paraître bons ne garantit pas qu'ils soient positifs ou éthiques."
Tenzin Gyatso. XIVème Dalaï Lama.
Extrait de "Sagesse ancienne, monde moderne."

lundi 18 juin 2007

Delirium Tremens


"Le Pays de l'Alcool." Mo Yan. Roman. Editions du Seuil, 2000 .

Traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait.



« Jiuguo » en chinois signifie « Le Pays de l'Alcool. »

La ville de Jiuguo porte bien son nom : l'alcool y coule à flots.
On en fabrique, on en vend, on en consomme à outrance. On y a même érigé une Université de Distillation dans laquelle des chercheurs, « docteurs en alcoologie » élaborent de nouveaux breuvages aux dénominations aussi poétiques que farfelues : « l'Alcool des nuages et de la pluie », le « Pyramide de fourmis vertes », le « Cheval fougueux à crinière rousse » , le « Feu brûlant les nuages », le « Fleur de deuil pour Daiyu » ou encore le « Tomber amoureux au premier regard. »

« A cent lis de notre cité, vous pouvez sentir les effluves d'alcool qui se répandent partout, et si votre odorat est un peu engourdi, à cinquante lis vous pourrez les sentir. Je ne fantasme pas, lorsque les Boeing arrivent dans le ciel au dessus de notre ville, ils décrivent immanquablement des cercles et font de puissants loopings, en toute innocence, car ils sont totalement ivres, mais la sécurité est garantie, camarades, mesdames, messieurs, chers amis, ne vous inquiétez pas, car à ce moment-là, si vous-mêmes êtes dans l'avion, vous serz aussi joyeux et pleins d'entrain que des petits chiens qui auraient bu. Cette odeur est merveilleuse, je conseille à tous de venir au moins une fois dans notre cité y goûter, que ce soit dans le ciel ou parmi les hommes. »

C'est dans cette ville de Jiuguo que les autorités ont envoyé l'inspecteur Ding Gou'er afin d'enquêter sur un trafic de chair d'enfants. Des notables locaux dégusteraient, en effet, au cours de dîners fortement arrosés, des enfants en bas âge. Des paysans locaux assureraient à ceux-ci la livraison de chair fraîche, leurs propres rejetons, contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Mais pour mener à bien ses investigations, l'inspecteur Ding Gou'er aura fort à faire. Il devra ingurgiter, pour honorer les autorités locales, des quantités phénoménales d'alcool, et consommer les écoeurants plats « Enfant offert par la licorne » et « Heureux augures du dragon et du Phénix », ce dernier plat étant confectionné avec les parties sexuelles d'ânes mâle et femelle.

Il fera la rencontre d'une étrange et sensuelle camionneuse, d'un nain fortuné tenancier d'auberge, de cadres du Parti, d'un ancien héros de la Révolution populaire devenu gardien de cimetière, ainsi que d'un étrange vengeur, au physique d' adolescent et à la peau écailleuse.

Parallèlement à cette enquête, Mo Yan se met lui-même en scène dans un échange épistolaire qu'il entretient avec Li Yidou, ( Yidou signifie « un boisseau » , unité de mesure pour l'alcool ) aspirant-chercheur en doctorat, spécialiste de l'assemblage des alcools de l'Université de Distillation de Jiuguo. Ce jeune homme souhaite abandonner sa carrière de chercheur afin de se consacrer pleinement à la littérature. Il envoie donc régulièrement à Mo Yan les derniers récits qu'il a écrits et qui évoquent eux aussi les évenements et personnages emblématiques de Jiuguo.

Les récits s'entremêlent, des personnages récurrents apparaissent à la fois dans les histoires de Li Yidou et dans l'enquête de Ding Gou'er, des énigmes s'éclaircissent, d'autres s'opacifient.
On le voit, ce roman protéiforme et décalé est impossible à résumer tant il est foisonnant, tant il prend de directions différentes qui finissent par se rejoindre pour se séparer à nouveau. Polar sous delirium tremens, « Le Pays de l'Alcool » est un roman trash et kitsch ( il suffit de voir la couverture judicieusement choisie ) à l'atmosphère étrange, violente et poétique où ressurgissent les anciens mythes d'immortalité des rituels taoîstes mêlés à la nouvelle doctrine de la République Populaire de Chine associant maoïsme et économie de marché.

Ce récit, qui déroutera le lecteur cartésien, ravira les amateurs de littérature « déjantée » qui n'oublieront pas de sitôt leur promenade touristique au "Pays de l'Alcool."
Un régal parfois indigeste mais à lire toutefois sans modération aucune. Jubilatoire.

samedi 16 juin 2007

Balzac et moi


"Eugénie Grandet" Honoré de Balzac. Roman. Le Livre de Poche, 1972.



