Le Loup du Maïs







"Kornwolf" Tristan Egolf. Roman.Gallimard, 2009
  Traduit de l'américain par Francesca Gee.





Jamais Owen Brynmor n'aurait pensé revenir vivre dans sa ville natale de Stepford, dans ce coin rural de Pennsylvanie que l'on nomme par dérision le Pennsyltucky (contraction péjorative de Pennsylvanie et Kentucky afin de souligner le caractère « plouc » de cette région située entre Philadelphie et Pittsburgh) et de s'y installer définitivement. 
C'est pourtant ce qui arrive car Owen, qui exerce la profession de reporter, s'est fait virer de la rédaction du journal qui l'employait en Louisiane. Et le voici maintenant affecté à la rubrique faits divers du journal local, le Stepford Daily Plea
Peu lui importe ce job ingrat qui consiste à rédiger des articles sur les actes de vandalisme de la jeunesse locale, les accidents de la route et les granges parties en fumée, car Owen s'est donné une bonne raison pour revenir à Stepford : la boxe. Passionné par ce sport, Owen rêve d'écrire sur le noble art et le Pennsyltucky est justement doté d'une riche tradition pugilistique.

Cependant, ce n'est pas l'art de la boxe qui va occuper Owen dès son arrivée à Stepford. Le directeur du Plea le charge d'enquêter sur une inquiétante série de faits-divers inexpliqués (incendies volontaires, attaques de bétail, effractions, etc...) commis dans un secteur bien connu pour sa quiétude et baptisé la Cuvette amish. Ici vit en effet une forte communauté d'amish et de mennonites qui tentent tant bien que mal de se préserver de l'influence pernicieuse du monde moderne.
Owen, qui n'espère pas grand-chose de cette enquête va pourtant être à l'origine d'un scoop retentissant en publiant une photo qui lui a été fournie par un chasseur des environs. Sur celle-ci, prise en forêt, figure une créature digne d'un film d'horreur, mi-humaine, mi-animale.
Les imaginations s'emballent, l'article d'Owen est cité dans toute la région, puis dans l'ensemble des États-Unis et jusqu'en Europe. On commence à évoquer des créatures telles que le bigfoot ou Sasquatch, bien connus en Amérique du nord.
Mais pour la communauté locale amish, il ne peut s'agir que d'une seule chose : le Démon de Blue Ball est de retour. Cette créature enragée avait défrayé la chronique au milieu des années 70 en commettant de nombreuses agressions avant de disparaître du jour au lendemain sans laisser de traces. Ce monstre ne serait pas de type anthropoïde comme le bigfoot mais révélerait plutôt une physionomie et un comportement qui l'apparenterait aux mythiques loups-garou.

Cette fois-ci ce n'est pas le John Kaltenbrunner du « Seigneur des porcheries » qui met à feu et à sang une petite ville de l'Amérique profonde mais une créature mystérieuse et redoutable. Comme pour son premier roman, Tristan Egolf se livre à un jeu de massacre à grande échelle qui dénonce de manière truculente une société américaine bête et méchante, raciste et inculte, au point que l'on en vient à se dire que le monstre n'est pas tant celui que l'on croyait et que les victimes du Démon de Blue Ball sont bien plus redoutables et haïssables que le loup-garou qui hante leurs nuits. Nul n'est épargné, pas même les paisibles amish dont Tristan Egolf nous dresse le portrait peu reluisant d'une communauté où sévissent violence, alcoolisme et corruption.
Comme dans « Le seigneur des porcheries », Tristan Egolf excelle à nous décrire avec une truculence rabelaisienne des scènes apocalyptiques comme ce sabbat organisé par la jeunesse locale (une scène d'anthologie) et dont la description faite par l'auteur rappelle les peintures de Jérôme Bosch. On y verra aussi, entre autres, des carambolages monstrueux, la mise à sac par le Démon de Blue Ball du centre commercial local (appelé le SuperMerdier) ainsi que du chenil tenu par des amish peu recommandables.

On verra aussi dans cet ouvrage un pastiche de la littérature fantastique : la Nouvelle-Angleterre, chère à des auteurs comme Stephen King et Lovecraft n'est pas très éloignée de la Pennsylvanie. 
Pastiche de la littérature fantastique donc, mais aussi des films d'horreur des années d'après-guerre. Comment en effet ne pas repenser à ces films lors des scènes où une meute de citoyens armés de torches et de fusils pourchasse la créature dans la campagne, scènes typiques des films de vampires et de loups-garou de l'époque.
« Kornwolf » reprend donc nombre d'éléments qui ont fait l'incroyable renommée du « Seigneur des porcheries » sans toutefois atteindre à la perfection de son aîné. Ce roman, certes jubilatoire, n'atteint en effet pas la puissance narrative du premier roman d'Egolf. 
Publié après le suicide de l'auteur en 2005, cet ouvrage donne l'impression d'être l'ébauche de ce qui aurait pu être un second chef-d-œuvre signé Egolf.
« Kornwolf » reste toutefois un grand roman baroque et jubilatoire digne de figurer au panthéon de la littérature contemporaine nord-américaine.






Gravure du traité de physiognomonie de Ch. Lebrun et Morel d'Arleux, 1806

Commentaires

Joelle a dit…
J'avais hésité à le sélectionner pour Masse critique mais finalement, il m'aurait sûrement plu !
Ingannmic, a dit…
J'ai ADORE "Le seigneur des porcheries", et j'ai acheté celui-là récemment, l'ayant trouvé en poche dans les rayons de ma librairie... ton article me fait penser que je n'aurai pas à le regretter...

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