Mourir à 17 ans


"Le Pays des Ténèbres" Stewart O' Nan. Roman. Editions de l'Olivier, 2006.
Traduit de l'américain par Nicolas Richard.

Le dernier roman traduit en français de Stewart O'Nan nous entraîne dans une petite ville du Connecticut au moment des fêtes d'Halloween. Un an plus tôt,alors qu'ils fonçaient en voiture sur une petite route forestière, cinq adolescents en virée ont été victimes d'un accident qui a coûté la vie à trois d'entre eux. Les deux rescapés, Tim et Kyle, après ce drame, ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes.
Tim, qui a perdu dans l'accident sa petite amie Danielle, s'est muré dans son chagrin et n'arrive pas à faire le deuil de ses amis au point de souhaiter les rejoindre dans la mort.
Kyle, quant à lui, après un coma prolongé, se retrouve défiguré et diminué, doté des capacités intellectuelles d'un enfant de cinq ans.
En voix off, tout au long du récit, ce sont les âmes des trois jeunes défunts, Danielle,Toe et Marco qui font office de narrateurs. Dotés du don d'ubiquité des esprits, ils se déplacent où ils le veulent et s 'introduisent n'importe où afin d'observer et de discuter, parfois avec un humour potache, le comportement des vivants qui, de près ou de loin, ont joué un rôle dans leur existence ante-mortem.
A travers eux, l' on assiste ainsi aux comportements et cogitations de tous ceux qui ont eu à subir de plein fouet les conséquences de cette tragédie.
Ce sont tout d'abord les parents, enfermés dans leur désarroi face à la disparition de leurs enfants, condamnés à ressentir éternellement la cruelle absence de leurs rejetons et accomplissant les actes de la vie quotidienne comme des automates privés de sens.
Ce sont les parents de Kyle, dont la vie, face au handicap de leur fils, ne sera plus jamais la même.
Le père, tout d'abord, qui se refuse à accepter cette situation et fuit celle-ci en se réfugiant dans son activité professionnelle et en adoptant face à sa femme et son fils une attitude faite de faux-fuyants et de non-dits.
La mère de Kyle, quant à elle, se dévoue corps et âme à l'entretien de son fils qu'elle doit assister perpetuellement comme un petit enfant, partagée entre l'amour qu'elle porte à ce fils qu'elle ne reconnaît plus, et l'idée que sa mort, finalement, aurait été préférable à cette vie diminuée.
Il y a les copains, Greg et Travis qui n'acceptent pas cette disparition brutale et traînent leur spleen entre bière et fumette.
Il y a aussi l'agent de police Brooks qui s'est retrouvé le premier sur les lieux de l'accident, et qui depuis n'est plus le même homme, obsédé par les images de ce drame. En ce jour d'Halloween, triste premier anniversaire de l'accident, il n'a qu'une seule chose en tête, surveiller Tim, l'inconsolable rescapé, qu'il soupçonne de commémorer cet évenement en accomplissant un acte irréparable.
« Le pays des ténèbres » que nous décrit Stewart O'Nan, avant les limbes où évoluent les esprits des trois jeunes victimes qui nous accompagnent tout au long du récit, c'est surtout cette Amérique des lotissements pavillonnaires sans âme et aux rues désertes, délimités par ces zones commerciales sans fin et toutes semblables, où s'alignent restaurants fast-food et chaînes de supermarchés, cette Amérique de la Middle Class qui passe le plus clair de son temps entre le travail, la tondeuse à gazon et le plateau télé. Cette Amérique qui n'a que l'ennui, la bière et le Hard Rock à offrir en exutoire à sa jeunesse déboussolée.
Ce roman, en plus d'être le portrait d'un certain aspect de la société américaine se veut aussi un hommage à la Pop Culture actuelle à travers les références musicales évoquées par les adolescents qui nous accompagnent tout au long de ce récit. Hommage aussi aux films d'horreur de série B dont chaque chapitre porte le titre, ainsi qu'aux grands maîtres du fantastique comme Stephen King et Ray Bradbury à qui ce roman est dédié.
« Le pays des ténèbres » est un roman « coup de poing » , un récit bouleversant, émouvant et dérangeant, une description acérée de la classe moyenne américaine et un réquisitoire contre la société de consommation à outrance, un roman sur le deuil, le chagrin et l'absence, sur l'adolescence et ses démons, sur l'infortune d'être jeune dans un pays d'adultes « morts-vivants. »
Il faut lire « Le pays des ténèbres. »

Commentaires

Anonyme a dit…
Damned, quel résumé ! on sent que ce roman t'a bousculé. Je vais passé outre mes réticences US habituelles et aller y jeter un oeil et peut-être même les deux !
Anonyme a dit…
d'accord avec moustafette, ce roman semble bell et bien t'avoir bousculé : tu en parles très bien... j'en ai frois dans le dos !
Anonyme a dit…
Ho la la quel livre je ne sais pas si je le lirais mais je vai sle mettre dans ma commance pour mon boulot (je bosse dans ma bibliothèque) il y a des lecteurs qui vont adoré
Anonyme a dit…
Je n'ai lu ta critique qu'en diagonale mais ça me fait envie; d'ailleurs je l'ai ajouté dans ma liste cadeaux Alapage.
Lily a dit…
J'avais adoré "Nos plus beaux souvenirs", celui-là aussi, je comptais le lire, et tu en décuples mon envie ! je le mets dans mon panier amazon tout de suite !
Anonyme a dit…
J'ai lu "Speed Queen" du même auteur. C'était assez marquant... Ta critique me donne envie de lire à nouveau cet écrivain!
Véronique a dit…
J'ai lu le livre et je trouve que, si effectivement il décrit très bien la classe moyenne américaine,dans un style intimiste et juste, il y a néanmoins pas mal de longueurs.

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