Il existe des romans et des auteurs incontournables. Balzac fait partie de ceux-ci.

Pourtant, je l'avoue, je suis passé à côté de l'oeuvre immense de cet auteur et c'est seulement maintenant ( à plus de quarante ans ) que je découvre l'univers fascinant de la « Comédie Humaine. »


C'est peut-être un peu tard et beaucoup pourront s'étonner que je n'aie pas eu l'occasion de l'étudier lors de mes années de collège et de lycée. Hé bien non, je n'ai pas eu cette opportunité et mes professeurs de français successifs ont orienté leur choix sur d'autres auteurs que celui-ci. Je les en remercie à posteriori car qui ne se souvient de ces lectures scolaires obligatoires qui finalement ne faisaient que nous rendre assommantes certaines oeuvres qui, lues délibérément, nous eussent autrement passionnés. Je pense par exemple à ce cher Stendhal avec sa « Chartreuse de Parme » qui, dans le contexte d'une lecture scolaire, m'est apparue à l'époque interminable et soporifique.

Grâce à vous, Messieurs les Professeurs, j'ai écarté les oeuvres de Stendhal de mes envies de lecture pendant de longues années et c'est seulement depuis quelques années que j'envisage de ressortir l'exemplaire poussiéreux et jauni qui dort paisiblement au fond de ma bibliothèque afin de me replonger, près de trente ans plus tard, dans les états d'âme du jeune Fabrice Del Dongo, personnage que je considérai alors comme mièvre et imbuvable. Avais-je alors la maturité nécessaire pour apprécier pleinement cet ouvrage ? J'en doute et la faute n'incombe pas seulement à mes professeurs de français d'alors, mais aussi et surtout à mon manque d'intérêt et de connaissance de la littérature "Classique."

Je relirai donc un jour « La Chartreuse de Parme » et, maintenant que tant d'années ont passé, je trouverai sûrement un grand intérêt à lire les pages de Mr. Henri Beyle.


Donc, je ne vous remercierai jamais assez, Messieurs les Professeurs, en ayant fait d'autres choix que celui-ci, d'avoir évité de m'infliger une lecture laborieuse des romans de Mr. De Balzac. Je puis ainsi découvrir avec délices et sans préjugé aucun, l'oeuvre foisonnante de ce géant de la littérature française.

L'initiation ( réussie ) s'est faite avec « Le Père Goriot » et c'est donc avec « Eugénie Grandet » que j'ai accompli mon second pas dans l'univers balzacien.


Le néophyte que je suis ne tentera pas ici de disséquer et d'analyser l'oeuvre de Balzac; ce serait bien présomptueux de ma part là où tant d'autres l'ont fait depuis tant d'années, du lycéen au critique littéraire, avec beaucoup plus d'arguments et de talent que je ne saurai en déployer.


Quelles sont alors mes impressions au sortir de la lecture de ce roman ? D'abord la langue : ample, riche et colorée; le style aussi : limpide et harmonieux, classique mais sans afféteries, laissant souvent transparaître un humour sous-jacent, ainsi qu'un talent incomparable dans la description des êtres et des choses pour lesquels le lecteur ressent toute la minutie apportée à l'observation des caractères et des physionomies.

Ainsi est-ce un délice de lire comment, en quelques lignes, Balzac croque le portrait de Mme Grandet-mère :

« Madame Grandet était une femme sèche et maigre, jaune comme un coing, gauche, lente; une de ces femmes qui semblent faites pour être tyrannisées. Elle avait de gros os, un gros nez, un gros front, de gros yeux, et offrait au premier aspect, une vague ressemblance avec ces fruits cotonneux qui n'ont plus ni saveur ni suc. Ses dents étaient noires et rares, sa bouche était ridée, et son menton affectait la forme dite en galoche. C'était une excellente femme, une vraie La Bertellière. L'abbé Cruchot savait trouver quelques occasions de lui dire qu'elle n'avait pas été trop mal, et elle le croyait. Une douceur angélique, une résignation d'insecte tourmenté par des enfants, une piété rare, une inaltérable égalité d'âme, un bon coeur, la faisaient universellement plaindre et respecter. »

Lire Balzac c'est comme observer les caricatures de Daumier, c'est voir évoluer devant soi ces étranges personnages aux visages grotesques, ces notables et ces bourgeois aux trognes grasses ou démesurément allongées, ces figures sur lesquelles transparaissent le caractère matois ou naïf, jouisseur ou spirituel, cupide ou glouton, rapace ou étourdi...
Mais l'aspect physique des personnages n'est pas le plus important chez Balzac. Ces physionomies servent avant tout à souligner ce qui est prépondérant, c'est à dire l'étude quasi entomologique des tempéraments, cette description hyper-réaliste des caractères qui donnent aux protagonistes un relief si appuyé qu'ils nous semblent prendre vie au fil des pages et acquièrent de ce fait une telle épaisseur que, de personnages romanesques ils se muent en archétypes de la nature humaine.


