lundi 29 juin 2009

Le dernier chant des Makahs


"L'Hiver indien" Frédéric Roux. Roman. Grasset & Fasquelle, 2007.



Quand Stud Gorch sort de prison après avoir écopé d'une peine de six ans pour agression, le moins que l'on puisse dire c'est que son séjour derrière les barreaux l'a changé. À force de séances de musculation, il a largement dépassé le quintal et son corps est recouvert de tatouages. Lorsque son jeune frère Percy le découvrira un matin affalé sur le lit, il lui faudra quelques instants avant de réaliser que cette chose colossale et peinte de la tête aux pieds est bien son frère.
Mais Stud n'a pas subi qu'une métamorphose physique, l'ennui pendant ces longues années passées au pénitencier l'ont poussé à réfléchir sur le sens de sa vie. Aussi a-t-il décidé de ne plus toucher à un verre d'alcool, mais mieux encore, de retrouver et de faire revivre les rites ancestraux de son peuple.

Car Stud et son frère Percy sont des indiens Makahs, une tribu apparentée aux Kwakiutls et dont le territoire se trouve au nord de l'État de Washington. Les Makahs étaient réputés pour être d'adroits pêcheurs de saumons mais aussi de grands chasseurs de phoques et de baleines. Mais en 1855, ils durent céder leur territoire aux États-Unis qui en contrepartie leur offrirent généreusement la jouissance d'une petite réserve à Neah Bay.


C'est ici, à Neah Bay que vivent encore de nos jours les indiens Makahs. C'est ici que Stud Gorch revient, dans ce lieu où lui et son frère ont toujours vécu, dans cette réserve qui, à l'instar de tant d'autres réserves indiennes en Amérique du nord, n'est qu'un ramassis de vieilles baraques croulantes et de caravanes défoncées, cernées de carcasses de voiture rouillées entre lesquelles déambulent des chiens pouilleux et des indiens pris de boisson. Le destin des Makahs n'est en effet guère enviable : repoussés sur un bout de terre au bord du Pacifique, leur existence, pour la plupart, se partage entre chômage, alcoolisme et petite délinquance. Les frères Gorch sont de ceux-là : sans emploi et sans revenus, ils vivent de menus larcins et de trafics en tous genres afin d'assurer leur approvisionnement en alcool et en nourriture. Aussi, quand Stud décide d'en finir avec cette existence et expose son projet à son petit frère, celui-ci n'en croit pas ses yeux. Il s'agit de renouer avec une tradition ancestrale qui a fait le fierté des Makahs : la chasse à la baleine.
Bien que réticent au départ, Percy – qui est plus habitué à chasser les femmes que les baleines – va se laisser entraîner dans cette aventure. Mais pour chasser une baleine au harpon sur une barque, il ne suffit pas d'être deux, il faut des rameurs. Les deux frères vont donc faire appel à leurs connaissances.

Le premier enrôlé sera Howard, « l'intellectuel » du groupe, un vieil alcoolique, vétéran de la guerre du Vietnam, amateur de littérature et qui écrit en secret des poèmes, occupation qu'il cache à ses proches comme une maladie honteuse. Il y aura aussi Dale, le fils d'Howard, qui a fait la guerre du Koweït et qui, en froid avec son père, est parti travailler à Portland.

Stud ira chercher aussi Greg Bishop, une sorte d'ogre qui vit retiré dans les bois et qui terrorise à lui tout seul les habitants de Cœur d'Alene en sculptant nuitamment avec sa tronçonneuse les arbres de la ville, quand il ne décapite pas les lampadaires. Ce mode d'expression pourrait à la rigueur apporter un atout culturel à la petite ville si les sculptures de Greg s'inspiraient des totems traditionnels amérindiens, mais l'ogre à la tronçonneuse ne sculpte que des effigies d'Elvis Presley. « Cœur d'Alene pouvait donc s'enorgueillir, depuis que le géant s'était installé à sa périphérie, de la plus importante collection d'Elvis Presley sculptés à la tronçonneuse du nord de l'Idaho et même du monde dit civilisé : vingt-sept exemplaires pour être précis, situés quelquefois à plusieurs mètres de hauteur, qui couvraient à peu près toute l'étendue de la carrière du chanteur et la palette chatoyante de ses différentes tenues, depuis sa première apparition à l'Ed Sullivan Show jusqu'à ses concerts à Hawaii. »


