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"Carton" Serge Joncour. Roman. Eden Fictions, 2003.
Le narrateur de « La métamorphose » de Kafka se réveillait un matin dans la peau – ou plutôt la carapace – d'un cafard.
Nudeu, le personnage central de « Carton » prend, quant à lui, peu à peu l'aspect d'une effigie cartonnée grandeur nature et en deux dimensions.
Il faut dire que Nudeu est libraire dans un hypermarché. Sa tâche n'est pas des plus passionnantes, son rayon est coincé entre celui de la maroquinerie et celui de la boucherie, et les livres qu'il dispose sur ses linéaires sont plus souvent des succès commerciaux que des chefs-d-oeuvre de la littérature.
Alors Nudeu végète, tranquillement, passant ses journées à observer les clients et à jeter des regards concupiscents sur l'accorte bouchère du rayon voisin. Peu de clients s'arrêtent au coin-librairie, leurs motivations sont bien éloignées de la lecture. Celles de Nudeu également. Il empile et range ses livres comme il le ferait de n'importe quelle marchandise.
Impassible, il reste planté là des journées entières, sans rien faire, si ce n'est d'incarner par sa présence l'archétype du libraire, prêt à dispenser ses conseils à d'éventuels clients. Mais notre homme est si peu sollicité qu'il s'aperçoit un jour qu'il n'est plus fait de chair et d'os mais...de carton ondulé. Le voici transformé en PLV (Publicité sur les Lieux de Vente).
Il faut dire que Nudeu est libraire dans un hypermarché. Sa tâche n'est pas des plus passionnantes, son rayon est coincé entre celui de la maroquinerie et celui de la boucherie, et les livres qu'il dispose sur ses linéaires sont plus souvent des succès commerciaux que des chefs-d-oeuvre de la littérature.
Alors Nudeu végète, tranquillement, passant ses journées à observer les clients et à jeter des regards concupiscents sur l'accorte bouchère du rayon voisin. Peu de clients s'arrêtent au coin-librairie, leurs motivations sont bien éloignées de la lecture. Celles de Nudeu également. Il empile et range ses livres comme il le ferait de n'importe quelle marchandise.
Impassible, il reste planté là des journées entières, sans rien faire, si ce n'est d'incarner par sa présence l'archétype du libraire, prêt à dispenser ses conseils à d'éventuels clients. Mais notre homme est si peu sollicité qu'il s'aperçoit un jour qu'il n'est plus fait de chair et d'os mais...de carton ondulé. Le voici transformé en PLV (Publicité sur les Lieux de Vente).
Réduit à une effigie de lui-même en deux dimensions, voilà que notre libraire attire finalement plus de monde que lorsqu'il était un être comme vous et moi. Certains viennent se faire photographier à ses côtés, d'autres s'exercent à des jeux moins innocents, assouvissant quelques fantasmes sexuels avec cette silhouette de carton.
Peu à peu, Nudeu devient une célébrité incontournable pour tous les clients de l'hypermarché. Ce phénomène va bientôt attirer l'attention de Martino, le commercial « ...fameux représentant des Editions générales, filiale de la Générale Général, la maison-mère de toutes, leader sur le marché du livre et sur bien d'autres encore... »
Flairant dans cette célébrité une opportunité commerciale, Martino va présenter Nudeu (ou plutôt son effigie en carton) au grand patron des Editions générales. Puisque le libraire est désormais célèbre, pourquoi ne pas rebondir sur cette situation en lui faisant écrire un livre qui deviendra, à coup sûr, un best-seller.
« Avec mon histoire, à coup sûr ils présumaient le succès, le million d'exemplaires, le million au moins, ne serait-ce que pour la commodité du chiffre rond, son caractère quasi abstrait, pseudo-miraculeux.
- L'important, ce serait qu'on arrive à 10 euros pile, rêva tout haut le Martino.
- Mais non,qu'importe la décimale, pourvu qu'on ait la marge, le mieux serait de côtoyer les 12, 15 euros.
- 12 alors, pour la commodité du chiffre rond.
- Soit, mon cher Martino, je vous le concède, va pour 12 euros le livre ; mais qu'est-ce qu'on va mettre dedans, en terme de mots s'entend. »
Et voici notre libraire catapulté en tête des ventes en qualité d'auteur d'un best-seller qu'il n'a pas écrit. Lui qui était il y a peu encore un obscur et un anonyme, va avoir à faire face au succès et devra faire la promotion de son ouvrage à la télévision, et rencontrer écrivains et hommes politiques.
« Carton » est une fable grinçante et ironique sur la société de consommation, une fable sur le marketing de l'édition et la grande distribution. Serge Joncour nous livre ici un récit humoristique et parfois déroutant sur la commercialisation des biens culturels et sur la perversion de ceux-ci par les stratégies du marketing.
Du simple libraire à l'auteur à succès, il dénonce, presque sans exagération, les différents maillons de la chaîne des ventes en débutant par une métaphore de la disparition d'un vrai libraire peu à peu transformé en simple faire-valoir de sa marchandise, relégué au stade d'une figurine de carton ondulé symbolique.
Avec humour et dérision, Serge Joncour se livre ici à une attaque en règle contre le merchandising qui rabaisse la littérature au niveau d'un bien de consommation ordinaire. Point n'est besoin de libraires ou d'écrivains pour vendre et diffuser la littérature, une bonne étude de marché suffit ! Hilarant, exubérant, insolite aussi, « Carton » est une satire de notre moderne société de consommation où l'argent et les médias avilissent tout ce qu'ils touchent.
Merci à Goelen qui m'a gentiment prêté ce livre-voyageur.
Les avis de Caro[line], et de Chatperlipopette
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