Et quoi de plus universel chez l'homme que l'avidité, l'appétit de lucre ? Que ce soit dans « Le père Goriot » ou dans « Eugénie Grandet », l'argent est omniprésent et constitue la principale préoccupation des acteurs du récit. Grâce à l'argent, des hommes issus du peuple et ayant fait fortune comme Grandet et Goriot côtoient une noblesse désargentée et intéressée, sont hypocritement flattés par celle-ci et arrivent même, comme Delphine de Nucingen, née Goriot, à contracter une alliance matrimoniale.
L'argent est tout, l'argent peut tout. Il est à l'origine de toutes les trahisons, de tous les abandons. Goriot et Eugénie Grandet l'apprendront à leurs dépens : l'argent corrompt même les rapports humains que l'on pourrait croire les plus nobles, la piété filiale pour Goriot, l'amour pour Eugénie Grandet.
Balzac, à propos du père Grandet, fait en aparté l'amer constat d'une société déjà vouée à Mammon :

« Les avares ne croient pas à une vie à venir, le présent est tout pour eux. Cette réflexion jette une horrible clarté sur l'époque actuelle, où, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire à miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'édifice social est appuyé depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutée. L'avenir, qui nous attendait par delà le requiem, a été transposé dans le présent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pétrifier son coeur et se macérer le corps en vue des possessions passagères, comme on souffrit jadis le martyre de la vie en vue de biens éternels, est la pensée générale! Pensée d'ailleurs écrite partout, jusque dans les lois, qui demandent au législateur : « Que paies-tu ? » au lieu de lui dire : « Que penses-tu ? »
Quand cette doctrine aura passé de la bourgeoisie au peuple, que deviendra le pays ? »

A lire ces lignes, on peut se demander ce que penserait Balzac de notre XXIè siècle ancré dans le matérialisme et la course folle aux profits de toutes sortes.
Il ne serait sûrement pas déconcerté par ce qu'il verrait de nos pratiques contemporaines.

Ainsi, dans « Le père Goriot », il prête ces propos à Vautrin s'adressant au jeune Rastignac :

« Savez-vous comment on fait son chemin ici ? Par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption... L'honnêteté ne sert à rien... Je vous défie de faire deux pas dans Paris sans rencontrer des manigances infernales... Voilà la vie telle qu'elle est. Ca n'est pas plus beau que la cuisine; ça pue tout autant, et il faut se salir les mains si l'on veut fricoter; sachez seulement vous bien débarbouiller : là est toute la morale de notre époque. Si je vous parle ainsi du monde, il m'en a donné le droit, je le connais. Croyez-vous que je le blâme? Du tout. Il a toujours été ainsi. Les moralistes ne le changeront jamais. L'homme est imparfait... »


Balzac était-il un visionnaire? Peut-être. Mais il fut avant tout un homme lucide, témoin de son époque et de ses moeurs. Si ses observations du comportement humain nous semblent aujourd'hui encore si justes et si actuelles, c'est parce qu'il a su déceler et décrire ( c'est là ce qui fait la marque des grands auteurs ) l'universalité propre à certaines personnalités, ces caractères indissociables de la nature humaine qui sont de tous les horizons et de toutes les époques.

vendredi 15 juin 2007

Fous de Lecture ?



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Un mal qui répand la terreur

Les animaux malades de la Peste
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Jean de LA FONTAINE (1621-1695)

jeudi 14 juin 2007

Je voudrais qu'on m'explique...#5

Eméché ? Essouflé ? Victime de l' Ivresse du Pouvoir ? Le comportement du Chef de l'Etat français au G8 ne cesse de faire des vagues à l'étranger et sur internet.
Pour ce qui est des grands médias français : silence-radio.
Nos grands communicateurs à la solde de Bouygues, Lagardère, Bolloré, etc... expliquent cet état de fait en mettant en avant que cet "incident" est un "non-évenement" et ne constitue donc pas une "information."

Alors je voudrais qu'on m'explique en quoi ceci n'est pas une information ?


