Hubert Selby Jr. : entre violence et poésie.




"Chanson de la neige silencieuse" Hubert Selby Jr. Nouvelles.


Editions de l'Olivier / Le Seuil, 1998.


Traduit de l'américain par Marc Gibot.



Parfois la vie est mal faite. C'est en 1988 que j'ai découvert Hubert Selby Jr. avec ce météore littéraire qu'est « Last Exit to Brooklyn », livre que j'ai lu et relu à plusieurs reprises avec avidité, émerveillement et malaise devant cette écriture où la poésie le dispute à l'obscénité. Mais, malgré cette attirance envers l'écriture de Selby dont je m'étais promis d'explorer plus avant l'oeuvre littéraire, le hasard et les circonstances ont fait que, depuis vingt ans, je n'ai pas ouvert un autre ouvrage de cet auteur, remettant toujours à plus tard la lecture du « Saule » du « Démon », de « Retour à Brooklyn » et de « Waiting Period ».

Et voilà que sur le forum littéraire « Parfum de livres... parfum d'ailleurs », je remarque de nombreux et enthousiastes commentaires sur un titre de Selby que je n'avais jusqu'ici jamais remarqué : « Chanson de la neige silencieuse »
Le titre en lui-même, par sa beauté et sa sobriété, m'aurait, je ne sais pourquoi, plutôt fait penser à un titre de roman japonais qu'aurait pu, par exemple, écrire Yasunari Kawabata.
Et pourtant, c'était bien, malgré ma surprise, le titre d'un ouvrage de l'auteur de « Last Exit to Brooklyn ». deuxième surprise : ce livre est un recueil de quinze nouvelles dont la dernière donne son titre à l'ouvrage en question.

Cette nouvelle,« Chanson de la neige silencieuse » qui clôt le recueil, nous parle d'un homme, Harry, qui – suite à l'achat d'une maison dans le Connecticut où lui et sa famille se sont installés – a finalement été pris peu à peu par une insidieuse dépression nerveuse qui l'a obligé à quitter son emploi, à se faire soigner dans un hopital et à suivre un traitement médical épuisant. Sortira-t-il un jour de cet état d'hébétude, de cet anéantissement de sa personne et de cette angoisse qu'il éprouve face aux incertitudes de l'avenir ? C'est en pratiquant une promenade quotidienne dans les alentours qu'il espère peu à peu retrouver santé et joie de vivre. Par un blanc matin d'hiver il va entendre la chanson de la neige silencieuse. Ce doux et impalpable chant va le transformer et lui redonner soudain tout ce qu'il avait perdu depuis que s'était déclaré cet étrange malaise qui l'avait conduit au bord du vide.
D'une poésie et d'une sobriété cristalline, « Chanson de la neige silencieuse » clôt en beauté et en finesse ce recueil de nouvelles écrites entre 1957 et 1983. Toutes ne sont pas du même acabit et l'on retrouve dans bon nombre d'entre elles ce qui est si caractéristique dans l'oeuvre de Selby, à savoir la violence des rapports sociaux avec tout ce qu'elle implique comme désespoir, comme injustices et comme marginalisation des plus démunis face à cette lutte perpétuelle qu'est la course au bonheur et à la reconnaissance. On y retrouve donc le Selby des bas-fonds new-yorkais, là où l'alcoolisme, la désespérance et la violence sont monnaie courante, mais aussi le Selby qui nous décrit ces hommes et ces femmes de la classe moyenne, qui s'abrutissent de travail pour seulement échapper à la misère et dont les vies, les rêves, et parfois la santé mentale, tombent peu à peu en lambeaux.

On verra ainsi un représentant qui mettra en jeu son avenir professionnel en confiant celui-ci au hasard des prédictions lapidaires inscrites à l'intérieur des biscuits porte-bonheur traditionnels des restaurants chinois.
On suivra deux joyeux lurons ayant décidé d'emporter avec eux une bouteille de vin lors d' une scéance de cinéma.
On verra un homme devenir presque fou de désir pour une jeune femme inconnue aperçue sur un quai de métro.
En guise de thérapie, une femme séjournant dans un hopital psychiatrique, va écrire de nombreuses lettres à son mari, lettres dans lesquelles elle décrit les conditions de son séjour, son traitement, son espoir de sortir et de retrouver sa famille, sa peur d'échouer et de replonger dans la folie...
Dans « L'été de la Saint-Martin » et « Un peu de respect », on verra deux pères de famille péter les plombs face à leur progéniture, l'un parce que son égoïsme va le pousser à négliger sa fille pour assister à un match de football, l'autre parce que le manque de respect et le mépris dans lequel le tient son fils va le faire subitement exploser. Cette nouvelle écrite en 1978 apparaîtra d'ailleurs comme curieusement visionnaire en regard de certains comportements actuels.
« La puberté » est un texte très subtil sur le bouleversement intime d'un jeune garçon qui tout à coup n'étant plus un enfant mais pas encore un homme, va devoir abandonner les vertes prairies de l'enfance pour un nouveau monde encore inconnu.
« Le manteau » est peut-être le récit qui m'a le plus marqué dans ce recueil. On y fait la connaissance d'un « homeless » – version américaine de nos SDF – qui semble n'avoir que pour seul ami et confident...son manteau. Mais qui, à part lui, pourrait comprendre que l'attachement, confinant à l'obsession, de cet homme pour son manteau n'est pas le fait d'un dérèglement cérébral, mais que ce manteau qui le protège des températures hivernales est l'ultime rempart qu'il possède contre une mort certaine en ce terrible hiver new-yorkais où chaque matin l'on ramasse des sans-abris morts de froid ?

On trouvera donc dans ce recueil de nombreux aspects propres à l'univers littéraire de Hubert Selby Jr. : la misère sociale et affective du plus grand nombre, misère que l'on tente de colmater maladroitement par de grands coups de gueule, par la force des poings, par la dépendance à l'alcool et au sexe. Selby nous dépeint un monde obscur, cruel et sans pitié, où le grotesque le dispute à la grâce. Ce monde, avec ces zones d'ombre et de douleur, ces vies gâchées et malmenées qui avancent de guingois, ces éclairs de violence et ces rayons de lumière imprévus, ce monde, c'est le nôtre vu au travers du regard lucide, sans illusions – mais certainement pas désenchanté – de Hubert Selby Jr.

Commentaires

Anonyme a dit…
je ne connais pas du tout cet auteur. Mais j'ai très envie de le découvrir à travers ces nouvelles

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