lundi 30 avril 2007

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 9


"Lorraine Connection" Dominique Manotti. Roman. Editions Payot & Rivages, 2OO6.



Dominique Manotti est historienne. Il y a un peu plus d'une dizaine d'années elle a décidé, par l'intermédiaire du roman, de se faire chroniqueuse de notre société et, à la manière de James Ellroy ou d'Emile Zola, de dresser un portrait sans concessions de celle-ci.


Avec « Lorraine Connection » Dominique Manotti revient sur un des plus grands scandales politico-financiers de ces dix dernières années : l'affaire Daewoo.


C'est à Pondange ( comprenez Longwy) que tout commence. Dans ce bassin minier sinistré où les hauts-fourneaux se sont éteints les uns après les autres, s'installe, avec la bénédiction ( et les subventions) des autorités françaises et européennes, une succursale de la firme Daewoo. On y produit des tubes cathodiques pour des téléviseurs qui seront plus tard montés en Pologne.

Une ambiance délétère règne au sein de l'entreprise : le chef du personnel ainsi que le directeur sont des pistonnés incompétents, les ouvriers cotoient des cadres coréens qui ne parlent pas le français et semblent indifférents à la bonne gestion de l'usine.

L'incurie des responsables sera la cause d'un premier accident de travail mortel, puis d'un deuxième où une ouvrière enceinte sera électrocutée et perdra son enfant. C'en est trop pour les ouvriers. Devant tant de laisser-aller et suite au licenciement injustifié d'une de leurs collègues, ils décident de se mettre en grève et d'occuper les locaux.

Les cadres coréens s'enfuient en veillant soigneusement à évacuer la comptabilité de l'entreprise mais c'est par hasard que deux ouvriers découvrent sur un ordinateur des fichiers faisant état de comptes bancaires établis aux noms de certains de leurs collègues et émanant d'une banque luxembourgeoise. Ce que les deux hommes ne savent pas, c'est qu'ils viennent de mettre le doigt dans un engrenage fatal.


Car au même moment la firme Daewoo, qui vient de s'allier avec le groupe Matra fait, pour la somme d' un franc symbolique, l'acquisition du groupe Thomson dont le gouvernement français vient d'autoriser la privatisation.

Le groupe Alcatel, lui aussi sur les rangs, vient de perdre cette occasion de rachat et ses principaux dirigeants en viennent à se demander comment leurs concurrents si mal placés ont réussi à remporter ce marché.
Commence alors une enquête troublante qui révélera peu à peu un monde de corruption, une spirale de magouilles financières et de malversations honteuses dans lesquelles trempent les personnalités politiques les plus haut placées du gouvernement de l'époque ( dont certaines sont encore en place aujourd'hui et dont d'autres s'apprêtent dans les prochains jours à décrocher un poste ministeriel ou un secrétariat d'Etat ) ainsi qu' à tous les niveaux, les seconds et troisièmes couteaux, exécuteurs des basses oeuvres, notables provinciaux aux moeurs douteuses, fonctionnaires corrompus et membres de la pègre locale.


Dominique Manotti le dit et le revendique : elle écrit des romans noirs.

« Lorraine Connection » est à ce point de vue un roman très très noir, un constat effrayant sur les rouages sanglants du monde politico-financier, un monde où les valeurs morales et le respect la vie humaine n'existent pas , un monde où tout est possible et où l'argent est l'unique moteur d'une société dont les institutions sont corrompues et pourries jusqu'à la moelle.
Quant aux ouvriers, qu'ils soient de Daewoo ou d'ailleurs, ils ne sont que quantité négligeable, des pions que l'on pousse dans un sens, puis dans l'autre, puis que l'on jette et que l'on écrase à sa guise, sans états d'âme.
L'avis de Chatperlipopette et de Lo.

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 8


"La vie de bureau" Jean-Michel Delacomptée. Roman. Editions Calmann-Lévy, 2006.



Il s'appelle Henri Holstein et s'approche peu à peu de la soixantaine et de l'âge de la retraite.

Il travaille au sein d'un cabinet de consultants parisien. Lui et ses collègues quinquagénaires ocupent l'ancienne partie du cabinet où les journées se déroulent sans histoires, une sorte de réserve naturelle pour vieux dinosaures d'entreprise, une antichambre de la retraite où végètent sereinement les Has Been.


En face, de l'autre côté de la cour, s'élèvent les nouveaux locaux, verre et acier, architecture élégante et ambitieuse. Ici, c'est le quartier des nouveaux décideurs, des jeunes loups, dents longues et affutées, carriéristes ambitieux dénués d'états d'âme.


Henri Holstein vit seul, sa femme lui a annoncé, le jour de ses 50 ans qu'elle le quittait pour vivre au Royaume-uni avec un commissaire-priseur irlandais.

En dehors de ses heures de bureau, Henri partage son temps entre la traduction de textes latins de Sénèque et Saint-Augustin et ses activités de militant au sein de l'ALPP (Association de Lutte contre les Pollutions Phoniques.)


Car Henri a deux obsessions dans la vie. Le bruit tout d'abord, qu'il exècre, toutes ces nuisances sonores du quotidien qu'il assimile à un viol, une agression brutale et continue dont les victimes ne sont pas même soutenues par les pouvoirs publics et pire encore, dont les souffrances sont niées et tournées en ridicule.


Son autre obsession, ce sont les baisers. La simple vue de la bouche d'une jolie femme le transporte, le captive, le rend lyrique et la seule pensée d'embrasser ces lèvres le met en émoi. Mais Henri n'est pas un vieux pervers, loin de là, c'est un esthète, un homme sensible et raffiné qui respecte les femmes et rend hommage à leur beauté sans en faire de vulgaires objets de consommation érotique.