... Et en quoi ceci en serait une ?






Nicolas et Cécilia Sarkozy : ce qu'ils se sont dit après
envoyé par buffalox











mercredi 13 juin 2007

Je voudrais qu'on m'explique...#4

Je voudrais qu'on m'explique sur qui vont peser les mesures fiscales du gouvernement ?


... Et qui va en profiter ?



mardi 12 juin 2007

La vie est un roman



"Le Combat Ordinaire" Manu Larcenet. Bande-Dessinée. Dargaud 2003, 2004, 2006.

Il s'appelle Marco Louis. Il est jeune reporter-photographe et il a décidé de prendre un peu de recul après avoir saisi dans son objectif les atrocités commises lors des conflits qui ensanglantent les quatre coins de la planète.
Célibataire, il s'est installé à la campagne avec son chat dans une maison perdue au milieu de la nature.
Sujet à des crises d'angoisse, il se rend tous les mois en région parisienne afin de consulter son psy et par la même occasion de rendre visite à son petit frère « Georges » qui vit en banlieue et avec qui il aime bambocher et fumer « des gros pétards

Il part quelquefois aussi en Bretagne afin de voir ses parents retraîtés.
C'est lors d'une de ces visites qu'il apprend que son père est atteint de la maladie d'Alzheimer :

« J'ai passé toute mon enfance à redouter la mort de mes parents... Depuis le fameux « On meurt tous un jour », asséné sans plus de précautions par un oncle quelconque, c'était devenu une obsession. Ma mère s'attardait au Leclerc ? Accident de voiture ! Mon père rentrait tard du chantier ? Accident du travail !
J'ai eu le temps de m'habituer à leur mort... Aujourd'hui que « ça » approche à pas de géant, je comprends mieux ce que je ne faisais qu'entrevoir... Je comprends que leur mort ne sera pas la mienne. Ca n'enlèvera rien à l'inévitable horreur de la chose, mais je ne me tromperai pas de deuil... C'est bien là la moindre des choses que je leur doive. »

Il va également faire la connaissance d'Emilie, une jeune vétérinaire avec qui il va vivre une histoire tendre et quelquefois conflictuelle : elle voudrait s'engager durablement, faire vie commune et avoir un enfant ; lui reste indécis, attaché à son indépendance et son repli sur soi :

« J'ai fait huit années d'analyse sans jamais parler des femmes. Quel exploit... Mes histoires d'amour m'ont montré que j'aime la solitude. J'ai toujours été fasciné par l'absence, tant la présence m'ennuie. Il est difficile d'expliquer à quelqu'un que j'aime l'incroyable complexité dans laquelle cette relation me plonge. Elles n'ont jamais pu supporte très longtemps ma totale incapacité à un minimum de sérénité... Je ne peux d'ailleurs pas leur en vouloir : je m'insupporte assez profondément moi-même ! Sans même parler de sexualité, qui reste, pour moi, quelque chose de mystérieux, attirant mais très intimement violent. Il m'est déjà pénible d'adopter un comportement anodin avec ma boulangère dont je ne sais rien, alors comment m'y résoudre avec quelqu'un que je connais génitalement ? J'ai encore pas mal de choses à éclaircir si je ne veux pas être réincarné en plaque d'égout... »

Puis l'inévitable arrive, son père met fin à ses jours avant de perdre définitivement la mémoire et Marco va tenter de faire son deuil en cherchant à savoir qui était l'homme qui se cachait derrière l'image du père :

« Même malade, même diminué, même à nu, je n'ai longtemps vu en mon père que le père, infaillible et indestructible. Quelques mois avant sa mort, un processus étrange s'était mis en marche « le renoncement. »
Je renonçai alors au père idéal, celui qui prendrait ma main de petit garçon et dirait les bons mots au bon moment. J'ai alors commencé à voir l'homme dans l'ampleur de sa vie d'homme et à lui vouer une libre tendresse. Ce qui était impensable en tant qu'enfant devint une réalité d'adulte : les pères sont mortels... Envisager d'être père c'est non seulement se résigner à l'idée de sa propre mort... Mais c'est aussi renoncer à sa vie d'homme faillible pour devenir un fantasme qui n'aura droit qu'à l'erreur. Qui était l'homme prisonnier de mon père ? »

Il découvrira aussi une troublante photo datant de la Guerre d'Algérie et où son père pose en compagnie d'un personnage aujourd'hui au dessus de tout soupçon.

