vendredi 29 août 2008


"Lire au lit ferme et ouvre à la fois le monde autour de nous."

Alberto Manguel (Une histoire de la lecture)

mercredi 27 août 2008

"Voir en grand"



Oyez, oyez, bonnes gens ! Aujourd'hui et jusqu'à vendredi se tient la 10ème université d'été du MEDEF sur le campus de l'école polytechnique de Palaiseau (Essonne).
Quel plaisir de retrouver notre chère Laurence et tous nos fabuleux chefs d'entreprises : Christophe de Margerie (Total), Louis Gallois (EADS), Anne Lauvergeon (Areva) ou encore Franck Riboud (Danone)! Il est fort dommage que notre cher Nicolas ne vienne pas cette année mais il a délégué pour le représenter tous nos amis du gouvernement : Christine Lagarde (Economie), Luc Chatel (Industrie), Roselyne Bachelot (Santé) ou Xavier Bertrand (Travail)

Le slogan de cette université d'été sera cette année "Voir en grand". Magnifique n'est-ce-pas ? (mais où vont-ils chercher tout ça ?)

Voir en grand, c'est déjà ce que propose notre ami et mentor Serge Dassault qui n'hésite pas à proclamer que la grève et les 35 heures sont un "cancer" et que nos feignasses d'ouvriers devraient prendre exemple sur les chinois qui "travaillent 45 heures, dorment sur place dans leurs usines et font de bons produits pas chers."
Mais regardez plutôt cette vidéo où notre cher Serge exprime haut et fort les volontés du MEDEF et de notre héroïque gouvernement.
C'est beau, c'est grand, ça résume toute notre pensée.
J'en ai des frissons de plaisir chaque fois que je l'entends.






SERGE DASSAULT INTERVIEW...
envoyé par al-fred



C'est à pleurer...voire à vomir.


Alors, pour conclure...



Cliquez ICI pour plus d'informations.


lundi 25 août 2008

"Ô mort, vieux capitaine..."




"La Belle Etoile" Xavier Deutsch. Roman. Le Castor Astral, 2002.





Sapin est officier en second sur la cargo français « La Belle Étoile », navire actuellement à l'ancre dans la rade de Lushun.


En attendant les ordres de l'armateur qui donnera au capitaine du cargo le signal du départ, Sapin erre dans les rues de la ville portuaire chinoise, observant le spectacle du flot innombrable des réfugiés qui convergent vers la ville dans l'espoir d'échapper à la terrible menace qui, née dans le Nord de l'Asie, déferle sur le continent, provoquant une immense panique qui a jeté les populations sur les routes.
Qu'est-il arrivé ? Est-ce une épidémie, une guerre, une catastrophe naturelle, qui a poussé des millions d'êtres humains à fuir dans un mouvement de panique indescriptible ?
Non, ceux qui sont à l'origine de cet immense bouleversement, ce sont les dogues.

« Ils avaient émergé en haut de l'Asie, en douze origines. Les uns, de l'Altaï, en avaient rejoint d'autres auprès du lac Baîkal, et d'autres venus du Sinkiang, et d'autres, dogues d'Iran, dogues du Pamir. Ils étaient montés, ils avaient conflué, tous les dogues de Haute-Asie, comme une eau, comme un fleuve nouveau choisissant lui-même ses rivages. Ils étaient quatre cent millions, courant sans ordres, sans chef, allant à l'est contre le soleil. Mais il n'y avait plus de soleil. Les gouvernements, l'un après l'autre, avaient tenté de les stopper : on allumait des feux, ils franchissaient les feux ; on dressait des embûches, ils marchaient contre les embûches. Le chef d'état-major de l'armée kirghize avait fait poster des batteries de 112 et des mitrailleuses au milieu de leur piste : douze mille dogues étaient morts sous les balles, mais la horde avait submergé l'embuscade. Les Russes et les Kazakhs avaient envoyé leurs avions balancer du napalm et des bombes à fragmentation, avaient même exploité cette occasion pour tester une variété d'obus au phosphore et certains prototypes d'armes bactériologiques : en vain. Ils obtenaient des cadavres, puis les chiens passaient, leur colonne grossissait à chaque frontière, à chaque steppe, et le ravage brûlait en traversant toute la Chine.
On avait recouru aux incantations de chamans réputés, à celles de cent bonzes qu'on avait sortis de leurs temples, et aux prières de quelques pélerins vieux-croyants connus pour leur connaissance des choses de ce monde, qu'on était allé chercher au fond des taïgas dans de gros hélicoptères Sikorsky. Les objurgations passaient comme des alouettes au dessus de la tête des chiens, et les chamans n'étaient arrivés qu'à embrouiller le ciel, et à faire pleuvoir. Cela avait trempé les dogues, mais ça ne les avait pas ralentis, et d'autres chiens, de Iakoutie, les avaient rejoints : espèces de coyotes gris aux canines préhistoriques, ayant les pattes rentrantes et le poil infectieux. »


Devant cette déferlante qui semble impossible à stopper, les réfugiés se pressent vers Lushun, située à l'extrême pointe de la péninsule de Liaodong, dans l'espoir d'embarquer sur un navire qui les emmènera loin de cette menace qui se rapproche inexorablement.
Déjà, les cargos occidentaux ainsi qu'un croiseur américain, lèvent l'ancre et fuient sans regrets cette ambiance d'apocalypse. Les représentants du gouvernement et tout ce que la société compte de notables, ont déjà fui vers d'autres horizons plus sûrs.
Le cargo « La Belle Étoile », quant à lui, attend toujours le feu vert de son armateur qui ne cesse de temporiser pour de mystérieuses raisons. Est-ce pour embarquer la famille royale de Chine ? Pour mettre à l'abri trente tableaux de Van Dongen et de Dufy exposés au musée Lin-Piao ?

