Le 8ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 9

"La peine du menuisier" Marie Le Gall. Roman.
 Editions Phébus, 2009.

On pourrait penser, au vu du titre et de la couverture, que nous avons là un exemplaire de plus de ces innombrables romans du terroir dont certains auteurs et certaines maisons d’édition ont fait depuis longtemps leur fonds de commerce; un de ces romans empreints de nostalgie qui nous rappellent que c’était mieux avant, quand nos grands-parents et arrière grands-parents s’échinaient une vie durant à faire pousser trois poireaux et à engraisser deux cochons avant de mourir pendus à la poutre maîtresse de l’étable ou dans les tranchées de Verdun ou d’ailleurs .


Mais les éditions Phébus, bien heureusement ne publient pas ce genre de romans qui, certes, de Georges Sand à Giono et Ramuz, pour en citer quelques-uns, avaient acquis leurs lettres de noblesse mais qui, aujourd’hui,sous la plume d‘écrivains soucieux d‘exploiter ce filon, sont tombés dans l’ornière de la facilité et du cliché campagnard.

« La peine du menuisier » n’appartient donc pas à ce genre littéraire des romans du terroir pour la simple et bonne raison qu’il est d’abord une autobiographie. Le contexte de ce roman se situe dans le Finistère, dans les années 50 et 60 mais le lecteur qui pensera trouver ici un témoignage de la vie d’antan en Bretagne devra plutôt se tourner vers « Le cheval d’orgueil » de Pierre-Jakez Helias. Celui ou celle qui s’attend à trouver ici des détails « folkloriques » sera grandement déçu car, mis à part le contexte géographique et l’emploi de mots et expressions bretonnes, l’histoire narrée par Marie Le Gall pourrait se dérouler n’importe où.

Certains objecteront que, pourtant, le caractère taiseux du menuisier, l’omniprésence de la mort dans la vie quotidienne donnent à ce récit une consonnance tout à fait bretonne. A quoi je répondrais (moi qui vis en Bretagne mais n’ai pas une seule goutte de sang breton), que les taiseux et les morts ne sont pas une spécialité locale et que l’on trouve aussi bien les uns et les autres en Eure-et- Loir (d‘où je suis originaire), en Auvergne, en Normandie ou en Corse.
Évacuons donc le cliché du breton taiseux (l’expérience m’a montré que nombre d’entre eux, contrairement à l’idée que l’on s’en fait ailleurs, sont de vraies pipelettes) et obsédé par la mort. Qui n’a pas connu, en effet, (je parle pour les personnes aujourd’hui âgées de trente ans et plus car depuis quelques années on a honte de ses morts et on les cache) ces repas de famille où l’on en vient à évoquer les disparus, ces photos représentant des personnes que l’on n’a jamais connues : cousins, aïeux, oncles et tantes, en costumes ou uniformes désuets, cheveux brillantinés et moustaches en guidon de vélo, dont le regard fixant l’objectif semblent nous contempler depuis l’autre-monde? Qui n’a pas connu ces sorties au cimetière, à la Toussaint pour les chrysanthèmes, au printemps pour gratter la mousse sur les pierres tombales et apporter un bouquet de fleurs fraîches ?

Les morts, il y a quelques décennies, étaient donc partout et faisaient partie de notre vie quotidienne. Comme dans le roman de Marie Le Gall, on voyait leurs photos accrochées aux murs et ils étaient les témoins de nos moindres actes; leurs regards, figés pour l’éternité comme ces portraits funéraires exhumés du Fayoum, accompagnaient nos existences et étaient les témoins de nos joies et de nos peines.

Si je parle tant des morts dans ce qui précède, ce n’est pas par un accès soudain de morbidité mais parce qu’il en est énormément question dans « La peine du menuisier » et que l’omniprésence des défunts est la caractéristique principale de ce récit, ce qui donne lieu, malgré une très belle écriture, à de très nombreuses redondances et à un propos qui m’a semblé parfois tourner en rond en remuant trop souvent les mêmes impressions autour de cette fillette qui, vivant en compagnie d’un père peu loquace et d’une mère accaparée par les soins qu’elle doit prodiguer à sa première fille atteinte de folie, trouve refuge auprès des disparus. On découvrira peu à peu que derrière tous les silences, tous les non-dits du menuisier, se cache quelque chose, un secret bien enfoui, une tache noire qui ne veut pas s’effacer et qui pèse sur les relations qu’entretiennent entre eux les membres de cette famille.

C’est avec beaucoup de talent que Marie Le Gall nous restitue l’atmosphère oppressante qui règne au sein de ce cocon familial mais j’ai trouvé dommage que le récit souffre, comme je l’ai dit plus haut, de trop nombreuses redites concernant la relation qu’entretient la fillette avec les défunts qui l’entourent, avant d’arriver enfin à l’explication qui nous permettra de comprendre le mystère qui pèse comme une chape de plomb sur cette famille.

« La peine du menuisier » est le premier roman de Marie Le Gall, un récit à l’écriture talentueuse mais dont la lecture peut s’avérer éprouvante tant le propos tenu nous plonge dans une atmosphère de noirceur et de silence funèbre. On en ressort avec l’impression nauséeuse d’avoir séjourné trop longtemps dans une pièce envahie de l’odeur douceâtre de chrysanthèmes fanés et de vieilles photos jaunies. Cette impression, si peu agréable soit-elle, est toutefois le signe que seuls de grands auteurs sont à même de nous faire ressentir les ambiances particulières qu’ils ont voulu donner à partager à leurs lecteurs.







William Bouguereau : "Le jour des morts" 1859 (détail)




Commentaires

Stéphanie a dit…
j'ai pu voir et écouter l'auteur à Saint-Malo sur un débat / aux lieux. Je n'avais pas été tout à fait convaincue, je suis heureuse de ne pas avoir craqué pour son livre finalement.

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