Il décidera également d'aller rencontrer les anciens collègues de son père, ouvriers au chantier naval, « les quantités négligeables », derniers représentants de la classe ouvrière, afin de photographier les visages de ces hommes et de présenter leurs portraits lors d'une exposition :

« A l'époque, être grutier ou docker, c'était important. Ceux qui travaillaient entraient dans une sorte de famille... les chantiers étaient aussi des lieux d'éducation... Evidemment ils étaient pauvres mais quand ils marchaient en groupe dans la rue, les filles les regardaient en coin et les vieux aux terrasses étaient fiers... Sans même parler de syndicats ou de politique, il y avait quelque chose de fort qui les réunissait... La valeur de l'effort, peut-être... La dignité dans la douleur, sûrement...C'était aussi peut-être parce que les vies difficiles se lisent dans les rides et les cicatrices qu'ils se reconnaissaient... La connivence des damnés... »

Mais les choses ont changé et en ce printemps 2002, Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour des présidentielles. Bastounet, un ouvrier, ancien collègue du père de Marco explique au jeune homme pourquoi il a voté Front National :

«- ...La vérité, Marco, c'est que le peu qu'il me reste, on me l'enlève peu à peu... La femme, la petite, le travail, la maison, l'argent... c'est tout que des problèmes. Je m'en sors plus... J'ai peur. Alors la vérité, c'est que le premier qui passe et qui me dit que ça peut changer, eh ben je vote pour lui.
- Ils vont te niquer... Regarde ce qu'ils ont fait ailleurs à ceux qui les ont élus... Ils te mentent.
- Probablement... Tu sais ça mieux que moi... Mais ils nous mentent tous, non ?
- Tu vaux cent fois mieux qu'eux... sur ce chantier, vous valez tous mille fois mieux qu'eux... Et vous ne le savez même pas. Quel triste monde. »

Mais ses clichés seront tournés en ridicule par de prétentieux photographes parisiens, bobos mondains odieux et intolérants :

« J'ai longtemps confondu l'artiste et son oeuvre... Ce n'est que grâce à la psychanalyse, par étapes successives, que j'ai vaguement pu dissocier les deux : on peut être un grand artiste et un sale con... On peut faire des choses très belles en étant soi-même assez moche. On peut saisir toute la beauté du monde sur du papier mais n'en jamais faire partie... C'est étrange : comment peut-on être à ce point dépassé par ce qu'on fait ? Mais si l'oeuvre est meilleure que l'artiste, pourquoi ne l'améliore-t-elle pas ? La main frôle le divin quand les pieds pataugent dans la médiocrité... Que l'on préfère l'un ou l'autre, le messager et le message ne se fondent peut-être jamais... Mon boucher est un bonhomme abominable, mais son jambon sec est un pur moment de bonheur... L'art et la charcuterie... »
Marco va donc comprendre énormément de choses sur l'existence et sur lui-même au cours de ces évenements. Il va enfin pouvoir saisir « Ce qui est précieux » dans la vie d'un homme et va comprendre que le destin de son père, bien que différent du sien, n'est après tout pas si éloigné du sien :

« De manière rassurante ou au contraire terrifiante, tout ce que je fais porte la trace de mon père. Ce qu'il m'a appris ne se résume pas qu'à ce que je vis... Je suis intimement une part de lui. Il m'arrive de croire, aux rares moments d'euphorie, que je me suis affranchi de lui... Mais ça ne dure jamais bien longtemps... Il n'est pas une heure sans qu'il ne me remonte à la surface, pour le meilleur ou pour le pire. Je n'ai pas la certitude que nous soyons réellement séparés. Je suis en lui, il est en moi. Je suis mort, il est en vie... C'est un mystère. Savoir enfin ce que je suis passe à coup sûr par comprendre qui il était... »
Fort de cette introspection, Marco va enfin pouvoir mettre ses névroses de côté et peut-être devenir père à son tour.

Que dire de plus à propos de cette bande-dessinée de Manu Larcenet ? Car c'est bien d'une bande-dessinée qu'il s'agit. Loin des clichés habituels que certains entretiennent au sujet de cette forme de narration : enfantin, humoristique, naïf... on s'immerge dans ces trois volets du « Combat Ordinaire » dans un récit qui dépasse de très très loin les pitoyables créations littéraires actuelles ( non, je ne citerai pas Christine A. Marc L. Guillaume M. Florian Z. etc... ) qui phagocytent les rayonnages des librairies et les écrans de télévision.

« Le Combat Ordinaire » est un récit drôle, touchant et intelligent, une oeuvre sensible et émouvante.
On rit souvent au fil de cette histoire mais par moments les larmes montent aux yeux et c'est la gorge serrée que j'ai refermé le troisième et dernier volume du « Combat Ordinaire. »

Travailler plus... pour polluer plus...


