Le Fléau de Dieu






ATTILA. Eric Deschodt. Biographie. Gallimard 2006.


"Les Huns dépassent en férocité et en barbarie tout ce qu'on peut imaginer. Ils labourent de cicatrices les joues de leurs enfants pour empêcher la barbe de pousser. Leur corps trapu avec des membres supérieurs énormes et une tête démesurément grosse leur donne un aspect monstrueux. Ils vivent d'ailleurs comme des animaux. Ils ne font cuire ni n'assaisonnent leurs aliments, vivent de racines sauvages et de viande mortifiée sous leur selle. Ils ignorent l'usage de la charrue, les habitations sédentaires, maisons ou cabanes. Eternellement nomades, ils sont rompus dès l'enfance au froid, à la faim, à la soif. Leurs troupeaux les suivent dans leurs migrations, traînant des chariots où leur famille est renfermée. C'est là que leurs femmes filent et cousent leurs vêtements, enfantent et élèvent leurs enfants jusqu'à la puberté. Demandez à ces hommes d'où ils viennent, où ils sont nés, ils l'ignorent. Leur habillement consiste en une tunique de lin et une casaque de peaux de rats cousues ensemble. La tunique, de couleur sombre, leur pourrit sur le corps. Ils ne la changent que parce qu'elle les quitte. Un casque ou un bonnet rejeté en arrière et des peaux de bouc roulées autour de leurs jambes velues complètent cet équipage. Leur chaussure taillée sans forme ni mesure, ne leur permet pas de marcher; aussi sont-ils tout à fait impropres à combattre comme fantassins, tandis qu'une fois en selle, on les dirait cloués sur leurs petits chevaux, laids mais infatigables et rapides comme l'éclair. C'est à cheval qu'ils passent leur vie, tantôt à califourchon, tantôt assis de côté à la manière des femmes. Ils y tiennent leurs assemblées, ils y achètent et vendent, y boivent et mangent, ils y dorment même, inclinés sur le cou de leurs montures. Dans les batailles ils fondent sur l'ennemi en poussant des cris affreux. Trouvent-ils de la résistance, ils se dispersent, mais pour revenir avec la même rapidité, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontre sur leur passage. Toutefois ils ne savent ni escalader une place forte ni assaillir un camp retranché, mais rien n'égale l'adresse avec laquelle ils lancent, à des distances prodigieuses, leurs flèches armées d'un os pointu, aussi dur et meurtrier que le fer."

C'est par ces mots qu'Ammien Marcellin, historien romain du IVè siècle décrit, dans ses Histoires, le peuple des Huns. Cette vision terrible, effrayante, perdurera jusqu'à nos jours, et qui ne se souvient des images des manuels scolaires de notre enfance dépeignant ces peuplades barbares déferlant sur l'Europe ? Qui ne se souvient du miracle de Sainte-Geneviève stoppant la horde sauvage du Fléau de Dieu aux portes de Paris ? Les Huns sont, à ce titre, restés dans l'imaginaire collectif, au même titre que les Vikings, l'archétype du barbare sanguinaire, païen et bestial, un être qui, par la terreur et l'aversion qu'il inspire, se rapprocherait plus de l'animal que de l'être humain.
Qu'en est-il en réalité ? Que furent les Huns ? Et qui était le tout premier d'entre eux, leur empereur, Attila?

C'est à ces questions que répond Eric Deschodt dans cette biographie qui met à bas nombre d'idées reçues et fait la lumière sur certains aspects de la personnalité de l'un des plus grands conquérants qu'ait connue l'histoire humaine.

Les Huns, tout d'abord, n'apparaissent pas spontanément au Vè siècle de notre ère, comme sortis du néant ou d'un enfer qui les aurait vomis afin de punir pour leurs péchés les empires chrétiens romains d'orient et d'occident, Constantinople et Rome.
Ils apparaissent pour la première fois dans les écrits chinois au cours du IIIè siècle avant J.C. Cavaliers nomades d'origine turco-mongole connus sous le nom de Hiong-Nou ( Xiongnu) ils sont originaires des steppes de l'Asie, entre Sibérie, Tibet, Fleuve Jaune, Altaï et Pacifique. C'est la Chine qui la première attirera leur convoitise et la célèbre Grande Muraille sera édifiée afin de parer à leurs sanglantes incursions. Peine perdue, celle-ci n'empêchera pas les hordes d'envahir les provinces septentrionales de l'empire. Mais des dissenssions éclatent et le peuple Hun se divise en deux parties, les Huns du Nord qui deviendront bientôt sujets de l'empire chinois, et les Huns de l'Ouest, ou Huns noirs, qui s'établissent dans les steppes du Kazakhstan.

