Um ourives das palavras
"Train de nuit pour Lisbonne" Pascal Mercier. Roman.
Maren Sell Editeurs, 2006.
Traduit de l'allemand (Suisse) par Nicole Casanova.
Certains ouvrages – pour je ne sais quelles raisons – ne bénéficient pas des faveurs accordées par le Barnum médiatique à certains auteurs (je ne citerais personne) dont les qualités d'écriture – plus que discutables – ne font pas obstacle à une surenchère de superlatifs (souvent peu mérités) ainsi qu'à une diffusion pléthorique qui n'a pour finalité que d'appâter le chaland et lui donner à croire que la qualité littéraire se justifie par le nombre d'exemplaires vendus ou par la fréquence des interventions de tel ou tel auteur sur les chaînes de télévision.
Alors que certains scribouillards se trouvent propulsés en tête des ventes et ne cessent de parader afin de masquer le néant qui caractérise leurs productions, d'autres auteurs restent confinés dans l'ombre, leurs ouvrages n'ayant pas eu l'heur de séduire certains critiques littéraires devenus en l'espace de quelques années d'adroits conseillers en marketing.
C'est par le biais de ce phénomène que le très beau roman de Pascal Mercier : « Train de nuit pour Lisbonne » est resté méconnu du grand public et n'a pas bénéficié de la distinction que sa grande qualité lui aurait value.
Relégué au rayon de la littérature « confidentielle », ce livre a heureusement été remarqué et vanté par certains chroniqueurs de la blogosphère tels que Jean-Louis Kuffer ainsi que par le forum littéraire « Parfums de livres »
C'est d'ailleurs par l'entremise de ce forum et plus particulièrement à deux de ses fidèles et talentueuses intervenantes (un petit coucou à Marie et Coline) que cet ouvrage m'est arrivé entre les mains. Je les en remercie infiniment.
C'est d'ailleurs par l'entremise de ce forum et plus particulièrement à deux de ses fidèles et talentueuses intervenantes (un petit coucou à Marie et Coline) que cet ouvrage m'est arrivé entre les mains. Je les en remercie infiniment.
Mais – me direz-vous – qu'est-ce-que c'est que ce « Train de nuit pour Lisbonne » ?
Tout d'abord – et pour procéder par élimination – si vous aimez la littérature où l'action prime sur l'intime, si vous aimez les rebondissements en cascade, les émotions fortes, l'exotisme, les scènes torrides, le suspense agrémenté de quelques passages sanguinolents, je vous recommande de ne pas aller plus loin dans la lecture de cette chronique. Vous ne trouverez rien de cela dans le livre de Pascal Mercier. « Train de nuit pour Lisbonne » est un roman intimiste, un récit qui ne peut se lire que lentement, sans précipitation, et où se mêlent adroitement philosophie, histoire, littérature et introspection.
« C'est bien joli, me direz-vous en réprimant poliment un baîllement incoercible, mais ça parle de quoi, ce livre ? ». J'y arrive.
Tout d'abord – et pour procéder par élimination – si vous aimez la littérature où l'action prime sur l'intime, si vous aimez les rebondissements en cascade, les émotions fortes, l'exotisme, les scènes torrides, le suspense agrémenté de quelques passages sanguinolents, je vous recommande de ne pas aller plus loin dans la lecture de cette chronique. Vous ne trouverez rien de cela dans le livre de Pascal Mercier. « Train de nuit pour Lisbonne » est un roman intimiste, un récit qui ne peut se lire que lentement, sans précipitation, et où se mêlent adroitement philosophie, histoire, littérature et introspection.
« C'est bien joli, me direz-vous en réprimant poliment un baîllement incoercible, mais ça parle de quoi, ce livre ? ». J'y arrive.
Raimund Gregorius est professeur de langues anciennes dans un lycée de Berne. Âgé de cinquante-sept ans, cet homme vit ancré dans son petit monde d'habitudes qui le tient éloigné de toute fantaisie et de tout écart de conduite. Doté d'une grande érudition, ses collègues lui ont attribué comme surnom « le papyrus ». À huit heures moins le quart, tous les matins, impertubablement, il se rend au lycée et emprunte pour cela le pont de Kirchenfeld qui surplombe l'Aar. Ce jour-là, sous une pluie battante, il aperçoit au milieu du pont une femme qui se penche dangereusement sur le parapet. Veut-elle se suicider ? Gregorius se précipite. La femme lui explique qu'elle ne souaitait pas mettre fin à ses jours mais tentait seulement de rattraper au dernier moment une lettre qu'elle avait auparavant décidé de jeter dans la rivière. La conversation s'engage et Gregorius, intrigué par l'accent de cette femme va lui demander quelle est sa langue maternelle :
« Português », avait-elle répondu.
