Bones


"La femme en vert" Arnaldur Indridasson. Roman. Editions Métailié, 2006

Traduit de l'islandais par Eric Boury.



C'est dans les fondations d'une maison en construction qu'un enfant de huit ans fait une étrange découverte : il s'agit d'un os humain.
Les autorités, aussitôt alertées, mettent peu de temps à découvrir la macabre réalité : un être humain a été enterré ici, et la position du corps laisse à penser qu'il ou elle a été enterré vivant. Qui a bien pu commettre cet assassinat ? Quand ? Et qui était la victime ?
C'est ce que va tenter de découvrir Erlendur, l'inspecteur de police dont nous avions pu faire connaissance dans « La cité des jarres ».

Aidé de ses collègues Elinborg et Sigurdur Oli, il va chercher à remonter la piste de cet assassinat dont il ne connaît ni le mobile, ni la victime, ni le coupable.

Car le travail d'investigation s'avère fortement ralenti du fait de l'intervention d'une équipe archéologique qui a été désignée pour dégager le corps de son linceul de terre. Les méthodes scientifiques étant beaucoup plus rigoureuses, et surtout beaucoup plus lentes que celles de la police criminelle, Erlendur va se perdre en conjectures et tenter de tirer ses conclusions à l'aide des maigres éléments en sa possession.


Mais quel est le rapport entre cette macabre découverte et l'histoire qui nous est décrite en contrepoint ?

Car parallèlement à l'enquête de l'inspecteur Erlendur, nous suivons le destin d'une femme dont le nom nous est inconnu. Cette histoire nous ramène dans le Reykjavik des années 40, au sein d'une famille dont la femme et les enfants sont sauvagement brutalisés par le mari de celle-ci. Cet homme, Grimur, est un véritable monstre qui n'hésite pas à insulter, menacer et battre sa femme, à terroriser ses enfants et à leur faire mener une vie d'enfer. Pervers et sadique, cet individu va sévir en toute impunité au cours des années sans que les autorités ne fassent le moindre geste pour protéger sa femme et ses enfants de son comportement brutal et de son influence pernicieuse sur le plus jeune de ses deux fils.


Quel est donc le rapport entre ces deux histoires ? Nul ne le sait, sauf peut-être cette mystérieuse femme au manteau vert dont la silhouette est évoquée par un vieillard mourant interrogé par Erlendur.
Voilà qui complique singulièrement la tâche de l'inspecteur, d'autant plus que pour ce qui est de sa vie privée, la situation s'aggrave de manière dramatique : sa fille Eva Lind, enceinte, a renoué avec la toxicomanie et est retrouvée plongée dans un coma dont personne ne sait si elle pourra en ressortir et si l'enfant qu'elle porte pourra survivre à cette épreuve. Au chevet de sa fille, Erlendur tentera de reprendre le dialogue avec elle, quitte pour cela à remuer les ombres d'un passé douloureux.


Avec « La femme en vert », deuxième opus des enquêtes de l'inspecteur Erlendur Svensson, Arnaldur Indridasson nous livre un roman qui transcende les limites du polar en nous faisant pénétrer plus avant dans la psychologie des personnages qu'il met en scène. C'est aussi l'occasion pour lui de nous livrer une page méconnue de l'histoire, celle de l'Islande au cours de la deuxième guerre mondiale.

Mais c'est surtout pour lui l'opportunité de dresser un réquisitoire sans appel contre les violences faites aux femmes, qu'elles soient d'ici ou d'ailleurs, qu'elles soient nos contemporaines ou des figures du passé.