Sapin, lui, cherche à sortir des femmes de cet enfer. Il a promis l'embarquement à une jeune Chilienne, à deux jumelles Coréennes, à une Pékinoise, puis, la dernière en date, à une jeune mère et sa fille.
Mais quand viendra l'ordre de lever l'ancre, Sapin ne retrouvera aucune de ces jeunes femmes et la précieuse cargaison attendue par l'armateur ne sera ni la famille royale, ni les trente peintures du musée de Lin-Piao, mais un vieux paysan mandchou et son troupeau de quarante juments.

« La Belle Étoile » quitte alors Lushun, laissant les habitants à leur funeste destin et, ayant contourné le golfe de Corée, se dirige vers le nord-est, apparemment en direction du Japon. Mais si les membres de l'équipage et leur singulier passager pensent être tirés d'affaire, ils vont rapidement déchanter. Ce qui les attend sur l'océan est peut-être pire que le péril auquel ils viennent d'échapper. Leur salut se trouve-t-il en la personne du vieux mandchou et de son insolite cargaison de juments ?

Xavier Deutsch, auteur belge de renom, a publié de nombreux romans, notamment chez Gallimard et L'École des Loisirs.
« La Belle Étoile », Prix Victor Rossel 2002, est un conte mêlant adroitement réalisme, fantastique, poésie et mythologie, un récit qui n'a pas été sans me rappeler le lyrisme et l'originalité de « Ravage » et « Le diable l'emporte », ces fabuleux romans apocalyptiques écrits par René Barjavel.

Le roman de Xavier Deutsch fourmille en outre de symboles et d'allusions à de grands mythes empruntés à diverses cultures mis au service d'une histoire envoûtante, baroque et surréaliste qui mène le lecteur de Charybde en Scylla dans une succession étourdissante de scènes grandioses et oniriques où se déchaînent les éléments et les passions humaines.

Avec ce beau roman, Xavier Deutsch nous offre un récit empreint de merveilleux, une aventure épique et poétique qui ne manquera pas, même une fois le livre refermé, de laisser longtemps vagabonder l'imagination du lecteur. Fa-Bu-Leux !





"Seascape" Peinture de Ruben Franco

jeudi 21 août 2008

Le "Nettoyage"




"L'impasse" Antoine Choplin. Roman. Editions La fosse aux ours, 2006.





Sommes-nous en Tchétchénie ? En Géorgie ? En Ossétie du sud ? Dans une autre ex-république de l'empire soviétique ?


Nous sommes, apparemment, dans la région du Caucase, mais finalement il importe peu de savoir précisément où se situe l'action du roman d'Antoine Choplin.
Ce qui prime ici, c'est le traumatisme de la guerre quand il est vécu par des civils soumis à la violence et à l'arbitraire d'envahisseurs armés et victorieux. Ce traumatisme subi par les habitants d'un pays envahi est de toutes les époques, de toutes les latitudes : hier encore quand les armées nazies puis soviétiques ont déferlé sur l'Europe, aujourd'hui en Afghanistan et en Irak.
De tous temps les populations civiles ont eu à subir les agressions de bandes armées, légitimes ou non, fortes de leur supériorité sur des habitants démunis de tout moyen de défense. Des bandes armées du Moyen-Âge en passant par les horreurs de la guerre dessinées par Jacques Callot au XVIIème siècle et plus tard par Goya, des exactions commises par les grands empires coloniaux sur les populations "indigènes" d'Afrique et d'Asie aux sanglantes boucheries perpétrées en ex-Yougoslavie, la liste est longue des atrocités subies par des civils sans défense.
Voilà pourquoi le contexte de « L'impasse » d'Antoine Choplin n'est peut-être pas si important, si ce n'est qu'il nous ramène à une actualité brûlante en ces jours où le conflit entre la Géorgie, l'Ossétie du sud et la Russie semble être le point de départ d'un nouveau brasier qui risque d'ensanglanter cette partie du monde.
Parce que le roman d'Antoine Choplin touche à quelque chose d'universel – une population devenue la proie d'hommes armés – le contexte pourrait en effet se situer aussi bien dans l'Antiquité que dans le monde contemporain, aussi bien en Europe qu'en Extrême-Orient. Le dénominateur commun n'est ici ni le lieu ni l'époque, il ne se résume que par ces quelques mots : pillage, destruction, tortures et viols.



« L'impasse » se situe donc quelque part, de nos jours, dans une ville du Caucase dévastée par un conflit armé. Le capitaine Kalinski, assisté de trois de ses hommes : Romanov, Vologuine et Youssov, décide de « nettoyer », à sa manière, une impasse dans laquelle il soupçonne que se cachent des "terroristes". Cette opération de sécurisation du quartier n'est en fait qu'un vague prétexte pour Kalinski, qui compte bien assouvir sur les riverains sans défense ses instincts les plus sadiques. Ainsi, progressant d'appartement en appartement, les militaires vont se déchaîner sur les habitants de l'impasse.
Tout au fond de cette même impasse se cache une famille : Magomed et Zarema, les parents, Timour, Louisa et Moumadi, les enfants, ainsi qu'Aïchat, la grand-mère malade et deux lapins : Hard-Rock et Mata-Hari.