C'est dans un couloir du cabinet qu'il va faire la rencontre d'une jeune femme. Elle s'appelle Gloria, est américaine, et travaille de l'autre côté de la cour. Ses lèvres sont superbes, sa bouche parfaite, sa dentition éclatante. Henri est chaviré.


Il va tout faire pour aborder cette jeune femme et faire connaissance avec elle. Commence alors, entre le quinquagénaire rassis et la jeune Executive Woman, une lente danse de séduction grâce à laquelle chacun des deux protagonistes apprendra énormément sur l'autre mais aussi sur soi-même.


Le roman de Jean-Michel Delacomptée est une oeuvre pleine de drôlerie, de fraîcheur et de tendresse mais n'est pas pour autant un roman « léger » ni une bluette à l'eau de rose. Sous le masque riant de la comédie transparaît une satire de la société actuelle, de son rapport au temps et à l'autre, de sa négation des valeurs sentimentales et culturelles, au profit...du Profit et de la "Valeur-Travail", de sa propension à aller toujours plus vite et à pousser dans l'ornière ceux qui ont dépassé la limite d'âge ou ne sont pas assez « réactifs », de son incapacité à accepter ces deux aspects fondamentaux pour la compréhension et l'appréciation de la vie que sont la vieillesse et la mort.

vendredi 27 avril 2007

Au revoir Mr. Rostropovich.

Paroles d'éveil.

Celui qui se livre
A des méditations claires
Trouve rapidement la joie
Dans tout ce qui est bon.
Il voit

Que les richesses et la beauté
Sont impermanentes
Et que la sagesse
Est le plus précieux des joyaux.



"Fo-Sho Hintsan King"

Les prémices de la Révolution


"Le Sang des Farines." Les enquêtes de Nicolas Le Floch.

Jean-François Parot. Roman. Editions Jean-Claude Lattès, 2005.



Le dernier en date des romans de Jean-François Parot consacrés à Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet, débute lors du long et terrible hiver de 1774-1775.


Alors que l'Europe tremble de froid, Nicolas le Floch est envoyé en mission officielle à Vienne où il devra, après l'avoir convoyé, remettre à l'impératrice Marie-Thérèse un buste de Sèvres à l'effigie de la nouvelle reine de France, Marie-Antoinette.
Mais officieusement, sa tâche est de faire la lumière sur une affaire d'espionnage mettant en cause un mystérieux abbé, secrétaire de l'ambassadeur de France à Vienne.


Après avoir essuyé quelques péripéties au cours de ce voyage, dont une tentative de meurtre sur sa personne, le commissaire Le Floch, de retour à Paris, apprend la disparition de son fils du collège de Juilly dont il est interne. En ce début de l'an 1775, la révolte gronde au Royaume de France, les réformes de Turgot, nommé contrôleur général des finances, la médiocre moisson de 1774 qui mène à l'enchérissement du prix du pain, ainsi que les agissements des spéculateurs de tout poil, conduisent à un état insurrectionnel, « la guerre des farines », prémice de la Révolution de 1789.
C'est alors qu'un boulanger du voisinage, Maître Mourut, est retrouvé mort, probablement assassiné, dans son fournil. Ce meurtre serait-il en rapport avec les émeutes dûes à la crise frumentaire qui secoue le Royaume? C'est ce que va tenter de découvrir Nicolas Le Floch dans une nouvelle enquête, menée tambour battant, qui nous conduira des fastes de la Vienne impériale aux quartiers sordides du Paris de l'Ancien Régime à la recherche d'un complot visant à destabiliser les plus hautes sphères de l'Etat.


Avec ce sixième opus des enquêtes de Nicolas Le Floch, Jean-François Parot nous offre une fois de plus une reconstitution minutieuse de la société du XVIIIè siècle, ses us et coutumes,ses traditions culinaires, son langage raffiné et ses expressions truculentes, ses personnages hauts en couleurs, ministres et nobles, domestiques et mendiants, espions et mouchards, agioteurs et maquerelles. On y croisera, entre autres, Louis XVI et Marie-Antoinette, un étrange moine capucin, trois commis boulangers, Mr. De Sartine, ancien lieutenant-général de police devenu secrétaire d'Etat à la Marine, un étrange prisonnier détenu au château de Vincennes ainsi que le célèbre promeneur nocturne auteur des « Nuits de Paris », Nicolas Restif de la Bretonne.


Servi par une plume élégante, ce passionnant roman ne fait que confirmer le talent de Jean-François Parot, diplomate et fin-gourmet, spécialiste du XVIIIè siècle et de la géographie urbaine du Paris de l'Ancien-Régime. Petits bijoux de polars historiques, les enquêtes de Nicolas Le Floch sont unanimement encensées par la presse, les milieux universitaires et le grand public. A déguster sans modération.

mardi 24 avril 2007

REGARDEZ-MOI !


Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 7


"Le Marchand de Passés" José Eduardo Agualusa . Roman. Editions Métailié, 2006.
Traduit du portugais ( Angola) par Cécile Lombard.


Félix Ventura est bouquiniste à Luanda, capitale de l'Angola. Albinos, enfant trouvé dans un carton de livres, il exerce une bien curieuse activité en ce pays ravagé par tant de guerres civiles : il invente des passés à ses riches clients. Ceux-ci, hommes politiques et nouveaux riches, généraux et chefs d'industries, pour la plupart surgis du néant, cherchent à se créer un passé fait d'ancêtres prestigieux et de souvenirs glorieux.

