Un monde sans Faim ?


"L'Empire de la Honte" Jean Ziegler. Essai. Fayard, 2005.

Publié en 2005, l'essai de Jean Ziegler,« L'Empire de la Honte » reste cruellement d'actualité.
La honte, nous explique-t-il, est un sentiment partagé à l'heure actuelle par une grande majorité d'êtres humains face à l'odieux système mis en place par les banques et les grands groupes industriels. Cette honte est ressentie différemment selon le niveau de vie de la personne qui la ressent. Il y a tout d'abord la honte occasionnée par la pauvreté, celle qui est ressentie par la personne n'ayant pas de quoi se nourrir et de vivre dans des conditions décentes. Il y a aussi la honte qu'éprouvent ceux qui sont témoins de la misère des autres et qui savent qu'ils ne peuvent rien pour les aider à sortir de la misère. Puis, dans une moindre mesure, la honte que (j'ose espérer!) ressentent les technocrates et les financiers qui sont les promoteurs et les instruments de ce scandale permanent.
Jean Ziegler, professeur de sociologie, a été, de 2000 à 2008, rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des Droits de l'Homme de l'O.N.U. Il est actuellement membre du comité consultatif du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies (source Wikipedia). Pour lui, le constat est sans appel : la misère et la faim dans le monde ne sont pas dues à la fatalité mais sont sciemment orchestrées par le F.M.I, les banques et les trusts industriels.
« Le massacre quotidien de la faim se poursuit dans une normalité glacée. Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Toutes les 4 minutes, quelqu'un devient aveugle par manque de vitamine A.
En 2006, 854 millions de personnes – un homme sur six sur notre planète – ont été gravement et en permanence sous-alimentées. Elles étaient 842 millions en 2005.


le World Food Report de la FAO, qui donne ces chiffres, affirme que l'agriculture mondiale, dans l'état acruel du développement de ses forces de production, pourrait nourrir normalement (soit à raison de 2700 calories par jour et par adulte) 12 milliards d'êtres humains.


Nous sommes aujourd'hui 6,2 milliards sur terre.


Conclusion : il n'existe aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.[…]
Les maîtres de l'empire de la honte organisent sciemment la rareté. Et celle-ci obéit à la logique de la maximalisation du profit.


Le prix d'un bien dépend de sa rareté. Plus un bien est rare, plus son prix est élevé. L'abondance et la gratuité sont les cauchemars des cosmocrates qui consacrent des efforts surhumains à en conjurer la perspective. Seule la rareté garantit le profit. Organisons-là !


Les cosmocrates ont notamment horreur de la gratuité qu'autorise la nature. Ils y voient une concurrence déloyale, insupportable. Les brevets sur le vivant, les plantes et les animaux génétiquement modifiés, la privatisation des sources d'eau doivent mettre fin à cette intolérable facilité. […]


Organiser la rareté des services, des capitaux et des biens est, dans ces conditions, l'activité prioritaire des maîtres de l'empire de la honte. Mais cette rareté organisée détruit chaque année la vie de millions d'hommes, d'enfants et de femmes sur terre.


En ce début du IIIe millénaire, la misère a atteint un niveau plus effroyable qu'à aucune autre époque de l'histoire. C'est ainsi que plus de 10 millions d'enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de sous-alimentation, d'épidémies, de pollution des eaux et d'insalubrité. 50% de ces décès interviennent dans les six pays les plus pauvres de la planète. 42% des pays du Sud abritent 90% des victimes.


Ces enfants ne sont pas détruits par un manque objectif de biens, mais par une inégale distribution de ceux-ci. Donc, par un manque artificiel. »
Certains pourraient objecter à ces arguments que si ces pays pauvres n'arrivent pas à sortir la tête hors de l'eau, c'est par leur incapacité à se doter d'infrastuctures sociales et sanitaires dignes de ce nom et par leur propension à la corruption généralisée. Ne nous y trompons pas ! Ces pays sont soumis à la dette orchestrée par le FMI et les banques privées. Pour engranger plus de profits, celles-ci soutiennent dans l'ombre des gouvernements corrompus qui privatisent les services publics et détournent l'argent nécessaire à la création d'hopitaux, de services d'assainissement et de programmes de lutte contre la faim et la pauvreté. L'argent de ces prêts ayant disparu dans les poches de quelques-uns, la solution immédiate est de contracter un nouveau crédit dont les taux d'intérêt sont « cinq à sept fois plus élevés que ceux qui sont pratiqués sur les marchés financiers. Mais les cosmocrates imposent d'autres conditions encore : privatisations et vente à l'étranger (aux créanciers justement) des quelques rares entreprises, mines, services publics (télécommunications, etc.)rentables, privilèges fiscaux exorbitants pour les sociétés transcontinentales, achats d'armes forcés pour équiper l'armée autochtone, etc. »
Pire encore, on peut en arriver à l'impensable, comme ce qui est arrivé par exemple au Rwanda. D'avril à juin 1994, les deux ethnies principales de ce pays – Tutsis et Hutus – se sont entretuées.
On estime entre 800 000 et un million le nombre de victimes, hommes, femmes et enfants, massacrées à la machette lors de ce conflit.
« De 1990 à 1994, , les principaux fournisseurs d'armes et de crédits au Rwanda avaient été la France, l'Ēgypte, l'Afrique du Sud, la Belgique et la république Populaire de Chine. Les livraisons d'armes égyptiennes étaient garanties par le Crédit lyonnais. L'aide financière directe venait surtout de France. De 1993 à 1994, la République Populaire de Chine avait fourni 500 000 machettes au régime de Kigali. Des caisses pleines de machettes, payées sur crédit français, arrivaient encore par camions, venant de Kampala et du port de Mombassa, alors que le génocide avait déjà commencé... »
Quand le conflit fut apaisé et que les auteurs du génocide eurent été finalement défaits, le FMI , la banque mondiale, ainsi que les autres créanciers présentèrent l'addition au nouveau gouvernement: plus d'un milliard de dollars! Celui-ci refusa immédiatement de payer le remboursement des armes qui avaient servi à tuer les leurs. Les créanciers les menacèrent alors « de bloquer les crédits de coopération et d'isoler finacièrement le Rwanda dans le monde.