Le dernier membre de l'équipage sera Chris Klookshood, un escroc obsédé sexuel qui propose à ses clientes sur le retour des séances de thérapie assez spéciales pour lesquelles il utilise un salmigondis de niaiseries New-Age. « Il mélangeait à l'usage des crédules différentes bouillies : le yoga himalayen, les pierres censées être magnétiques, les pentagrammes, le Yi-King, sainte Rita, Vishnu, les pyramides d'Egypte, les hymnes rastas, le bouddhisme décaféiné, les tarots, les pendules, les gris-gris et, depuis quelques années, le jacuzzi et l'hypnose. »


Cette fine équipe va donc proposer son projet aux anciens du conseil tribal qui, pour le coup, vont se trouver bien embarrassés. Si certains approuvent l'idée qui fera sortir de l'oubli le peuple Makah et permettra ainsi de faire revivre les hauts faits de leur histoire commune, d'autres regrettent que ce projet soit l'œuvre d'une bande de bons à rien imbibés d'alcool dont certains ont de plus maille à partir avec la justice. Quoi qu'il en soit, le projet de Stud Gorch sera approuvé, mais c'est sans compter avec les opposants de la chasse à la baleine. En effet, dès que la nouvelle se propage, arrivent de partout journalistes et écologistes, les uns pour rendre compte du déroulement des hostilités entre indiens Makah et défenseurs de la nature, les autres pour saboter et interdire la chasse au cétacé. Le plus enragé des opposants à cette chasse sera le « Colonel » Saul Holmes, un activiste charismatique, égocentrique et poseur, toujours face à l'objectif lorsqu' une camera se présente (imaginons Bernard Kouchner en activiste écolo et l'on pourra se faire une idée du personnage).


Le moins que l'on puisse dire, c'est que le projet de Stud Gorch va déchaîner les passions dans et autour de la réserve de Neah Bay. Et nos hardis chasseurs de baleines, alternant séances de purification et beuveries homériques, sont loin de se douter jusqu'où va les entraîner cette aventure.

On pourrait croire, à première vue, que « L'hiver indien » est un roman américain, écrit par un auteur que l'on pourrait situer entre Russell Banks et Tristan Egolf. Ce roman a pourtant été écrit par un français, Frédéric Roux, qui nous livre ici un ouvrage remarquable à tous points de vue. On retrouve en effet dans ce roman la dimension épique propre aux grands romans d'outre-Atlantique, peuplés de personnages dont l'extravagance et la singularité s'accordent avec la démesure du paysage. Extravagants, atypiques pour nos mentalités d'européens, ces personnages n'en sont pas moins des héros ordinaires, comme ces indiens Makahs, piégés entre deux cultures : la leur, qu'ils ne connaissent plus et qu'ils tentent maladroitement de reconstituer, et celle des autres, des blancs, à laquelle ils n'appartiendront jamais.


Superbe parabole sur la liberté mais aussi sur l'acculturation et la déculturation des peuples soumis à la loi des vainqueurs, « L'hiver indien » , roman flamboyant et déjanté, est de ces ouvrages qui ne se laissent pas facilement oublier tant la force du propos, la présence des personnages et la qualité du récit y sont superbement maîtrisés. Un très grand et très beau roman.




samedi 20 juin 2009

Le 7ème Prix des lecteurs du Télégramme a été attribué à...

Le 7ème Prix des lecteurs du Télégramme a été décerné à... Claudie Gallay pour "Les déferlantes."


Près de 80% des lecteurs ont plébiscité ce très beau roman.







L'article du Télégramme ci-dessous :


Une très bonne participation, une forte majorité en faveur de Claudie Gallay... C'est une véritable lame de fond qui a porté «Les déferlantes» (éditions Rouergue) en tête du palmarès. La lauréate est ainsi la quatrième femme à remporter le Prix des Lecteurs du Télégramme.



Prix Henri-Queffélec (décerné lors du salon Livre et Mer de Concarneau en avril dernier), Prix des Lectrices de Elle, Prix des Lecteurs du Télégramme... Seriez-vous née sous une bonne étoile ?


Je pense avoir une chance inouïe. Dans la vie, il est plutôt rare que ce qui vous arrive dépasse vos attentes, c'est plutôt le contraire. Ces Prix me donnent envie d'écrire. Ils me donnent de l'énergie, et confiance aussi. Et puis tout cela est arrivé lentement, c'est plutôt bien pour quelqu'un comme moi. Alors oui, sans doute je suis née sous une bonne étoile.


Grâce à ces prix, les personnages des «Déferlantes » vivent toujours : occupent-ils toujours votre esprit ? Comment allez-vous les quitter pour pouvoir vous lancer dans une autre histoire romanesque ?


Ils s'éloignent doucement, je pense à eux de moins en moins souvent, cela se fait sans violence alors que j'ai vécu avec eux, au quotidien, pendant plus d'un an. Je ne les oublie pas mais ils deviennent comme de lointains et très vieux parents. Ils s'effacent pour pouvoir laisser la place à d'autres personnages. Ce sont aussi les autres personnages qui s'imposent et les forcent au repli.


