Le pot de départ
Guy,
Je sais que tu ne liras jamais ces mots parce que – tu me l'as dit – les ordinateurs, internet, tout ça, c'est pas ton truc. Toi tu préferes bricoler, t'occuper de ton jardin, entretenir ta voiture...
Quand je suis arrivé dans ce boulot, il y a trois semaines, on m'a dit que j'allais reprendre ton poste parce que tu t'en allais. Alors tu m'as tout montré, les petites astuces qui rendent le travail moins pénible, les coins et les recoins de cet hopital que tu avais fini par connaître par coeur. Tu m'as présenté ceux en qui je pourrais avoir confiance et tu m'as aussi désigné les autres, les faux-culs, les arrivistes, les petits chefaillons qui passent leurs journées à épier ce que nous faisons dans le but de nous coincer.
J'ai cru au début que tu partais en retraite et puis tu m'as dit la vérité. Quand tu es arrivé là, à 55 ans, on t'avait promis que tu ferais cinq années, que tu pourrais ainsi aller tranquillement jusqu'à l'âge de la retraite.
Au lieu de cinq ans, tu en as fait deux et aujourd'hui était ton dernier jour. L'ANPE a décidé comme ça que c'était fini, que tu devais retourner rejoindre la troupe des chômeurs. Il faut bien laisser la place aux autres.
Pourtant, pendant ces deux années tu n'as pas économisé ton énergie, tu rendais service dès que tu le pouvais, sans arrière-pensées. Tu n'as jamais été un lèche-cul. Ceux-là ne rendent service qu'à eux-mêmes. Mais le couperet est tombé et les belles promesses d'il y a deux ans sont parties en fumée.
Pendant ces trois semaines où tu m'as tout appris du travail que j'aurais à faire, nous avons beaucoup ri et discuté. Beaucoup de monde te connaît ici et j'ai pu me rendre compte qu' ils sont nombreux à t'apprécier. Mais cela n'a pas empêché l'échéance d'arriver et aujourd'hui tu as fait ta dernière journée. Les femmes de ménage s'étaient cotisées pour te faire des cadeaux et tu avais apporté une bouteille et un gâteau.
Curieusement, à l'heure où nous avons fêté ton départ, aucun chef n'est venu assister à ce moment qui t'était consacré.
Puis nous avons repris le travail jusqu'à la fin de la journée et là aussi, aucun responsable n'est venu te saluer. Pas le moindre petit mot, pas le moindre geste de sympathie. Mais j'ai vu que cela ne t'étonnait pas. Après tout, nous ne sommes que des Kleenex.
Au moment de partir, nous nous sommes retrouvés tous les deux dans les vestiaires et tu as vidé ton placard. Quand il a fallu nous dire au revoir, j'ai vu que tu étais au bord des larmes. Moi aussi. On s'est serré la main, j'ai vu tes yeux humides. Tu as vu les miens. Puis tu t'es retourné très vite et tu as franchi la porte du vestiaire afin que chacun de nous puisse cacher ses sanglots à l'autre.
Demain, je serais tout seul.
J'espère qu'on se reverra un jour ou l'autre, Guy, et ce jour-là on boira à la santé des petits chefaillons et des incompétents de l'ANPE.
Je sais que tu ne liras jamais ces mots parce que – tu me l'as dit – les ordinateurs, internet, tout ça, c'est pas ton truc. Toi tu préferes bricoler, t'occuper de ton jardin, entretenir ta voiture...
Quand je suis arrivé dans ce boulot, il y a trois semaines, on m'a dit que j'allais reprendre ton poste parce que tu t'en allais. Alors tu m'as tout montré, les petites astuces qui rendent le travail moins pénible, les coins et les recoins de cet hopital que tu avais fini par connaître par coeur. Tu m'as présenté ceux en qui je pourrais avoir confiance et tu m'as aussi désigné les autres, les faux-culs, les arrivistes, les petits chefaillons qui passent leurs journées à épier ce que nous faisons dans le but de nous coincer.
J'ai cru au début que tu partais en retraite et puis tu m'as dit la vérité. Quand tu es arrivé là, à 55 ans, on t'avait promis que tu ferais cinq années, que tu pourrais ainsi aller tranquillement jusqu'à l'âge de la retraite.
Au lieu de cinq ans, tu en as fait deux et aujourd'hui était ton dernier jour. L'ANPE a décidé comme ça que c'était fini, que tu devais retourner rejoindre la troupe des chômeurs. Il faut bien laisser la place aux autres.
Pourtant, pendant ces deux années tu n'as pas économisé ton énergie, tu rendais service dès que tu le pouvais, sans arrière-pensées. Tu n'as jamais été un lèche-cul. Ceux-là ne rendent service qu'à eux-mêmes. Mais le couperet est tombé et les belles promesses d'il y a deux ans sont parties en fumée.
Pendant ces trois semaines où tu m'as tout appris du travail que j'aurais à faire, nous avons beaucoup ri et discuté. Beaucoup de monde te connaît ici et j'ai pu me rendre compte qu' ils sont nombreux à t'apprécier. Mais cela n'a pas empêché l'échéance d'arriver et aujourd'hui tu as fait ta dernière journée. Les femmes de ménage s'étaient cotisées pour te faire des cadeaux et tu avais apporté une bouteille et un gâteau.
Curieusement, à l'heure où nous avons fêté ton départ, aucun chef n'est venu assister à ce moment qui t'était consacré.
Puis nous avons repris le travail jusqu'à la fin de la journée et là aussi, aucun responsable n'est venu te saluer. Pas le moindre petit mot, pas le moindre geste de sympathie. Mais j'ai vu que cela ne t'étonnait pas. Après tout, nous ne sommes que des Kleenex.
Au moment de partir, nous nous sommes retrouvés tous les deux dans les vestiaires et tu as vidé ton placard. Quand il a fallu nous dire au revoir, j'ai vu que tu étais au bord des larmes. Moi aussi. On s'est serré la main, j'ai vu tes yeux humides. Tu as vu les miens. Puis tu t'es retourné très vite et tu as franchi la porte du vestiaire afin que chacun de nous puisse cacher ses sanglots à l'autre.
Demain, je serais tout seul.
J'espère qu'on se reverra un jour ou l'autre, Guy, et ce jour-là on boira à la santé des petits chefaillons et des incompétents de l'ANPE.
Commentaires
(fait on partie des stats dans ce cas là ??)
sauf que souvent tu es liquidé bien avant la retraite si tu déprimes d'être rejeté, du manque de reconnaissance de ton savoir,
A 53ans j'ai trouvé du boulot... j'ai cru qu'on reconnaissait enfin mes compétences mais non pour mes 20h par semaine c'est le patron qui était reconnu... merci la loi et l'état...
beau texte et travaille bien...
Si à 57 ans on est trop vieux pour travailler pourquoi vouloir retarder l'age de la retraite ?
Bon courage à tout les deux dans la jungle professionnel.