L' Histoire et la Pratique de la magie anglaise
"Jonathan Strange & Mr. Norrell" Susanna Clarke.Roman. Robert Laffont, 2007.
Traduit de l'anglais par Isabelle D. Philippe.
Ayant vu ça-et-là nombre de critiques peu amènes à propos de ce roman, j’ai longuement hésité avant de me résoudre à me le procurer. Puis un jour j’ai sauté le pas et je dois dire que les vertes critiques que j’avais lues au sujet de ce pavé de 1140 pages me semblent aujourd’hui totalement infondées au regard de ce que j’ai pu découvrir en lisant cet épais roman.
Oubliées, les remarques sur la longueur de ce récit prétendument interminable où il ne se passe rien sur des centaines de pages; oubliées également les attaques sur le style pesant et les dialogues infiniment longs qui prennent place sur l’action.
N’en déplaise aux détracteurs de ce roman, nous ne sommes pas ici devant un ouvrage de la minceur de l’Amélie Nothomb annuel que l’on nous livre tous les ans à l’automne. Nous ne sommes pas non plus devant un de ces récits au rythme « palpitant » que savent nous concocter les auteurs de best-sellers, ni non plus devant un ouvrage où dialogues et descriptions s’effacent au profit d’une action soutenue qui laisse au lecteur bien peu de respirations, tout ceci au détriment d’une qualité narrative, d’une recherche du détail et d’une psychologie des personnages qui deviennent de ce fait totalement inexistants.
N’en déplaise donc aux lecteurs pressés, ce livre est long et doté de dialogues qui dépassent le champ lexical du protozoaire moyen, les descriptions des personnages et des lieux qu’ils visitent sont détaillées, le récit en lui-même prend son temps et s’arrête parfois pour s’adonner à quelques digressions. « Quelle horreur ! s’exclameront certaines personnes, serions-nous en présence de quelque chose approchant de la littérature classique, ces romans vieillots où il ne se passe rien et où l’on nous décrit interminablement les états d’âme des personnages quand ce n’est pas leur tenue vestimentaire ou les pensées intimes de leur valet de pied ? »
À ces personnes, je réponds oui, nous sommes en présence d’un ouvrage qui se rapproche d’un style littéraire qui est malheureusement devenu trop rare, un roman qui prend son temps, un roman que l’on aura peine à finir en deux jours pour épater un cercle d’amis, un roman qui ne nous prend pas pour des adeptes de ce zapping littéraire qui fait que nombre d’éditeurs font passer aujourd’hui pour des romans des oeuvrettes dont la brièveté et la minceur, il y a quelques années encore, auraient mérité le terme plus approprié de nouvelles.
Si vos goûts littéraires se portent sur des romans qui privilégient l’action au détriment des descriptions, si vous ne pouvez pas lire un récit comportant plus de 125 pages, il vous est fortement déconseillé de vous lancer dans la lecture de « Jonathan Strange & Mr. Norrell ». Combien de lecteurs et de lectrices ont été déçus par ce roman, pensant trouver là un Harry Potter pour adultes ou un roman d’Heroic-Fantasy peuplé de dragons, de gentils petits nains et de sorciers terrifiants ?
Il n’en est rien. Nous sommes ici en présence d’un récit qui reprend le rythme et les codes des romans du XIXe siècle, c’est-à-dire une intrigue qui évite la précipitation et le spectaculaire et qui s’attache à nous immerger dans l’univers qu’elle nous décrit. Il faut d’ailleurs prendre son temps pour appréhender le contexte de ce livre. Sommes-nous en présence d’une uchronie ou d’un monde parallèle, bien que fort semblable, au nôtre ?
Nous sommes dans l’Angleterre des premières années du XIXe siècle. La couronne britannique est en guerre contre l’empereur Napoléon. Jusqu’ici, rien que de très normal. Mais l’on apprend bien vite que la Grande-Bretagne a été, de par le passé, sujette à un autre conflit, celui qui a opposé le sud de l’île aux régions du nord gouvernées par un roi magicien : John Uskglass, le roi corbeau.
Cette guerre qui s’est déroulée au moyen-âge, a laissé derrière elle une tradition de magie qui veut que nombre de gentlemen respectables s’adonnent en amateurs à cette pratique ou à son histoire aussi naturellement que s’il s’agissait de zoologie ou de botanique.
Deux d’entre eux, Mr. Norrell tout d’abord, et Jonathan Strange ensuite, qui deviendra le disciple du premier, vont connaître un destin extraordinaire en se proposant de défier grâce à leurs talents les armées napoléoniennes qui étendent leur emprise sur toute l’Europe.