Ce que Timour, l'aîné des fils de Magomed, ne sait pas, c'est que parmi les soldats qui ne tarderont pas à entrer de force chez eux, se trouve Oleg Youssov.
Youssov est une sorte de colosse que Timour a rencontré quelques mois plus tôt dans la bibliothèque de l'Institut déserté. Le soldat et l'adolescent, malgré le conflit armé, vont apprendre à se connaître et à échanger leurs idées en feuilletant un livre sur les oeuvres de Giacometti. Timour apprendra à son partenaire à jouer aux échecs et Youssov entraînera le jeune homme au lancer de poids.
Que va t-il se passer quand Timour et Oleg vont se retrouver face à face ? Que ressortira-t-il de cette confrontation entre la famille de Timour et les soldats du capitaine Kalinski ? La violence l'emportera-t-elle ? Les faibles liens tissés par les deux jeunes hommes sauront-ils préserver Timour et sa famille de la folie meurtrière de Kalinski ?
Avec « L'impasse », Antoine Choplin nous plonge dans un univers où règnent la peur et la violence, un univers de cauchemar qui est aujourd'hui encore le quotidien de millions de personnes dans le monde. Mais au delà de toute cette violence, de toutes ces exactions, de cette sauvagerie qui semble définitivement intrinsèque à l'espèce humaine, ne reste-t-il pas une place, si infime soit-elle, pour la compassion, l'échange et l'amitié ? Le monde, nous le constatons malheureusement tous les jours, est plein de Kalinski en puissance ou en passe de le devenir. Les Timour et les Oleg sont, hélas! beaucoup plus rares.


lundi 18 août 2008

American Way of Life




"Nous étions les Mulvaney" Joyce Carol Oates. Roman. Editions Stock, 1998.

Traduit de l'américain par Claude Seban.


« Nous étions les Mulvaney, vous vous souvenez?
Vous croyiez peut-être notre famille plus nombreuse ; j'ai souvent rencontré des gens qui pensaient que nous, les Mulvaney, formions quasiment un clan, mais en réalité nous n'étions que six : mon père Michael John Mulvaney ; ma mère Corinne ; mes frères Mike et Patrick ; ma soeur Marianne et moi ... Judd.
De l'été 1955 au printemps 1980, date à laquelle mes parents durent vendre la propriété, il y eut des Mulvaney à High Point Farm, sur la route de High Point, onze kilomètres au nord-est de Mont-Ephraim, État de New-York, dans la vallée du Chautauqua, cent dix kilomètres au sud du lac Ontario.
High Point Farm était une propriété bien connue dans la vallée – inscrite plus tard aux Monuments historiques – et « Mulvaney » était un nom bien connu.
Longtemps vous nous avez enviés, puis vous nous avez plaints.
Longtemps vous nous avez admirés, puis vous avez pensé Tant mieux!...Ils n'ont que ce qu'ils méritent. »

C'est donc, bien des années plus tard, le benjamin des enfants Mulvaney, Judd, qui va nous guider tout au long de ce très beau roman de Joyce Carol Oates consacré à la grandeur et au déclin de la famille Mulvaney.

Avec Judd nous allons entrer dans l'intimité de cette famille américaine sans histoires et faire connaissance avec chacun de ses membres.
Il y a donc le père, Michael, dirigeant une entreprise de couverture réputée dans la région. Son sens de l'honnêteté et du travail bien fait lui ont valu une réputation d'artisan et de père de famille irréprochable. Il est en passe de devenir l'un des notables de Mont-Ephraim.
Corinne Mulvaney est, comme il se doit en ces années 50, mère au foyer. Elle veille donc au bien-être de son mari et de ses enfants mais aussi d'une ribambelle de chats, de chiens et autres animaux domestiques. Elle tient pour son plaisir une petite brocante qu'elle a aménagée dans une dépendance de la ferme. Très pieuse, sans être pour autant bigote, elle a fait de High Point Farm un foyer chaleureux où règnent la tolérance et la joie de vivre.
L'aîné des enfants, Mike, est déjà quasiment un adulte au moment où débute le récit. Élève de terminale au lycée de Mont-Ephraim, joue arrière dans l'équipe de football(américain)locale. Sportif donc, charmeur et fêtard, il travaillera pour l'entreprise paternelle quand il aura quitté sa scolarité.
Ensuite vient Patrick, surnommé Pinch, le taciturne, l'intellectuel, passionné de littérature mais surtout de science et de mathématiques, et doté d'un QI de 151. Patrick qui, après avoir reçu un coup de sabot de cheval à l'âge de douze ans, a perdu l'usage d'un oeil.
Après Patrick vient Marianne, la seule fille des Mulvaney, la gloire de son père. Jolie, d'une gentillesse à toute épreuve qui force l'admiration (et parfois la jalousie et les sarcasmes) de ses camarades, Marianne est de ces jeunes filles trop parfaites, qui allient la beauté physique à la gentillesse et qui, de ce fait, suscitent les émois amoureux des garçons timides.
Puis, en dernier, vient Judson Andrew, plus familièrement appelé Judd, mais aussi « Ranger » par ses grands-frères.
Le temps s'écoule paisiblement chez les Mulvaney de High Point Farm et rien ne semble pouvoir ternir l'existence de cette famille dont les membres apparaissent si soudés, comme aime à le dire le chef de famille : « Nous, les Mulvaney, nous sommes unis par le coeur. »

Pourtant, cette belle harmonie va se fissurer et tomber en miettes un jour de février 1976, le lendemain du bal organisé par les lycéens de Mont-Ephraim à l'occasion de la Saint-Valentin.
Un drame a eu lieu et cet évenement douloureux va faire voler en éclats le si bel équilibre de cette famille exemplaire. Chacun de ses membres va devoir faire face au mépris et à l'incompréhension de la communauté, ainsi qu'à la honte et à la douleur de voir se déchirer l'unité du cercle familial.
Aucun n'en ressortira indemne et il faudra de longues années avant que la blessure ne se referme et se cicatrise. Les Mulvaney, meurtris, blessés, désemparés face à ce coup du sort qui s'est abattu sur eux, tenteront, chacun selon ses moyens et avec plus ou moins de difficultés, à surmonter l'épreuve et à faire renaître l'insouciance et l'harmonie des jours heureux d'avant le drame.