2050 ?
envoyé par moulax22

vendredi 8 juin 2007

Paratiisisaaren vangit


"Prisonniers du paradis" Arto Paasilinna. Roman. Denoël, 1996. Traduit du finnois par Antoine Chalvin.



C'est avec un peu d'appréhension que je me suis décidé la semaine dernière à entamer la lecture de « Prisonniers du paradis. » Pourquoi ? Je m'explique.
En ouvrant ce livre, je m'attaquais au dernier roman de Paasilinna traduit en français qui ne me soit pas encore tombé dans les mains.
Depuis 1991, date à laquelle je dénichai dans la petite librairie de mon quartier un exemplaire du « Meunier hurlant », je n'ai cessé depuis lors, et quand l'occasion s'en présentait, de lire tous les romans d'Arto Paasilinna qui se trouvaient sur mon chemin. Que ce soit en librairie ou en bibliothèque, tout y est passé au fil des années et c'est avec une légère angoisse que je voyais se profiler le moment où j'aurai consommé tous ses romans parus et traduits en français.
Allais-je être forcé, sachant qu'une vingtaine de ses oeuvres n'avaient pas encore été traduites, d'apprendre le finnois pour continuer mon exploration de l'univers romanesque et décalé de cet auteur ? Bien heureusement non.
Le hasard a voulu que j'apprenne, alors que je commençai à me résigner, qu'une nouvelle traduction sortait en librairie et dont le titre, « Le Bestial Serviteur du Pasteur Huuskonen », était déjà à lui seul tout un programme.
Mais comme un bonheur n'arrive jamais seul, j'appris dans la foulée qu'un autre roman allait paraître au mois de septembre.
Réconforté par ces rassurantes nouvelles, j'ai donc pu m'adonner avec grand plaisir et sans plus aucun sentiment de frustration, à la lecture de « Prisonniers du paradis » qui fut son premier roman publié en Finlande en 1974.

On trouve d'emblée, à la lecture de ce premier roman, la matière de ce qui fera le style incomparable d'Arto Paasilinna, cet adroit mélange d'humour, de tendresse et d'insolite dans lequel le retour à la nature et la fuite devant l'uniformisation des moeurs sont devenus une constante que l'on retrouve dans toute son oeuvre.

Le narrateur de cette histoire, un journaliste finlandais en route vers l'Australie se trouve au début du récit à bord d'un avion au dessus du Pacifique. L'appareil, loué par l'O.N.U. transporte à son bord des infirmières, des sages-femmes, des médecins et des bûcherons, tous suédois, finlandais et norvégiens envoyés dans cette région du globe pour accomplir des missions humanitaires en Inde et au Bangladesh.
Mais en plein au dessus de l'Océan une tempête se déclare et l'avion se voit contraint d'amerrir en catastrophe. Fort heureusement pour les rescapés, l'appareil se pose à proximité d'une île.
Les naufragés, vingt-huit hommes et vingt-six femmes vont alors devoir faire preuve d'habileté afin de subvenir à leurs propres besoins et aussi de patience et de civisme pour cohabiter paisiblement les uns avec les autres et organiser une ébauche de société.
Les secours n'arrivant pas, nos Robinsons nordiques ne vont pas tarder à s'organiser et à tirer parti de tout ce qui leur tombe sous la main pour améliorer leurs conditions de vie.
On apprendra donc comment fabriquer un réfrigérateur avec des gilets de sauvetage ainsi que les diverses utilisations que l'on peut tirer d'une caisse remplie... de stérilets.
Nos joyeux naufragés en profiteront également pour distiller de l'alcool de noix de coco et ouvrir ainsi le « Café de la Jungle
On le voit, ce roman, qui n'engendre pas la mélancolie, est l'occasion rêvée pour Paasilinna de dresser quelques portraits truculents et de nous entraîner dans une histoire truffée de surprises et de rebondissements. Loin des forêts de conifères finnoises qui servent de toiles de fond à nombre de ses romans, Arto Paasilinna nos offre cette fois-ci une aventure aux couleurs des tropiques, un récit de naufragés dans la lignée de « Robinson Crusoe » et « L'île mystérieuse » mais avec cette fois-ci en plus, l' élément féminin, l'eau-de-vie, un vieux bunker japonais et bien d'autres choses encore. A déguster comme un bon verre d'aquavit.

mercredi 6 juin 2007

Just Remember...