Pour cela, Félix Ventura, à l'aide de photos et de documents anciens récupérés lors de ventes à l'étranger, construit habilement des généalogies crédibles et flatteuses pour ses commanditaires.


L'arrivée d'un nouveau client, un étranger au mystérieux passé qui souhaite obtenir une identité angolaise, va bouleverser la lucrative activité de félix Ventura.

L'homme, que Ventura baptisera José Buchmann, est un blanc et se dit reporter-photographe. Ses clichés ont essentiellement pour sujets les scènes de guerre, de catastrophes naturelles et tous ces évenements tragiques qui font la une des journaux.
Ventura, dont l'imagination est rarement à court, imaginera des origines sud-africaines et américaines à José Buchmann.


Félix Ventura fera en même temps la connaissance d' Angela Lùcia, une jeune femme troublante, photographe elle aussi, mais dont les clichés sont, à l'opposé de ceux de Buchmann, consacrés à la beauté, aux variations de la lumière dans différentes parties du monde :


« Elle a dit qu'elle était capable de reconnaître certains endroits du monde simplement à leur lumière. A Lisbonne, la lumière, à la fin du printemps, se penche, hallucinée, sur les maisons, elle est blanche et humide, un peu salée. A Rio de Janeiro, en cette saison que les Cariocas appellent intuitivement automne et dont les européens affirment avec dédain qu'elle est purement imaginaire, la lumière se fait plus douce, comme un chatoiement de soie, accompagnée quelquefois d'une cendre humide qui recouvre les rues et descend ensuite lentement, tristement, sur les places et les jardins. Dans les champs inondés du Pantanal du Mato Grosso, le matin très tôt, les aras bleus traversent le ciel en secouant de leurs ailes une radieuse lumière alanguie, qui se pose peuà peu sur les eaux, augmente et se propage, semble chanter. Dans la forêt de Taman Negara, en Malaisie, la lumière est une matière fluide, qui colle à la peau et à un goût et une odeur. A Goa, elle est bruyante et râpeuse. A Berlin le soleil rit sans cesse, du moins dès qu'il parvient à percer les nuages comme sur ces autocollants écologistes contre l'énergie nucléaire. Même sous les cieux les plus improbables, Angela Lùcia avait découvert des luminosités qui méritaient d'être sauvées de l'oubli; avant d'avoir visité les pays scandinaves elle pensait que là-bas, pendant les mois éternels de l'hiver, la lumière était pure conjecture. Mais non, les nuages s'embrasaient parfois de larges clartés d'espoir. »


Entre Félix Ventura, José Buchmann et Angela Lùcia, des liens vont peu à peu se créer. Leurs passés respectifs, qu'ils soient réels ou inventés de toutes pièces, vont bientôt s'entremêler et les entraîner vers un destin commun qui réveillera les vieux démons de la guerre civile et de l'histoire tourmentée de l'Angola d'après l'indépendance.

Sous les yeux d'Eulàlio, le gecko domestique qui rêve au plafond et se remémore ses vies antérieures va s'enfler et éclater le drame qui couve entre les trois protagonistes du récit. Narrateur imprévu, Eulàlio le lézard se fera le conteur et le témoin de ces personnages en quête de mémoire.


Conte moderne, satire de la société angolaise, oeuvre poétique, réflexion sur la mémoire et l'identité, hommage à la littérature aussi, et au pouvoir des mots, « Le Marchand de passés » est un roman qui, par certains aspects rappellera les oeuvres de Garcia Marquez, et qui, par son propos nous offre, sous le voile de la poésie et de l'irrationnel, le portrait d'un pays qui n'en a pas encore terminé avec un passé sombre, tourmenté et douloureux.

dimanche 22 avril 2007

C'est fait !











Et pour Vous ?

Le Compas et le Téléscope.


"Mason & Dixon." Thomas Pynchon. Roman. Editions du Seuil, 2001.
Traduit de l' américain par Brice Matthieussent.



La quatrième de couverture m'avait tout de suite séduit :


« 1786, à Philadelphie. En visite chez sa soeur, le Révérend Cherrycoke entreprend de raconter à ses neveux les aventures de deux astronomes anglais, Charles Mason et Jeremiah Dixon qui, vingt-cinq ans plus tôt, avaient été chargés par la Royal Society d'observer au Cap, le passage de Vénus, avant de se retrouver embarqués, à partir de 1763, dans une incroyable odyssée au coeur de l'Amérique du Nord, où ils ont pour mission de tracer d'est en ouest une ligne absolument rectiligne de huit mètres de large, qui devra séparer le Maryland et la Pennsylvanie, et ce à la demande de Lord Baltimore et de Thomas Penn, les héritiers respectifs de ces deux provinces.
Les deux compères – le mélancolique Mason et le sanguin Dixon, le veuf inconsolable et le coureur de jupons – ne savent pas, bien sûr que cette ligne portera un jour leurs noms et symbolisera plus tard la funeste frontière entre les Etats de l'Union et le Sud pro-esclavagiste.
Epiés par des conspirateurs de tous bords, surveillés par les indiens ou traqués par l'énigmatique jésuite Zarpazo – le « loup de Jesus » ! - Mason et Dixon vont fréquenter aussi bien George Washington, Benjamin Franklin et Samuel Johnson qu'un homme-castor, un chinois féru de feng shui, un canard mécanique amoureux d'un cuisinier français, un golem des bois et quelques bizarres croisés...
Thomas Pynchon signe là une véritable épopée drôlatique, tourmentée et prodigieusement inventive, truffée de majuscules en hommage à la littérature anglaise du XVIIIe siècle et baignée par cette étrange brume érotique qui envahit le ciel quand Vénus l'éclaire de sa lueur.
"Mason & Dixon" a été salué à sa sortie comme l'un des sommets du roman contemporain. »


Inutile de dire que j'ai tout de suite emprunté cet imposant roman ( 767 pages d'une écriture serrée) à la bibliothèque, étant un fervent amateur de ce style de romans dont font partie
« L'île du jour d'avant » d'Umberto Eco, « Le courtier en tabac » de John Barth ou plus récemment « Les Arpenteurs du Monde » de Daniel Kehlmann.