Avec ce roman, Joyce Carol Oates nous fait pénétrer dans l'intimité d'une famille américaine moyenne qui va se retrouver brusquement aux prises avec l'hypocrisie et l'intolérance.
A travers les épreuves qu'auront à traverser les Mulvaney, c'est tout un pan de la société américaine que nous décrit Joyce carol Oates, une société américaine bien-pensante où l'ouverture d'esprit et la tolérance ne s'appliquent que dans de strictes limites qu'il est bien malvenu de dépasser. Pétrie de bons sentiments et de préceptes humanistes arrosés à la sauce protestante, cette société de la middle-class cache en fait sous ses abords respectables et ses sourires de circonstance, les germes de la trahison, de la médisance et du mépris envers ceux qui ont « fauté ».
Quand, de plus, on appartient depuis peu de temps, à l'instar des Mulvaney, à cette frange de la société, il est d'autant plus facile de rejeter et d'éloigner ceux qui, par leurs actes ou par un coup du destin, portent ombrage à la réputation de la communauté.

C'est donc à une vive critique de certains aspects peu honorables de la classe moyenne américaine que se livre ici Joyce Carol Oates, en nous offrant un roman d'une grande qualité, habité de personnages nombreux et attachants qui, en proie à la cruauté de leurs contemporains, n'auront comme échapattoire que de plonger en eux-mêmes à la recherche d'une force susceptible de leur éviter de devenir à leur tour des victimes de la haine, de la bêtise et de l'intolérance.



"Sun in an empty room" Peinture de Edward Hopper

samedi 16 août 2008

Index des auteurs




A



ABALOS Rafael
Grimpow, l'élu des templiers
ADAM Éric
Les contes du septième souffle
ADAM Olivier
À l'abri de rien
ADERHOLD Carl
Mort aux cons
AGUALUSA José-Eduardo
Le marchand de passés
AMETTE Jacques-Pierre
Un été chez Voltaire
ARFEL Tatiana
L'attente du soir
ATKINSON Kate
Dans les coulisses du musée
AUDEGUY Stéphane
La théorie des nuages
AUSTER Paul
La nuit de l'oracle

B

BALZAC Honoré de
Eugénie Grandet
BANKS Russell
Sous le règne de Bone
BEIGBEDER Frédéric
BELLO Antoine
BENNETT Alan
BLAS De ROBLES Jean-Marie
BONNET Jacques
Des bibliothèques pleines de fantômes
BOYDEN Joseph
Le chemin des âmes
BOYLE T.C.
Water Music
BRADSHAW Gillian
L' Aigle et le Dragon

C

 

CAÑON James
CHOPLIN Antoine
CONAN Jean
A Mélie, sans mélo
CONVERSET Pierre
Haïku des pierres
COOPER Dominic
Le coeur de l'hiver
CRICK Mark
La soupe de Kafka

D


DAENINCKX Didier
Cannibale
De CORTANZE Gérard
Assam
DEDET Christian
Le secret du docteur Bougrat
DELACOMPTÉE Jean-Michel
La vie de bureau
DEL AMO Jean-Baptiste
DE SANTIS Pablo
DESCOSSE Olivier
DEUTSCH Xavier

E

ECHENOZ Jean
EGLIN Anthony
Le mystère des jardins perdus
EKMAN Kerstin
Les brigands de la forêt de Skule

F


FERGUS JIM
La fille sauvage
FERMINE Maxence
Neige
FERRARI Jérôme
FLIPO Georges
FOLCO Michel

G


GALLAY Claudie
GATTI Fabrizio
La Porte des Enfers
GAY Marcel
L'affaire Jeanne d'Arc
GIDE André
Les caves du Vatican
GIRAUD Brigitte
J'apprends
GLOVER Douglas
Le pas de l'ourse
GOETZ Adrien
Intrigue à l'anglaise
GOUIRAN Maurice
Putains de pauvres !
GOYEN William
Merveilleuse plante
GREGGIO Simonetta
Les mains nues
GRIMAL Pierre
Mémoires d'Agrippine
GROSSMAN Lev
Codex, le manuscrit oublié
GROSSMAN Vassili
Vie et Destin
GRUEN Sara
De l'eau pour les éléphants
GUIBERT Emmanuel
Le photographe
GUILLOUX Louis
Le sang noir
Vingt ans ma belle âge

H

HADDAD Hubert
Palestine
HALBERSTADT Michèle
L'incroyable histoire de Mademoiselle Paradis
HAMILTON Hugo
Sang impur
HÁSZ Robert
Le prince et le moine
HAYDER Mo
Tokyo
HEARN Lafcadio
HEARN Lian
Le clan des Otori
HILL Joe
Le costume du mort
HOBAN Russell
L'automate et son fils
HUMBERT Fabrice
L'origine de la violence

I

JACQ Angèle
Le voyage de Jabel
JAOUEN Hervé
Au dessous du calvaire
JONCOUR Serge
Carton
JONQUET Thierry
La vie de ma mère !
JUHEL Fabienne
A l'angle du renard
JULIET Charles
L'année de l'éveil
Lambeaux
Entre Ciel et Terre (entretien avec Fabienne Verdier)

K

KASISCHKE Laura
KING Stephen
La Tour Sombre
KNEALE Matthew
Les passagers anglais
KONATÉ Moussa
L'empreinte du renard

L

LA FAYETTE (Mme de)
La princesse de Clèves
LARCENET Manu
Le combat ordinaire
LARSSON Stieg
Millenium
LAURAIN Antoine
Fume et tue
Carrefour des nostalgies
LEFÈVRE Didier
Le photographe
LE GOUËFFLEC Arnaud
Les discrets
LE GUILLOU Philippe
LE GUIN Ursula
La vallée de l'éternel retour
LEMERCIER Frédéric
Le photographe
LE TELLIER Hervé
Encyclopaedia Inutilis
LEVISON Iain
Tribulations d'un précaire
LITTELL Jonathan
Les Bienveillantes
LLOP José Carlos
Le messager d'Alger
LYNCH Jim
A marée basse

