23, rue du Bosphore
"Le messager d'Alger" José Carlos Llop. Roman. Editions Jacqueline Chambon, 2006
Traduit de l'espagnol par Edmond Raillard.
Carlos Ofila Klein est un homme hanté par le passé. Non seulement le sien, mais aussi celui des autres, de tous ces hommes et ces femmes – des vieillards – qu'il rencontre et qu'il invite à venir raconter leurs souvenirs dans l'émission radiophonique qu'il anime.
« Je suis un interviewer de vieillards. C'est pourquoi mon émission s'appelle La morgue. Parce que j'interviewe des cadavres ambulants. Des gens qui ont vécu dans un monde qui n'existe plus. Un monde que ne survolaient pas les hélicoptères et où les scarabées étaient dans les champs et les jardins, pas sur l'asphalte et les trottoirs comme maintenant. Certains scarabées ont l'air de lourds chars d'assaut s'avançant à travers l'épaisseur d'un bois ; d'autres se déplacent aussi vite qu'une voiture blindée dans le désert. Beaucoup sont piétinés et tombent dans la bataille. Alors leurs élytres chitineux s'ouvrent et ils montrent leurs parties molles, agonisant sur le trottoir jusqu'à ce qu'un autre pied les écrase définitivement. Comme les vieillards de mon émission qui ont pedu leur chitine et leurs élytres et leur carapace et ne vivent que des souvenirs de leurs parties molles : jusqu'au moment où leur propre mémoire, qui réside dans la zone la plus faible de leur cerveau, finit par les écraser. Comme la vie écrase tous ceux qui ne se nourrissent que de leurs souvenirs. Eh bien oui : je suis l'archiviste de ces souvenirs, le mémorialiste d'un monde que je n'ai pas connu, le compilateur d'un monde que je ne me résigne pas à voir disparaître. [...]
J'aime mon travail. J'aime écouter les histoires des autres, les mots des autres quand quand ils me racontent tout ce que je n'ai pas connu. Ils me racontent la vie des autres. J'ai la sensation d'être un homme qui écrit une étrange encyclopédie d'archéologie et de choses mortes tandis que le monde change autour de lui. Un homme qui fixe la vie qui a précédé ces changements qui lui échappent. Parce que, je l'ai déjà, dit, c'est comme si tout ce qui arrive maintenant n'arrivait plus jamais. J'aime mon travail parce que c'est un travail inutile, parce que je sais que c'est un travail qui ne procure aucune richesse à personne ; ni aucun pouvoir. Et c'est un soulagement : savoir que dans le fond je ne travaille que pour moi. »
C'est à l'occasion de l'une de ces émissions qu'il fait la connaissance d'un curieux personnage : un antiquaire du nom de Jorge Baker. Cet homme, Carlos Ofila Klein est persuadé de l'avoir déjà vu il y a de nombreuses années, chez ses grands-parents. Pour lui, il n'y a pas doute, et malgré les dénégations de l'homme, Carlos Ofila Klein sait qu'il a devant-lui celui que sa grand-mère avait surnommé « le messager d'Alger ».
La rencontre – apparemment fortuite – avec cet homme resurgi du passé va pousser l'animateur de radio à replonger dans le passé de sa propre famille, à la recherche de ses parents dont il a perdu la trace, mais aussi à la recherche du passé trouble qui environne la personnalité de son grand-père, Le Dr; Klein.
Mais à trop gratter dans les vestiges du passé, il arrive que celui-ci puisse s'avérer inattendu et fasse remonter à la surface des secrets inavouables.
La rencontre – apparemment fortuite – avec cet homme resurgi du passé va pousser l'animateur de radio à replonger dans le passé de sa propre famille, à la recherche de ses parents dont il a perdu la trace, mais aussi à la recherche du passé trouble qui environne la personnalité de son grand-père, Le Dr; Klein.
Mais à trop gratter dans les vestiges du passé, il arrive que celui-ci puisse s'avérer inattendu et fasse remonter à la surface des secrets inavouables.
Quête de la mémoire, exhumation du passé, le roman de José Carlos Llop nous entraîne au coeur d'une ville méditerranéenne dans un futur immédiat, où les attentats se multiplient à tel point que la démocratie ne semble plus être qu'une vague réminiscence d'un passé si proche mais pourtant si lointain. Devant la menace, les libertés individuelles sont en train de disparaître peu à peu, laissant la place à une société ultra-sécuritaire. Dans ce monde en pleine métamorphose, Carlos Ofila Klein s'accroche au passé, aux souvenirs des uns et des autres afin de renouer avec une époque révolue mais aussi afin d'éclairer les zones d'ombre qui cernent ses propres origines.
Né en 1968 d'un couple engagé dans le mouvement hippie, Carlos va être confié à la garde de ses grands-parents après que son père et sa mère se soient séparés pour d'obscures raisons. Après une petite enfance vécue dans le milieu bohême propre à ces années, l'enfant va se retrouver dans l'appartement du 23 rue du Bosphore, un appartement où règne un silence sépulcral, et dont le maître des lieux – le Dr. Klein – semble avoir assis sa fortune sur des fondations aussi mystérieuses que troublantes.
C'est bien des années plus tard, à l'âge de quarante-deux ans, que Carlos Orfila Klein va retrouver des traces de ses parents ainsi que des indices sur l'inavouable passé de son grand-père. Mais pour cela, il devra percer à jour l'étrange et inquiétante personnalité de Jorge Baker, « le messager d'Alger ».
Le roman de José Carlos Llop nous offre un récit poétique aux phrases envoûtantes, une narration parsemée d'allusions culturelles et historiques, rythmée par les grands succès musicaux des années 70 chantés, entre autres, par Neil Young, Bob Dylan, Buffalo Springfield et les Pink Floyd. Il nous invite à une réflexion sur la fascination qu'exerce le passé sur ceux dont les origines ont été occultées pour diverses raisons : familiales, politiques, idéologiques...
C'est un roman passionnant, vaguement inquiétant de par ses allusions à un futur proche qui ressemble déjà étrangement à notre présent, un roman dont je ne peux déplorer que le fait qu'il ne fut pas plus long. En effet, José Carlos Llop nous mène sur des pistes qu'il ne fait qu'ébaucher et dont le lecteur avide que je suis aurait voulu qu'elles fussent plus fouillées. De nombreux éléments présents dans ce récit mériteraient à eux seuls un roman à part entière. Il est dommage que l'auteur nous laisse ici sur notre faim ; à moins que son but ait été de nous laisser imaginer les différentes ramifications de son récit.
Toujours est-il que je suis ressorti de la lecture de ce récit avec beaucoup de plaisir mais aussi avec un vague sentiment d'insatisfaction face à ces allusions historiques et romanesques foisonnantes qui, hélas! M'ont laissé sur ma faim. Dommage ! Mais il n'empêche que José Carlos Llop est un auteur dont je découvrirais avec grand plaisir d'autres oeuvres telles que « Le rapport Stein » et « Parle-moi du troisième homme ».
Merci à Kenavo du Forum littéraire "Parfum de livres...Parfum d'ailleurs" qui m'a fait découvrir ce roman et cet auteur.
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