Je commence la lecture et apprécie d'emblée l'écriture ample et généreuse qui s'offre à moi dès la première page :


« Les Boules de neige ont tracé leur Arc, étoilé les flancs des dépendances, comme ceux des cousins, emporté les couvre-chefs dans la Brise qui souffle de la Delaware, - on rentre les luges, leurs patins sont soigneusement essuyés et graissés, on dépose les souliers au fond du Vestibule, s'ensuit une descente en chaussettes sur la vaste Cuisine, à dessein en grand branle depuis le matin, ponctuée par le tintement des couvercles des diverses casseroles et marmites d'où montent des Odeurs d'épices, de fruits pelés, de graisse de rognon, de sucre chauffé, - les enfants, ayant tous prestement, au Rythme enlevé de la cuiller dans la pâte, soutiré et dérobé, à force de cajoleries ce qu'ils pouvaient, se réfugient, comme chaque après-midi de cet Avent neigeux, dans une pièce confortable sise à l'arrière de la Maison et livrée depuis des années à leurs insouciants Assauts. Ici, l'on a entreposé une longue table de menuisier tout éraillée, flanquée de deux bancs désassortis, appartenant à la branche familiale du Comté de Lancaster, - du mobilier Chippendale de médiocre ouvrage, comprenant une façon du célèbre Sopha chinois, avec un haut dais à l'abondante étoffe pourpre facile à déployer afin d'aménager une tente douillette et pénombreuse, - quelques chaises dépareillées expédiées d'Angleterre avant la Guerre, - la plupart en pin et merisier, fort peu en acajou, hormis une sinistre et merveilleuse table de jeu qui offre cette médiocre fibre en forme de vagues que les ébénistes nomment Coeur Errant, et qui est la cause d'une Illusion de profondeur que les enfants ont contemplée pendant des années comme s'il s'agissait des pages illustrées d'un Livre ... ainsi que d'innombrables charnières, mortaises à coulisse, loquets cachés, et compartiments secrets que ni les jumeaux ni leur Soeur ne sauraient prétendre avoir tous explorés. »


Le style, inspiré de la littérature du XVIIIè siècle, ne peut que me séduire. La syntaxe, volontairement alambiquée, richement colorée, truculente même, me laisse augurer de délicieuses heures de lecture. Friand de prose rabelaisienne, de cette littérature opulente, plantureuse et amphigourique dont j'aime à me régaler dans les romans de Lawrence Norfolk, Sterne, Combescot et Fuentes, je me suis lancé avec une extrême jubilation dans la lecture de
« Mason&Dixon. »


Las! Il m'a fallu déchanter très vite.

Certes, les aventures cocasses et drolatiques de nos deux astronomes anglais m'ont souvent fait sourire, les situations extravagantes et les personnages pittoresques, tels que décrits sur la quatrième de couverture, abondent et se succèdent en un incessant mascaret qui finit par donner le vertige.

L'écriture, finement ciselée, baroque à souhait, classe Thomas Pynchon parmi les plus adroits prosateurs de notre époque, un hybride de Henry Fielding et de James Joyce.
Pourtant je l'avoue, j'ai peiné à lire ce roman. Malgré l'aspect anecdotique du récit ainsi que le propos, plein de surprises et d'inventions, l'écriture de Pynchon, à force d'effets stylistiques, de phrases tarabiscotées, et de considérations hermétiques, je me suis senti submergé, noyé sous un déluge phraséologique à la limite de l'intelligible, une prose ardue et nébuleuse qui oblige à une lecture heurtée et incessamment contrainte à des retours en arrière afin de ne pas perdre le fil conducteur d'une narration qui s 'évertue à embrouiller la compréhension immédiate du texte :


« Rebekah, dont les paupières ne battent jamais, car là où tout est Poussière la Poussière ne sera plus, l'affronte sur des surfaces non tant « aléatoires » qu'illégales, - sans être réglées par une fin ou un dessein apparents, - dans la pénombre de l'attention divine, enfin, si cela ne vous dérange pas de comparer son Regard à une Eclipse du Soleil. Les Eaux vives, - Mason essaie d'aller pêcher chaque fois qu'il le peut, car il est difficile de savoir ce que le prochain gué lui proposera, - les abysses rocheux et les flancs de montagne, les feuilles dans le vent qui annoncent la tempête... Des ombres de ferronnerie ouvragée sur un mur...la croûte craquelée des miches sortant du four...Sur les sentiers des guerriers Indiens qui mènent aux triomphes, aux captivités et à la Mort, dans les ruelles envahies par la végétation de villages abandonnés en fin de journée, dans la rouille finissante du ciel embrasé, au plus fort du vent, elle se dresse, guettant l'instant où lui parler. Qu'a-t-elle d'autre à lui dire? Il est depuis longtemps à court de reparties. « Ainsi donc je ne suis point elle, mais une Représentation. Cette Chose », - elle ne dira pas « la Mort ». « Je suis détenue ici, en cette Chose...dont mon corps tout ce temps était capable et où il me conduisait, et qu'il portait en lui aussi sûrement que l'autre Chose, celle que nos corps pourraient faire, ensemble... », elle ne dira pas « l'Amour ». A-t-elle oublié ces Mots, en ces lieux où les Langues se sont tues, et où ni eux ni elles ne sont nécessaires? »


Malgré la beauté formelle du texte, l'élaboration savante de chaque phrase, les références culturelles, historiques, scientifiques, philosophiques et religieuses qui parsèment celui-ci, l'attention du lecteur se dilue dans ce flot torrentiel et finit par se perdre.

