dimanche 23 mai 2010

Le 8ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 6

"Le Passé est une terre étrangère" Gianrico Carofiglio. Roman. Editions Payot & Rivages 2009.
Traduit de l'italien par Odile Rousseau.

Giorgio est un jeune homme sans histoires qui poursuit des études de droit dans sa ville natale de Bari. Son avenir semble tout tracé jusqu’au jour où il rencontre, lors d’une soirée, un dénommé Francesco, à qui il vient en aide quand celui-ci est pris à partie par deux individus qui semblent lui en vouloir pour d’obscures raisons.


Francesco, pour lui exprimer sa reconnaissance, va se lier d’amitié avec lui et faire découvrir à Giorgio un monde que celui-ci ignorait jusqu’à ce qu’ait lieu cette rencontre. Ce monde, c’est celui du jeu. Francesco est un joueur de poker. Cette activité s’avère être son principal moyen d’existence en lui offrant la possibilité de gagner de coquettes sommes d’argent. Ces gains sont faciles à réaliser car Francesco est un tricheur.

Il va proposer à Giorgio, quand celui-ci aura découvert par quels moyens son ami engrange les succès au jeu, de faire équipe avec lui. A deux, ils pourront réaliser de plus grands bénéfices et pourront plus facilement écarter les soupçons de tricherie en déroutant leurs adversaires.

Giorgio, qui semble fasciné par l’aura de Francesco, son aisance à évoluer aussi bien dans le milieu de la bourgeoisie que dans celui des bas-fonds barésiens, va suivre les yeux fermés son partenaire et écumer les soirées privées et les salles de jeu clandestines.

Très rapidement, les deux comparses vont réaliser des gains impressionnants et former une équipe soudée et efficace. Giorgio va perdre pied face à cet argent facilement gagné, délaissant ses études pour s’adonner à cette nouvelle activité qui lui permet de s’offrir une belle voiture, de rencontrer de jolies femmes et de vivre dans l’oisiveté sans se préoccuper de l’avenir.

Fort de leur succès, Francesco va proposer à son ami un voyage en Espagne qui, Giorgio s’en apercevra trop tard, n’a pas pour unique but de faire du farniente sur les plages de Valence et de goûter les spécialités locales.

L’argent appelle l’argent, c’est bien connu, et Francesco ne recule devant rien pour étoffer ses gains. Cette fois-ci, il ne s’agira pas de plumer quelques adversaires au poker mais d’effectuer une transaction aux conséquences beaucoup plus répréhensibles.

C’est le récit d’une descente aux Enfers que nous livre Gianrico Carofiglio avec « Le Passé est une terre étrangère », un polar étouffant qui nous met en garde contre les tentations de l’argent facile et l’engrenage vicieux qui en découle. Il est aussi beaucoup question de manipulations dans cet ouvrage, non seulement celles effectuées par les joueurs de poker sur leurs adversaires mais aussi et surtout celles exercées par certains personnages sur d’autres, plus naïfs et plus enclins à se laisser entraîner dans des voies qu’ils n’auraient jamais choisies de leur propre chef. C’est ici le cas avec le couple Francesco/Giorgio. Pourtant, Giorgio n’est pas un ingénu ; intelligent, accomplissant de brillantes études, il devient pourtant, malgré l’impression ancrée en lui qu’il exerce pleinement son libre arbitre, une sorte de marionnette entre les mains de Francesco, un individu au charme trouble et doté d’une forte personnalité.

En ce qui concerne le récit en lui-même,on pourra être rebuté, comme je l’ai été au début, par les descriptions des parties de poker, jeu auquel je n’entends rien, et dont j’ai été incapable de comprendre quoi que ce soit aux stratagèmes mis en place par les joueurs.

On pourra cependant faire l’impasse sur la compréhension de ces détails réservés aux amateurs pour se focaliser sur la trame plus générale d’un récit qui nous happe et nous hameçonne jusqu’à la toute dernière page.








samedi 15 mai 2010

Le 8ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 5

"Paris-Brest" Tanguy Viel. Roman. Les Editions de Minuit, 2009

Dans le train qui le ramène vers Brest où il va passer dix jours en famille pour les fêtes de Noël, le narrateur, chargé d’une valise contenant un manuscrit, s’interroge sur les raisons qui l’ont poussées à accomplir ce retour aux sources. Est-ce le désir de renouer le contact avec sa famille ou l’envie de régler une fois pour toutes ses comptes avec ses parents, et en particulier avec sa mère ?