Aujourd'hui 6 juin 2007 aucune de nos grandes chaînes de télévision ne diffusera en soirée un film ou un documentaire relatant le sacrifice de tous ces hommes venus se battre pour libérer l'Europe de l'oppression nazie. La commémoration de cet acte historique ferait-elle chuter l'Audimat ? Les temps changent, les mentalités aussi ... c'est triste.

mardi 5 juin 2007


"Je ne me connais pas.
Je m'imagine."
Charles-Ferdinand Ramuz

Hiboux, Choux, Genoux...



"La grammaire est une chanson douce" Erik Orsenna. Stock, 2001


"Les Chevaliers du Subjonctif" Erik Orsenna. Stock, 2004


Si vous ou vos enfants avez des problèmes avec la grammaire, l'orthographe ou la conjugaison, ces deux petits bouquins sont pour vous !

Avec Erik Orsenna, oubliez toutes ces fastidieuses règles grammaticales, ces exercices assommants et ces analyses de phrases qui ont empoisonné votre scolarité.
Suivez plutôt Jeanne et son grand-frère Thomas, tous deux naufragés lors d'une terrible tempête qui a fait sombrer le paquebot sur lequel ils voyageaient et les a fait accoster sur une île bien étrange.
Sur cette île paradisiaque, ils vont faire la connaissance de Monsieur Henri (on reconnaîtra aisément Henri salvador) qui leur servira de guide au cours de leur séjour drolatique et mouvementé au sein de cet archipel dédié à la langue française.
Ils visiteront la ville des mots qui font leur marché en quête d'adjectifs, ils feront connaissance avec la tribu des adverbes, celle des pronoms, l'usine à verbes, les horloges du présent, du passé simple, de l'imparfait, du futur et du conditionnel, l'île de l'infinitif, l'île des impératifs ( un grand moment ) ainsi que celle qui sert de décor principal au deuxième opus : l'île des subjonctifs.
Jeanne rencontrera également au cours de ses aventures quelques personnages célèbres qui coulent des jours paisibles : St Exupery, Proust, La Fontaine, Melville, Hemingway, Conrad... tous amoureux des mots et grands magiciens de l'écriture.

Avec ces deux ouvrages, Erik Orsenna nous offre une balade poétique au pays de la langue française, une aventure truffée de rebondissements et de clins d'oeil littéraires, une approche ludique et humoristique de la grammaire et de la conjugaison remarquablement mise en scène et égayée par les illustrations de Bigre.

Pour petits et grands, ce conte amusant et exotique, éducatif sans être barbant se déguste avec plaisir et réconciliera avec la grammaire française ceux d'entre nous qui en gardent un souvenir quelque peu amer.


A signaler : le troisième volet de la série : « La révolte des accents » vient de sortir en librairie.

Je voudrais qu'on m'explique...#2


Je voudrais qu'on m'explique comment le gouvernement arrive à escamoter plusieurs millions de chômeurs ?

lundi 4 juin 2007

No Man's Land


"Le Dernier Monde" Céline Minard. Roman. Denoël, 2007



Jaume Roiq Stevens est astronaute et accomplit une mission en orbite autour de la terre à bord de la station spatiale internationale. Lorsqu'un incendie se déclare, et après avoir rapidement maîtrisé celui-ci, l'équipage est invité par les autorités à évacuer la station et à retourner sur Terre. S'opposant à cette décision, Stevens décide de rester seul à bord.
C'est alors qu'il constate à travers les hublots que des phénomènes étranges se passent à la surface de la Terre. Puis soudainement toutes les communications s' interrompent et, face à ce silence inquiétant, Stevens se résout enfin à abandonner la station et à rejoindre le plancher des vaches.
Sa capsule s'étant écrasée dans un marais de Floride, il constate avec stupeur qu'aucun comité d'accueil ne l'attend. Il réalise alors peu à peu que l'espèce humaine a totalement disparu de la surface du globe, ne laissant derrière elle que des vêtements vides, preuve d'une disparition aussi soudaine qu'inexplicable.