Au début du IVè siècle, après trois cents ans de calme relatif, les peuples Huns se remettent en mouvement. Les Huns du Nord s'emparent de toute la Chine septentrionale et les Huns de l'Ouest se dirigent vers l'occident et atteignent le Danube. Dans leur progression, ils repoussent devant eux les Alains, les Ostrogoths et les Wisigoths qui vont forcer les frontières de l'empire romain d'orient.
C'est en l'an 395 que naît Attila, au coeur de l'Europe dans ce qui est la Hongrie actuelle. Son père Mundzuk est l'un des quatre fils du « roi » Turdal. Il meurt en 401 et le jeune Attila est confié à son oncle Roas. Il apprend, comme tout enfant nomade, à chevaucher, à chasser, à combattre, mais aussi à lire, à écrire, et à compter. Il pratique le grec et le latin et est avide de connaissances. Quel contraste avec l'image traditionnelle du barbare inculte et grossier !
Roas cherche à s'attirer les bonnes grâces de l'empire romain et plus particulièrement de l'empereur d'occident Honorius. A cet effet, et pour convaincre l'empereur de sa bonne volonté, il propose à celui-ci de lui envoyer un observateur qui, reçu à la cour des huns, pourra juger de leurs bienveillantes intentions. C'est un jeune homme d'une quinzaine d'années qui sera désigné, un jeune noble, probablement né en Pannonie, Flavius Aetius. Quand il arrive en 405 à la cour des Huns il se lie immédiatement d'amitié avec le jeune Attila.

L'empereur d'orient Arcadius décédé, lui succède Théodose II auquel Aetius réussit à convaincre Roas de s'allier. Roas est nommé général romain. En ces temps troublés, il est préférable pour l'empire de se concilier des alliés puissants afin de maîtriser, et de dresser les unes contre les autres, toutes ces peuplades qui franchissent les frontières et dépecent peu à peu l'héritage de la Rome d'Auguste : « Alains, Alamans, Angles, Avars, Burgondes, Francs, Germains, Hérules, Jutes, Lombards, Ostrogoths, Saxons, Suèves, Vandales et Wisigoths... »

Aetius repartit pour Rome où Attila le rejoignit en 408 à la cour d'Honorius. Il y resta quatre années au cours desquelles il put, entre Rome et Ravenne, apprendre les mécanismes de l'empire, son organisation, mais aussi son atmosphère de décadence et de corruption. Puis Attila est rappelé auprès de son oncle qui fait de lui son homme de confiance et son héritier.
Jusqu'à ce qu'il atteigne une quarantaine d'années, Attila ne cesse de faire des allers-retours entre Danube , Caucase et Chine du Nord où il s'évertue à rassembler et fédérer les tribus hunniques éparses ainsi qu'à se trouver de nouveaux alliés : Roxolans, Sarmates et Akatzires.
A son retour, il constate le double-jeu que mènent les empereurs romains d'occident et surtout d'orient qui se sont appliqués pendant son absence à corrompre et à suborner les tribus de la fédération danubienne. Roas somme Constantinople de s'expliquer. Deux ambassadeurs romains sont envoyés en 435 à la cour des huns afin de négocier avec Roas mais quand ils arrivent celui-ci est mort et c'est Attila, qui s'est autoproclamé « empereur, roi des Huns » qui les reçoit. A ses côtés, ses deux fidèles conseillers, Oreste, transfuge romain d'origine pannonienne et le Grec Onégèse. A l'issue des négociations, l'empire d'orient se voit contraint, par le Traîté de Margus, à verser tribut aux Huns.
Les Huns prêtent leur concours à l'empire d'occident à la demande d'Aetius qu'ils aident à combattre les Burgondes, les Wisigoths et les bagaudes gaulois.

Mais Théodose de son côté continue en sous-main à tenter de corrompre les tribus et d'affaiblir la puissance hunnique.Le Traîté de Margus ayant été foulé aux pieds, Attila envahit l'empire romain d'orient et arrive en 447 sous les murs de Constantinople. Alors qu'il tient dans sa main le destin de l'empire d'orient, il décide, inexplicablement de faire marche arrière et de renoncer à prendre la ville.

Cette étrange décision, il la réitérera par deux fois, devant Paris en 450 et devant Rome en 452. Après avoir une nouvelle fois humilié l'empire d'orient, c'est à l'empire romain d'occident qu'Attila va se confronter. Car désormais le torchon brûle entre les deux anciens amis Aetius et Attila. Ce que le Hun a proposé au romain, c'est ni plus ni moins de faire tous deux main basse sur l'empire bipartite et de se le partager. Aetius refuse, son ambition étant de marier son fils avec la fille du nouvel empereur d'occident, Valentinien III.

Prenant acte de ce refus et ayant échoué dans sa tentative d'épouser Honoria, la turbulente soeur de l'empereur Valentinien, Attila lance ses armées innombrables sur l'Europe de l'Ouest saccageant tout sur son passage. Le nord de la Gaule est envahi, pillé, mis à sac.

