Memento Mori
"Dans la nuit Mozambique" Laurent Gaudé. Nouvelles. ACTES SUD, 2007
Cet ouvrage se compose de quatre récits composés par Laurent Gaudé entre 1998 et 2007. Ecrites en parallèle de son oeuvre romanesque, dont « La mort du Roi Tsongor » et « Le soleil des Scorta » sont les plus emblématiques, on retrouve au sein de ces quatre histoires les thèmes et les atmosphères si caractéristiques de son imaginaire.
« Sang négrier », le premier de ces récits se situe à l'époque du commerce des esclaves. Un vaisseau négrier, après avoir chargé sa cargaison de bois d'ébène, se voit contraint, suite à la mort de son capitaine, de se dérouter et de remonter sur Saint-Malo afin d'ensevelir celui-ci auprès des siens.
Mais cinq esclaves réussissent à s'échapper et à disparaître dans la ville. L'équipage, aidé de la population locale, va se lancer alors dans une chasse à l'homme d'une violence inouïe. Mais ce déchaînement de sauvagerie se retournera bientôt contre eux et le jugement sera sans appel.
« Gramercy Park Hotel » nous emmène dans le New-York contemporain où un vieil homme, Moshe, est pris à partie et frappé par trois jeunes voyous. Suite à cette agression, et après être sorti de l'hopital, il va se rendre au Gramercy Park Hotel, là où il vécut l'un des plus beaux moments de son existence. Il va alors se remémorer les années de sa jeunesse alors que, jeune poète sans le sou, il partageait sa vie avec Ella, l'amour de sa vie. Mais helas! la vie de bohême n'est pas aussi poétique et exaltante que celle décrite dans les chansons de variétés.
« Le colonel Barbaque » nous entraîne sur les flots du fleuve Niger. Un ancien combattant des tranchées de 14-18 raconte la longue et sanglante errance qui l'a mené au coeur de l'Afrique et qui a fait de lui « Le colonel Barbaque », une sorte de dieu de la Guerre pour les populations locales déterminées à se soustraire du joug des colons français.
« Dans la nuit Mozambique » nous fait pénétrer au coeur d'un cercle de quatre amis qui ont pour habitude de se réunir dans un petit restaurant de Lisbonne. Là, trois anciens élèves de l'école de la marine, ainsi que le patron du restaurant, tous quatre arrivés au seuil de la vieillesse, aiment à partager anecdotes et histoires tirées de leurs voyages. Mais qu'est-il arrivé au commandant Manuel Passeo qui avait commencé à leur conter une histoire survenue dans la nuit Mozambique, une histoire parlant d'une fille de Tigirka ?
Les quatre récits qui composent ce livre nous parlent tous de la mort et de son emprise sur les hommes. Qu'elle soit subie ou qu'elle soit ardemment désirée, elle suit tout un chacun, apportant l'effroi, la résignation ou la libération.
La violence y est aussi une constante, violence dont les causes restent souvent inexplicables, violence inhérente à l'espèce humaine et transcendant époques, frontières et cultures. Les personnages de ce livre, bien que d'univers et d'époques différentes sont tous – comme tout être humain a été, est ou sera un jour – confrontés à la mort et à la violence. Chacun réagira à sa manière devant l'inéluctable.
Ces thèmes universels, Laurent Gaudé les exploite avec un talent et une virtuosité qui ne sont pas sans rappeler des auteurs tels que Conrad ou Melville, auteurs dont certains personnages emblématiques sont devenus des archétypes de l'homme en lutte contre les forces de destruction qui les animent, tels Kurz dans « Au coeur des ténèbres » ou le Capitaine Achab de « Moby Dick ». D'ailleurs, le colonel Barbaque ne serait-il pas un avatar de Kurz ? Et ne peut-on s'empêcher, en lisant « Sang négrier » de penser au « Benito Cereno » de Melville ? En cela, Laurent Gaudé, par l'universalité des thèmes dont il traîte, est un auteur qui parle au plus grand nombre et nous offre, en plus d'une exploration des méandres de l'âme humaine, de formidables échappées dans l'espace et dans le temps.
D'autre avis sur Le blog des Livres, Biblioblog, Ephémerveille, Chatperlipopette et Les lectures de Sole.
Commentaires
Quant au recueil de Laurent Gaudé, je l'ai lu suite au billet de Dda et je suis bien d'accord avec toi : c'est une petite merveille.
A bientôt.
Bernard : Un grand merci pour le lien et les compliments. Mais je m'aperçois que cet ouvrage de Laurent Gaudé n'est pas le seul que nous ayons en commun ; je vois que nous avons tous deux lu "Un roman russe", "L'élégance du hérisson" ainsi que "Les bienveillantes". Nous avons donc quatre romans "en commun" à notre actif. :-)
A très bientôt donc.
Je reviendrai très régulièrement te rendre visite...
D'ailleurs, je partage ton avis concernant ce Gaudé.
À bientôt !
Au plaisir de te lire et à bientôt.
http://www.blogculturel.com/article-6981273.html
Probablement du comme le faisait remarque Agnes au décalage entre els écrits ...
Eh bien, que dire ? Merci pour ton commentaire et pour ton lien dans tes favoris. Ca me touche beaucoup.
A très bientôt !
J'ai particulièrement aimé tes références à d'autres romans. Surtout à Conrad. Il y a des résonances avec le colonel Barbaque notamment auxquelles je n'avais pas pensé. Merci!!