Prédateurs




"La Jungle" Upton Sinclair. Roman. Editions Gutenberg, Mémoire du Livre, 2003.


Traduit de l'américain par Anne Jayez et Gérard Dallez.






En ces premières années du XXe siècle, Jurgis et sa famille quittent leur Lituanie natale afin de traverser l'Atlantique et de trouver au bout du voyage un monde meilleur. L' Amérique, cette terre promise leur offrira la liberté, le travail et, au bout du compte, la fortune.

Quand ils arrivent quelques mois plus tard à Chicago, tout semble leur sourire. Du travail, il y en a, et à profusion, dans ces immenses abattoirs qui s'étendent à perte de vue en périphérie de la ville.

Lorsqu'ils visitent pour la première fois cet immense complexe industriel, Jurgis et ses compagnons ne peuvent qu'être émerveillés par l'organisation et l'efficacité de ces exploitations où « tous les ans huit à dix millions d'animaux vivants étaient transformés ici en denrées comestibles. »
Pour ces gens qui débarquent tout juste de leurs forêts lituaniennes, cette industrie dans laquelle sont transformés chaque jour « dix mille bovins, autant de cochons et cinq mille moutons » ne peut qu'être le symbole de la modernité et de l'opulence qui règnent dans ce pays.

Très rapidement, Jurgis et les autres membres de sa famille sont embauchés à différents postes au sein de cette industrie et, désormais pourvus d'un salaire, peuvent envisager d'acquérir un foyer et d'en devenir les propriétaires.

Mais la dure réalité va très rapidement s'imposer et le beau rêve de liberté va voler en éclats. Les salaires que chacun rapporte à la maison (même les enfants) suffisent à peine à couvrir les traites de la maison et à permettre à la famille de pourvoir à ses besoins alimentaires.
Les cadences exigées dans les ateliers sont infernales, le temps de travail auquel sont assujettis les ouvriers les contraint à s'échiner six jours sur sept par des températures glaciales ou des chaleurs torrides.
Les mesures d'hygiène et de sécurité sont quasiment inexistantes et il n'est pas rare qu'un ouvrier tombe dans un malaxeur et se trouve transformé en corned beef.
Les contremaîtres s'adonnent à la corruption et exigent de l'argent – quand il ne s'agit pas de faveurs sexuelles – pour faire embaucher ou pour préserver l'emploi d'un ou d'une ouvrière.
Aux périodes de travail infernales succèdent de longues plages de chômage sans aucune indemnité dues aux aléas de l'offre et de la demande des industries alimentaires.
Chaque collègue de travail, chaque demandeur d'emploi est un ennemi potentiel, susceptible de voler la place d'un autre parce que plus résistant, plus rapide, moins réfractaire ou mieux vu des contremaîtres.

C'est dans cette jungle que vont tenter de survivre Jurgis et sa famille, une jungle où les prédateurs sont partout et où la vie humaine n'est pas mieux considérée que celles de ces milliers d'animaux sacrifiés quotidiennement.

Chronique d'une descente aux Enfers, « La jungle » est un roman coup-de-poing, un réquisitoire contre les conditions inhumaines endurées par les classes ouvrières.
Roman, mais aussi reportage, car pour écrire ce livre, Upton Sinclair s'est introduit dans les abattoirs de Chicago et a vécu sept semaines avec les ouvriers de ces industries, recueillant leurs témoignages et leurs révoltes.
La sortie de cet ouvrage fit tant de bruit à cette époque que son auteur fut invité en 1906 à la Maison-Blanche par le président Théodore Roosevelt. On parla (déjà!) de moraliser le capitalisme, ce qui, on le voit bien encore aujourd'hui, ne fut et n'est encore qu'un voeu pieux. On stigmatisa, comme aujourd'hui, les « excès » du capitalisme sans pour autant remettre à plat le système lui-même, les dirigeants de l'exécutif étant, comme aujourd'hui encore, les obligés, voire les complices des grands groupes industriels.

On pourrait penser que ce livre est le reflet d'une époque révolue. Il n'en est rien. Malheureusement, les thèmes abordés sont toujours d'actualité : chantage à l'emploi, corruption à tous les étages de la société, pollution, malbouffe, enrichissement scandaleux du patronat exploitant la misère des classes laborieuses, compétition entre les membres de ces classes ouvrières afin de mieux juguler leurs désirs d'émancipation, surendettement, crédits immobiliers « bidons », etc...

En ce début du XXIe siècle où rien ne semble avoir changé depuis l'époque ici évoquée, il est utile de lire ou de relire des ouvrages tels que « La jungle » d'Upton Sinclair.
Âmes sensibles s'abstenir.



Les abattoirs de Chicago au début du XXe siècle

Commentaires

Anonyme a dit…
Cette lecture me tente beaucoup. Juste une petite précision: combien de pages compte cet ouvrage? Je ne suis pas plus attirés par les légers fascicules que les gros pavés (ni rebutée) mais j'aime bien avoir une idée de l'épaisseur du bouquin.Merci d'avance!
marie
BOUALI Pascal a dit…
Marie : c'est un ouvrage de 450 pages, donc plus impressionnat par son contenu que par son volume.
Anonyme a dit…
Une note tout à fait convaincante sur un auteur qui m'intéresse beaucoup depuis que j'ai vu la magistrale adaptation de "Pétrole", There Will be Blood. Le thème rejoint mes préoccupations actuelles... et celles de pas mal de monde, je pense.
Anonyme a dit…
Suite à la lecture de ton billet je suis allée le chercher à la mediathèque. C'est un livre passionnant !
Anonyme a dit…
Hé bé, il semble aussi gentil et joyeux qu'un sapin de Noël, votre livre. Mais la descripton que vous en faites donne terriblement envie de s'y plonger, bravo.

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