« Mason&Dixon », ce monument d'érudition, ce chef-d-oeuvre de la littérature contemporaine, est un roman qui se laisse difficilement appréhender. Comme pour « Ulysse » de Joyce, l'écriture en est ardue, hermétique et semblera pour certains rédhibitoire.


Bien conscient de la valeur intrinsèque de ce roman et du grand talent de Thomas Pynchon, je ne peux qu'avouer mon inacapacité à apprécier pleinement les subtilités de cette oeuvre, ne retenant seulement que la narration surréaliste de l'odyssée hallucinante et picaresque de Charles Mason & Jeremiah Dixon.


vendredi 20 avril 2007

Les 22 Avril et 06 Mai, Votez.


"Quand je serai grand, je ne lirai pas le journal, je ne m'intéresserai pas aux grands problèmes et je n'irai pas voter. Comme ça, je pourrai me plaindre de ne pas être représenté par le gouvernement."

( Bill Watterson )
Extrait de la Bande-Dessinée
Calvin & Hobbes : "Complètement surbookés."

mercredi 18 avril 2007


"Etre écrivain, c'est errer dans l'espace avec un crayon."

( Pascal Quignard )

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 6


"L'Atlantique Sud." Jérôme Tonnerre. Roman. Grasset, 2006.



Lorsque meurt Anna Tonnerre, ses trois enfants, Laurence , Bertrand, et Jérôme sont surpris d'apprendre que ses dernières volontés sont, non seulement d'être incinérée, mais de plus que ses cendres soient dispersées dans l'atlantique Sud.

« Mais où était-ce donc l'Atlantique Sud ? Copacabana ou Mimizan-Plage ? » se demande Jérôme. Car c'est à lui qu'incombe finalement la mission de découvrir où exactement sa mère aurait souhaité que ses cendres soient rendues à la mer. La tâche s'avère finalement très ardue.

Pourquoi d'abord cette idée incongrue venant d'une femme qui à priori aurait de par le passé peu voyagé, et encore moins sur un quelconque navire? Pourquoi cette femme, devenue veuve très tôt, et avouant depuis lors un fort penchant pour la bouteille, désirerait-elle que ses restes soient dispersés loin de l'endroit où repose son mari ?
Le passé d'Anna Tonnerre recelerait-il quelque secret défendu ?

C'est cette énigme que devra résoudre Jérôme, contraint pour cela à exhumer du passé l'histoire de ses parents ainsi que ses propres souvenirs d'enfance immergés profondément dans sa mémoire, tels un continent englouti, une Atlantide personnelle dont les vestiges lui apprendront bien des choses insoupçonnées sur sa mère mais également sur lui-même.

Afin d'élucider tous ces mystères, il fera appel à un psychanalyste qui l'aidera à remonter le temps mais aussi à surmonter un obstacle de taille. Car Jérôme, pour disperser les cendres maternelles devra un jour où l'autre prendre son bâton de pèlerin et se rendre vers cet Atlantique Sud dont la position géographique est plus qu'incertaine. Le problème, c'est que Jérôme déteste l'idée de sortir de chez lui. Indécrottable casanier, il hésite à franchir les limites de son quartier et est pris de malaises à la seule idée de s'éloigner de son environnement familier.
Passionné dès sa plus tendre enfance de récits d'aventures et d'explorations, Jérôme, ce voyageur en chambre, est pourtant incollable sur tout ce qui à rapport aux pays lointains et se révèle être un puits de science en ce qui concerne les moindres détails de la vie en ces contrées exotiques. La seule idée d'avoir à se rendre sur l'Atlantique Sud, et par là même de franchir l'équateur, lui semble donc une tâche insurmontable.
Il faudra tout le talent d'un adroit psychanalyste amateur de jeux de mots qui font mouche ainsi que le retour inattendu d'un ancien flirt de jeunesse pour que Jérôme franchisse le pas et puisse ainsi accéder aux mystères qui entourent son passé ainsi que celui de sa famille.

Avec « L'Atlantique Sud » Jérôme Tonnerre nous livre un roman plein d'humour et de tendresse où les souvenirs d'enfance ressuscitent les lectures d'antan : Jules Verne, Stevenson, Kipling, et bien d'autres encore dont un certain Kiri le clown qui rappellera de bons souvenirs à celles et ceux qui regardaient la télévision pendant les années soixante.
Le récit, remarquablement bien maîtrisé et truffé de clins d'oeil à des oeuvres littéraires et des chansons populaires, nous entraîne avec brio dans une intrigue dont le dénouement s'avèrera similaire à celui développé dans un album de... Tintin et Milou!
Passionnant, drôle, émouvant, intelligent, dépaysant, sont quelques uns des adjectifs que l'on pourrait utiliser à propos de « L'Atlantique Sud » de Jérôme Tonnerre, un roman lumineux et harmonieux qui offrira au lecteur un excellent moment de lecture.

lundi 16 avril 2007

dimanche 15 avril 2007

La Journée de l'Holocauste



"Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voies que celle de la raison."

