L'homme qui valait trois milliards
"Le dernier de son espèce" Andreas Eschbach. Roman. Librairie L'Atalante, 2006.
Enfant, Duane Fitzgerald rêvait de devenir Steve Austin, l'homme qui valait trois milliards.
Quelques années plus tard, lorsque le premier volet de Terminator est sorti au cinema, Duane, devenu un jeune homme, s'est identifié au personnage, copiant le look et la démarche du cyborg incarné par Arnold Schwarzenegger.
Ce que Duane ne savait pas, c'est que, en s'engageant dans le corps des Marines, son rêve d'enfant allait un jour être exaucé.
A la fin des années 80, le président Reagan donna son feu vert à un projet ultra-secret qui consistait en la création d'une unité expérimentale de super-soldats dotés d'un appareillage électronique impressionnant.
Sélectionné avec quelques autres camarades, Duane va accepter avec enthousiasme de participer à ce projet. Il subira de très nombreuses opérations chirurgicales qui vont faire de lui un autre homme.
Son corps sera modifié en profondeur, et de nombreuses parties de son anatomie seront désormais constituées de titane et de teflon. Dotés d'une vision infrarouge ainsi que de nombreux autres capteurs, Duane et ses camarades sont devenus des surhommes prêts à se lancer sur les champs de bataille.
Mais l'aventure va tourner court sous l'administration Bush. Trop cher, basé sur des technologies devenues obsolètes au fil des ans, le projet va être abandonné.
Voici donc nos surhommes mis au rancart, dispersés aux quatre coins des États-Unis, tenus au secret absolu sur les modifications anatomiques dont ils ont été pourvus. Bénéficiant à vie d'une rente modeste, ces hommes sont toutefois toujours surveillés par les responsables du projet qui surveillent leurs faits et gestes et leur procurent aussi régulièrement de la nourriture. En effet, leurs tubes digestifs ayant été réduits à leur minimum afin de laisser place à de multiples implants, les cyborgs ne peuvent plus ingérer d'aliments normaux et reçoivent par colis une nourriture spécialement concoctée à leur intention. Cette dépendance alimentaire permet ainsi aux responsables de garder un oeil sur ces quelques hommes et de s'assurer leur docilité et leur dépendance.
Contrairement à ses camarades, Duane n'est pas resté aux États-Unis. C'est en Irlande qu'il s'est installé depuis une dizaine d'années, dans la péninsule de Dingle. Il vit là en solitaire, n'ayant de contacts locaux qu'avec les employés de la bibliothèque, le postier chez qui il retire ses colis destinés à l'alimenter, et le médecin généraliste du village qui est le seul à qui Duane a confié son secret. Les années passant, les nombreuses pièces et composants dont est truffé le corps de Duane ont tendance à s'enrayer. Ne souhaitant pas retourner aux États-Unis pour faire réparer les pannes de plus en plus nombreuses qui affectent son organisme, Duane s'est confié au Dr. O'Shea, un praticien très discret qui assure désormais – dans la mesure de ses capacités face à un être humain composé de chair et de composants électroniques – la maintenance de ce patient pas du tout comme les autres.
Le reste de son temps, quand sa santé le lui permet – les pannes sont de plus en plus fréquentes - Duane le passe à se promener dans les alentours ou encore à emprunter des livres à la bibliothèque. Pris de passion pour les écrits de Sénèque et la philosophie stoïcienne, il garde auprès de lui un exemplaire des Lettres à Lucilius, tentant d'appliquer à lui-même les préceptes du penseur romain.
Duane vit donc paisiblement dans ce coin d'Irlande, dans l'attente du moment où une panne plus importante que les autres mettra fin à sa vie de paria.
Mais voilà que tout à coup sa tranquillité semble menacée : un inconnu le recherche activement, interrogeant avec insistance les villageois. Et que penser de tous ces 4x4 aux vitres fumées d'où sortent tous ces hommes en costumes et lunettes noires, téléphones portables vissés sur l'oreille ?
Duane a semble-t-il de bonnes raisons de s'inquiéter, d'autant plus qu'autour de lui les cadavres semblent se multiplier.
Andreas Eschbach a connu le succès avec un space-opera « Des milliards de tapis de cheveux » qui a acquis une renommée internationale. Il nous livre ici un ouvrage qui tient du roman d'anticipation et du thriller. Écornant le mythe du surhomme, il nous fait entrer dans la peau d'un personnage dont les rêves d'enfant furent à la hauteur de sa désillusion face à la réalité. Sous ses aspects de récit d'anticipation, ce roman nous met face à nous-mêmes, face à notre devenir qui irrémédiablement se soldera par le dépérissement et la mort.
Face à ce destin inéluctable, nous pouvons, soit fermer les yeux et nous masquer l'évidence, soit, comme le héros de ce récit, accepter son destin et méditer, par exemple sur cette phrase tirée des Consolations à Marcia, écrite par un certain Lucius Annaeus Seneca au 1er siècle après J.C. « La mort signe la disparition de toutes les souffrances, elle constitue une limite que ne franchissent pas nos malheurs et elle nous rend à la tranquillité dans laquelle nous baignions avant notre naissance. »
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