À l'heure actuelle, où en sont les ventes des « Déferlantes » ? Et les traductions à l'étranger ?


Nous avons dix traductions (allemand, italien, anglais, brésilien, suédois... ) et plus de 230.000 exemplaires vendus.


Où en est le film qui doit être tiré de votre roman ?


La réalisatrice est Élénore Faucher. Le choix des acteurs n'est pas encore décidé. Le titre sera le même et le film se tournera à la Hague. Le producteur s'est rendu sur place, il a trouvé les lumières superbes !


À la rentrée 2009, vous allez être en disponibilité de l'Éducation nationale : votre métier d'institutrice ne va-t-il pas vous manquer ?


Il est difficile de savoir si les choses vous manquent, tant que le manque n'est pas là. J'ai envie de temps. Ne plus enseigner, c'est être libre géographiquement. J'ai la chance d'avoir mon métier avec moi, il me suffit de rien, un peu de papier, un stylo... Je peux aller n'importe où, c'est une grande liberté.


Comment allez-vous organiser votre temps, vos journées, pour écrire ?


Je vis avec l'écriture. Il n'y a pas de jours sans. Même quand je n'écris pas, je suis à l'affût. Partout. Ça commence tôt le matin, vers 5 h, avec beaucoup de café. Jusqu'à 11 h. Les après-midi sont plus calmes, c'est le moment consacré au jardin, je réponds au courrier, et puis les choses de la vie ordinaire, comme réparer ce qui est cassé ou étendre le linge. Le soir, souvent, je relis ce qui a été fait le matin, je reprends, je corrige, je change un mot. J'aime ce travail d'artisan. J'aime aussi les journées entières d'écriture.


Avez-vous déjà une idée de ce que vous allez écrire?


J'ai commencé un autre roman mais il m'est difficile d'en parler car tout est encore très confus. Les hommes sont pleins de rêves, c'est de là que je veux partir. Et puis la vie, les cassures, comment on reste debout, ce que l'on sacrifie. Le lieu est en place, les personnages sont campés. Reste à laisser se nouer ce qui doit l'être. J'avance à tâtons. C'est un premier jet, celui de l'instinct. Tout a envie de prendre place, les tensions se dessinent avec des personnages qui font ce qu'ils peuvent. Comme dans la vraie vie.



Propos recueillis par Yves Loisel.


"Je pense avoir une chance inouïe. Dans la vie, il est plutôt rare que ce qui vous arrive dépasse vos attentes, c'est plutôt le contraire. Ces Prix me donnent envie d'écrire. Ils me donnent de l'énergie, et confiance aussi."

(Claudie Gallay)

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vendredi 19 juin 2009

Le 7ème Prix des lecteurs du Télégramme # 8


"Le soldat et le gramophone" Saša Stanišić. Roman. Editions Stock, 2008

Traduit de l'allemand par Françoise Toraille.



« Grand-père Slavko a pris mon tour de tête avec la corde à linge de grand-mère, il m'a donné un chapeau de magicien, un chapeau pointu en papier en me disant : En fait, je n'ai pas encore l'âge de ce genre d'âneries, et toi, tu ne l'as déjà plus.
Il m'a donné un chapeau de magicien décoré d'étoiles jaunes ou bleues avec des traînes jaunes ou bleues, j'ai ajouté un petit croissant de lune et deux fusées triangulaires découpées dans du papier, l'une pilotée par Gagarine, l'autre par grand-père Slavko.
Grand-père, personne ne me verra avec ce chapeau-là !
J'espère bien !
Au matin de sa mort, grand-père Slavko a taillé une badine pour m'en faire une baguette magique en déclarant : Le chapeau et la baguette possèdent un pouvoir magique. En portant le chapeau et en brandissant ta baguette, tu seras le plus puissant magicien du possible et de l'impossible dans l'ensemble des États non-alignés. Ton pouvoir aura une portée révolutionnaire particulière tant qu'il s'exercera en conformité avec les idées de Tito et en accord avec les statuts du Parti communiste yougoslave.
Je doutais de la magie, je ne doutais pas de mon grand-père. L'invention, c'est le don le plus précieux, l'imagination, la plus grande des richesses, retiens bien ça, Aleksandar, avait dit grand-père d'un ton grave en me posant le chapeau sur la tête, retiens bien ça et imagine un monde plus beau. Il m'avait tendu la baguette. Je ne doutais plus de rien. »