Les deux magiciens vont donc susciter des illusions, ressusciter des morts, changer la géographie de la campagne espagnole et même transplanter pour un après-midi la ville de Bruxelles au milieu des grandes plaines d’Amérique du nord afin que celle-ci ne soit pas prise par les armées françaises.
Mais user de la magie pour défier l’empereur Napoléon peut avoir comme contrepartie de réveiller d’anciennes puissances assoupies depuis la lointaine époque du règne du roi corbeau. Strange et Norrell vont avoir - en sus des divergences de pensée qui vont bientôt les séparer puis les opposer - maille à partir avec l’arrivée de l’ étrange et inquiétant « gentleman aux cheveux comme du duvet de chardon » qui travaille à établir sur le trône d’Angleterre un successeur du roi corbeau disparu de longue date et dont on ne sait s’il est encore vivant, caché quelques part dans les hautes terres du nord ou dans un des royaumes féériques qu’il a conquis.
Comment relater l’extrême plaisir que j’ai éprouvé à lire ce roman, me laissant envoûter pendant trois semaines à suivre les aventures de Strange & Norrell, bercé par cette passionnante histoire, cette profusion de personnages et de caractères, tous décrits avec minutie et avec une exactitude historique remarquable en ce qui concerne des personnages tels que le duc de Wellington et lord Byron.
Bien longtemps avant d’avoir achevé ce livre, j’ai pu me rendre compte que les critiques négatives portées sur ce roman n’avaient plus lieu de m’inquiéter. « Jonathan Strange & Mr. Norrell » est indéniablement ce que j’ai pu lire de meilleur (dans ce genre littéraire que l’on rattache faute de mieux à l’Heroic Fantasy) avec Tolkien (souvent imité mais jamais égalé), John Crowley, Lian Hearn, Mervyn Peake ou Robin Hobb.
« Jonathan Strange & Mr. Norrell », paru en 2004, a reçu le Prix Hugo 2005, le Prix Locus 2005 et le World Fantasy Award du meilleur roman.
Traduit de l'anglais par Isabelle D. Philippe.
Ayant vu ça-et-là nombre de critiques peu amènes à propos de ce roman, j’ai longuement hésité avant de me résoudre à me le procurer. Puis un jour j’ai sauté le pas et je dois dire que les vertes critiques que j’avais lues au sujet de ce pavé de 1140 pages me semblent aujourd’hui totalement infondées au regard de ce que j’ai pu découvrir en lisant cet épais roman.
Oubliées, les remarques sur la longueur de ce récit prétendument interminable où il ne se passe rien sur des centaines de pages; oubliées également les attaques sur le style pesant et les dialogues infiniment longs qui prennent place sur l’action.
N’en déplaise aux détracteurs de ce roman, nous ne sommes pas ici devant un ouvrage de la minceur de l’Amélie Nothomb annuel que l’on nous livre tous les ans à l’automne. Nous ne sommes pas non plus devant un de ces récits au rythme « palpitant » que savent nous concocter les auteurs de best-sellers, ni non plus devant un ouvrage où dialogues et descriptions s’effacent au profit d’une action soutenue qui laisse au lecteur bien peu de respirations, tout ceci au détriment d’une qualité narrative, d’une recherche du détail et d’une psychologie des personnages qui deviennent de ce fait totalement inexistants.
N’en déplaise donc aux lecteurs pressés, ce livre est long et doté de dialogues qui dépassent le champ lexical du protozoaire moyen, les descriptions des personnages et des lieux qu’ils visitent sont détaillées, le récit en lui-même prend son temps et s’arrête parfois pour s’adonner à quelques digressions. « Quelle horreur ! s’exclameront certaines personnes, serions-nous en présence de quelque chose approchant de la littérature classique, ces romans vieillots où il ne se passe rien et où l’on nous décrit interminablement les états d’âme des personnages quand ce n’est pas leur tenue vestimentaire ou les pensées intimes de leur valet de pied ? »
À ces personnes, je réponds oui, nous sommes en présence d’un ouvrage qui se rapproche d’un style littéraire qui est malheureusement devenu trop rare, un roman qui prend son temps, un roman que l’on aura peine à finir en deux jours pour épater un cercle d’amis, un roman qui ne nous prend pas pour des adeptes de ce zapping littéraire qui fait que nombre d’éditeurs font passer aujourd’hui pour des romans des oeuvrettes dont la brièveté et la minceur, il y a quelques années encore, auraient mérité le terme plus approprié de nouvelles.
