Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 3
"Une douce flamme" Philip Kerr. Roman. Editions du Masque, 2010.
Traduit de l'anglais par Philippe Bonnet.
Les trois romans qui composent « La trilogie berlinoise », polars écrits par le talentueux Philip Kerr, nous invitaient à suivre les enquêtes de Bernhard Gunther, détective privé, dans l'Allemagne des années 30 et 40.
On y découvrait un Bernhard Gunther, personnage cynique et obstiné, tentant de résoudre nombre d'affaires criminelles alors qu'autour de lui le nazisme étend sa sinistre mainmise sur l'Allemagne puis sur l'Europe, avant de s'effondrer suite à l'offensive des forces alliées.
Le quatrième opus « La mort, entre autres » voyait Bernhard « Bernie » Gunther contraint de fuir clandestinement l'Allemagne vers l'Argentine, suivant la filière des criminels de guerre nazis ayant échappé aux arrestations et au procès de Nuremberg.
C'est donc en Argentine que débute le cinquième volet des aventures de Bernie Gunther, dans cette dictature sud-américaine qui servira longtemps de sanctuaire aux nazis de tout poil, accueillis avec la bénédiction d'un Juan Perón qui n'a jamais caché sa sympathie envers les régimes fascistes de la vieille Europe.
C'est donc sous l'identité d'un criminel de guerre nazi que Bernhard Gunther débarque à Buenos Aires en 1950 après avoir traversé l'Atlantique en compagnie d'un certain Adolf Eichmann.
Très rapidement, Gunther, reçu par Juan Perón lui-même, va jouer son va-tout en révélant sa véritable identité, celle d'un détective privé, ancien policier de la Kripo (Kriminalpolizei) dans les années 30. Son aveu va attirer l'attention du colonel Montalbán, un responsable de la police, qui va lui proposer de travailler avec lui afin de résoudre une affaire de meurtre. Une jeune fille a en effet été retrouvée quelques jours plus tôt, assassinée et éviscérée. Curieusement, ce meurtre rappelle à Gunther une affaire similaire sur laquelle il avait enquêté sans succès dans le Berlin des années 30.
L'auteur de ces meurtres qui lui avait échappé quelques vingt ans plus tôt a-t-il survécu à la guerre et réussi à trouver refuge, tout comme lui, en Argentine ? Est-ce l'œuvre d'un tueur en série ? D'un ancien tortionnaire nazi en mal d'atrocités ? À partir de ce moment, le roman va se scinder en deux époques, alternant entre celle où il mène l'enquête à Buenos Aires et celle qui se déroula à Berlin dans les années 30.
On suivra ainsi Gunther dans les cabarets louches de Berlin, aux toutes dernières heures de la république de Weimar, pour le voir ensuite enquêter dans l'Argentine des années 50, recensant patiemment tous les anciens nazis susceptibles d'avoir commis de pareilles atrocités. Son chemin croisera même celui du sinistre docteur Mengele, « l'ange de la mort » d'Auschwitz.
Parallèlement à cette affaire, Gunther va être contacté par une jeune femme d'origine juive dont l'oncle et la tante ont mystérieusement disparu.
Mener ces deux enquêtes de front ne va pas être de tout repos et une fois de plus Gunther va apprendre à ses dépens qu'il vaut mieux parfois ne pas mettre son nez n'importe où, surtout quand ce n'importe où voisine dangereusement avec le pouvoir en place, que ce soit dans l'Allemagne nazie ou dans l'Argentine du Péronisme.
Avec ce cinquième opus, Philip Kerr nous livre une fois de plus un récit palpitant, passionnant de bout en bout. On y retrouve avec plaisir un Bernhard Gunther au mieux de sa forme, un privé dont le cynisme et la gouaille apportent une certaine fraîcheur dans cette période particulièrement sinistre de l'Histoire.
La prose de Philip Kerr, qui nous relate ces récits par la bouche même de Gunther nous offre ainsi de savoureux moments qui tranchent avec l'atmosphère souvent oppressante du contexte historique. Les dialogues, ainsi que la description de certains personnages sont souvent d'une truculente drôlerie. En voici pour preuve un court extrait dans lequel Gunther fait son entrée dans un commissariat de Munich en 1932 :
« Le sergent de permanence était aussi gros qu'un boulet de démolition et tout aussi serviable. Il avait le crâne chauve et une moustache gominée semblable à un petit aigle allemand. Chaque fois qu'il faisait un geste, sa ceinture en cuir grinçait contre son ventre tel un navire tirant sur ses amarres. De temps à autre, il portait sa main à sa bouche et rotait. On pouvait sentir son petit déjeuner depuis la porte d'entrée. »
On rit beaucoup donc, on tremble aussi tant Gunther met d'application et de talent à se retrouver dans d'inextricables guêpiers. Mais surtout on apprend énormément de choses sur certains pans occultés de l'Histoire comme l'implication du Vatican dans l'évasion des criminels de guerre nazis, l' utilisation des connaissances de ceux-ci après-guerre par des grandes puissances comme les États-Unis, ou encore les pratiques scandaleuses de certaines firmes pharmaceutiques (déjà !) avant, pendant et après la seconde guerre mondiale.
Avec « Une douce flamme », Philip Kerr nous offre une fois de plus un polar de haute volée, remarquablement documenté, et dont le personnage principal doté d'un indéniable charisme séduira nombre de lecteurs. Un véritable coup de cœur en ce qui me concerne.
Le faux passeport d'Adolf Eichmann, établi par la Croix-Rouge, au nom de Riccardo Klement.
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