Le jour où il fait ce cadeau à son petit-fils, grand-père Slavko meurt d'un arrêt cardiaque, au moment même où, à Tokyo, Carl Lewis bat le record du monde du 100 mètres. « Grand-père Slavko est mort en 9 secondes 86, son cœur a couru au coude à coude avec Carl Lewis – le cœur s'est arrêté pendant que Carl fonçait comme un fou. Grand-père cherchait à reprendre son souffles, Carl levait les bras en l'air, avant de se jeter sur les épaules un drapeau américain. »


Aleksandar Krsmanović a un peu plus de dix ans lorsque son grand-père décède.
Lui et sa famille vivent près de Višegrad, en Bosnie.
Cette disparition annonce malheureusement bien d'autres malheurs dans cette province qui est, pour peu de temps encore, la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. En effet, en 1992, suite aux velléités d'indépendance de cette ancienne province de la République fédérale yougoslave, l'armée yougoslave déclenche les hostilités contre les ressortissants d'origine bosniaque (majoritairement musulmans) et croates (d'obédience catholique). La suite, tout le monde la connaît : une guerre terrible qui se joua à deux heures d'avion de Paris et fut la honte de la communauté européenne et des Nations-Unies.


C'est cette période tragique qui nous est racontée ici par Saša Stanišić, dans ce roman en partie autobiographique. Saša Stanišić est né en 1978 et a grandi lui aussi à Višegrad. Comme Aleksandar, le personnage principal de son roman, il est le fils d'un père serbe et d'une mère bosniaque. Comme lui, il va devoir émigrer en Allemagne avec ses parents mais refusera plus tard de les suivre vers les États-Unis. Quand la guerre aura cessé, il reviendra sur les lieux de son enfance afin de retrouver sa grand-mère et tous ceux qui ont de près ou de loin figuré dans la première partie de son existence.
Car dans ce roman, si la guerre est bien présente, avec son cortège d'horreurs, c'est surtout sa famille et la communauté de cette ville de Višegrad que Saša Stanišić s'applique à nous décrire.
Ce récit fourmille en effet de personnages hauts en couleurs, tous décrits avec une infinie tendresse.
C'est le grand-père Slavko, bien sûr, mais c'est aussi Milenko Pavlović, arbitre de football et conducteur de bus à la gachette facile, surnommé "le Morse" en raison de ses impressionnantes moustaches, qui partira de Višegrad un beau matin après avoir trouvé sa femme en compromettante posture avec le buraliste du quartier, et qui reviendra un an plus tard en compagnie d'une autre mère pour son fils Zoran : Milica, aussi appelée "la Coccinelle".

Ce sont aussi les arrière grands-parents d'Aleksandar qui organisent une fête à tout casser pour inaugurer la mise en fonction de toilettes modernes. Tous les invités se pressent évidemment pour essayer mais c'est à l'arrière grand-père que revient la primeur de s'asseoir en premier sur le trône de faïence, d'autant plus que pour l'occasion il s'est retenu pendant quatre jours ! L'arrière grand-mère d'Aleksandar n'est pas en reste : elle découvre un soir, après avoir regardé Superman à la télévision, une météorite dans son jardin dont elle est convaincue qu'elle est constituée de Kryptonite. Elle fera cuire l'aérolithe dans sa soupe de carottes, et convaincue que celle-ci lui donnera une force au moins égale à celle du super-héros, tentera de déraciner un chêne en lui faisant une prise de judo...

On découvrira ainsi au fil des pages nombre de personnages et de faits tour à tour cocasses et émouvants, relatés sous la plume de Saša Stanišić avec tendresse et poésie. On y verra bien sûr de quelle manière un soldat s'y prend pour réparer un gramophone, mais aussi pourquoi certains silures de la Drina portent des lunettes, comment épouser une rivière, pourquoi les princesses autrichiennes ressemblent toutes à Bruce Lee, combien de fois est mort le Maréchal Tito, pourquoi les petits poissons mordent mieux le matin (surtout quand on leur crache dessus), pourquoi Mr. Spok est privé de vacances à la mer, comment maigrir en faisant un régime à base de prunes et de viande hachée, etc...
Mais tout cela ne doit pas occulter le drame qui s'est joué dans cette partie de l'Europe, avec son cortège de massacres, de pillages, de viols et de destructions.

C'est en filigranes que nous sont décrites toutes les atrocités commises lors de cette période et Saša Stanišić nous relate ces faits avec retenue, dignité et sobriété, sans tomber dans le piège du sensationnalisme et du morbide. L'horreur est là, omniprésente, mais elle ne doit pas éclipser les forces de la vie et cette formidable capacité qu'ont tous les personnages de ce roman à surmonter l'indicible.

