Et voilà Einstein dehors, alors que le jour se lève sur Paris en ce matin de début novembre. Il hèle un taxi sans savoir encore qu'entre lui et le conducteur va se nouer une relation d'amitié qui va les emmener beaucoup plus loin qu'un simple parcours dans Paris.
Entre Sébastien, le vieil homme, et Laurent, le jeune chauffeur noir, le courant va très vite passer et les confidences vont aller bon train.
Einstein va raconter sa vie, sa jeunesse d'abord, alors que les nuages s'amoncellent sur l'Europe avant le déchaînement de violences de la seconde guerre mondiale : la débâcle, Dunkerque, la France occupée, coupée en deux avec la zonoccu et la zonono (la zone occupée et la zone non-occupée), la fuite en Espagne, puis à Londres, le retour en France pour entrer dans la clandestinité des réseaux de résistance, le maquis de Grenoble, puis celui de Lyon où il est arrêté, son incarcération, puis la Libération, le retour à la vie civile, le travail, le mariage, les enfants...
De tous ces souvenirs restent gravés dans la mémoire de Sébastien les visages de ceux qu'il ne pourra jamais oublier : Michel, son ami d'enfance, juif déporté qui ne se remettra jamais du traumatisme vécu dans les camps de la mort. Léa, la soeur de Michel, avec qui Sébastien tentera de s'enfuir de la zone occupée, Léa, enceinte, dont le destin sera brutalement tranché sur une route de campagne.
Et puis il y a Paula, la compagne des jours de clandestinité pendant l'occupation, l'agent de liaison de la résistance qui a réchappé de l'assaut du
Maquis des Glières, Paula, que Sébastien e retrouvé après la guerre, après qu'il se soit marié ; Paula qui redevint sa maîtresse mais qui, les années passant, se fit plus rare jusqu'à ce que Sébastien perde sa trace.
Mais aujourd'hui, alors qu'il a recouvré sa liberté, Sébastien est fermement déterminé à retrouver Paula. En compagnie de Laurent, il va se lancer sur la piste de sa maîtresse disparue.
À l'instar d' un Road-Movie, le roman de Joseph Bialot nous entraîne à la suite d'un vieil homme en quête de ce qui fut sa vie passée.
Entre nostalgie, souvenirs heureux et douloureux, critique acerbe du monde actuel et des idéologies du passé, Einstein, avec sa gouaille, nous relate ce que fut son existence, notamment sa jeunesse, au cours de cette période extrêmement difficile que fut celle de la seconde guerre mondiale.
Joseph Bialot qui a vécu lui-même l'expérience et les traumatismes de la guerre (il fut résistant puis déporté à Auschwitz) revient ici sur cette époque et les thèmes qui lui sont habituels, en l'occurrence la difficulté à sortir de l'expérience concentrationnaire, thèmes qu'il a déjà abordés notamment dans « La station St. Martin est fermée au public » et « C'est en hiver que les jours rallongent ».
Bien que le personnage d'Einstein ait attiré toute ma sympathie dans sa révolte, dans ses souvenirs douloureux, dans sa critique de la connerie ordinaire à laquelle j'adhère sans retenue, j'avoue que sa verve de vieil anar m'a parfois un peu lassé, que son discours d'éternel insoumis sonne parfois un peu faux, qu'il en fait « des caisses » et j'ai ressenti par moments un peu d'agacement envers ce personnage par ailleurs si attachant.
Quant à ce qui concerne la fin du récit, celle-ci, bien qu'émouvante à souhait, m'est apparue un peu téléphonée, et j'aurais souhaité que cette histoire se termine d'une manière moins prévisible. Il reste toutefois que ce roman est un beau moment de lecture, parfois tendre, parfois difficile, une ode à la liberté et à l'anti-conformisme, un récit poignant relaté avec causticité, ironie, lucidité et tendresse.
Même si j'ai apprécié ce livre, j'avoue pourtant avoir préféré, du même auteur, « La station St. Martin est fermée au public », un récit beaucoup plus sobre dans sa forme mais d'une universalité qui touche au sublime.