M

MAILER Norman
Nuits des temps
MANET Eduardo
La Conquistadora
MANKELL Henning
MARTIN Du GARD Roger
Mc CORD Howard
MULISCH Harry
MURUGARREN Miguel
N

NAOURI Karine
NEWBERRY Linda
De Pierre et de Cendre

O

OATES Joyce Carol

P


PLACE François
La fille des batailles
PONS Emmanuel
Je viens de tuer ma femme
POULLAOUEC Jacques
Haïku des pierres
PRATCHETT Terry
De bons présages
PRELLE Emmanuel
Anticyclopédie Universelle
PYNCHON Thomas
Mason&Dixon

Q

QUIGNARD Pascal
Albucius

R


RASPAIL Jean
RONG Jiang
ROUX Frédéric
Les propos sur la peinture du Moine Citrouille Amère

S

SACKVILLE-WEST Vita
SAEZ CASTAN Javier
SAPIENZA Goliarda
SARO-WIWA Ken
SHITAO
SIMMONS Dan
SINCLAIR Upton
STANISIC Sasa
STEVENSON Robert-Louis
L' île au trésor
STHERS Amanda
Madeleine
SWIFT Graham
Le pays des eaux
SZPILMAN Wladyslaw
Le pianiste

T

TEULE Jean
Le Montespan
TIANO Joëlle
L'enchanteur et illustrissime gâteau Café-Café d'Irina Sasson
TOLSTOÏ Alexeï
Ibycus
TOLSTOÏ Léon
La guerre et la paix
TONNERRE Jérôme
L'Atlantique Sud
TOSCHES Nick
La main de Dante

V

VERDIER Fabienne
VEYNE Paul
L'empire gréco-romain
VINCENOT Emmanuel
Anticyclopédie Universelle
VINDT Gérard
Le planisphère d'Alberto Cantino
VIOLLIER Yves
Les soeurs Robin
Aide-toi et le ciel...
VUILLARD Eric
Conquistadors

W


WALTARI Mika
L'étrusque
Le secret du royaume
WALTER Alain
L'extrême chemin
WALTER Georges
Wingapoh!
WHARTON Thomas
Un jardin de papier
WILDER Thornton
Le pont du Roi Saint-Louis
WILKIE COLLINS William
Basil
WOLNIEWICZ Claire
Le temps d'une chute
WRIGHT Richard
L'homme qui vivait sous terre

X


YOURCENAR Marguerite
Mémoires d'Hadrien





vendredi 15 août 2008



"Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté."


(Confucius.)



L'Oeuvre sanglante du Seigneur




"Pourfendeur de nuages" Russell Banks. Roman. Actes Sud, 1998.

Traduit de l'américain par Pierre Furlan.





À l'aube du XXème siècle, quelque part dans un coin montagneux de Californie, un vieil homme se penche sur son passé. Contacté par l'assistante d'un historien et biographe renommé, le vieillard, après avoir opposé son refus, consent à coucher sur le papier les souvenirs de sa jeunesse.
Si le passé de cet homme semble si précieux au point qu'un illustre chercheur s'y intéresse, c'est parce que ce vieil ermite est le dernier survivant des fils de John Brown, le célèbre abolitionniste qui dédia toute son énergie à la lutte contre l'esclavage dans les années précédant la Guerre de Sécession.
Owen Brown va alors prendre sa plume pour raconter le destin de la famille Brown, et plus particulièrement – puisque c'est lui qui monopolise l'intérêt de l'historien – de la figure de son père, John Brown, qui mourra pendu en 1859 à Charlestown (Virginie) suite à sa tentative d'insurrection des esclaves et à la prise de l'arsenal de Harper's Ferry.
C'est ainsi qu'Owen Brown va nous faire pénétrer au sein de cette famille d'agriculteurs et d'éleveurs dont le père, patriarche et pierre angulaire du groupe, tient à régler la vie de la communauté selon les préceptes édictés par les textes bibliques.


D'une piété qui frise le fanatisme, John Brown incarne pour les membres de sa famille – mais aussi pour nombre d'autres personnes – une sorte de prophète dont les paroles et les idées semblent directement s'inspirer des Écritures. Cela lui vaut parfois d'être pris pour un pasteur, l'homme n'hésitant pas, d'ailleurs, à monter en chaire lors des offices afin de se lancer dans de longs sermons.
Owen Brown, ses frères et soeurs, sa belle-mère Mary, vivent sous la coupe autoritaire de cet homme qui tente de calquer sa vie sur celle des patriarches de la Bible. John Brown n'est cependant pas un tyran pour sa femme et ses enfants. Il tente seulement d'accorder les préceptes de sa foi avec les dures réalités de la vie de son époque, en ce milieu du XIXème siècle. Ce nouvel Eden qu'est alors l'Amérique du Nord, avec ses plaines fertiles, ses immensités boisées regorgeant de gibier, ne peuvent que lui inspirer l'idée qu'il existe en ce monde une Terre Promise, un endroit suffisamment vierge encore des péchés de l'espèce humaine, qui puisse permettre à des âmes pures et respectueuses des lois divines, de s'épanouir et de créer en ce monde un nouveau Paradis terrestre.


Mais ce tableau idyllique est obscurci par les pratiques observées dans les États du Sud, pratiques qui tendent à se propager dans les nouveaux territoires de l'Ouest : les pratiques de l'esclavage. John Brown ne se contente pas seulement de protester contre la traite des noirs, il souhaite participer activement à son éradication. Son action visera tout d'abord à s'établir près de la communauté de North Elba, communauté d'esclaves affranchis et d'anciens fugitif, afin de les aider et de les assister dans le travail de la terre.