Cet incroyable appétit de vie, c'est ce qui ressort de tous les protagonistes du récit de ce jeune homme d'une trentaine d'années au visage d'adolescent qui nous livre ici un texte d'une qualité exceptionnelle, une œuvre dense et poétique, baroque, poignante, et magique.




Saša Stanišić





lundi 15 juin 2009

L'affaire Chloé Nolife






"Les enfants du néant" Olivier Descosse. Roman. Editions Michel Lafon, 2009.







Tout a commencé par un mail reçu il y a environ un mois et émanant d'une jeune fille d'une quinzaine d'années répondant au pseudo de Chloé Nolife.

Après s'être brièvement présentée, elle m'a demandé conseil sur la démarche à entreprendre pour ouvrir un blog.
Bonne poire, je lui ai répondu en lui donnant quelques tuyaux et, pensant m'être acquitté de ma b.a, je n'y pensais plus.
Quelques jours plus tard, je reçois un mail de remerciements auquel je ne réponds pas, par fainéantise et aussi parce que je n'ai rien de plus à lui dire au sujet de la manière de monter un blog.
Puis je reçois encore un autre mail. Cette fois-ci elle commence à me raconter sa vie : elle me parle de son petit-frère Jules qui est tombé sur un site porno en surfant sur le web. Puis viennent d'autres questions : elle veut savoir comment je m'appelle, quel genre de musique j'écoute, etc...
Bref, elle commence à m'agacer la Chloé et je ne réponds pas.
Mais elle n'en reste pas là et continue à m'envoyer des courriels où elle s'épanche de plus en plus, me donnant des détails sur sa vie et cherchant à me soutirer des indications sur ce que je fais dans la vie, sur les romans que je lis, etc...
Là, j'avoue que je perds patience et je suis à deux doigts de mettre ses courriels en « indésirables » afin qu'elle cesse de me harceler.

Et puis (comme quoi ça a du bon la communication au sein du couple), mon épouse (Chatperlipopette) m'apprend qu'elle reçoit aussi des mails de Chloé qui pour la plupart sont identiques aux miens.
Nous nous interrogeons et en discutons. Nous sommes bien d'accord pour en déduire qu'il y a quelque chose de dérangeant dans cet échange de courriels. D'autant plus que, même si la syntaxe employée – un vocabulaire typiquement d'jeuns – me laisse dubitatif quant au non-emploi du langage SMS et à l'absence de fautes d'orthographe.


Qui est donc cette Chloé ? Une rabatteuse pour un forum destiné aux ados ? Ou, plus inquiétant, un mailing destiné à attirer l'attention de vieux libidineux en quête de chair fraîche ? Nous nous accordons donc pour ne pas répondre à ces courriels, pensant que notre silence va l'éloigner.

Peine perdue, quelques jours plus tard, un nouveau mail fait son apparition. Cette fois-ci, Chloé nous annonce qu'elle a mis en ligne une vidéo d'elle sur Youtube. Nous craignons le pire. Irons-nous jusqu'à cliquer sur le lien qu'elle a déposé sur son mail ? Finalement, c'est Chatperlipopette qui fait l'essai. Une fois la vidéo vue, elle m'invite à en faire de même et c'est alors que je découvre ceci.
Voilà donc l'explication, Chloé Nolife, cette adolescente envahissante qui a squatté nos boîtes mail, n'existe pas. Elle est le fruit d'une opération de marketing viral orchestrée par les éditions Michel Lafon afin de faire la promotion du dernier roman d'Olivier Descosse : « Les enfants du néant ».
Bluffés, nous l'avons été au cours de ces quelques semaines, imaginant toutes sortes d'explications, même les pires, à ces mails intempestifs qui commençaient sérieusement à nous énerver.
Et comme il est bien connu que tout est bien qui finit bien, nous avons reçu quelques jours plus tard un exemplaire chacun des « Enfants du néant », gracieusement offert par le service de presse des éditions Michel Lafon.

« Les enfants du néant » est un thriller, genre littéraire qui, je l'avoue, ne fait pas partie de mes priorités d'achat lorsque je franchis la porte d'une librairie. Mais j'ai joué le jeu et me suis lancé dans la lecture de cet ouvrage.
J'y ai bien évidemment trouvé les ingrédients habituels à ce style de littérature : le flic mal dans sa peau, la concurrence acharnée à laquelle se livrent les différents services de police, les meurtres atroces avec mutilations et pour couronner le tout, l'ombre du serial-killer, ce moderne croquemitaine pour adultes devenu incontournable depuis le succès en librairie et au cinéma du « Silence des agneaux » de Thomas Harris.