Primo Levi ( 1919-1987 )

Extrait de : "Les naufragés et les rescapés."

Aujourd'hui, les organisations juives de France commémorent la journée de l'Holocauste en mémoire des 76 000 juifs déportés par le régime de Vichy.

samedi 14 avril 2007

Terrain de fouilles


"LES CHAMPS D'HONNEUR" Jean Rouaud. Roman. Editions de Minuit, 1990.



Avec « Les Champs d'Honneur », Prix Goncourt 1990, Jean Rouaud entamait une suite romanesque en cinq volumes évoquant tour à tour les membres d'une famille de la région nantaise issue de la bourgeoisie locale mais dont les riches heures appartiennent déjà au passé.
Ce travail d'archéologie familiale débute à l'occasion de trois décès survenus en un laps de temps restreint, quelques semaines d'intervalle, avec d'abord le père, puis la vieille tante de celui-ci et ensuite le grand-père maternel.


Ces disparitions sont l'occasion que saisit le narrateur pour établir de ces trois figures familiales un portrait plein de malice et de tendresse. A travers ceux-ci, c'est toute l'histoire d'une famille qui se dessine sous nos yeux, une sorte d'arbre généalogique où s'esquissent des caractères et des personnalités, des anecdotes drôles et touchantes,des évenements de la petite et de la grande histoire qui s'assemblent peu à peu à la manière d'un puzzle fait de petits riens qui s'assemblent ensuite en un tableau précis et détaillé.


Jean Rouaud nous fait ainsi pénétrer petit à petit dans l'intimité de ce clan, sous le ciel délavé de la Loire-Atlantique, à la recherche d'un passé révolu, dégageant les strates du souvenir dans le but de faire remonter au grand jour les faits et les gestes oubliés, les mille petits détails qui font de tel ou tel membre de la famille une personnalité à part entière, une entité unique détentrice de singularités spécifiques qui en font, pour ses proches, un être irremplaçable dont la disparition laissera ceux-ci inconsolables.


La narration est ici sublimée par la prose simple et profondément envoûtante de Jean Rouaud qui, tel un moderne Proust, nous enchante et nous émerveille en nous contant mille petites choses ordinaires. Ainsi, par la grâce de l'écriture, la pluie, phénomène habituel et banal dans cette région nantaise, donne à Jean Rouaud l'occasion de nous offrir un morceau d'anthologie littéraire ( lire l'extrait cité par Chatperlipopette ) où chaque phrase sonne juste et ne peut laisser indifférent quiconque a essuyé ces averses soudaines et ces ondées interminables que génère l'Océan Atlantique.
On s'amusera des déambulations automobiles à bord de la 2 CV Citroën du grand-père, véhicule prenant eau de toutes parts, livré à la conduite erratique de son pilote. On sourira également lors de l'évocation de la tante Marie, ancienne institutrice retraitée de l'enseignement catholique, vieille fille confite en dévotions et entourée d'images pieuses.


Peu à peu se dessine, comme en négatif, autour de ces personnages, l'image d'un autre, un grand oncle, Joseph, mort au cours de la Grande Guerre. Car c'est vers cette hécatombe de 1914-1918 que nous entraîne imperceptiblement Jean Rouaud, creusant le passé couche après couche, dégageant sous les sédiments les vestiges d'existences brutalement interrompues par cette « Grande Histoire » qui s'est imposée dans la Petite, tranchant les vies par milliers à l'occasion d'une des plus grandes boucheries qu'ait connu le XXè siècle.


C'est à partir de ce moment que le récit de Jean Rouaud, commencé sous le signe d'une certaine légèreté, bascule peu à peu vers son dénouement dramatique, vers la description dantesque des « Champs d'Honneur » dont sa plume talentueuse nous évoque l'horreur :


« Paysage de lamentation, terre nue ensemencée de ces corps laboureurs, souches noires hérissées en souvenir d'un bosquet frais, peuple de boue, argile informe de l'oeuvre rendue à la matière avec ses vanités, fange nauséeuse mêlée de l'odeur âcre de poudre brûlée et de charnier qui rend sa propre macération ( des semaines sans se dévêtir ) presque supportable, avec le vent quand le vacarme s'éteint qui transmet en silence les râles des agonisants, les grave comme des messages prophétiques dans la chair des vivants prostrés muets à l'écoute de ces vies amputées, les dissout dans un souffle ultime, avec la nuit qui n'est pas cette halte au coeur, cette paix d 'indicible volupté, mais le lieu de l'attente, de la mort en suspens et des faces noircies, des sentinelles retrouvées au petit matin égorgées et du sommeil coupable, avec le jour qui s'annonce à l'artillerie lourde, prélude à l'assaut, dont on redoute qu'il se couche avant l'heure, avec la pluie interminable qui lave et relave la tache originelle, transforme la terre en cloaque, inonde les trous d'obus où le soldat lourdement harnaché se noie, la pluie qui ruisselle dans les tranchées, effondre les barrières de sable, s'infiltre par le col et les souliers, alourdit le drap du costume, liquéfie les os, pénètre jusqu'au centre de la terre, comme si le monde n'était plus qu'une éponge, un marécage infernal pour les âmes en souffrance... »