De ce jeune homme, on sait peu de choses si ce n’est que, quelques années auparavant, lorsque ses parents ont quitté précipitamment Brest pour s’installer dans le Languedoc-Roussillon, il a décidé, lui, de ne pas les suivre et d’occuper l’appartement situé juste au dessous de celui de sa grand-mère.

Pourquoi les aurait-il suivis ? Pourquoi en effet aurait-il du prendre sa part dans le scandale financier qui a atteint son père, président du Stade Brestois qui, suite à cette affaire, a préféré mettre entre lui et le monde footballistique finistérien une distance de plusieurs centaines de kilomètres afin d’éviter de croiser les regards et d’endurer les sarcasmes des passants ? Pourquoi aurait-il du suivre sa mère qui se glorifiait de fréquenter les notables de la ville jusqu’au moment où, le scandale ayant éclaté, les portes de la bonne société se sont fermées devant elle, la contraignant à émigrer vers le sud de la France et de tenir une boutique de souvenirs à Palavas-les-Flots ?

Le jeune homme a donc décidé de ne pas quitter Brest, n’ayant plus que pour seule famille sa grand-mère qui, remariée sur le tard avec un amiral en retraite a hérité, après la mort de celui-ci, d’une petite fortune qui n’est pas sans attirer la convoitise des parents du narrateur. Malheureusement pour ceux-ci, le scandale du Stade Brestois va les contraindre à s’exiler pour quelques années, contretemps qui va les empêcher de mettre la main sur la petite fortune acquise par la vieille dame.

A part sa grand-mère, le jeune homme n’aura pour unique fréquentation que celui que sa mère appelle avec dédain « le fils Kermeur », le fils de la femme de ménage de sa grand-mère, une sorte de mauvais génie, personnage aussi sympathique que déconcertant et qui va, un jour, lui exposer un curieux projet consistant à cambrioler sa propre grand-mère et à lui dérober une forte somme d’argent.

Suite à cette affaire, les parents du jeune homme, plus soucieux de préserver la fortune de la vieille dame que d’assurer sa sécurité, vont se décider à revenir dans le Finistère. Ces quelques années d’exil auront après tout effacé en partie le parfum de scandale attaché à la personne du père. Et puis, mettre la main sur l’argent de la grand-mère mérite bien que l’on essuie au détour d’une rue un regard hostile ou quelques paroles désobligeantes. Ils vont donc revenir et s’installer non loin de Brest, sur la côte, dans une grande maison où ils hébergeront, à l’étage, la vieille dame, bénéficiant ainsi des revenus de celle-ci pour vivre confortablement.

La famille sera-t-elle de nouveau réunie, comme si rien ne s’était passé ? Non, car le narrateur, au moment où ses parents décident de revenir, lui va s’installer à Paris où il va peaufiner quelques années durant un roman où il mettra en scène sa propre famille, en profitant pour régler ses comptes avec sa mère, intolérante, cupide et ambitieuse, et avec son père, indifférent à tout ce qui ne sert pas ses propres intérêts.

Il va pourtant accepter de revenir à Brest, pour fêter Noël en famille. Il n’y va pas de gaieté de cœur mais peut-être pour comparer ce que sont réellement ses parents avec la manière dont il les a décrits dans son manuscrit. Peut-être aussi pour constater leur médiocrité de petits-bourgeois, leur mentalité de parvenus et se convaincre ainsi que, n’ayant rien de commun avec eux, il est temps de trancher les liens qui le lient avec eux.

Ce bref séjour sera en tout cas le moment où les masques vont tomber et où l’on atteindra le paroxysme de cette histoire de famille. Ce retour à Brest, cette réunion de famille, on l’ attend tout au long de la lecture de ce roman et l’on en ressent la tension, tension qui monte crescendo jusqu’au dernier chapitre où tout se jouera dans la confrontation entre le narrateur et sa mère…

« Paris-Brest », qui évoquera pour beaucoup le nom d’un des plus célèbres fleurons de la pâtisserie française, n’est pas sans rapports avec le gâteau du même nom : délicieux et écoeurant.
Délicieux parce que l’auteur nous gratifie d’une étude de mœurs et de personnages qui, le style mis à part, méritent l’appellation de « Balzaciens » tant leurs actes et leurs penséess’apparentent à une moderne version de la Comédie Humaine.
Écoeurant parce que, comme pour Balzac, les personnages ici mis en scène font preuve, soit d’une naïveté sans bornes qui les pousse à devenir l’enjeu de la convoitise de leurs proches, comme le Père Goriot ou la grand-mère du narrateur, soit d’un arrivisme et d’une cupidité méprisables qui n’hésitent devant aucun obstacle, aucune bassesse, pour assouvir leurs besoins de posséder toujours plus au détriment de ceux précédemment cités.