Commence alors pour Stevens une incroyable odyssée qui va le mener à travers le monde, des steppes de Mongolie et de la Chine à l'Inde, de l'Afrique à l'Amérique du Sud en un voyage halluciné qui le reliera aux cultures et aux grands mythes fondateurs des civilisations nées sur ces différents continents.
Etant devenu l'ultime représentant de l'espèce humaine et condamné pour cela à la plus extrême solitude, Stevens va retranscrire ses faits et gestes dans un carnet où il se décrira à la troisième personne du singulier afin de s'auto-observer et de surveiller sa santé mentale : « Je vais simplement prendre un peu de distance, je vais écrire tout ce que fait Jaume Roiq stevens, je vais l'écrire. Il a fait ci, il a fait ça. Comme si je me voyais de loin. »


Il va également entamer un dialogue imaginaire avec des êtres issus de son propre passé mais aussi avec des personnages qu'il recréera à partir des quelques vêtements et papiers d'identité laissés derrière eux, maigres vestiges d'individualités anéanties mais qui reprendront peu à peu de plus en plus d'épaisseur et de réalité au fur et à mesure de l'évolution schizophrènique du récit de Stevens.
On suit alors Jaume Roiq Stevens et ses « doubles » dans un périple halluciné où il se mettra, dans un but prophylactique, à la tête d'une immense armée de cochons lâchée sur les steppes d'Asie afin de nettoyer la surface de la planète des détritus engendrés par l'espèce humaine. On assistera aux luttes dynastiques auxquelles se livrent diverses espèce porcines ainsi qu'aux titanesques et sanglants combats qui les opposeront afin d'affirmer leur suprématie.
On assistera aussi à la destruction par Stevens des barrages hydro-électriques, destructions qui assureront, par la violente submersion des terres, un nettoyage rapide et efficace des zones exploitées par la défunte espèce humaine.

On le voit, c'est à un "trip" hallucinant que nous convie Céline Minard, une odyssée post-apocalyptique bien éloignée des références du genre. Certes, on ne peut s'empêcher au début de penser à « Je suis une légende » de Richard Matheson ainsi qu' à « Ravage » de Barjavel , deux romans essentiels de la littérature d'anticipation.


Mais là où « Le Dernier Monde » se différencie de ces deux romans, c'est tout d'abord par sa résolution à tirer un trait définitif sur l'espèce humaine. Pas d'espoir chez Céline Minard, Jaume Roiq Stevens – Robinson Crusoe du futur, ne sera pas sauvé par ses pairs car il n'y a plus une seule personne vivante sur la surface du globe.
La flore et la faune sont désormais libres de reprendre leurs droits sur la planète et le genre humain n'est plus qu'un mauvais souvenir, une souillure, qui peu à peu s'atténue jusqu'à disparaître.
Stevens ne sera donc pas un nouvel Adam qui serait à l'origine d'un nouveau départ de l'humanité. Il n'y a pas d'Eve sur son monde et le Créateur a apparemment décidé de changer son fusil d'épaule. Exit les Homo Sapiens !
C'est pourquoi Stevens, au fil de ses pérégrinations, évoquera les grands mythes originels forgés par les civilisations les plus anciennes, il récitera et réinterpretera ceux-ci dans une vaine tentative de réamorcer peut-être un processus de Création.
Mais c'est sans comptersur les multiples personnalités dont est constituée la conscience de Stevens : parmi celles-ci l'une tente de faire un travail de conservateur et de recueillir tout ce qui fit la grandeur du genre humain : l'art, la littérature, la philosophie... Tandis que l'autre n'aspire qu'à faire table rase du passé et à enterre définitivement jusqu'au dernier souvenir de cette espèce maudite et nuisible.


Roman de Science-Fiction ? Conte cruel ? Fable philosophique ? « Le Dernier Monde » de Céline Minard c'est un peu tout cela. C'est aussi une forme de testament de l'humanité, un Requiem pour le genre humain, espèce ambivalente qui mériterait cent fois l'extinction en punition de ses actes mais qui, au contraire, mériterait aussi d'être sauvée pour sa créativité sans limites, la perfection de ses arts, la richesse de son imaginaire.
C'est avec une écriture remarquable que Céline Minard nous entraîne dans son « Dernier Monde », une écriture ciselée, bondissante, érudite sans être prétentieuse, regorgeant de références culturelles, mythiques, littéraires et philosophiques. On pourra reprocher à ce roman certaines « longueurs » et quelques impasses dans la narration mais l'impression d'ensemble laissée par ce roman est celle d'un récit que l'on voudrait reprendre maintes fois et sur lequel on voudrait incessamment s'arrêter afin de goûter les allusions disséminées au détour de chaque phrase.


Voyage halluciné au bout de la raison, périple surréaliste à travers les mythes et les cultures humaines, « Le Dernier Monde » est une accusation portée conte le genre humain et ses excès ainsi qu'un hommage à notre si fragile, si redoutable et si vénéneuse espèce.

vendredi 1 juin 2007

Je voudrais qu'on m'explique...#1


Je voudrais qu'on m'explique pour quelles raisons le moral des français, selon l'INSEE, serait au beau fixe ?