Au moment de prendre Paris, Attila fait une nouvelle fois demi-tour.L'explication du miracle de Sainte-Geneviève fera longtemps force de loi mais il semble plutôt que l'empereur des Huns ait voulu se préparer à la confrontation avec Aetius qui s'est allié aux Wisigoths. Pour cela les plaines de Champagne sont idéales au déploiement de la cavalerie hunnique. C'est donc près de Châlons, aux Champs Catalauniques que la bataille va se dérouler. Cette bataille sera la plus gigantesque jamais livrée en Occident jusqu'à la Grande Guerre. Elle fera environ 160 000 morts mais il n'y aura ni vainqueur ni vaincu. Attila se retire du combat encore une fois alors que le rapport de forces est de quatre, voire cinq contre un. Son nouvel objectif : Rome.

Il envahit le Nord de l'Italie. Rome est prête à capituler. Valentinien et ses conseillers décident d'envoyer une ambassade auprès d'Attila afin de négocier. Qui envoyer comme émissaire ? Ce sera le Pape lui-même, Léon 1er, qui rencontrera l'empereur des Huns.

Que se disent-ils au juste durant cette entrevue ? Nul ne le sait. Mais Attila, à la surprise générale, se retire.

Miracle ? Repli stratégique ? Manifestation d'aboulie résultant d'un caractère cyclothymique ? Les hypothèses sont nombreuses. Tout ce que l'on peut affirmer c'est qu'Attila repart sans tarder vers l'Asie afin de mater définitivement les Alains du Caucase et de la Volga qui menacent la partie orientale de son empire.
Il revient enfin sur les bords du Danube où il meurt en Mars 453, probablement d'une crise d'apoplexie hémorragique.

Son empire ne lui survivra pas. Les Huns, conduits par Denghizikh, un de ses fils, sont battus une dernière fois en 468 par les armées de Constantinople.

L'empire romain d'occident survivra encore vingt-trois ans après la mort d'Attila et en 476, le dernier empereur Romulus Augustulus sera déposé par le barbare Odoacre.

Eric Deschodt nous décrit donc un Attila bien peu semblable aux images convenues véhiculées au fil des générations par l'iconographie, la littérature, l'opéra et plus récemment par le cinéma.

Barbare, certes il l'était, mais au même titre que tous les peuples qui n'appartenaient pas à la sphère de la romanité. Sanguinaire ? Oui, mais les moeurs de l'époque ne l'étaient-elles pas ? Les empereurs romains d'orient et d'occident n'étaient pas non plus des apôtres de la non-violence. Rustre ? Attila savait lire, écrire et parler le Grec et le Latin. Quatre siècles plus tard, l'empereur Charlemagne n' atteindra jamais un niveau d'érudition comparable.

Alors pourquoi avoir dépeint pendant si longtemps Attila comme « le Fléau de Dieu », une brute à peine humaine avide de sang ? Peut-être parce qu'il est resté païen toute sa vie. S'il s'était converti au christianisme comme l'a fait plus tard Clovis en 496 ( les Francs n'étaient pas non plus des anges de douceur ), son image en aurait sûrement été radoucie. Car il ne faut pas oublier que les chroniqueurs de l'époque sont en majorité des religieux,des missionnaires de la foi appliqués à propager le christianisme et à éradiquer toute trace de paganisme. De la même manière que les journalistes d'aujourd'hui, ils adorent noircir le tableau et présenter les choses sous leur aspect le plus dramatique. Ils feront de même lors de l'expansion arabo-islamique ainsi que pour les incursions des vikings.

Dans cette passionnante biographie, Eric Deschodt redonne à Attila une figure d'être humain. Il écarte les vieux poncifs et donne enfin une image objective de cet homme et de son peuple, images trop souvent et trop longtemps occultées par le masque des idéologies, qu'elles soient politiques ou religieuses.
Attila n'était qu'un homme de son temps, un homme doté des qualités et des défauts que sa culture et sa personnalité, l'époque à laquelle il a vécu, ainsi que le contexte politico-religieux de celle-ci, ont modelé jusqu'à en faire une des figures les plus saisissantes de notre histoire.




Commentaires

Anonyme a dit…
Et bien,vous avez l'humeur guerrière en ce moment chez les Katell-Biblio !
Le début de ton article ne donne effectivement pas envie de contredire ces messieurs...
Ca semble être un bon essai, et bravo pour ton article.
Anonyme a dit…
A voir le titre de ton article j'ai cru que tu venais de lire la BD de Larcenet... Euh, je crois que je passe sur ce titre, même si ta critique est alléchante !
BOUALI Pascal a dit…
Il faudra absolument que je mette la main sur cette BD de Larcenet.
Anonyme a dit…
miam, j'adore ce genre d'essai... là je viens de m'en acheter un sur les wisigoths mais après... attila me tente bien (en plus c'était mon surnom quand j'était petite alors... une sorte de saint patron paien en somme !)
Marie302 a dit…
Mmh ça me paraît passionnant: tout ce que j'aime! Ah j'ai déjà un rapport aux livres ingérable mais vous aggravez encore mon cas.

Je note l'auteur, le titre mais bon ...est-ce que je vous remercie ;-) ?

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