Temps difficiles
"Vingt ans ma belle âge" Louis Guilloux. Nouvelles.
Gallimard, 1999.
Louis Guilloux (1899-1980) est un auteur dont je découvre petit à petit l'oeuvre romanesque. On pourrait m'accuser de chauvinisme parce qu'il est natif de St-Brieuc. Il n'en est rien. Je ne suis pas breton et ne vit dans cette belle région que depuis un peu plus de deux ans.
Par contre, c'est seulement une fois établi en Bretagne que, fouinant dans les rayonnages des bibliothèques et des librairies de la région, un nom et un titre d'ouvrage s'imposaient constamment à mon attention : « Le sang noir » de Louis Guilloux.
Je m'attendais à beaucoup de choses en musardant dans ces bibliothèques et librairies : à voir, par exemple, des exemplaires innombrables de l'oeuvre de Pierre-Jakez Hélias, de François René de Châteaubriand ou d'Anatole Le Braz. Bien sûr, ces auteurs sont tous présents et il est difficile de ne pas les remarquer, mais parmi eux, il en était un, beaucoup plus discret – Louis guilloux – dont je n'avais jusqu'ici jamais entendu parler.
Je m'attendais à beaucoup de choses en musardant dans ces bibliothèques et librairies : à voir, par exemple, des exemplaires innombrables de l'oeuvre de Pierre-Jakez Hélias, de François René de Châteaubriand ou d'Anatole Le Braz. Bien sûr, ces auteurs sont tous présents et il est difficile de ne pas les remarquer, mais parmi eux, il en était un, beaucoup plus discret – Louis guilloux – dont je n'avais jusqu'ici jamais entendu parler.
Intrigué par ce « Sang noir » que je voyais à maintes reprises, je décidai d'en faire la lecture.
J'en fus, plus qu'agréblement surpris, remué et conquis par cette oeuvre remarquable, d'une noire beauté et d'une lucidité sans failles s'attachant à décrire toute la veulerie et toute l'abjection d'une coterie de notables d'une ville située bien à l'arrière du front lors de la Grande Guerre. Ces personnages, pathétiques de sournoiserie et de lâcheté, éructant leurs discours patriotiques enflammés alors que plus loin meurent par centaines de milliers les représentants d'une jeunesse sacrifiée, constitue une galerie de portraits inoubliables.
Loin d'être – comme je le pensais avant d'en découvrir l'oeuvre – un auteur régionnaliste, voire du « terroir », Louis Guilloux est avant tout un auteur dont les personnages et les thèmes, par leur universalité, transcendent le cadre régional (qui finalement reste discret, voire inexistant car n'apportant aucun élément susceptible d'apporter un plus au récit) pour apporter au lecteur une vision de la condition humaine, dans ses grandeurs et ses misères, qui est, somme toute, un héritage commun à toutes les cultures et à toutes les époques.
Cette lucidité, ce constant souci de décrire les embûches et les malheurs de l'existence, les efforts désespérés que font certains pour tenter de s'extraire de la dureté des temps, on les retrouve dans « Vingt ans ma belle âge », recueil de contes et nouvelles écrits par Louis Guilloux entre 1921 et 1950.
Dans la nouvelle qui donnera son titre à l'ensemble de l'ouvrage, Guilloux dépeint dans ce texte autobiographique les conditions de cette époque de l'existence tant vantée et tant regrettée : l'époque des vingt ans. Sauf qu'ici, c'est dans le Paris d' après la Grande Guerre que nous entraîne l'auteur, nous contant ses annés de « vache enragée », dans un récit bien éloigné de la vision naîve et romanesque de « la vie de bohême ».
On retrouvera cette atmosphère d'après-guerre dans « Douze balles montées en breloque », récit mettant en scène le conflit entre une veuve et sa fille à propos de la réhabilitation du père, fusillé sur l'ordre d'un officier peu regardant sur les conditions d'une blessure à la main droite et considérant celle-ci comme une tentative de désertion.
Mais plus généralement on trouvera dans ce recueil un assortiment de personnalités et de destins poignants : écrivains maudits, ronds-de-cuir, potaches, ivrognes, ambitieux, paysans, instituteurs, filles de ferme, etc... tous représentants de certaines catégories – les plus modestes – de la société française de la première moitié du XXème siècle.
Dans ces six nouvelles et ces vingt contes, Louis Guilloux s'attache à dépeindre autant d'individualités et de destinées marquées par l'empreinte du sort.
Avec un talent d'écriture et un sens de la narration qui – par certains aspects et dans certains textes – ne manquent pas de rappeler les contes et nouvelles de Maupassant ou de Flaubert, par sa prose classique, limpide, dépouillée et sans effets de style, Louis Guilloux nous livre avec ce recueil une anthologie des thèmes récurrents à son univers littéraire, un univers sombre et désespéré, toutefois tempéré par le discret esprit de dérision qui plane sur certains de ses écrits, esprit de dérision visant à souligner l'inanité et le pathétique de nos gesticulations dans nos efforts pour atteindre ces paradis illusoires que sont la réussite sociale, l'amour, la gloire et la reconnaissance.
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