« - [...] Je voulais vous demander... Je crois que j'étais en train de vous poser une question sur ces violences conjugales.
- Voilà un mot bien édulcoré pour décrire l'assassinat d'une âme. Un terme politiquement correct à l'usage des gens qui ne savent pas ce qui se cache derrière. Vous savez ce que c'est, de vivre constamment dans la terreur ?
Erlendur ne répondait rien.
- De vivre dans la haine chaque jour sans que cela ne s'arrange jamais, quoi qu'on fasse, et on ne peut d'ailleurs rien faire pour arranger ce genre de chose, jusqu'à ce qu'on perde toute volonté et qu'on passe son temps à attendre et à espérer que la prochaine raclée ne sera pas aussi violente et douloureuse que la dernière. »
Erlendur ne savait pas quoi dire.
- Petit à petit, les coups se résument à du pur sadisme parce que le seul pouvoir que l'homme violent détienne au monde, c'est celui qu'il exerce sur cette unique femme qui est son épouse, mais ce pouvoir n'a aucune limite puisque l'homme sait que la femme ne peut rien faire face à lui. Elle est totalement impuissante et complètement dépendante de lui parce qu'il ne se contente pas de la menacer elle, il ne se contente pas de la torturer avec la haine et la colère qu'il éprouve pour elle mais il la torture également avec la haine qu'il éprouve pour ses enfants en lui faisant clairement comprendre qu'il leur fera du mal si jamais elle essayait de se libérer de son emprise. Et pourtant, toute cette violence physique, toute cette souffrance et ces coups, ces os cassés, ces blessures, ces bleus, ces yeux au beurre noir, ces lèvres fendues, tout cela n'est rien comparé aux tortures que l'âme endure. [...] Alors son existence n'est plus que l'ombre de celle de son mari, poursuivit-elle. Toute résistance l'abandonne et avec la résistance, c'est aussi son désir de vivre qui s'évanouit, sa vie à elle se confond avec sa vie à lui, du reste, on ne peut plus dire qu'elle soit en vie car, en fait, elle est morte et elle erre, comme une créature de l'ombre à la recherche d'une échappatoire. Afin d'échapper aux coups, à cette torture de l'âme, et à l'existence de cet homme, parce qu'elle ne vit plus sa vie à elle et qu'elle n'existe plus qu'à travers la haine qu'il lui porte. Pour finir, c'est lui qui remporte la victoire. Parce qu'elle est morte. Et qu'elle est un zombie. [...] Y-a-t-il quelqu'un pour condamner le meurtre d'une âme ? Demanda-t-elle. Pouvez-vous me le dire ? Comment peut-on porter plainte contre un homme parce qu'il a assassiné une âme, est-il possible de le traîner devant un juge et de le faire reconnaître coupable ? »


« La femme en vert », plus que le précédent roman mettant en scène l'inspecteur Erlendur, est un roman policier chargé d'émotions puissantes et contradictoires qui – contrairement aux polars à la mode qui trop souvent se complaisent dans le registre du sordide et du sanguinolent – nous entraîne dans une intrigue où la psychologie des personnages prime sur l'action, où l' atmosphère pesante prend le pas sur l'intrigue, le suspense et même sur la résolution finale de l'enquête. Indridasson signe ici un grand roman dont les personnages – de par leur caractère universel et de par le long crescendo qui les mènera vers la conclusion de leur destin tragique – hanteront longuement le lecteur.

L'avis d'Ekwerkwe, de Sophie, de Netsuke, de BlueGrey, de Fereb, de Tirui, de Valdebaz, de Clarabel, de Sylvie, et de Chatperlipopette.

Commentaires

Anonyme a dit…
J'écris chez toi pour pas faire de jaloux, y'en a que pour Madame Chatperlipopette !
Un vrai coup de poing ce polar.
Anonyme a dit…
Quand j'ai vu le titre de ton article, je pensais que tu allais parler de la série "Bones" qui hélas, pour l'instant, c'est arrêtée...Mais si ce livre t'y a fait penser, alors je ne vais plus attendre et faire les choses dans l'ordre, lire avant son premier roman "La cité des jarres" !
BOUALI Pascal a dit…
Florinette : C'est bel et bien cette série (que je ne connais que de nom, la télé étant chez nous le plus souvent éteinte) qui m'a inspiré pour le titre de ce billet.
C'est bien là le seul lien qui puisse exister, je pense, entre cette série et ce roman.
Donc ne t'attends pas à trouver dans "La cité des jarres" des points communs avec cette série (quoi que si l'on en cherche, on en trouvera sûrement). Enfin, si tu en trouves quand même, ce sera indépendant de ma volonté.

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