Le o, que de façon surprenante elle prononçait comme un ou, la claire intonation montante et étrangement étouffée du ê et le doux ch final, se fondirent en une mélodie qui résonna beaucoup plus longuement que dans la réalité et qu'il aurait voulu entendre tout le long du jour. »
Le o, que de façon surprenante elle prononçait comme un ou, la claire intonation montante et étrangement étouffée du ê et le doux ch final, se fondirent en une mélodie qui résonna beaucoup plus longuement que dans la réalité et qu'il aurait voulu entendre tout le long du jour. »
Fasciné par la mélodie de cette langue portugaise, Gregorius va se rendre dans une librairie espagnole où il va dénicher par hasard un ouvrage d'un auteur inconnu, Amadeu de Prado, intitulé Um ourives das palavras, « Un orfèvre des mots »
S'étant muni d'un manuel d'apprentissage de la langue portugaise, Gregorius va peu à peu découvrir l'ouvrage d'Amadeu de Prado, un texte qui va l'envoûter à tel point qu'il négligera de se rendre au lycée pour y dispenser ses cours et qui le poussera à prendre une décision qui lui aurait paru incroyable quelques jours plus tôt : prendre le premier train de nuit pour Lisbonne.
Pour Gregorius, plus rien n'importe d'autre que de retrouver les traces d'Amadeu de Prado, mort depuis une trentaine d'années, qui fut médecin, poète, passionné de littérature et opposant du régime dictatorial de Salazar.
Arrivé à Lisbonne, Gregorius va partir à la recherche de ceux qui ont connu de près ou de loin Amadeu de Prado. Sa quête lui permettra de rencontrer divers personnages ayant côtoyé celui-ci, de revenir sur les lieux où Prado a vécu, écrit et souffert. Peu à peu va se dessiner le portrait complexe de cet homme, fils de bonne famille, adolescent génial boulimique de littérature et de philosophie, devenu médecin et résistant à l'oppression instaurée par la dictature.
Mais ce voyage que va effectuer Gregorius sera aussi un voyage intérieur, voyage qu'il va accomplir au fil des pages de l'ouvrage de Prado, ouvrage que le libraire Simões – qu'il va être amené à rencontrer – , qualifiera de cette manière :
« Savez-vous l'impression que me donne ce livre incroyable ? [...] C'est comme si Marcel Proust avait écrit les Essais de Michel de Montaigne. »
C'est ainsi que, suivant la quête de Gregorius, le lecteur va découvrir le contenu du livre d'Amadeu de Prado mais aussi, suite aux rencontres que le professeur va faire dans la capitale portugaise, certains écrits – des lettres pour la plupart – que l'auteur de Um ourives das palavras adressa à ses proches au cours des vicissitudes de son existence. La prose de Prado ne manquera pas de bouleverser les certitudes de Gregorius sur les questions existentielles de la vie, de la mort, de la révolte contre toutes les formes d'oppression, de la perception de l'altérité ainsi que de la conscience de soi. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Pascal Mercier – en préambule à son ouvrage – cite cet extrait du Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa :
« Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes. C'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même que celui qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment. »
Que dire, une fois refermé ce livre, si ce n'est que l'on se prend à rêver qu' Amadeu de Prado a réellement existé et qu'un jour, peut-être, à l'instar de Gregorius nous tiendrons dans nos mains un exemplaire de Um ourives das palavras. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, Prado n'est, helas!, qu'un personnage de fiction. Toutefois, il existe bel et bien dans notre monde sensible un orfèvre des mots : il se nomme Pascal Mercier.
En février prochain les éditions 10/18, créées par le regretté Christian Bourgois, publieront « Train de nuit pour Lisbonne » en édition de poche. Si par hasard vous entrez dans une librairie, contournez le rayon des best-sellers et approchez-vous des rayonnages délaissés par la majorité des clients. Là, coincé entre d'autres ouvrages, vous trouverez sûrement un exemplaire du « Train de nuit pour Lisbonne ». Prenez place dans le compartiment de votre choix et attendez le sifflet du chef de gare. Bon voyage et bonne lecture !
Les avis de Sophie, Alexandra, Dasola, Nescio, JLK et Chatperlipopette.
Les avis des membres du forum « Parfums de livres, Parfums d'ailleurs »
Commentaires
Merci d'avoir mis en lien ma mini critique de ce livre passionnant et qui se lit très agréablement. C'est le genre d'ouvrage qui, quand on le referme, on se sent bien.
Bon retour Pascal !
Bon retour de vacances et bonne année 2008 !
Entre parenthèses, oui, l'industrie du livre se fout pas mal des belles histoires bien écrites, il faut que ça se vende, que ça circule, c'est juste des flux de colis...