Ni pute, ni soumise...
"LILITH" Reza Baraheni. fiction. FAYARD, 2007
Traduit du persan par Clément Marzieh.
Elle s'appelle Lilith. Elle est la première compagne d'Adam, née de l'argile comme lui et non sortie de la côte de l'homme comme Eve qui lui succèdera. Chassée du paradis parce que refusant de se soumettre à la domination du mâle, Lilith est l'image même de la femme qui foule aux pieds la prétendue supériorité masculine. Elle a de ce fait été effacée de la version officielle de la Genese et refoulée avec les démons, incubes et succubes qui peuplent la nuit. On en a fait l'épouse de Lucifer afin d'enfoncer le clou encore plus profondément et d'éradiquer ainsi pour des siècles le symbole d'une féminité indépendante et insoumise au patriarcat.
Lilith serait en fait le souvenir d'une époque, que l'on situe au néolithique, où les sociétés matriarcales auraient été renversées par la gent masculine qui aurait ainsi usurpé un pouvoir qui ne lui était pas destiné et aurait perverti celui-ci en baîllonnant pour des millénaires celles qui jusqu'alors étaient respectées dans leurs opinions et leurs actes, libres de leurs choix et non inféodées à une domination brutale et barbare.
« Je ne suis pas dans les livres. Je ne suis pas dans les spectacles. Ma langue n'est jamais la leur. Je suis dans l'absence de signes. Je suis dans les statuettes tombées sur le flanc, dans les ruines où les vents du désert entassent la poussière des millénaires durant. Je vis dans les déserts perdus où la tempête aveugle les caravanes, et c'est moi qu'on accuse. Je vis dans les recoins isolés et puants où stagne à ciel ouvert l'eau putride des fosses d'aisance, dans les forêts reculées et desséchées, dans les marécages pleins de serpents et d'insectes venimeux, dans les coïts où chacun des amants suce le sang de l'autre, dans les maladies que les nouveau-nés héritent de leurs parents, dans les crises et les attaques qui s'emparent des hommes en prise avec le froid ou la fièvre. On m'identifie à tout cela. Mes beautés usurpées, des imposteurs les transcrivent sous leur nom. Tous se moquent de savoir ce que je pense, et donc que je suis autre. »
Cette oeuvre est l'adaptation pour le théâtre, d'un texte de l'auteur non encore traduit en français. Cette écriture théâtrale, si elle s'avère riche en métaphores, d'une écriture remarquable, puissante et parfois d'une violence insoutenable, m'a semblé parfois, je l'avoue, quelque peu hermétique, voire incompréhensible à mon esprit d'occidental peu familier de l'histoire et de la culture persane ainsi que du symbolisme musulman. M'a gêné aussi ce côté « théâtre d'avant-garde », avec cette utilisation systématique de redondances, ce manque de repères temporels, ce monologue qui saute incessamment du coq à l'âne sans laisser de répit au lecteur ou à l'auditeur. Gêné aussi par cette débauche de mots crus et de violence qui, certes, retranscrivent de manière traumatisante les violences et les outrages faits aux femmes depuis la nuit des temps mais dont l'abus confine à l'écoeurement.
Reza Baraheni, iranien exilé depuis de longues années, avant même l'instauration de la république islamique d'Iran, n' épargne pas notre sensibilité d'occidentaux quand il nous emmène dans les geôles où exercent les Gardiens de la Révolution :
« Sous la requête de fatwa, il est écrit : « Procéder au dépucelage, puis exécuter la peine légale. » Et c'est signé par l'autorité religieuse. »Je dis : « Très bien, baisse ton pistolet. J'ai changé d'avis. Je veux agir exactement comme une fille de treize ans. Je veux que tu me violes. » Il baisse son pistolet, se ragaillardit et dit : « Je ne suis pas un violeur. Tu seras mon épouse légitime. Et tout le monde couche avec son épouse. » Je demande : « Combien d'épouses légitimes as-tu eu aujourd'hui ? » Il dit : « Tu ne seras pas tout à fait une épouse légitime, plutôt une sigheh (Sigheh : Mariage provisoire, dit à terme ou à durée déterminée de quelques heures à quelques années), autorisé par la loi musulmane chiite). Un homme peut en posséder autant qu'il veut. » Je dis : « Tue-moi. Tu prendras ma virginité après. Vous ne baisez que des mortes. Vos cérémonies de mariage sont des enterrements. Se livrer à l'homme, c'est s'abandonner à la mort. C'est s'allonger. Pas vrai ? » Il dit : « Le juge a ordonné : d'abord le dépucelage, ensuite la mort. Moi, j'exécute la loi sacrée à la lettre. » Je demande : « Dis-moi, pourquoi l'hymen a-t-il autant d'importance ? Dans l'autre monde quelqu'un va-t-il mettre un doigt en moi pour vérifier que je suis vierge ou femme ? L'autre monde est-il un théâtre où se lève le rideau de mon hymen ? » il répond : «Ca ne me concerne pas, tout ça. La sentence de l'autorité religieuse fait office de loi. Il n'y a pas à tergiverser. Je ne suis pas responsable. » Je demande : « Quel âge as-tu ? » Il répond : « Cinquante-six. » Je dis : « A cinquante-six ans tu n'es pas responsable quand tu prends, dans un même après-midi, le pucelage de trois jeunes filles ? Confie-moi à un garçon de dix-huit ans pour qu'au moins, au seuil de la mort, je connaisse le plaisir ! Ca ne serait pas récompensé au Jugement dernier, ça ? » Il dit : « Au seuil de la mort, je préfère que ce soit moi qui prenne du plaisir. Tu connais ton crime ? Tu as refusé de te coucher sous Adadam. » je dis : « Comment sais-tu que tu vas bientôt mourir ? » Il répond : « Je fais un métier difficile. Y a pas de débouchés. Je donne de ma personne, je me sacrifie. C'est de l'abnégation. » je dis : « Et si je tombe enceinte ? » Il éclate de rire : « Tu accoucheras dans l'autre monde ! »
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