Crane




"Comment les fourmis m'ont sauvé la vie" Lucia Nevaï. Roman. Editions Philippe Rey, 2009



Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain.


Des champs de maïs à perte de vue. Une bicoque en bois posée entre la gravière et la voie ferrée. C'est ici que vivent les Cavanaugh.

Il y a d'abord le chef de famille : Big Duck Cavanaugh, alcoolique, faux prêcheur et véritable escroc. Puis sa femme, Flaherty, surnommée Flat ("La Plate", ce qui correspond à son physique dénué de reliefs), à demi-folle, constamment assise devant son piano à réciter et chanter des psaumes de la Bible.

Il y a aussi Letitia, d'origine sioux, plus couramment appelée Tit (ce qui, en argot américain, signifie "nichons", surnom qui convient lui aussi à son physique généreux de croqueuse d'hommes). Tit est officiellement représentante pour les produits Vita-Life et s'adone, à ses heures perdues, à la prostitution. Elle est la concubine de Big Duck qui ne voit aucun inconvénient à faire cohabiter sous le même toit sa femme et sa maîtresse.

Puis viennent les enfants. Douglas Cavanaugh Junior, l'aîné, dit Little Duck, et qui, malgré son surnom n'est pas le fils de Big Duck mais l'enfant qu'a eu Tit avec un célèbre évangéliste itinérant.

Ensuite vient Jima, qui est la fille de Big Duck et Flaherty, une enfant qui avoue dès son plus jeune âge un précoce penchant pour l'alcool.

Puis, en tout dernier, Crane, la narratrice de cette histoire (dont le nom en Sioux désigne la grue, oiseau migrateur). Crane est née défigurée, suite aux tentatives de sa mère de s'en débarrasser avant sa naissance. Elle n'est pas non plus la fille de Big Duck mais le fruit des étreintes de Tit avec un pharmacien de la région.

Nous sommes dans les années 1950, quelque part en Iowa. Les enfants Cavanaugh sont livrés à eux-mêmes. Ils ne connaissent pas le chemin de l'école et sont perpétuellement sous-alimentés. Tit, qui assure - grâce à ses activités - la survie de la maisonnée, les gave, pour tout repas, de pilules vitaminées Vita-Life afin de les maintenir dans une relative bonne santé.

Pour seule distraction, les enfants n'ont que le spectacle du train de marchandises de 21 h 49 reliant Chicago à Kansas-City. Assis au bord de la voie ferrée, ils regardent quotidiennement défiler l'interminable convoi chargé de charbon, de céréales, de bois et de papier. Le reste du temps, ils le passent à contempler l'océan de maïs qui les entoure, suivant au fil des saisons les différentes phases de la culture céréalière, les labours, les semailles, l'épandage d'engrais, de désherbants, de pesticides toxiques, et en dernier lieu la moisson.

Puis, un jour, un autre divertissement s'offre à eux : un homme vient de racheter la gravière. Plus précisément, il l'a gagnée au poker. Le perdant, un vieil ivrogne, lui a cédé la propriété de la carrière. Mais s'il est ici, ce nouveau propriétaire, ce n'est pas pour extraire du gravier. Ayant appris que le sous-sol recélait des sources, il décide de créer un lac en lieu et place de l'ancienne exploitation et d'y implanter des poissons afin d'attirer les pêcheurs amateurs de la région. Et c'est un succès ! Très vite, les pêcheurs arrivent sur les rives du lac et celui-ci se couvre peu à peu de barques et de canots à moteur. Fanelli, le propriétaire, ne compte pas en rester là. Il monte un quai et installe une boutique d'articles de pêche qui peu à peu deviendra un bar puis un grill. Fanelli va aussi construire un lotissement de trente-cinq maisons autour du lac désormais baptisé Lake Mary, en souvenir du prénom de sa mère.

Les berges du lac vont peu à peu se peupler de nouveaux arrivants, pour la plupart membres de la classe moyenne. Sous leurs fenêtres, le lac, mais aussi le taudis des Cavanaugh, posé comme une verrue sur ce paysage qui se veut enchanteur.

Les années passent, et un jour, Tit puis Big Duck disparaissent, en quête d'autres horizons, abandonnant les enfants aux mains de cette pauvre folle de Flat qui, ne se remettant pas du départ inopiné de son mari, se terre maintenant sous son lit et récite à longueur de temps l'Apocalypse de Saint-Jean.