Si vos goûts littéraires se portent sur des romans qui privilégient l’action au détriment des descriptions, si vous ne pouvez pas lire un récit comportant plus de 125 pages, il vous est fortement déconseillé de vous lancer dans la lecture de « Jonathan Strange & Mr. Norrell ». Combien de lecteurs et de lectrices ont été déçus par ce roman, pensant trouver là un Harry Potter pour adultes ou un roman d’Heroic-Fantasy peuplé de dragons, de gentils petits nains et de sorciers terrifiants ?
Il n’en est rien. Nous sommes ici en présence d’un récit qui reprend le rythme et les codes des romans du XIXe siècle, c’est-à-dire une intrigue qui évite la précipitation et le spectaculaire et qui s’attache à nous immerger dans l’univers qu’elle nous décrit. Il faut d’ailleurs prendre son temps pour appréhender le contexte de ce livre. Sommes-nous en présence d’une uchronie ou d’un monde parallèle, bien que fort semblable, au nôtre ?
Nous sommes dans l’Angleterre des premières années du XIXe siècle. La couronne britannique est en guerre contre l’empereur Napoléon. Jusqu’ici, rien que de très normal. Mais l’on apprend bien vite que la Grande-Bretagne a été, de par le passé, sujette à un autre conflit, celui qui a opposé le sud de l’île aux régions du nord gouvernées par un roi magicien : John Uskglass, le roi corbeau.
Cette guerre qui s’est déroulée au moyen-âge, a laissé derrière elle une tradition de magie qui veut que nombre de gentlemen respectables s’adonnent en amateurs à cette pratique ou à son histoire aussi naturellement que s’il s’agissait de zoologie ou de botanique.
Deux d’entre eux, Mr. Norrell tout d’abord, et Jonathan Strange ensuite, qui deviendra le disciple du premier, vont connaître un destin extraordinaire en se proposant de défier grâce à leurs talents les armées napoléoniennes qui étendent leur emprise sur toute l’Europe.
Les deux magiciens vont donc susciter des illusions, ressusciter des morts, changer la géographie de la campagne espagnole et même transplanter pour un après-midi la ville de Bruxelles au milieu des grandes plaines d’Amérique du nord afin que celle-ci ne soit pas prise par les armées françaises.
Mais user de la magie pour défier l’empereur Napoléon peut avoir comme contrepartie de réveiller d’anciennes puissances assoupies depuis la lointaine époque du règne du roi corbeau. Strange et Norrell vont avoir - en sus des divergences de pensée qui vont bientôt les séparer puis les opposer - maille à partir avec l’arrivée de l’ étrange et inquiétant « gentleman aux cheveux comme du duvet de chardon » qui travaille à établir sur le trône d’Angleterre un successeur du roi corbeau disparu de longue date et dont on ne sait s’il est encore vivant, caché quelques part dans les hautes terres du nord ou dans un des royaumes féériques qu’il a conquis.
Comment relater l’extrême plaisir que j’ai éprouvé à lire ce roman, me laissant envoûter pendant trois semaines à suivre les aventures de Strange & Norrell, bercé par cette passionnante histoire, cette profusion de personnages et de caractères, tous décrits avec minutie et avec une exactitude historique remarquable en ce qui concerne des personnages tels que le duc de Wellington et lord Byron.
Bien longtemps avant d’avoir achevé ce livre, j’ai pu me rendre compte que les critiques négatives portées sur ce roman n’avaient plus lieu de m’inquiéter. « Jonathan Strange & Mr. Norrell » est indéniablement ce que j’ai pu lire de meilleur (dans ce genre littéraire que l’on rattache faute de mieux à l’Heroic Fantasy) avec Tolkien (souvent imité mais jamais égalé), John Crowley, Lian Hearn, Mervyn Peake ou Robin Hobb.
« Jonathan Strange & Mr. Norrell », paru en 2004, a reçu le Prix Hugo 2005, le Prix Locus 2005 et le World Fantasy Award du meilleur roman.
La disparition d'Arabella Strange - Illustration de Lea Zukas
Commentaires
Je ne l'ai pas encore commencé, je me le réserve pour une période où j'aurai du temps tranquille devant moi pour lire, lire, lire
Un peu dans le même genre "style daté", je ne peux que te conseiller "Dans la main du diable" d'Anne-Marie Garat. Ce n'est pas du fantastique, mais c'est là aussi un roman qui raconte et qui prend son temps.
marie
marie