Premier d'une série de cinq romans, « Les Champs d'Honneur » est une oeuvre poignante où sous une apparente légèreté se dessinent en filigranes les tragédies qui ont marqué le XXè siècle. Servi par l'écriture puissamment évocatrice de Jean Rouaud, ce superbe roman empreint de grâce, d'humour, de tendresse et d'émotions, incite à une lecture appliquée, voire à de multiples relectures, afin d' apprécier à leur juste valeur la captivante narration et la beauté formelle d'un texte superbement ciselé et charpenté.
Les cinq volumes :
-"LES CHAMPS D'HONNEUR"
-"DES HOMMES ILLUSTRES"
-"LE MONDE A PEU PRES"
-"POUR VOS CADEAUX"
-"SUR LA SCENE COMME AU CIEL"

vendredi 13 avril 2007


"En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal."
Nicolas Machiavel ( 1469-1527 )
Photo : William Mortensen : "Niccolo Machiavelli" , 1935

Vous faites quoi le 22 Avril ?

"Le grand problème de la production capitaliste n'est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces mais de découvrir des consommateurs, d'exciter leurs appétits et de leur créer des besoins factices."

Paul Lafargue ( 1842-1911 ) "Le droit à la paresse."






Les 22 Avril et 06 Mai prochains, Votez.

jeudi 12 avril 2007

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 5


"Un bon dieu pour les ivrognes."
Hervé Bellec. Histoires. Editions Coop Breizh, 2006.



Avec « Un bon dieu pour les ivrognes » Hervé Bellec nous offre des tranches de vie brestoises racontées par son « double », Baptiste Cabidoche, à travers dix nouvelles ( l'auteur préfère les qualifier d'histoires ) qui fleurent bon la Bretagne d'aujourd'hui et nous emmènent bien loin de la littérature « ruralo- régionaliste » qui fleurit trop souvent dans le peloton de tête des meilleures ventes. Ici , point de sagas familiales pleines de drames en haute mer et de moissons romantiques, point non plus d'amours contrariées par la grande guerre, le fils du régisseur où la méchante marâtre portant coiffe amidonnée.

Non, ici Hervé Bellec nous décrit la Bretagne d'aujourd'hui, celle des paumés, des piliers de bar, des sans domiciles fixes, tout ce petit monde qui vit de petites combines, de petits boulots, qui fait la manche en jouant un peu de musique dans les bars et les restaurants, tous ces marginaux si pittoresques que croisent les touristes venus s'encanailler dans les usines à bière de la rue de Siam et autres hauts lieux de « saoulographie » de la capitale du Finistère.

Délaissant une forme de narration chronologique linéaire, Hervé Bellec nous invite à suivre l'itinéraire erratique de Baptiste Cabidoche, loser et séducteur maladroit amateur de boissons fortes et de musique celtique, marginal parmi tant d'autres, cherchant, entre débrouilles et petits boulots, à s'en sortir par l'écriture.

Ces dix nouvelles, qui oscillent entre humour et émotion nous font hésiter entre rires et larmes. Empreintes de poésie et de réalisme cru, parfois sordide, elles dressent les portraits tendres et amusants de personnages du quotidien, femmes seules, piliers de comptoirs, vigiles de supermarchés, marginaux spécialistes de la débrouille en milieu urbain, adeptes du New-Age, etc...

Avec « Un bon dieu pour les ivrognes » , Hervé Bellec nous offre une dizaine de récits qui ne sont pas sans évoquer Bukowsky, Kerouac ou Larry Brown. Mais, loin de seulement s'inspirer de ces monuments d'une certaine forme de littérature américaine dédiée à la marginalité et à la consommation immodérée de spiritueux, il nous sert un excellent recueil de nouvelles dont l'atmosphère « bretonne » s'éloigne des habituels clichés touristiques et nous dresse en arrière-plan un état des lieux sur la société armoricaine d'aujourd'hui, celle du chômage de masse, de l'alcoolisme érigé en valeur culturelle, du « miroir aux alouettes » touristique qui génère exclusion et paupérisme, mais aussi d 'une région écartelée entre bétonneurs de la côte et géants de l'agro-alimentaire, une région aux racines fortes et vivaces qui peine à trouver sa place dans le grand élan d'uniformisation à outrance que veut imposer la société actuelle.

On trouve tout cela dans « Un bon dieu pour les ivrognes » mais on y trouvera avant tout dix nouvelles drôles et émouvantes qui se laissent lire avec un grand plaisir, dix nouvelles qui nous invitent à rencontrer des personnages si ordinaires qu'ils en deviennent hors du commun.



mercredi 11 avril 2007

La croix et le lotus



"L'Extrême Chemin." Alain Walter. Roman. Editions Philippe Picquier, 1998.



Le contexte historique dans lequel se déroule « L'Extrême Chemin » se situe dans le Japon du XVIIè siècle, réunifié sous le shogunat des Tokugawa après les presque deux siècles de guerres sanglantes de l'ère Sengoku Jidai ( 1457-1615) où les principaux clans s'affrontèrent afin de conquérir le pouvoir absolu.


En 1549, François-Xavier débarqua au Japon, ouvrant ainsi à l'ordre de la Compagnie de Jésus la voie de la christianisation du pays. Ces contacts avec l'occident et sa religion conquérante ne se feront pas sans mal et les expulsions et persécutions des chrétiens jalonneront toute cette période.


De 1613 à 1639, le roman de Alain Walter nous fait suivre les destins parallèles de Juan Toledano, missionnaire jésuite espagnol converso * , d'un poète vagabond et de son disciple ainsi que d'un couple en fuite, un jeune samouraï et la femme de l'intendant de son seigneur, contraints par une dénonciation calomnieuse à errer sur les chemins dans l'attente du dénouement de leur destin.