C'est ainsi que les paysans rwandais, pauvres comme Job, et les rares rescapés du génocide s'échinent aujourd'hui encore à rembourser, mois après mois, aux puissances étrangères les sommes qui ont servi aux massacres. »
On n'ose imaginer le cynisme des établissements bancaires face à un tel événement et l'on peut aujourd'hui se demander s'ils auraient été capables, à la fin de la deuxième guerre mondiale, de forcer les rescapés de la Shoah à payer les frais mis en oeuvre par les nazis pour élaborer la solution finale ?
Le FMI et les banques ne sont pas les seuls à être mis en cause par Jean Ziegler dans son ouvrage. Les grands groupes agro-alimentaires et pharmaceutiques ne sont pas en reste. On apprend ainsi que les firmes pharmaceutiques, suivant les instructions de leurs services de marketing, n'investissent majoritairement que dans la création de médicaments destinés à une clientèle au pouvoir d'acaht élevé. Pourquoi en effet dépenser de l'argent pour l'élaboration d' un médicament destiné à traiter des patients qui n'ont pas les moyens de les payer? Ainsi, nos pharmacies débordent de médicaments le plus souvent inutiles: pilules anti-âge, revitalisantes, somnifères, etc... tandis que « 21 millions de personnes , souvent des enfants, sont mortes en 2006 de la malaria ou de la tuberculose, dont plus de 90% dans l'un des 122 pays dits en développement. »
Ces mêmes groupes pharmaceutiques : Novartis, Aventis, Pfizer, La Roche...utilisent tous les moyens mis à leur disposition (et ils sont énormes) pour empêcher la commercialisation de certains médicaments dits génériques, dans les pays pauvres.
Autre exemple, celui de l'agro-alimentaire, avec la firme suisse Nestlé (« Ensemble, mieux manger, mieux vivre ») qui inonde le marché du tiers-monde avec son lait en poudre :
« L'UNICEF évalue à 4000 le nombre des nourrissons qui meurent chaque jour du fait de l'ingestion de lait en poudre mélangé à une eau insalubre ou administré dans des biberons malpropres. S'ils étaient nourris au sein, ils survivraient.


Certaines études réalisées en Afrique occidentale et en Amérique centrale mettent en évidence les méthodes utilisées par certaines sociétés transcontinentales pour promouvoir leurs produits. Sur d'immenses placards dressés aux carrefours des villes du Togo, du Bénin, du Burkina Faso, on voit ainsi des femmes noires, leur bébé dans les bras. « Pour le bien de ton enfant, donne-lui du laite en poudre », lit-on sur l'affiche. Souvent, un visage blanc sourit en arrière-fond, suggérant que toutes les mères blanches donnent du lait en poudre à leur progéniture.


[…] Peu nombreuses sont les femmes des bidonvilles qui pourront se payer toute une boîte.


La poudre sera ensuite mélangée à de l'eau. Mais dans 80% des cas, il s'agira d'une eau polluée.


Du coup, non seulement le bébé ne bénéficiera pas des effets immunitaires du lait maternel et ne recevra pas les quantités de lait nécessaires, mais il sera bientôt affecté de diarrhées débouchant, dans bien des cas, sur la mort. »
Ainsi va le monde selon Monsanto, Aventis, Nestlé, le FMI et bien d'autres encore, un monde dénué de toute morale, un monde où cynisme et recherche de profit vont de pair. À lire ce livre, on se prend à penser que ces organismes bancaires, ces sociétés pharmaceutiques et agro-alimentaires détiennent un pouvoir de nuisance tel, (un bilan humain qui se compte en million de victimes de par le monde) que les monstruosités commises par le IIIe Reich apparaissent à côté comme du travail d'amateur. On ose espérer qu'un jour les consciences se réveilleront et que les artisans de cet empire de la honte se verront traînés devant les tribunaux pour écocide et crimes contre l'humanité.

Commentaires

Michel a dit…
Malheureusement je n'ai plus lu cet auteur depuis trente ans et son discours est le même et rien n'a changé...

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