Le personnage principal des « Enfants du néant » est donc un flic. Il s'appelle François Marchand et s'est reconverti dans la police après une carrière de psychanalyste qui s'est brutalement achevée à la suite d'un terrible drame personnel.
Son activité consiste à profiler les tueurs et les forcenés qui mettent en danger la vie d'autrui. Il va d'ailleurs avoir fort à faire pour élucider une série de crimes particulièrement atroces survenus en un laps de temps très court dans différentes régions de France. Le seul point commun de tous ces meurtres, ce sont les victimes, toutes adolescentes.
François Marchand va donc devoir plonger au cœur de l'univers d'une génération dont il ne fait plus partie depuis bien longtemps (il a dépasse la quarantaine) et tenter de comprendre les codes et les motivations de ces jeunes qui vivent entre monde réel et virtuel, grands consommateurs d'images, de musiques et de vidéos piochées sur le web.
Ce monde déroutant des adolescents d'aujourd'hui, il va devoir l'explorer afin de découvrir qui est à l'origine de ces meurtres épouvantables.

Ambiance glauque à souhait, descriptions des meurtres et des mutilations rapportées avec un luxe de détails qui fait frémir, ce roman, comme beaucoup d'autres du même genre, exploite notre fascination pour la violence et les atmosphères sordides. Construit comme un polar à l'américaine : phrases et chapitres courts, on ne peut que s'empresser d'en tourner les pages afin de découvrir qui est l'auteur de ces meurtres abominables.

Bref, c'est efficace et sans temps mort, ça obéit aux codes du genre dans le simple but de nous faire frémir et ça marche ! Cependant, j'avoue n'avoir pas été emballé par ce roman. Mon peu d'intérêt pour cette forme de littérature y est sans doute pour quelque chose.
Eux aussi ont été piégés par Chloé : Herwann, Cœurdechêne, Sophie, Cuné, Cathulu, Hilde, Tamara, Julie et j'en oublie...

mardi 9 juin 2009

Faux et usage de faux




"Les falsificateurs" Antoine Bello. Roman. Gallimard, 2007.





Fraîchement émoulu de l'Université de Reykjavík, un diplôme de géographie en poche, Sliv Darthunguver se trouve confronté à un problème d'importance majeure : trouver un emploi.
La situation du marché du travail en ce début des années 90 n'est pas plus prometteuse en Islande que partout ailleurs dans le monde.

Alors qu'il s'apprête, sans grand enthousiasme, à accepter un poste d'adjoint du directeur export d'une conserverie située dans le nord du pays, son attention est attirée par une annonce d'offre d'emploi correspondant à sa formation.
Le cabinet d'études environnementales Baldur, Furuset & Thorberg recherche en effet un chef de projet.
Sans perdre une minute, Sliv se rend à l'adresse indiquée afin d'y déposer son Curriculum Vitæ dans l'espoir d'obtenir très rapidement un entretien.
Sa démarche va s'avérer payante car il va être immédiatement reçu par le responsable du recrutement et directeur des Opérations, Gunnar Eriksson. Celui-ci lui explique les activités du cabinet, activités consistant à monter des dossiers sur l'impact environnemental occasionné par la construction d'autoroutes, de barrages hydro-électriques et autres constructions nécessaires au développement économique.

Quelques jours plus tard, Sliv est engagé et se voit confier son premier dossier. Il s'agit de se rendre au Groenland afin de réaliser une étude sur la construction d'une station d'épuration dans la petite ville de Sisimiut, construction commanditée par le Parlement de l'État autonome.

Après deux mois passés dans les solitudes glacées du Groenland, Sliv revient à Reykjavík. Sa mission a remporté un franc succès mais un léger détail dans son rapport final ne cesse de le troubler : il semblerait qu'une erreur ait été glissée dans celui-ci. Cette erreur – Sliv va l'apprendre très rapidement – a été insérée volontairement dans le dossier par Gunnar Eriksson lui-même.
Déconcerté, furieux, le jeune homme va demander des explications à Gunnar qui va lui révéler froidement qu'il a fait exprès d'introduire cette erreur dans le dossier. Cette manœuvre est en fait le moyen qu'a trouvé Gunnar pour sensibiliser son auditeur à ce qu'il s'apprête à lui révéler.