Tous ces personnages vont voir leurs destinées se croiser et s'influencer au cours de leurs errances, forcées ou non, qui les mèneront vers l'accomplissement de leurs existences.


Le livre d'Alain Walter, doté d'une écriture riche et sensuelle, d'une exactitude historique confondante, nous offre un superbe portrait du japon médiéval confronté à l'intrusion d'une religion étrangère. Les débats théologiques et philosophiques entre tenants du bouddhisme et du christianisme font apparaître, au delà des apparentes contradictions, les points communs de deux systèmes de pensée que seuls les hommes, prêtres et bonzes visant un but plus politique que spirituel, s'évertuent à dissocier et à opposer.


« L'Extrême Chemin » , roman protéiforme est tout à la fois un livre d' aventures aux personnages hauts en couleurs, une oeuvre où alternent poésie et exotisme, un conte philosophique à l'érudition remarquable, un récit en forme de Koan** Zen dont le lecteur appréciera la relecture afin d'en saisir les multiples aspects après avoir spéculé sur les différents niveaux d'interprétation du texte. Un roman passionnant et mystérieux, déroutant et intelligent, qui incite à la réflexion et à la méditation.
* Converso : Dans l'Espagne Catholique, se dit d'une personne de confession hébraïque convertie au catholicisme.
** Koan : Un Koan est une réflexion visant à déclencher un déclic mental ou spirituel. La philosophie Zen les utilise pour faire naître l'illumination chez l'adepte.

mardi 3 avril 2007

Une petite pause





C'est les vacances !


Mr. Et Mme Bibliomane s'en vont pour quelques jours en région parisienne.

Dans leurs bagages, des livres, des livres et encore des livres...


Rendez-vous dans une semaine.


D'ici là, bonnes lectures à toutes et à tous.

lundi 2 avril 2007


"Lire au lit est un art de la vigilance."
( Jean-Marie Gourio. Extrait de "Chut!" )

Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 4


"Les langues paternelles" David Serge. Roman. Robert Laffont, 2006.



C'est quoi, être un père ?


Voilà la question que va se poser David, le narrateur et personnage central du roman de David Serge : « Les langues paternelles. »


Alors qu'il promène ses enfants au Futuroscope, David apprend par un coup de téléphone de sa mère que son père vient de s'éteindre à l'âge de 87 ans.


Commence alors pour David un long monologue dans lequel il évoque ce père, vieil original au comportement et au discours souvent grotesques, cet homme trop tôt absent aux yeux de ses enfants, s'étant séparé de sa femme alors que ceux-ci étaient en bas âge, cet homme dont les colères, les petites lâchetés, les anecdotes et souvenirs de jeunesse cent fois répétés, n'arrivaient pas à dissimuler une forme de naïveté puérile.


Tous ces défauts, toutes ces maladresses, David ne cessera de les reprocher à ce père qu'il aurait voulu plus conforme à l'idée qu'il avait préconçue dès l'enfance, de la paternité.


Conscient d'être le fils d'un homme différent, marginal, d'être membre d'une famille hors norme, éclatée et si peu typique de l'image et des représentations habituelles du cadre familial emblématique des années 1960, David ne cessera d'en vouloir à ce père qui ne ressemble en rien à celui de ses copains et camarades de classe.


Remontant le fil du temps au gré de ses souvenirs, David évoque son enfance coupée en deux, cette perpétuelle oscillation entre les deux pôles opposés que sont ses parents, cette sensation honteuse devant la « normalité » des autres familles, cette incessante remise en cause de l'image d'un père trop différent pour qui il n'éprouve aucune forme d'admiration.


Car Hector, ce père malhabile et fantasque n'est pas de ces personnages excentriques qui forcent l'admiration par leur comportement et leur originalité. Hector, ancien représentant en électro-ménager s'est inventé une âme d'artiste, un costume trop grand pour lui qui le rend peu crédible aux yeux de son fils. Il cherche à s'habiller « jeune » et s'entoure de toute une cour de soiffards dénichés dans les petits bistrots de Belleville. Cette « Vie de Bohême » de pacotille, David ne la supporte pas et, les années passant, il s'éloignera de ce père encombrant et ridicule.


C'est auprès d'autres hommes, plus âgés, influents, qu'il cherchera la mythique image du père idéal.Un père idéal qu'il aimait à se représenter pendant l'enfance sous les traits d'Henri IV ou de Napoléon. Ce sera plus tard auprès des pères de ses différents flirts de jeunesse, mais il comprendra vite que ceux-ci ne correspondent en rien à l'icône paternelle qu'il s'était forgée.


C'est finalement auprès de son beau-père qu'il trouvera l'image tant attendue, tant désirée, mais cette idole trop parfaite, cette image trop idéalisée va l'obliger à se remettre gravement en question, lui qui justement va devenir père à son tour.


Il n'est pas facile d'être le fils de son père et encore moins d'être le père de son fils. David va le comprendre peu à peu. Malgré ses refus et ses dénégations, il est pourtant ce que son père a fait de lui. Il va saisir aussi que l'image qu'il donne de lui à ses enfants n'est pas non plus celle du père idéal, qu'il est après tout un homme comme les autres, un peu lâche, un peu méchant, un peu ridicule.


« Ce n'est pas grand-chose un père. C'est trop dur ou trop tendre. Tu parles d'une statue. Trop dure elle vous écrase, trop tendre elle tombe en miettes. Enfin ça ne va jamais. »

L'avis de Chatperlipopette.