Le Lys et le Léopard
"La Guerre de Cent Ans" Jean Favier. Essai
Librairie Arthème Fayard, 1980.
Pour la plupart d'entre nous, l'évocation de la Guerre de Cent Ans revient à ressusciter quelques images empoussiérées, lointaines réminiscences scolaires symbolisées par la figure emblématique de Jeanne d'Arc. Au mieux restent dans nos mémoires quelques dates, quelques noms de grandes batailles: Crécy, Azincourt ; quelques personnages marquants aussi : Bertrand Du Guesclin, le Prince Noir, Charles VII... Pour le reste – que ce soient les causes et conséquences de ce conflit (ou plutôt de "ces" conflits), le déroulement chronologique des évenements, l'étude sociologique, politique et économique de l'époque – le sujet apparaît singulièrement vaste et confus.
C'est pourquoi Jean Favier – médiéviste reconnu, membre de l'Institut, directeur général des Archives de France et professeur à l'Université de Paris-Sorbonne, auteur de célèbres biographies telles que celles de Charlemagne, de Philippe le Bel, de François Villon, de Louis XI – s'est attelé à la difficile tâche de revenir sur cette période troublée de l'histoire de France.
Bien entendu, Jean Favier ne prétend pas retracer dans cet ouvrage l'intégralité des rivalités franco-anglaise, celles-ci s'étendant sur une période d'environ trois siècles, approximativement de 1152, date du mariage d' Aliénor d'Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, jusqu'en 1453, date de la reconquête définitive de la Guyenne par Charles VII et de la bataille de Castillon.
L'auteur s'est ici focalisé sur la période s'étendant de 1328, date de l'avènement de Philippe VI de Valois, avènement qui met fin à la dynastie des Capétiens, jusqu'à la victoire de Charles VII en 1453.
Ce sont donc ces 125 années qui – au regard de l'Histoire – ont donné naissance à l'appellation de cette période dite de la « Guerre de Cent Ans ».
Mais qu'est-ce que cette Guerre de Cent Ans ? Un conflit initerrompu entre français et anglais pour la possession du Royaume de France ? La réalité, comme souvent en ce qui concerne l'Histoire, est beaucoup plus complexe.
Tout d'abord il serait vain de réduire ce conflit à un affrontement continu s'étalant sur plus d'un siècle. La guerre de cent ans est avant tout une succession de batailles, de prises de possession de territoires, d'avancées et de reculades des uns et des autres, tout ceci entrecoupé de périodes de trêve plus ou moins longues, de traîtés de paix qui ne demandent qu'à être enfreints.
On ne peut pas à proprement parler réduire cette période à un conflit mais plutôt à une suite d'échauffourées plus ou moins meurtrières dans lesquelles l'un et l'autre camp regagne ce qu'il a perdu la fois précédente, annexe de nouveaux territoires au détriment de son rival jusqu'à ce que celui-ci, au hasard des circonstances et des alliances vienne à en reprendre possession.
De plus, une guerre ininterrompue sur une telle période aurait eu pour effet de laisser nombre de territoires exsangues aussi bien démographiquement qu'économiquement.
On ne peut pas à proprement parler réduire cette période à un conflit mais plutôt à une suite d'échauffourées plus ou moins meurtrières dans lesquelles l'un et l'autre camp regagne ce qu'il a perdu la fois précédente, annexe de nouveaux territoires au détriment de son rival jusqu'à ce que celui-ci, au hasard des circonstances et des alliances vienne à en reprendre possession.
De plus, une guerre ininterrompue sur une telle période aurait eu pour effet de laisser nombre de territoires exsangues aussi bien démographiquement qu'économiquement.
Malgré ces périodes d'accalmie relative, on ne peut pourtant pas dire que les populations de l'un et l'autre camp réussissent à échapper à échapper à de cruelles saignées. L'argent, le nerf de la guerre, est collecté par la mise en place d'une fiscalité de plus en plus pesante qui conduira à de nombreux soulèvements populaires cruellement réprimés par la noblesse.