En cela, Tanguy Viel, comme le fit Balzac en son temps, nous offre ici un tableau peu reluisant de la nature humaine avec cette tragi-comédie provinciale plus amère que douce qui plongera le lecteur dans l’univers d’une famille comme tant d’autres où la vénalité et le souci des apparences l’emporte sur les liens affectifs qui devraient souder leurs membres. Édifiant.




mardi 11 mai 2010

Le 8ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 4

"Courbatures" Paul Fournel. Nouvelles. Editions du Seuil, 2009

Être confronté un jour au succès, à la notoriété, nombre d’entre nous en rêvent plus ou moins secrètement. Cependant, cette célébrité, qu’elle soit mondiale ou qu’elle ne dépasse pas les limites de votre cage d’escalier, peut susciter bien des déconvenues. Qu’elle soit acquise ou encore à l’état de fantasme, cette notoriété génère parfois plus d’angoisses et de troubles que ce que l’on pourrait imaginer.


Dans ce recueil de nouvelles, Paul Fournel nous fait partager les affres de nombreux personnages confrontés au succès et à tous ses à-côtés. Certains vont connaître une renommée mondiale, comme ce boxeur devenu champion du monde ou cette star du rock contrainte d’entretenir son image de rebelle. D’autres vont faire l’expérience d’une gloire beaucoup plus discrète comme ce jeune homme romantique persuadé d’avoir rencontré dans un café la femme de sa vie, ou encore ce couple qui vient de remporter le gros lot du loto et qui se demande quoi faire de tout cet argent.

La gloire est un rêve fugace, difficile à saisir et qui, à peine entre vos mains peut vous filer entre les doigts comme une poignée de sable. Pour l’acquérir, il faut batailler du corps et de l’esprit comme ce cycliste qui s’interroge sur les raisons qui l’ont amenées à finir deuxième pour un écart d’une demi-seconde.

Quand cette notoriété est enfin acquise, il faut pouvoir la faire durer, et pour cela utiliser maints stratagèmes comme cette actrice et ce chanteur, tous deux en perte de vitesse, qui montent de toute pièce une fausse idylle suivie d’une fausse séparation qui fera les choux-gras des magazines people et leur permettra de se retrouver à nouveau sous les projecteurs.

D’autres vont connaître un succès plus modeste comme ce pêcheur d’esturgeon canadien qui, pour manipuler ses prises avec douceur, devra user de violence avec sa femme. C’est aussi cette mariée napolitaine qui pense, lors de ses noces, vivre le plus beau jour de sa vie et être, ce jour-là le centre du monde, alors que celui qui est devenu son mari la trouve laide et empâtée.

« Ce qui d’abord est gloire à la fin est fardeau » écrivait Victor Hugo dans « La Légende des Siècles », et c’est bien de ce fardeau dont nous parle Paul Fournel dans « Courbatures ».
Qu’ils soient animateurs de télé, sportifs, protagonistes d’émissions de télé-réalité, les personnages qu’il met ici en scène auront fort à faire avec cette gloire, qu’elle soit accomplie ou encore à l’état de désir. On pourrait penser à tort que cet ensemble de nouvelles se voudrait pontifiant et moralisateur, mettant en garde le lecteur contre les trompettes de la renommée. Il n’en est heureusement rien. Le ton se fait ici désenchanté, doux-amer, parfois acerbe et souvent ironique, pointant du doigt les rêves stériles qui sont devenus les nôtres, ceux de la reconnaissance et de la réussite sociale. Ne faut-il pas en effet, de nos jours, prouver à chaque instant, aux autres et à soi-même que l’on est le meilleur?

Ne faut-il pas réussir ses études, réussir sa vie, atteindre, voire dépasser ses objectifs au sein de l’entreprise qui nous emploie, être le meilleur en tout, avoir une vie de couple exemplaire, des enfants beaux et intelligents, une maison plus belle que celle du voisin, une voiture plus puissante, un meilleur salaire que nos collègues ? Tous ces succès ne sont-ils pas, au final, de dérisoires faux-semblants destinés à nous rassurer et à masquer notre propre impermanence et l’échéance de la mort ?

Comme nous, les divers personnages décrits dans cet ouvrage, se leurrent de cette gloire hypothétique et ne commencent à en comprendre l’inanité que lorsque cette réussite acquise, ils se retrouvent face à une forme de néant nourrie de leurs propres illusions.







"Sic Transit Gloria Mundi" Jeff Koons