Les routes du pouvoir
"Le planisphère d'Alberto Cantino"
Gérard Vindt. Roman. Editions Autrement, 1998.
Avec ce livre, Gérard Vindt – comme Pascal Quignard avec « Albucius » – s'amuse à brouiller les cartes en mêlant habilement fiction et réalité historique. Prenant comme sujet principal de son ouvrage le planisphère de Cantino – carte réalisée à Lisbonne en 1502 pour le bénéfice du roi Dom Manuel 1er le Fortuné – Gérard Vindt nous relate l'histoire mouvementée de ce portulan depuis la date de sa création jusqu'à nos jours.
Tout commence en ce matin du mois d' octobre 1502 ou Mestre Diogo Reimen, cartographe royal, apprend avec stupéfaction le vol de ce planisphère, copie fidèle du Padrào real, la carte officiellesur laquelle sont notées les dernières découvertes relevées par les marins à la solde du royaume.
Car en cette époque des Grandes Découvertes, dix ans seulement après le premier voyage de Colomb, les informations géographiques contenues sur ces cartes excitent maintes convoitises.
Les nouvelles routes navigables permettant d'atteindre les Indes orientales d'une part et le nouveau continent américain d'autre part, sont à l'époque de véritables secrets d'état : qui détient ces informations détient le pouvoir et la possibilité d'ouvrir des comptoirs commerciaux, d'établir des colonies et, à terme, d'établir un empire au delà des mers.
Le Portugal, à cette époque, ne souhaite pas assister passivement à l'expansion de la puissance du royaume d'Espagne qui, grâce aux découvertes de Colomb, va pouvoir étendre son empire au delà de l'Atlantique. En 1500, c'est Pedro Alvares Cabral, commandité par le royaume du Portugal, qui découvre le Brésil. Vasco de Gama va également ouvrir une nouvelle route commerciale qui va permettre aux portugais, en contournant le continent africain, de commercer avec l'Inde et ainsi de pouvoir s'émanciper de la mainmise des Vénitiens et des Turcs sur l'ancienne route commerciale empruntant la Méditerranée et l'Asie centrale.
Qui a bien pu mettre la main sur le planisphère ? s'interroge le cartographe royal. Il s'avère bien difficile de trouver le voleur car à cette époque Lisbonne fourmille d'espions à la solde de toutes les puissances européennes : l'Espagne, la France, l 'Angleterre, le Saint-Empire, la Papauté, Gênes, Venise, et autres républiques et principautés d'Italie, ainsi que les ligues commerciales flamandes et allemandes, etc...
Commence alors une véritable enquête policière menée parallèlement par l'inquétant Luis Boccanegra, homme de confiance du roi, adjoint du gouverneur en chef de la ville de Lisbonne et chargé de la lutte contre l'espionnage, ainsi que par un certain gentilhomme, envoyé du Duc de Ferrare Hercule d'Este : Alberto Cantino.
Qui a dérobé cette précieuse carte ? C'est la question qui va se répéter plusieurs fois au cours des siècles et qui va permettre au lecteur de suivre les péripéties auxquelles sera confronté ce document jusqu'en 1997, date à laquelle se situe le dernier épisode en date des aventures du portulan du roi Manuel.
De Lisbonne à Ferrare puis à Modène, de l'époque des Grandes Découvertes aux dernières années du XXe siècle en passant par l'Italie insurgée de Cavour et de Garibaldi, Gérard Vindt nous invite à suivre les aventures et les vicissitudes du planisphère de Cantino. Il nous offre un récit haut en couleurs et plein de rebondissements, une histoire où se mêlent la fantaisie et l'érudition, l'exactitude historique et la fiction romanesque.
Il est cependant dommage que le récit s'arrête de manière aussi abrupte, laissant le lecteur sur sa faim. Ecrit comme un véritable polar, ce livre se dévore page après page et l'ensemble du récit, mené de main de maître dans toute la partie qui s'étend entre les XVIe et XIXe siècles, semble tout à coup s'essouffler dans une intrigue contemporaine aux personnages banals et stéréotypés tentant de résoudre une énigme qui ne semble passionner qu'eux-mêmes. Cette dernière partie n'apporte, à mon humble avis, rien du tout au récit et ne fait que ternir l'impression générale que l'on peut retirer de ce roman.
Il est regrettable que ce récit, si riche au départ, doté d'un sujet passionnant et d'une intrigue historico-romanesque de haut vol, puisse ainsi s'essouffler et se fourvoyer dans un ultime chapitre au parfum de superflu et d'inachevé.
En refermant ce livre, je me suis pris à rêver que cet ouvrage n'était que l'ébauche d'un beau et grand roman que nous écrirait Gérard Vindt. Il y a dans ce récit matière à écrire un livre remarquable, érudit et passionnant de bout en bout. Peut-être qu'un jour ce rêve se réalisera.
Le Planisphère de Cantino (1502)
Biblioteca Estense. Modene (Italie)
Commentaires
L'inverse arrive plus rarement mais cela se produit tt de même, j'ai lu récemment un polar vraiment très moyen dont la fin originale et inventive m'a heureusement surprise. Que faut-il préféré? je me suis tout de même ennuyée pendant des heures, avant ...
Je profite de cette rectif pour vous féliciter pour cette note: c'est bien de ne pas trouver que des éloges mais de vraies critiques étayées et fondées.. Ah ce n'est pas souvent le cas dans les magazines où la brosse à reluire est plus de mise que l'honnêteté :)!