Enfin arrive l'inéluctable. Les services sociaux du Comté, alertés par les habitants de Lake Mary, viennent chercher Crane et Jima. Little Duck, qui a déjà un emploi, échappe au placement, mais ses dux demi-soeurs sont séparées. Jima est placée dans un Foyer pour jeunes filles "en détresse" tandis que Crane est envoyée dans un couvent de religieuses d'où elle ressortira quelques années plus tard, suite à son adoption par Ollie et Ray Hopkins, un jeune couple qui a récemment emménagé... à Lake Mary.

Les habitants vont-ils reconnaître, après toutes ces années, la gamine pouilleuse au visage déformé, "le monstre du bout du lac" ? Mais la fille des Cavanaugh a beaucoup changé depuis tout ce temps. Elle a appris à lire, à écrire, et s'avère être une brillante élève, surtout dans le domaine des sciences, et en particulier dans l'étude de la vie sociale des fourmis.

Elle retrouvera pourtant au bord de ce lac les souvenirs d'autrefois en se promenant aux abords de la bicoque de ses jeunes années, aujourd'hui démolie. Elle retrouvera aussi Jump, l'adolescent pervers et brutal pour qui elle éprouve une curieuse attirance.

Une nouvelle vie a commencé pour Crane, entourée de l'affection débordante (et souvent maladroite) d'Ollie, qui tient à ce que sa "Princesse" s'intègre au sein de la communauté des habitants de Lake Mary . Mais la jeune fille taciturne ne se laisse pas abuser par les tentatives répétées et malhabiles de sa mère adoptive qui veut à toute force lui trouver des ami(e)s et lui dégotter le Prince Charmant afin de la faire accéder au pinacle de ce qu'elle pense être la réussite sociale : une épouse modèle, mère au foyer, évoluant en tenue élégante au milieu d'appareils électro-ménagers ultra-modernes, image fantasmée de la femme des années 1950-1960.

Mais Crane - si elle se prête avec indulgence et bonne volonté aux lubies d'Ollie - a d'autres préoccupations : étudier ses fourmis, bien sûr, mais aussi et surtout retrouver la trace de Little Duck et Jima.



Le roman de Lucia Nevaï, malgré les apparences, n'est pas de ces histoires sordides et misérabilistes qui font pleurer dans les chaumières. Bien au contraire, cet ouvrage nous offre un portrait tendre et amusé de cette société du Middlewest des années 1950-1960, soucieuse du Qu'en-dira-t-on ? et appliquée à paraître aux yeux du voisinage comme l'incarnation de la famille idéale, et aux yeux du monde comme le symbole de la réussite du système social nord-américain, alors considéré comme le parangon du monde occidental. Pourtant - l'auteur ne manque pas de nous le rappeller dès les premières pages - la misère est là, dissimulée cerrière cette façade clinquante de lotissements flambants neufs. La misère est là, chez ceux qui n'ont pas voulu - ou tout simplement pas pu - accepter ce modèle conformiste : marginaux de tout poil, handicapés, malades mentaux, alcooliques... tous ceux qui ne renvoient pas à la société une image dont elle puisse se glorifier.

Crane, dont on connaît les premières années difficiles, va pourtant faire voler en éclats cette image lisse d'une Amérique ronronnante. remarquablement intelligente, elle va, par exemple, surpasser de loin les enfants de bonne famille de son entourage qui s'avèrent sans exception être d'éminents crétins. Car Crane, au contraire de nombre de ses contemporains, a bien compris une chose essentielle : mieux vaut être que paraître.

Quant à sa décision, prise subitement alors qu'elle se dirige vers l'autel, en vue de son mariage, je vous laisse la découvrir. Il vous faudra pour cela apprendre par vous-même comment les fourmis lui ont sauvé la vie.





Commentaires

keisha a dit…
Cliqué chez babelio celui là, mais reçu un autre. La vie est trop injuste à la fin.
chiffonnette a dit…
Les personnages ont l'éair fascinant! Ce qui suffit à me faire sortir mon stylo et à me pencher sur l'étude de la manière dont les fourmis ont sauvé cette demoiselle!

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