Un manuscrit à oublier


"Codex le manuscrit oublié" Lev Grossman. Roman. Calmann-Lévy, 2007

Traduit de l'américain par Lisa Rosenbaum.



Quand, dans les années 1980, Umberto Eco publia ses deux romans : « Le Nom de la Rose » et plus tard « Le Pendule de Foucault », il ne se doutait certainement pas – et nous, lecteurs encore moins – du formidable engouement qu'allaient susciter ses écrits.
Ce succès légitime allait pourtant avoir une conséquence catastrophique dans le fait que nombre d'écrivaillons et d'éditeurs, tous fermement décidés à faire tinter leur tiroir-caisse, décidèrent de lui emboîter le pas en proposant aux lecteurs des romans à énigmes, mêlant intrigue policière et faits historiques plus ou moins sérieux, le tout saupoudré d'un zeste d'érudition destiné à faire croire aux lecteurs que le livre qu'ils ont entre les mains est plus qu'un simple roman destiné à les distraire, mais un ouvrage censé leur apprendre énormément de choses, voire leur révéler des secrets jalousement gardés depuis des siècles par certaines autorités soucieuses de maintenir un pouvoir occulte sur le monde contemporain.
C'est ainsi que l'on a vu (et que l'on verra encore) défiler au cours des années et des parutions nombre de Templiers, d'Illuminati et d'Atlantes, de chevaliers du Graal... d'innombrables manuscrits détenteurs d'une vérité susceptible de bouleverser l'Histoire, voire de remettre en cause les fondements de la chrétienté : manuscrits de la Mer Morte, Évangiles apocryphes etc...

Un autre point commun caractéristique de ce genre littéraire est le sérieux avec lequel les auteurs tentent de nous convaincre du bien-fondé et de l'extrême véracité de leurs élucubrations. On est bien loin, dans la plupart de ces romans, de la distance qu'ont su prendre avec leurs sujets des auteurs comme Adrien Goetz avec son « Intrigue à l'anglaise » qui s'amuse avec humour et sans se prendre au sérieux à remettre en cause la légitimité de la Couronne d'Angleterre.
Quant à Umberto Eco, n'oublions pas qu'avec « Le Pendule de Foucault » il tire à boulets rouges sur ces romans, maniant les ficelles du genre avec une ironie jubilatoire dans le but de dégommer les poncifs propres à ces ouvrages.

Un autre aspect significatif de ces romans est aussi leur pauvreté lexicale, leur écriture rudimentaire faite de phrases courtes, ainsi que leurs personnages sans épaisseur, dotés d'une psychologie qui frise le zéro absolu.
Cerains de ces ouvrages réussissent quand même, malgré tout, à tirer leur épingle du jeu. J'en veux pour preuve le très célèbre « Da Vinci Code » de Dan Brown, qui, loin de faire date dans l'Histoire des Lettres, réussit quand même à tenir le lecteur en haleine grâce à un sens du suspense et à une intrigue qui force le lecteur à tourner la page pour en savoir toujours plus.

Il n'en sera pas de même, à mon avis, pour « Codex, le manuscrit oublié » de Lev Grossmann, roman qui accumule tous les défauts du genre.

Edward Wozny, un jeune banquier new-yorkais se prépare à prendre des vacances avant de partir pour Londres où l'attend un nouveau poste. Au dernier moment, son employeur lui confie une tâche bien peu en rapport avec son activité professionnelle : il s'agit de se rendre chez l'un des plus importants clients de la banque afin de répertorier les ouvrages d'une bibliothèque rapatriée d'Angleterre aux États-Unis par la richissime famille Went à l'aube de la seconde Guerre Mondiale.
Parmi toutes ces caisses remplies de livres précieux, Edward va être chargé de mettre la main sur un mystérieux manuscrit du XIVe siècle : Le Voyage au pays des Cimériens, écrit par un mystérieux chroniqueur nommé Gervase de Langford.
Bien évidemment, l'ouvrage reste introuvable dans la collection et Edward va devoir s'adjoindre l'aide d'une jeune étudiante au caractère de prime abord peu amène mais dont il va bien évidemment tomber amoureux quelques dizaines de pages plus loin.

Parallèlement à cette recherche, Edward va se faire offrir, par un ami informaticien et un peu hacker, un jeu vidéo multijoueurs non commercialisé et qui circule sous le manteau, jeu vidéo à l'usage d'une communauté triée sur le volet de développeurs en informatique.
MOMUS, c'est le nom de ce jeu, va s'avérer posséder de troublantes ressemblances avec ce qu' Edward finit par apprendre sur le contenu du Voyage au pays des Cimériens de Gervase de Langford.
Tout cela pourrait s'avérer assez agréable à lire – les passages concernant le chroniqueur médiéval et la rédaction de son ouvrage n'étant pas dénués d'intérêt – mais on s'apercevra très vite que l'intrigue peine à démarrer, que le rythme en est poussif, les dialogues inconsistants et que l'insertion dans le récit du jeu vidéo est inintéressante au possible, voire quasiment barbante !
Quant à la conclusion du mystère, elle laisse le lecteur sur sa faim suite à des démêlés rocambolesques, embrouillés et difficilement crédibles. Las! On referme le roman en se disant : « tout ça pour ça ! » et la seule satisfaction que l'on ressent après coup est d'en avoir terminé avec cette œuvrette de 440 pages dont on a du mal à comprendre comment elle est devenue un best-seller international. Ceci dit, les best-sellers contemporains ne sont après tout, et dans la majeure partie des cas, que des romans de gare. Le livre de Lev Grossmann relève de cette catégorie, à cette nuance près qu'il est un mauvais roman de gare.
Bref, « Codex » est un roman dont le manuscrit – comme son titre l'indique – aurait gagné lui aussi à être oublié dans une pile de caisses dans la cave d'un obscur éditeur.






Commentaires

Sibylline a dit…
Tu as bien parlé des "descendants" d'Eco. On entend souvent que ces gens-là s'inspirent du Da Vinci Code, mais tu as raison de rappeler qu'il n'était lui-même pas premier.
Je trouve que tu as parfaitement décrit la situation concernant ce genre de littérature. Dès qu'un innovateur a une idée d'autres se précipitent dans la brèche. Comment peuvent-ils se satisfaire de si peu? A quoi bon "créer" si on n'invente rien?

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