Quant aux populations, rurales ou citadines, elles n'échappent pas aux massacres perpétrés par les assaillants de l'un et l'autre camp. Tout ceci sans compter sur l'apparition, en 1348, de la grande épidémie de peste noire qui emportera un tiers de la population européenne de l'époque.
En ce qui concerne le conflit franco-anglais en lui-même, il serait tentant et caricatural de réduire celui-ci à un affrontement entre deux nations bien définies. La guerre de cent ans n'est pas un conflit où le patriotisme des uns tente de s'opposer à l'invasion des autres. Le sentiment national n'a pas sa place dans cette confrontation. C'est seulement vers la fin des hostilités, quand Armagnacs et Bourguignons consentiront à s'unir sous la bannière de Charles VII que l'on verra naître l'ébauche de ce que l'on pourrait appeler un sentiment national. De plus, il est nécessaire de préciser que le soldat « anglais » de l'époque est bien plus souvent un gascon de pure souche qu'un natif d'Outre-Manche. La guerre de cent ans n'est donc pas un affrontement où s'exacerbent les sentiments nationalistes des uns et des autres. Cette guerre est avant tout une guerre féodale.
Bien au delà des clivages nationaux, cette guerre est le fruit de nombreux conflits de succession.
On sait que le mariage d'Aliénor en 1152 avec Henri Plantagenêt va faire du duché d'Aquitaine une possession de la couronne d'Angleterre. Henri II roi d'Angleterre, désormais duc d'Aquitaine et de Normandie, devient de par ce fait vassal du roi de France en ce qui concerne ses possessions continentales. Le cas est inédit. Un roi devient le vassal d'un autre roi. Cette situation perdurera jusqu'à la victoire de Philippe-Auguste à Bouvines en 1214 où le duché de Normandie réintègre le royaume de France.
La tension s'accroît nettement lorsque s'éteint en 1328 Charles IV, dernier fils de Philippe le Bel et dernier des Capétiens. Philippe VI de Valois, neveu de Philippe le Bel, monte alors sur le trône de France. Edouard III, roi d'Angleterre, fait alors valoir ses droits sur la couronne de France : n'est-il pas, par sa mère, Isabelle de France, fille de Philippe le Bel et épouse d'Edouard II, le plus proche descendant des Capétiens ?
A partir de l'accession au pouvoir de Philippe de Valois, les hostilités vont aller en s'accroissant entre les deux royaumes, hostilités attisées par ces autres querelles dynastiques que sont les successions d'Artois, de Navarre, de Bretagne et de Bourgogne. La convoitise des uns et des autres sera source de maints retournements d'alliance, de trahisons et de parjures. Tout cela sans compter les soulèvements populaires, conséquences de pressions fiscales énormes destinées à entretenir les armées des belligérants. De Jacques Van Artevelde en Flandre au parisien Etienne Marcel, de la révolte des Jacques aux Cabochiens, le peuple gronde, se soulève, puis est cruellement réprimé. A tout cela s'ajoute la confusion religieuse entre tenants du pape de Rome et fidèles du pape d'Avignon, conséquence du Grand Schisme d'Occident.
On le voit, cette période pleine de convulsions, émaillée de sièges, de batailles, de massacres, d'épidémies, de famines, de révoltes, ne se laisse pas appréhender d'un simple regard. Les intrications dynastiques, les facteurs économiques, politiques, sociaux et religieux prennent une large part dans la relation de cette Guerre de Cent Ans, un conflit qui s'avère bien plus complexe qu'une simple passe d'armes entre deux royaumes concurrents. Cette relation des faits dans toutes leurs dimensions, Jean Favier a réussi la gageure de nous la faire partager dans un texte clair, précis, abordable par le non-spécialiste, constituant ainsi un récit de cette Guerre de Cent Ans qui est également un vaste panorama des sociétés et des mentalités des XIVème et XVème siècles. Passionnant.
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