Ce que Sliv va apprendre de la bouche de Gunnar va le stupéfier : le cabinet Baldur, Furuset & Thorberg est – comme de nombreuses autres firmes de par le monde – une couverture servant à dissimuler les activités d'une organisation secrète qui a pour nom C.F.R. Ce sigle de trois lettres signifie « Consortium de Falsification du Réel ». Ses membres se comptent par milliers et sont disséminés aux quatre coins du globe.
Les activités du C.F.R sont assez peu banales car comme l'indique le nom de cet organisme ultra-secret, elles consistent à modifier les données de la réalité du monde qui nous entoure.
Accomplissant un travail de fourmi, ses membres élaborent des scénarii qui, à plus ou moins grande échelle sont susceptibles de changer la face du monde. Leur tâche peut se concentrer indifféremment sur l'invention d'un obscur peintre de la Renaissance ou sur la découverte de nouvelles sources d'énergie susceptibles de bouleverser l'équilibre des marchés mondiaux. Tous les domaines des connaissances humaines sont ainsi « modifiés » par le C.F.R. : histoire, archéologie, arts, écologie, sciences sociales, zoologie, littérature, religion, génétique, physique, économie, etc...
Fasciné par cette étrange organisation qui influe sur le destin de l'humanité, Sliv va être intégré au C.F.R. avec pour mission, dans les premiers temps, d'inventer un scénario crédible mettant en scène les Bochimans du Bostwana menacés d'expulsion de leur territoire soupçonné de receler des gisements diamantifères.

Peu à peu, Sliv va gravir les échelons de cette mystérieuse organisation, se faisant même des amis fidèles au sein de l'organisation, comme la chaleureuse indonésienne Magawati et le colosse soudanais Youssef Khrafedine. Mais il aura aussi maille à partir avec la glaciale Lena Thorsen ainsi qu'avec l'inquiétant et redoutable Yakoub Khoyoulfaz, l'instructeur des Opérations spéciales.

Mais au final, quelle est la véritable motivation du C.F.R ? Pourquoi dépenser tant d'argent et d'énergie pour falsifier la réalité ? Quels sont les buts et les motivations ultimes des dirigeants invisibles qui président cette organisation ? C'est ce que Sliv et ses amis vont tenter de découvrir au cours de leur cursus au sein de l'organisation. Trouveront-ils une réponse ?

De l'élaboration de fausses archives de la STASI en passant par les raisons de la disgrâce d'Hernan Cortés par Charles-Quint après la conquête du Mexique, en passant par l'invention d'un poisson de la famille des scombridés susceptible d'extinction suite aux derniers essais nucléaires français dans le Pacifique-Sud lors du mandat de Jacques Chirac en 1995, jusqu'à la preuve de l'inexistence de la célèbre chienne Laïka lancée en orbite par l'U.R.S.S en 1957, Antoine Bello revisite dans « Les falsificateurs » de nombreuses pages de notre Histoire.
Il nous donne ainsi matière à réflexion sur notre appréciation du réel et sur les différentes manières dont il est possible d'altérer celui-ci.
Parabole sur le pouvoir de l'écriture ( les écrivains n'ont-ils pas été de tous temps les plus talentueux falsificateurs de la réalité ? ) le roman d'Antoine Bello nous exhorte à ne pas oublier non plus que – plus que jamais – les médias contemporains manipulent les consciences en travestissant les faits, servant ainsi les peu louables intérêts des puissances économiques, politiques et idéologiques qui régissent la planète.

Aussi addictif que la désormais célèbre trilogie « Millenium » de Stieg Larsson (Actes Sud), « Les falsificateurs » d'Antoine Bello nous entraîne dans un récit passionnant, jalonné de rebondissements et de révélations extraordinaires (mais à prendre pour ce qu'elles sont, c'est à dire une œuvre de fiction) dans lequel il arrive que les manipulateurs se trouvent parfois eux aussi manipulés.
Quant aux motivations secrètes du C.F.R, j'espère en apprendre un peu plus en lisant la suite de ce récit : « Les éclaireurs », parue également chez Gallimard (février 2009 – Prix France-Culture -Télérama).






samedi 6 juin 2009

Le saviez-vous ? Demain il y a des élections


Parce que la démocratie ne s'use que si l'on ne s'en sert pas, n'oubliez pas d'aller voter demain.




vendredi 5 juin 2009

Le 2e Prix Landerneau..."And the winner is..."



Voilà, le résultat du Prix Landerneau est arrivé. Le lauréat pour cette année est Jérôme Ferrari pour son roman "Un dieu un animal". Une victoire bien méritée au regard de l'exceptionnelle qualité de cet ouvrage paru chez Actes Sud.

Bien que n'ayant pas encore lu tous les romans de la sélection, (il m'en reste encore deux en attente), je ne peux que me réjouir de la nomination de ce roman qui, personnellement, fait incontestablement partie du peloton de tête dans mon panthéon personnel avec "L'origine de la violence" de Fabrice Humbert (ouvrage prochaînement chroniqué sur ce blog).


Pour en savoir plus sur Jérôme Ferrari et son roman, je vous recommande l'entretien qu'il a accordé à Léthée ICI


jeudi 4 juin 2009

A la recherche du vent d' Ouest


"De pierre et de cendre" Linda Newberry. Roman. Editions Phébus, 2008.

