Entre Ciel et Terre" Fabienne Verdier.
Texte de Charles Juliet.
Photographies de Dolorès Marat et Naoya Hatakeyama.
Albin Michel, 2007.
« Il (maître Huang) m'a d'abord appris à broyer mes bâtons d'encre sur la pierre à encre, à profiter de ce rituel, du geste répétitif qui prépare l'artiste à l'art de peindre. Une manière de quitter le monde des hommes et de faire le vide en soi. Il m'a aussi appris à charger d'encre le pinceau car, dans son manteau de crins, se trouve une réserve intérieure qu'il faut apprendre à maîtriser à la verticale. Il s'agit de prendre conscience de la pesanteur et de la gravitation universelle, le pinceau devenant alors un véritable pendule, un lien entre l'univers et le centre de la Terre. Il m'a enseigné l'attitude du corps : les deux pieds fermement ancrés à terre pour se nourrir des énergies du sol. Je devais m'entraîner à rester bien droite pour que le courant d'énergie entre le Ciel et la Terre passe à travers moi. Devais-je me transformer en paratonnerre pour capter les puissances telluriques ? Et ce n'était pas une blague ! L'idée peut paraître simple mais elle n'était certes pas facile à pratiquer. J'étais perdue et loin de penser que, pour manier un pinceau et inscrire un trait sur une feuille blanche, il fallait avoir compris intuitivement les grandes lois de la physique fondamentale. »
Ces quelques lignes tirées de « Passagère du Silence » évoquent l'une des premières leçons de calligraphie chinoise que Fabienne Verdier a reçue auprès d'un maître calligraphe dans la province du Sichuan. La verticalité du peintre et de son pinceau est en effet l'un des enseignements primordiaux que se doit d'acquérir tout étudiant en calligraphie. Et c'est cette verticalité – qui n'est pas seulement une posture mais avant tout un état d'esprit qui trouve ses racines dans le taoïsme et le bouddhisme Chan – qui donne son titre à ce magnifique ouvrage consacré à l'oeuvre picturale de Fabienne Verdier.
On y trouvera bien sûr de superbes reproductions des peintures de l'artiste, oeuvres propices à la contemplation et à la méditation, mais aussi, à travers l'objectif des photographes Dolorès Marat et Naoya Hatakeyama, des vues de l'atelier où l'artiste donne naissance à ses oeuvres ainsi qu'à ses carnets dans lesquels elle consigne idées et citations d'auteurs. On verra également des clichés pris lors des séances de peinture, clichés qui permettent de mieux comprendre sa technique picturale, notamment la peinture sur une toile posée au sol (à la manière de Jackson Pollock) et à l'aide du grand pinceau, un instrument d'une soixantaine de kilos fixé au plafond par un cordage de huit à dix mètres.
Ces photographies et reproductions sont accompagnées en exergue de citations de peintres et d'auteurs qui invitent le lecteur à la contemplation silencieuse de la démarche et du travail de l'artiste. On y trouvera entre autres des écrits de Verlaine, de Grégoire de Nysse, de Saint-Bernard de Clairvaux, d'Héraclite, Debussy, Scriabine, etc...
Mais la plus grande partie est consacrée à un dialogue entre Fabienne Verdier et l'écrivain et poète Charles Juliet, dialogue au cours duquel l'artiste revient sur ses motivations, sur son apprentissage mais surtout sur l'état d'esprit qui est le sien lorsque elle réalise ses oeuvres. On y découvre alors tout un cheminement inspiré de la tradition des grands maîtres peintres et calligraphes chinois, cheminement aux implications spirituelles bien éloigné des mondanités et du mercantilisme trop souvent attachés à l'art contemporain.
Car le travail de Fabienne Verdier est avant tout une ascèse, un moment de recueillement où le silence et un esprit détaché des contingences de ce monde préludent à l'acte de création, un moment où l'artiste ne fait plus qu'un avec son instrument, le support sur lequel elle peint, et l'univers qui l'entoure.
« Fabienne se prépare à peindre. Cet instant a été précédé par une méditation qui lui a permis de se rassembler, de s'unifier, de rejoindre sa source. Hissée à la pointe d'elle-même, concentrée et détendue, intense et détachée, libre de la crainte d'échouer et de la volonté de réussir, elle enchaîne avec maïtrise et sang-froid une succession de gestes qui libèrent l'énergie amassée. L'encre a fait apparaître des formes qui ne tolèrent aucune reprise, des figures elliptiques et vigoureuses dans lesquelles elle a coulé son ascèse, sa liberté, son innocence, sa connaissance, sa sérénité, sa clairvoyance, les richesses qu'elle a tirées de ses rencontres, de ses lectures, de sa fréquentation des oeuvres du passé, de son amour et de sa contemplation de la nature, à quoi s'ajoute sa recherche de l'excellence, de la perfection, de l'impérissable – une quintessence de haute densité où brûle en secret la flamme voilée de son incandescence. »
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