Le Paradis obscur de Maria-Theresia
"L'incroyable histoire de Mademoiselle Paradis" Michèle Halberstadt. Roman. Albin Michel, 2008.
Avec ce roman au titre un peu trop raccoleur, Michèle Halberstadt nous fait découvrir le destin hors du commun d'une femme qui vécut réellement au XVIIIème siècle : Maria-Theresia von Paradis (ou von Paradies).
Née en 1759, c'est à l'âge de dix-sept ans que nous la retrouvons dans cet ouvrage que lui a consacrée Michèle Halberstadt.
Maria-Theresia a tout pour être heureuse, elle est jeune et jolie. Son père, Joseph Anton von Paradis, est un personnage influent, conseiller à la Cour de l'Impératrice Marie-Thérèse d'Autriche.
Il a d'ailleurs baptisé sa fille du nom de l'Impératrice et celle-ci en a fait sa protégée. Elle verse annuellement pour l'entretien de la jeune fille une pension de deux cents ducats d'or, somme destinée à trouver un remède destiné à guérir la jeune fille du mal mystérieux qui s'est emparé d'elle. Car Maria-Theresia, cette jeune fille insouciante, pianiste et chanteuse de talent, a perdu la vue à l'âge de trois ans. Ce mal inexplicable ne semble pas d'ailleurs déranger outre mesure la jeune fille qui s'accomode fort bien de son état.
« Le jaune de la bougie, le bleu du tissu de soie, le blanc cassé du lait dont elle adorait la moustache qu'il dessinait sur sa lèvre supérieure sont les seules couleurs gravées dans sa mémoire. Elle sait que le soleil ressemble à la bougie, le ciel au tissu, les touches de son piano ont une teinte laiteuse.
Tout le reste, elle l'a oublié. Le rouge, le vert, l'orange, le violet, elle n'a rien à en dire, ce ne sont que des mots dont elle ne connaît pas le sens. Alors elle les a transformés en notes. Le rouge est une couleur vive, alors sol dièse, le vert est une teinte douce, fa, l'orange se fait remarquer, mi majeur, le violet est plus discret, si bémol. Et au bois qui a la couleur de son piano, elle a donné sa note préférée : le do mineur.
À présent, elle n'est plus du tout frustrée d'avoir perdu un sens dont elle a oublié les attraits. Voir, c'est quoi exactement ? Savoir à quoi ressemblent les objets du quotidien ? Une table, une chaise, un miroir ? Mais elle le sait mieux que quiconque, à sa façon, et cette façon lui convient. Son père, par exemple, qui chaque matin installe son tabouret de piano, il ignore que le pied avant gauche couine chaque fois que le poids du corps se penche pour appuyer sur une des pédales. Nina, qui nettoie chaque jour la grande commode de sa chambre, a-t-elle remarqué que la peinture s'écaille sous les rebords et que par endroits le bois brut a réapparu ? C'est comme si personne ne savait regarder. Tandis qu'elle, avec son oreillequi guette le moindre frémissement de l'air, ses doigts qui interrogent chaque objet qu'ils touchent, son odorat tellement développé qu'elle est la première à prédire le temps qu'il fera dans trois jours, elle a le sentiment de n'être dupe de rien.
Avec le temps, elle s'est convaincue que la vue est un leurre qui égare les autres sens, les rend inopérants. Tandis que les siens sont constamment aux aguets. Elle est aveugle ? La belle affaire. Elle vit dans un autre monde, et le sien lui plaît.
Mais cela, son père ne l'accepte pas. »
Tout le reste, elle l'a oublié. Le rouge, le vert, l'orange, le violet, elle n'a rien à en dire, ce ne sont que des mots dont elle ne connaît pas le sens. Alors elle les a transformés en notes. Le rouge est une couleur vive, alors sol dièse, le vert est une teinte douce, fa, l'orange se fait remarquer, mi majeur, le violet est plus discret, si bémol. Et au bois qui a la couleur de son piano, elle a donné sa note préférée : le do mineur.
À présent, elle n'est plus du tout frustrée d'avoir perdu un sens dont elle a oublié les attraits. Voir, c'est quoi exactement ? Savoir à quoi ressemblent les objets du quotidien ? Une table, une chaise, un miroir ? Mais elle le sait mieux que quiconque, à sa façon, et cette façon lui convient. Son père, par exemple, qui chaque matin installe son tabouret de piano, il ignore que le pied avant gauche couine chaque fois que le poids du corps se penche pour appuyer sur une des pédales. Nina, qui nettoie chaque jour la grande commode de sa chambre, a-t-elle remarqué que la peinture s'écaille sous les rebords et que par endroits le bois brut a réapparu ? C'est comme si personne ne savait regarder. Tandis qu'elle, avec son oreillequi guette le moindre frémissement de l'air, ses doigts qui interrogent chaque objet qu'ils touchent, son odorat tellement développé qu'elle est la première à prédire le temps qu'il fera dans trois jours, elle a le sentiment de n'être dupe de rien.