Mais ce sera aussi dans l'extension et dans l'ouverture de nouvelles pistes pour l' « Underground Railroad » , le train souterrain, dénomination d'un vaste réseau de routes clandestines destiné à faire évacuer les esclaves fugitifs des États du Sud vers le Nord et le Canada.
John Brown bénéficie dans sa lutte de nombreux et célèbres soutiens, dont Ralph Waldo Emerson , Henry David Thoreau et Frederick Douglass.
En 1850, la promulgation d'une nouvelle loi sur les esclaves fugitifs – loi visant à pourchasser ceux-ci sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis et à les punir, ainsi que toute personne convaincue de leur avoir porté aide et assistance – met le feu aux poudres et pousse John Brown à radicaliser son action.


Contre les chasseurs de primes et les agents fédéraux devenus les rabatteurs des marchands et propriétaires d'esclaves, Brown va recourir à la violence. Aidé par ses fils et par des proches, il va tout faire pour semer la terreur chez les partisans et les complices du système esclavagiste. Usant toujours d'une terminologie aux accents bibliques, John Brown va accomplir – quitte à faire couler le sang – l'oeuvre du Seigneur.
C'est cette lente progression de l'idéalisme vers la violence que va conter Owen Brown en couchant sur le papier ses souvenirs, souvenirs remontant jusqu'à la petite enfance au sein d'une fratrie dont le nombre de membres ne cesse de se modifier en conséquence des multiples naissances mais surtout du tribut prélevé par les maladies infantiles qui conduisent prématurément à la tombe les enfants de la famille Brown.
Owen grandit parmi ses frères et soeurs, sous la coupe du « vieux » – c 'est ainsi que le surnomment ses enfants – entre prières, étude, et travaux de la ferme. La vie est dure, les ambitions professionnelles du patriarche – qui s'est lancé dans le tannage des peaux, puis l'élevage de moutons et dans le commerce de la laine – l' ont mené vers une accumulation de dettes qui poussent la famille à vivre chichement et à déménager fréquemment.


De l'Ohio à la Pennsylvanie, du Massachussets à l'état de New-York, la famille Brown trouvera enfin où s'installer dans la chaîne des Adirondacks, près du mont TahawusLe pourfendeur de nuages » selon l'appellation des indiens iroquois) dans ce que John Brown appellera "Les plaines d'Abraham" , non loin de la communauté noire de North Elba, communauté créée par le philanthrope Gerritt Smith.
C'est là que la famille Brown va s'installer durablement et c'est à partir de là aussi que l'action de John Brown va prendre de l'ampleur, glissant insensiblement du militantisme abolitionniste pacifique à une radicalisation qui le conduira, lui et ses cinq fils, vers la lutte armée.



C'est donc le portrait de ce personnage hors du commun que nous dresse Russell Banks au travers des mémoires apocryphes d'Owen Brown. L'auteur nous avertit d'ailleurs, en préambule de son roman, que son ouvrage ne peut être considéré comme un roman historique mais plutôt comme une oeuvre de fiction. En effet, Russell Banks s'est réservé le droit de prendre quelques libertés avec les faits historiques propres à la personne, à l'action et à l'entourage de John Brown. S'il nous offre un portrait haut en couleurs de ce personnage hors du commun et peu connu en Europe, c'est surtout le portrait d'un père décrit par son fils qu'il nous livre ici.
C'est en effet par le regard d'Owen que nous découvrons la personnalité de John Brown, et l'on finit par se demander, une fois le livre refermé, qui de ces deux personnages est vraiment au centre de ce roman ? Est-ce le père, célèbre activiste entré dans l'Histoire ? Ou est-ce plutôt le fils, Owen, qui, bien que fasciné par l'image de ce père tout-puissant, au point de le suivre (et parfois de l'inspirer) dans sa folie meurtrière, ne cesse de s'opposer intérieurement à cette autorité paternelle qui pèse d'un si grand poids sur sa progéniture ?
« Pourfendeur de nuages » n'est donc ni un roman historique, ni une oeuvre de pure fiction. Ce roman se situe à la frontière de ces deux genres, empruntant tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Même si de nombreux personnages cités dans ce roman, ont réellement existé, Russell Banks s'est donné toute la latitude propre au génie du romancier pour imaginer, dramatiser, extrapoler ou embellir cet épisode de l'histoire des Etats-unis d'Amérique.


Il en ressort un roman flamboyant, une épopée lumineuse et dramatique traversée du souffle des grands espaces américains mais surtout par la figure exceptionnelle et monumentale de John Brown, figure qui ne manquera pas de nous rappeler que mince est la frontière qui sépare l'idéalisme du fanatisme.





John Brown

vendredi 8 août 2008

08/08/2008 : Cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Pékin

En Chine, on applique la peine de mort dans les stades.

Regarder les retransmissions télévisées des épreuves sportives, c'est oublier qu'il y a du sang sous la terre battue.


Et si on éteignait la télé ?



samedi 2 août 2008

Bièlokamennaïa





"La guerre et la paix" Léon Tolstoï. Roman. Gallimard, 1972.

Traduit du russe par Boris de Schloezer.




Cela faisait longtemps que j'envisageais de lire « La guerre et la paix » de Léon Tolstoï.
Je ne sais pourquoi, j'ai longuement différé cette lecture.
Était-ce dû à la longueur du récit ? (environ 1500 pages) Je ne le crois pas.
Après tout, ce roman est loin d'atteindre la taille d' « A la recherche du temps perdu » que j'ai dévoré d'une traite il y a quelques années sans éprouver le moindre sentiment d'ennui ou de lassitude.
Non, en fait ce qui m'a poussé à entreprendre la lecture du chef-d-oeuvre de Tolstoï, c'est la paresse.
Vous aurez peut-être remarqué que mes commentaires se font plus rares ces temps-ci. Cela est du en grande partie à l'activité professionnelle que j'exerce depuis quelques mois et pour quelques jours encore, activité dont les horaires ne me laissent que quelques heures de liberté en fin de journée, heures que je préfère utiliser à me reposer et à lire plutôt qu'à rédiger des commentaires sur ce blog.
C'est donc uniquement le week-end que je peux me consacrer à la rédaction de mes impressions de lecture. Alors pour ne pas me laisser déborder par de multiples billets consécutifs à la lecture de romans de 200 ou 300 pages, lus parfois en un ou deux jours, j'ai décidé de sortir la grosse artillerie et de m'attaquer à cet imposant pavé afin de réduire la liste des romans en attente d'être chroniqués.

