Un goût d'Orient


"ASSAM" Gérard de Cortanze. Roman. Albin Michel 2002.





En cette année 1796, le petit royaume italien de Piémont-Sardaigne est aux abois. Voici qu'à ses frontières se masse une armée ennemie qui s'apprête à envahir le territoire. Cette armée, c'est l'armée française, dirigée par un certain général Buonaparte, armée dont le but est de propager les idéaux de la Révolution française à l'étranger et d'abattre les monarchies qui règnent sur l'Europe.
Pour le jeune Aventino Roero, marquis de Cortanze, c'en est fini du temps de l'insouciance. Il va falloir prendre les armes.
Alors que les nuages s'amoncellent sur le royaume de Victor-Amédée III, farouchement déterminé à résister à l'envahisseur français, Aventino se rend à Gênes où il a pour habitude de fréquenter le casino Santa Margherita, luxueuse maison de passe où le jeune marquis aime à dîner et passer la nuit en compagnie de ses amis et de sa maîtresse, la jeune Maria Galante.
C'est là, entourés de jolies femmes, que les amis d'Aventino et autres habitués du casino s'entretiennent de la politique,des évènements et de l'avenir de l'Italie. Un prêtre français émigré, un baron autrichien, ancien ministre plénipotentiaire échappé de peu à la fureur de 1789 et depuis lors ennemi acharné de la Révolution, un scientifique d'ascendance hébraïque, un officier-chirurgien, un pamphlétaire anti-français, un inspecteur de police sournois et opportuniste ainsi qu'un cardinal aux moeurs épicuriennes, composent ce cercle.

Un autre membre de cette compagnie vient quelquefois leur tenir compagnie quand il n'est pas en voyage à l'autre bout du monde, le génois Percy Gentile, aventurier et trafiquant d'étoffes exotiques, de thé et d'opium qu'il rapporte de ses voyages en Asie.
Cet homme, brutal et raffiné, passionné par l'Asie et par la culture du thé va exercer sur Aventino une influence grandissante au cours de cette période où tout semble s'effondrer et où le monde qui a vu naître le jeune marquis est sur le point de disparaître. Peu à peu, il lui fait découvrir la magie du thé , la sérénité qui semble se dégager de ce breuvage, l'aspect quasi-mystique de la dégustation de cette boisson :


« Il expliquait pourquoi l'eau devait « sourire », c'est à dire être frémissante. Ses bulles ressemblaient alors à des yeux de poisson, ou à des perles de cristal qui glissent dans une fontaine, ou à des vagues jaillissantes. Il parla du choix de la théière, en terre cuite, de préférence, afin que le dépôt tannique formé au cours des années exalte les saveurs des infusions. Il dit que la théière avait une mémoire et un être harmonique. Il dit aussi que le choix d'une bonne eau était primordial, que celle-ci devait jaillir de la montagne sur des rochers sans mousse ni végétation, qu'il était inutile de remuer le thé, et que les gouttes versées par inadvertance sur la nappe ne signifiaient nullement que le geste était malheureux, bien au contraire : « Ces gouttes sont la part de la terre, la part qui lui revient. »


Le thé apportera ainsi du réconfort à Aventino quand, blessé après avoir combattu les troupes françaises lors de sanglants combats, il ne pourra que constater la victoire écrasante des envahisseurs ainsi que le pillage et la confiscation des oeuvres d'art du patrimoine italien, pillage orchestré par un certain Vivant Denon. Désabusé, n'ayant plus comme choix pour aider à la libération de son pays du joug français que de s'allier aux autrichiens, maîtres du milanais, et ainsi échanger un oppresseur contre un autre, ayant vu certains de ses amis tourner casaque et devenir complices des envahisseurs bonapartistes, Aventino va s'embarquer en compagnie de Gentile sur un vaisseau qui les conduira en Inde, vers la mystérieuse province d'Assam où ils tenteront d'acclimater, de cultiver, puis d'exporter du thé.
Ce voyage sera pour le jeune marquis de Cortanze l'occasion de découvrir des aspects jusque là inconnus de sa personnalité et, par là même, de comprendre et élucider certains mystères qui gravitent autour de lui. De retour en Italie après plusieurs années, il redécouvrira un pays à genoux, humilié par un conquérant devenu empereur, un despote tyrannique et mégalomane dont l'emprise sur l'Europe commence petit à petit à s'effriter et laisse apparaître au grand jour ses chairs putréfiées par la médiocrité, le lucre et le népotisme.
C'est en parcourant ce pays en lambeaux, en retrouvant un à un tous ses anciens compagnons du passé qu'il finira par faire toute la lumière sur certains éléments troublants de sa vie, dompter ses démons intérieurs et trouver ainsi sa rédemption ainsi que la sérénité qui l'accompagne.


Roman historique, roman d'aventures mais aussi quête du soi et quête de l'autre, « Assam » de Gérard de Cortanze, est un ouvrage passionnant qui, des sanglantes batailles napoléoniennes aux inextricables forêts de l'Inde peuplées de tigres, nous entraîne dans un tourbillon coloré et sensuel, où le raffinement et l'horreur se côtoient à tout moment, où l'irrationnel et le fantastique se juxtaposent à la réalité historique pour donner naissance à un récit puissant au souffle épique.
Mais, pour décrire ce livre, comment trouver mieux que ces quelques mots d'Yves Viollier à propos d' « Assam » ? :


« Une aventure qu'on dirait écrite par un Stendhal, parfois un Tolstoï qui aurait vu Les aventuriers de l'Arche perdue. »


« Assam » a reçu le Prix Renaudot 2002.

Commentaires

Marie302 a dit…
Merci pour ces lignes qui vont peut-être me décider à attaquer ce pavé, acheté à sa sortie et qui m'attend toujours sagement dans ma bibliothèque...
Anonyme a dit…
Ca y est, ultra-motivée par ta critique, je viens de mettre la main dessus!
Des nouvelles très bientôt!

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