Avec le temps, elle s'est convaincue que la vue est un leurre qui égare les autres sens, les rend inopérants. Tandis que les siens sont constamment aux aguets. Elle est aveugle ? La belle affaire. Elle vit dans un autre monde, et le sien lui plaît.
Mais cela, son père ne l'accepte pas. »
En effet, Joseph Anton von Paradis n'admet pas que sa fille, si jeune et si jolie, dotée d'incontestables talents, en soit réduite à mener une existence de recluse, alors qu'elle pourrait s'avérer l'un des plus beaux partis de sa génération.
Le père de la jeune fille va donc tout tenter pour que celle-ci retrouve la vue. L'Impératrice elle-même jouera de son influence pour qu'elle soit examinée par les plus hautes sommités scientifiques et médicales de l'époque. Rien n'y fera. Maria-Theresia reste définitivement aveugle.
C'est alors que son père entend parler d'un jeune médecin dont les méthodes peu banales seraient à l'origine de guérisons miraculeuses. Ce jeune homme, fondateur de la théorie du magnétisme animal, n'est autre que Franz-Anton Mesmer.
Le praticien va donc rencontrer la jeune fille et s'engager à la guérir, à condition que celle-ci s'installe chez lui pour la durée de son traitement.
L'engagement est pris et quelques semaines plus tard, Maria-Theresia arrive au 261, Landstrasse.
Très rapidement, les progrès sont fulgurants et il semble que Maria-Theresia soit en bonne voie de retrouver la vue. Mais aux premières joies de retrouver l'éclat de la lumière, succèdent bientôt les désillusions.
Le praticien va donc rencontrer la jeune fille et s'engager à la guérir, à condition que celle-ci s'installe chez lui pour la durée de son traitement.
L'engagement est pris et quelques semaines plus tard, Maria-Theresia arrive au 261, Landstrasse.
Très rapidement, les progrès sont fulgurants et il semble que Maria-Theresia soit en bonne voie de retrouver la vue. Mais aux premières joies de retrouver l'éclat de la lumière, succèdent bientôt les désillusions.
Car avec la vue, Maria-Theresia va découvrir que le monde qui l'entoure est beaucoup moins plaisant qu'il n'y paraît au premier abord. Sa guérison va en effet s'accompagner d'une terrible prise de conscience où elle va faire l'expérience de la trahison des uns, de l'ambition des autres ainsi que du cynisme d'une société qu'elle n'avait fait que deviner auparavant.
Devenue l'enjeu d'une lutte d'influences que se livreront les membres de son entourage, avides d'honneurs, de reconnaissance et aussi d'espèces sonnantes et trébuchantes, Maria-Theresia va faire la cruelle expérience d'un monde qui lui semblait beaucoup plus simple et innocent quand elle vivait dans l'obscurité la plus totale.
Michèle Halberstadt, revenant sur l'histoire véritable d'une des musiciennes les plus célèbres du XVIIIème siècle autrichien, nous offre avec ce roman faussement ingénu une interprétation des causes qui ont mis fin à la relation entre Franz-Anton Mesmer et sa célèbre patiente entre la fin de l'année 1776 et le milieu de 1777. Elle nous entraîne dans un récit où ressuscite sous nos yeux la Vienne de Mozart et Salieri, un récit divertissant sans être pour autant simpliste, qui reste agréable à lire sans pour cela verser dans la facilité de certains romans à prétention « historique » qui ne sont en fait que d'insipides bluettes transposées dans un contexte géographique et historique susceptible d'allécher les lecteurs en mal de romantisme bon marché. L'auteure ici n'en fait pas des caisses et son récit reste sobre et touchant. Romanesque, certes, mais sans sombrer dans la caricature d'un sentimentalisme mièvre, le roman de Michèle Halberstadt mérite quelques heures d'attention, que ce soit pour se détendre ou pour réfléchir un tant soit peu sur les petits travers des sociétés humaines.
Bref, un roman léger mais pas idiot, idéal pour les vacances, et qui, sans prétendre se poser en chef-d-oeuvre de la littérature contemporaine, dépasse de loin les omniprésentes (hélas!) soupes en sachets servies par Messieurs Musso et Lévy.
Les avis de Cathulu, de Lily, de Fashion, Florinette, Papillon, Lou, Malice, Michel, et Chatperlipopette.
Commentaires
Rien d'inoubliable bien sûr mais ce n'est quand même pas du Barbara Cartland.
J'ai été ravie de découvrir l'existence de ce personnage attachant et intéressant.