C'est donc ainsi que je me suis plongé dans la Russie des années 1805 à 1812, voyageant entre Moscou et St. Petersbourg à la suite des principaux protagonistes de ce roman-fleuve.
J'ai donc accompagné les Rostov, les Bolkonsky, les Droubetskoï et les Bezoukhov dans leurs parcours respectifs en cette époque où la Russie du tsar Alexandre 1er se voit peu à peu entraînée dans un conflit qui verra les troupes françaises de l'empereur Napoléon, "l'ennemi du genre humain", progresser jusqu'à occuper Moscou avant d'avoir à se replier de manière désastreuse.

La situation politique et militaire de la Russie en cette période troublée ne semble pas pour autant empêcher l'aristocratie russe de virevolter de bals en réceptions. Ici se nouent des alliances, ici se fomentent et se concluent des mariages où l'on cherche, qui pour ses fils, qui pour ses filles, les meilleurs partis disponibles, les plus grosses fortunes. Ici l'on joue de ses relations pour placer un rejeton – dont on ne sait que faire pour assurer l'avenir – vers une carrière d'officier, poste plus honorifique que foncièrement guerrier.
Mais les nuages s'amoncellent sur cette insouciante société, Napoléon devient de plus en plus menaçant et la jeunesse dorée de l'aristocratie russe va devoir faire preuve de courage face à l'ennemi sur les champs de bataille, ce qui diffère nettement de l'univers des salles de bal. Certains, comme Nicolas et Pétia Rostov, comme Boris Droubetskoï, brûlent d'impatience à l'idée de combattre l'envahisseur et ainsi de s'illustrer par de hauts faits.

D'autres, plus réfléchis peut-être, comme le prince André Bolkonsky ou le comte Pierre Bezoukhov, sont bien conscients que le sens de la vie n'est pas là, dans cette vaine course à la gloire et aux honneurs et que les actes héroïques ne sont en fait que d'habiles moyens propres à enjoliver des actions qui ne sont en fait que de sanglantes boucheries où les hommes se jettent les uns contre les autres, prêts à s'éventrer et s'entr'égorger pour la plus grande gloire d'un chef, d'une nation ou d'une idée.

Le prince André, suite à son veuvage et à sa désillusion quant aux sentiments que lui portaient la jeune Natacha Rostov, va prendre les armes lui aussi, après avoir longtemps vécu à l'écart des fracas du monde. Le comte Pierre, lui, après un mariage malheureux, va chercher à trouver une explication à sa vie en adhérant à la franc-maçonnerie.
Et c'est ainsi que nous allons suivre au fil des ans tous ces personnages, sans compter tous les seconds rôles qui gravitent autour, sans compter non plus les véritables personnages historiques : Napoléon bien sûr, mais aussi Koutouzov, Murat, Rostopchine... Tous vont apparaître sous nos yeux au gré du récit et des évenements dans un maelström vertigineux où se mêlent l'intime et l'épique, où les destins s'entrecroisent, se séparent, se retrouvent et se déchirent.
Tolstoï nous fait pénétrer avec un égal talent dans la quiétude des domaines de campagne mais aussi dans le fracas des batailles d'Austerlitz et surtout de la Moskowa, ainsi que dans la vision dantesque de Moscou en flammes. Il fait revivre sous nos yeux, et avec une précision hallucinante, les mouvements de troupes, les options stratégiques des belligérants, n'hésitant pas pour cela à interrompre le cours du récit – surtout à partir du Livre Troisième – pour exposer son point de vue sur les tactiques adoptées par les adversaires, mais aussi sur l'interprétation des faits historiques et également sur une réflexion philosophique portant sur les notions de Liberté et de Nécessité.
Ces apartés, même s'ils m'ont semblé parfois semblé alourdir et casser le rythme du récit (surtout dans la deuxième partie de l'épilogue, ont quand même le mérite d'avoir pu apporter aux lecteurs français une version bien différente du récit de la Campagne de Russie menée par l'empereur Napoléon.

Tolstoï, bien sûr, fait de son roman une épopée nationale destinée à célébrer l'honneur et le courage de son peuple. Les français, par contre, sont vus ici comme une de ces hordes de barbares qui ont souvent déferlé au cours de l'histoire sur le territoire russe. Et il est vrai que l'analogie n'est pas fausse car on peut s'interroger sur certaines décisions de Napoléon, dont celle d'abandonner Moscou alors que l'hiver approche, de se replier en reprenant le même itinéraire que celui par où il était venu au lieu de se diriger plus au Sud, vers des terres non encore pillées par ses troupes mais bénéficiant surtout d'un climat moins rigoureux.
Pourquoi cette décision de tout abandonner et de courir au désastre alors que les armées françaises avaient été jusqu'ici victorieuses ? Nous ne le saurons probablement jamais, de même que nous ne saurons jamais pourquoi Attila, aux portes de Rome en l'an 452, a finalement décidé de rebrousser chemin.
Tolstoï ne manque pas d'attirer l'attention du lecteur sur cette bévue de Napoléon, bévue qui s'annoncera comme le commencement de la fin pour l'empereur des français. Pour Tolstoï, Napoléon n'est sûrement pas le grand stratège que l 'on nous décrit de manière habituelle. Il n'est tout au plus que le jouet de circonstances, favorables au début, ce qui a ainsi facilité son ascension. Mais quand le sort lui est devenu contraire, la chute ne s'est pas fait attendre et l'aventure des Cent Jours n'aura finalement pas infléchi le sens du destin.

