Le 5e Prix des Lecteurs du Télégramme # 7


"Le Marchand de Passés" José Eduardo Agualusa . Roman. Editions Métailié, 2006.
Traduit du portugais ( Angola) par Cécile Lombard.


Félix Ventura est bouquiniste à Luanda, capitale de l'Angola. Albinos, enfant trouvé dans un carton de livres, il exerce une bien curieuse activité en ce pays ravagé par tant de guerres civiles : il invente des passés à ses riches clients. Ceux-ci, hommes politiques et nouveaux riches, généraux et chefs d'industries, pour la plupart surgis du néant, cherchent à se créer un passé fait d'ancêtres prestigieux et de souvenirs glorieux.

Pour cela, Félix Ventura, à l'aide de photos et de documents anciens récupérés lors de ventes à l'étranger, construit habilement des généalogies crédibles et flatteuses pour ses commanditaires.


L'arrivée d'un nouveau client, un étranger au mystérieux passé qui souhaite obtenir une identité angolaise, va bouleverser la lucrative activité de félix Ventura.

L'homme, que Ventura baptisera José Buchmann, est un blanc et se dit reporter-photographe. Ses clichés ont essentiellement pour sujets les scènes de guerre, de catastrophes naturelles et tous ces évenements tragiques qui font la une des journaux.
Ventura, dont l'imagination est rarement à court, imaginera des origines sud-africaines et américaines à José Buchmann.


Félix Ventura fera en même temps la connaissance d' Angela Lùcia, une jeune femme troublante, photographe elle aussi, mais dont les clichés sont, à l'opposé de ceux de Buchmann, consacrés à la beauté, aux variations de la lumière dans différentes parties du monde :


« Elle a dit qu'elle était capable de reconnaître certains endroits du monde simplement à leur lumière. A Lisbonne, la lumière, à la fin du printemps, se penche, hallucinée, sur les maisons, elle est blanche et humide, un peu salée. A Rio de Janeiro, en cette saison que les Cariocas appellent intuitivement automne et dont les européens affirment avec dédain qu'elle est purement imaginaire, la lumière se fait plus douce, comme un chatoiement de soie, accompagnée quelquefois d'une cendre humide qui recouvre les rues et descend ensuite lentement, tristement, sur les places et les jardins. Dans les champs inondés du Pantanal du Mato Grosso, le matin très tôt, les aras bleus traversent le ciel en secouant de leurs ailes une radieuse lumière alanguie, qui se pose peuà peu sur les eaux, augmente et se propage, semble chanter. Dans la forêt de Taman Negara, en Malaisie, la lumière est une matière fluide, qui colle à la peau et à un goût et une odeur. A Goa, elle est bruyante et râpeuse. A Berlin le soleil rit sans cesse, du moins dès qu'il parvient à percer les nuages comme sur ces autocollants écologistes contre l'énergie nucléaire. Même sous les cieux les plus improbables, Angela Lùcia avait découvert des luminosités qui méritaient d'être sauvées de l'oubli; avant d'avoir visité les pays scandinaves elle pensait que là-bas, pendant les mois éternels de l'hiver, la lumière était pure conjecture. Mais non, les nuages s'embrasaient parfois de larges clartés d'espoir. »


Entre Félix Ventura, José Buchmann et Angela Lùcia, des liens vont peu à peu se créer. Leurs passés respectifs, qu'ils soient réels ou inventés de toutes pièces, vont bientôt s'entremêler et les entraîner vers un destin commun qui réveillera les vieux démons de la guerre civile et de l'histoire tourmentée de l'Angola d'après l'indépendance.

Sous les yeux d'Eulàlio, le gecko domestique qui rêve au plafond et se remémore ses vies antérieures va s'enfler et éclater le drame qui couve entre les trois protagonistes du récit. Narrateur imprévu, Eulàlio le lézard se fera le conteur et le témoin de ces personnages en quête de mémoire.


Conte moderne, satire de la société angolaise, oeuvre poétique, réflexion sur la mémoire et l'identité, hommage à la littérature aussi, et au pouvoir des mots, « Le Marchand de passés » est un roman qui, par certains aspects rappellera les oeuvres de Garcia Marquez, et qui, par son propos nous offre, sous le voile de la poésie et de l'irrationnel, le portrait d'un pays qui n'en a pas encore terminé avec un passé sombre, tourmenté et douloureux.

Commentaires

Marie302 a dit…
Le début, quand vous exposez l'intrigue, m'a évoqué l'argument des "Falsificateurs" d'Antoine Bello sorti très récemment et puis non quand on lit cet extraordinaire extrait que vous nous donnez on comprend que c'est tout à fait différent et dans l'esprit et dans le style. Très tentée j'avoue... Merci bravo pour cette belle note.
Anonyme a dit…
Après celui de Moustafette et celui de Katell, je viens de lire ton avis et je suis séduite. La question de la recherche d'identité m'intéresse beaucoup. Voilà, c'est noté !
menina a dit…
Merci de votre article; puis-je me permettre de vous rappeler que chaque fois qu'un livre est cité,à côté du nom de l'auteur doit figurer celui du traducteur, qui est considéré comme l'auteur du texte français. (Le passage que vous citez en français n'a pas été écrit par José Eduardo Agualusa)
Cordialement,
Cécile Lombard, traductrice.
BOUALI Pascal a dit…
Merci Menina pour cette mise au point. J'espère que vous considérerez cette omission de ma part comme la conséquence de mon amateurisme.Je ne suis qu'un modeste amateur de lecture et ne maîtrise pas toutes les arcanes de la création littéraire et de la traduction de textes étrangers. Je vais donc remédier à cette erreur et ferai en sorte, dorénavant, de citer le nom du traducteur ou de la traductrice dans le cas de romans étrangers. Je vous demande juste un peu de patience car il me faudra à cet effet revenir sur de nombreux romans que j'ai chroniqués depuis décembre 2006. De plus, certains de ces romans, dont celui-ci, ont été empruntés dans une bibliothèque publique et je ne les ai pas actuellement sous la main afin de corriger cette erreur. Veuillez m'en excuser.
BOUALI Pascal a dit…
Voilà qui est fait pour ce roman. Je vais m'employer dès que possible à rectifier cette omission en ce qui concerne les autres romans étrangers cités sur ce blog. Merci pour cette remarque positive.

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