Traduit de l'anglais par Joseph Antoine.



C'est un jeune homme sans le sou qui se présente un soir de 1898 à l'entrée de Fourwinds, la propriété de Mr. Farrow.

Samuel Godwin est un jeune peintre désargenté qui a du interrompre ses études artistiques suite à la mort prématurée de son père. Alors qu'il se résignait à abandonner ses pinceaux pour gagner sa vie d'une manière beaucoup moins exaltante, un heureux effet du sort lui a fait rencontrer Mr. Farrow, un riche veuf qui lui propose de se charger de l'éducation artistique de ses deux filles, Juliana et Marianne. Très enthousiaste à l'idée de gagner sa vie en enseignant la peinture, le jeune homme n'hésite pas une seconde, quitte Londres et prend un train pour le Sussex.
Arrivé à Fourwinds, il va immédiatement être séduit par le cadre enchanteur dans lequel est située la demeure construite par Mr Farrow.
La maison, quant à elle, ne cesse de l'impressionner par la beauté de ses proportions, l'aménagement harmonieux de ses jardins, l'ameublement et la décoration subtile des pièces intérieures. Tout cela laisse deviner que Mr Farrow, son nouvel employeur, est un homme de goût, amoureux des arts et de la beauté. Samuel Godwin va surtout se prendre d'admiration pour les sculptures qui ornent les façades de Fourwinds et qui représentent (comme l'indique le nom de la maison) les Quatre Vents.
Malheureusement, seules trois de ces sculptures sont en place, le vent d' Ouest n'ayant pas été achevé suite à une brouille entre Mr. Farrow et le talentueux sculpteur Gideon Waring.

Enfin, et pour ajouter à son émerveillement, Samuel Godwin va faire la connaissance de ses élèves, qui s'avèrent être deux ravissantes jeunes femmes. Le jeune homme va d'ailleurs très vite tomber sous le charme de Marianne, la plus jeune des deux sœurs.
Mais malgré cet aspect idyllique, le séjour de Samuel Godwin à Fourwinds va s'avérer fortement mouvementé. De nombreux mystères planent en effet sur ces lieux apparemment si sereins. Que penser en effet des crises de nerfs de Marianne, de ses accès de somnambulisme et de son obsession du vent d' Ouest ? Que penser, également, du renvoi du sculpteur Gideon Waring ainsi que de l'ancienne gouvernante, Miss Hardacre, très vite remplacée par la très compétente mais aussi très mystérieuse Charlotte Agnew ?

En digne héritière de William Wilkie Collins et de Daphné du Maurier, Linda Newberry nous offre, avec « De pierre et de cendre » un roman dont l'intrigue tiendra le lecteur en haleine jusqu'aux toutes dernières pages.
Mystères et perversions sont au menu de ce roman dont le climat, au début, ne sera pas sans rappeler – mais sans l'égaler cependant – l'ambiance particulièrement inquiétante et mystérieuse du « Tour d'écrou » d' Henry James.
L'écriture, de facture classique, nous plonge immédiatement dans l'atmosphère propre à la fin de l'époque victorienne.
Le récit, relaté par les deux principaux protagonistes du roman que sont Samuel Godwin et Charlotte Agnew, donne, par l'entremise de ce procédé bien connu, une profondeur et un angle différent à chaque nouvelle information qui nous est distillée, tout en maintenant suffisamment longtemps l'aura de mystère et de dissimulation qui entoure les différents personnages.
Le lecteur se voit ainsi abusé par l'auteur qui s'amuse à brouiller les pistes et à lui tendre des perches destinées à l'égarer vers de fausses pistes jusqu'à ce que toute la lumière se fasse à la conclusion du récit; conclusion qui, bien évidemment, sera pour le moins inattendue. Tous les éléments du roman à suspense sont ici réunis et s'enchaînent à merveille au cours de ce récit qui se laisse agréablement dévorer. L'illusion qui tend à faire croire que l'on se trouve devant un roman anglais écrit au XIXe siècle fonctionne à merveille.

On peut déplorer cependant le manque de profondeur des personnages et l'on se prend à regretter que leurs caractères n'aient pas été plus fouillés, ce qui aurait apporté à ceux-ci une véritable profondeur et aurait expliqué (tout du moins en partie) les motivations de leurs actes.
Mais le but premier de ce roman étant avant tout de nous divertir, on peut pardonner à l'auteur cette légère carence dans la description psychologique de ses personnages et se laisser emporter par ce récit dont le rythme et l'intrigue ne laisseront pas un instant de répit au lecteur.







Lord Frederic Leighton : "The painters' Honeymoon" 1864