C'est donc, avec « La guerre et la paix » une immense fresque historique qui se déroule sous nos yeux, un roman qui par sa grandeur et par son souffle est devenu une épopée nationale, une sorte d'Iliade du XIX ème siècle ou Troie devient Moscou, « La mère aux pierres blanches » (bièlokamennaïa, épithète par laquelle les Russes expriment leur attachement pour cette ville), un roman-fleuve où les scènes d'introspection alternent avec des épisodes plein de bruit et de fureur, où les dorures des salons cèdent la place à la boue mêlée de sang des champs de bataille.

On ressort comme étourdi de la lecture de « La guerre et la paix », pris de vertiges après avoir suivi une telle profusion de personnages, après avoir effectué maints allers-retours entre Moscou et Saint-Petersboug, après avoir assisté, comme le comte Pierre Bezoukhov, aux sanglantes et titanesques batailles ainsi qu'à l'incendie de Moscou. Oui, on ressort pris de vertiges à la fin de cette lecture, comme sonné par ce roman foisonnant d'images chatoyantes et de personnages inoubliables. Un chef-d-oeuvre absolu.




Peinture de Jean-Louis Ernest Meissonier (1815-1891)

Le-Saviez-Vous ? Les vieux ne sont pas "rentables"


Vous vous êtes peut-être rendus récemment chez votre médecin. Dans la salle d'attente, il est possible que, parmi les différents magazines exposés sur la table basse, vous soyez tombés sur un exemplaire du Point en date du 3 Juillet dernier. Votre attention aura peut-être été attirée par cet article de la rubrique "Société", intitulé "Très chers médicaments".

On y revient, bien évidemment, sur la santé publique, la jugeant comme toujours de plus en plus dispendieuse, discours que l'on nous martèle depuis de nombreuses années afin de préparer l'opinion publique au démantèlement progressif - et que l'on voudrait nous faire croire nécessaire - d'un système exemplaire basé sur la solidarité.

Bref, rien de nouveau sous le soleil, Le Point joue encore ici la carte d'un gouvernement fermement décidé à dépouiller les français de tous les acquis sociaux chèrement gagnés au siècle dernier, acquis sociaux qui faisaient de la société française une exception et un exemple pour toutes les nations.

Mais là où l'article devient intéressant, c'est lorsque Le Point nous gratifie d'un entretien avec Pierre Le Coz, agrégé de philosophie, docteur en sciences de la vie et de la santé et, surtout, vice-président du Comité consultatif national d'éthique. Voici donc le point de vue de cet éminent penseur. Si vous êtes retraîtés vous allez apprécier !


« Pendant longtemps, la France a considéré que la santé d'un individu n'avait pas de prix et que le médecin ne devait pas agir en comptable. Notre société était individualiste, c'est-à-dire qu'elle était au service de l'individu : ce dernier ne devait pas être sacrifié à l'intérêt collectif. On pouvait se payer le luxe d'opérer tout le monde, y compris quand ce n'était pas indispensable. Cette philosophie a prédominé jusque dans les années 80. Puis on a commencé à s'interroger sur les sommes englouties au nom de la santé de chacun. La position utilitariste, déjà en vigueur dans les pays anglo-saxons, a commencé à émerger chez nous, suscitant beaucoup de réticences de la part des médecins. Mais ils ont dû admettre que notre système allait "dans le mur", et qu'il fallait donner la priorité à l'intérêt de la collectivité.
L'individualisme a vécu. Nous assistons à la fin d'une période glorieuse de notre histoire. Avec le vieillissement de la population-que l'on n'a pas correctement anticipé-et la multiplication des pathologies associées à l'allongement de la vie, on s'inquiète des dépenses à venir. Nos ressources n'étant pas illimitées, il faut essayer de les répartir de façon plus rationnelle. Aujourd'hui, on est bien obligé d'admettre que, si la santé n'a pas de prix, elle a un coût. Et les médecins doivent désormais tenir compte du prix des médicaments dans leurs décisions. Notre vision va devenir "sacrificielle" : il vaut mieux correctement prendre en charge un père de famille de 40 ans, qui est rentable pour la société, qu'une personne de 80 ans qui n'a plus toute sa tête. C'est évidemment un constat tragique. Mais nous n'avons pas le choix. Reste à trouver le meilleur équilibre entre les intérêts de l'individu et l'intérêt collectif. »


Voilà un discours qui laisse rêveur de la part d'un docteur en sciences de la vie et de la santé mais surtout du N° 2 du Comité consultatif national d'éthique.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part je me faisais une autre idée de l'éthique. N'ai-je rien compris ? Suis-je trop naïf ? Ou bien est-ce monsieur Pierre Le Coz qui n'a pas saisi toutes les conséquences de son argumentation ?

Je ne peux que souhaiter à Monsieur Le Coz de vivre longtemps et en bonne santé et de ne pas avoir à s'occuper de parents âgés et devenus dépendants.
Je ne peux pas m'empêcher non plus de penser qu'il y a vraiment des coups de pied au cul qui se perdent !

ADDENDA (le 18/08/2008): S'il y a des coups de pied au cul qui se perdent, c'est encore une fois à cause des médias. Il semblerait que les journalistes du Point, à moins que ce ne soient les rédacteurs eux-mêmes, aient déformés les propos de Monsieur Pierre le Coz. L'intéressé a donc tenu à exercer son droit de réponse où il s'insurge contre "une déformation grotesque et choquante" de ses propos. ICI