Conte de la folie ordinaire
"Chroniques de l'oiseau à ressort" Haruki Murakami. Roman. Editions du seuil, 2001.
Traduit du japonais par Corinne Atlan avec Karine Chesneau.
Je l'avoue à ma grande honte, je n'avais jamais, jusqu'ici, ouvert un roman de Haruki Murakami. Ce n'était ni par paresse, ni par manque d'intérêt, mais il se trouve que la quantité de livres de ma PAL atteint des proportions himalayennes. Quand j'achève la lecture d'un roman, le choix du prochain livre à découvrir est parfois dû au hasard ou au gré de mes envies, mais aussi à la nécessité – quand le livre a été emprunté à des proches ou à la bibliothèque – de rendre celui-ci au plus vite à son (sa) propriétaire.
Les « Chroniques de l'oiseau à ressort », de même que « Kafka sur le rivage » (que je n'ai pas encore ouvert) font partie de ma bibliothèque personnelle, ce qui explique le peu d'empressement que j'aie mis à découvrir cet auteur, sachant que ces deux romans m'attendaient, sagement posés sur leur rayonnage. J'ai donc temporisé jusqu'à cette journée ( froide et pluvieuse, faut-il le préciser?) de la fin du mois de mars où je me suis enfin décidé à prendre ce livre en main et à découvrir cet auteur dont j'avais entendu chanter les louanges depuis fort longtemps.
C'est ainsi que je me suis immiscé dans la vie en apparence banale de Toru Okada, un jeune chômeur confronté à la disparition de son chat. Ayant renoncé à une activité professionnelle pour laquelle il n'éprouvait que peu d'intérêt, Toru Okada est devenu homme au foyer, assumant les tâches domestiques tandis que Kumiko, sa femme, se rend tous les matins à son travail. Celle-ci lui donne pour mission de rechercher le chat qui n'a pas donné signe de vie depuis quelques jours. C'est dans la ruelle, un passage abandonné qui donne sur l'arrière des jardins du quartier, que Toru Okada va se lancer à la recherche de l'animal disparu. C'est en longeant l'un de ces jardins qu'il va faire la connaissance d'une étrange et fantasque adolescente : May Kasahara. Mais il va également recevoir à son domicile d'étranges coups de téléphone d'une inconnue, rencontrer tour à tour deux soeurs, Creta et Malta Kano, se faire narrer l'histoire cruelle du lieutenant Mamiya survenue dans les steppes de Mongolie lors du conflit russo-japonais, faire face à la disparition inopinée de Kumiko, à l'inquiétante personnalité de son beau-frère, Noboru Wataya, devenir l'associé de Muscade et Cannelle, mais aussi et surtout découvrir dans le jardin d'une maison abandonnée un vieux puits asséché propice à la méditation et à l'évasion, tout ceci sans oublier les trilles du mystérieux oiseau à ressort.
On l'aura compris, ce roman est irracontable tant il apparaît dense et touffu, émaillé de digressions de toutes sortes, d'images oniriques et de situations surréalistes. Dès la première page, on se laisse emporter par la petite musique que distille Haruki Murakami et l'on se laisse guider comme un aveugle qu'il aurait pris par la main afin de nous faire découvrir peu à peu le dédale que constitue son récit. On se laisse ensorceler par cette narration qui semble partir dans tous les sens mais qui ne laisse pas de nous intriguer et de nous passionner tout au long de cette histoire débutant de manière apparemment si anodine et qui, progressivement, nous mène aux frontières de la réalité et du fantastique.
En cela, Haruki Murakami est un conteur exceptionnel, capable de nous envoûter par son récit, de nous faire redevenir de tous petits enfants béants d'admiration et de stupeur en écoutant les paroles distillées de manière à nous faire rester cois, la machoire pendante et la bouche ouverte, tant la magie de sa prose nous hypnotise, nous ensorcelle et nous laisse pantois une fois l'histoire achevée.
Ce fut pour moi une bien belle aventure que cette découverte de l'univers de Murakami, une expérience poétique et onirique qui m'a passionné de la première à la dernière page de son récit. Je me suis abandonné avec délectation au rythme hypnotique de ses images et de ses multiples récits imbriqués les uns dans les autres, parfois dérouté, mais toujours enchanté par cette prose que l'on dirait inspirée par l'Ange du Bizarre.
Bien sûr, la lecture de ce roman n'a pas fait de moi un fanatique de Murakami et je réserve pour plus tard l'occasion de découvrir plus intimement son oeuvre romanesque, ne voulant pas céder à une tentation qui s'apparenterait à de la boulimie. Cette première expérience s'est avérée concluante et je sais d'ores-et-déjà que je relirai un jour proche ou lointain d'autres oeuvres de Murakami, pour le plaisir de redevenir comme un enfant innocent, accroché et envoûté par les paroles du conteur.
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Marie